Droits humains et développement durable (3/3)

III. Les droits de l’homme au centre du développement durable

2 juin 2007

Résumé

Le dossier de l’encyclopédie consacré aux droits humains est organisé en trois parties.
Un premier article est consacré aux fondements des droits de la personne humaine.
Un second texte traite des droits économiques, sociaux et culturels.
Les droits humains ont été considérés comme une condition nécessaire de la réalisation d’un développement durable, élément d’une bonne gouvernance. En fait, rendre réel et accessible l’ensemble des droits de
l’homme est le cœur et l’objectif même du développement social et donc du développement durable. C’est l’objet de ce troisième article.


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La nouvelle classification de cet article est :

1.1- Principes du développement durable
6.1-Droits humains

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Auteur·e

Darras Marc

A participé notamment aux négociations de la Convention climat depuis le milieu des années 90, et aux travaux du GIEC, aux travaux français, européens et de l’OCDE sur la mise en place de taxes ou de permis pour le changement climatique, à la Commission du développement durable des nations unies, au Sommet pour le Développement durable, de Johannesburg, 2002, et à la préparation de la conférence « Rio + 20 », 2012, puis au Sommet de l’Agenda 2030, New York, 2015.
 Président du Groupement professionnel « Ingénieur et Développement Durable » de CentraleSupelec Alumni ; a été membre de la Plateforme RSE, et membre du bureau au titre de 4D de 2014 à 2023.
 Donne des cours sur les Politiques de l’énergie à l’UPEC,
 Anime un séminaire sur la transition écologique et solidaire pour la formation Shift Year à Centralesupelec.


La notion de développement durable est apparue à la convergence d’un premier courant soucieux de l’impact de l’activité humaine sur l’environnement et d’un second souhaitant promouvoir le développement. Elle sert aujourd’hui d’”attracteur” dans le débat politique. Sans vouloir arrêter une définition du développement durable, reprenons ici deux approches qui nous permettront d’avancer dans notre réflexion :

• L’approche du rapport Brundtland, tel que repris dans le
principe 3 de la Déclaration de Rio :

“Le droit au développement doit être réalisé de façon à satisfaire équitablement les besoins relatifs au développement et à l’environnement des générations présentes et futures”.

• L’approche due à Ignacy Sachs, initiateur de l’éco-développement lors de la Conférence de Stockholm de 1992 :

“Le développement durable est un développement social,
respectant l’environnement et viable économiquement [1]

Ces deux approches nous interrogent tout autant qu’elles nous aident à cerner le concept de développement durable [2]
.

Quel est donc ce développement, au cœur du développement
durable. Il convient ici de replacer cette approche dans son contexte. Nous distinguons trois lignes significatives.

Le développement.

Après la seconde guerre mondiale, progressivement, les empires coloniaux se sont défaits. Le développement est alors une question essentielle pour les nouveaux gouvernements : il s’agit de développer des infrastructures (routes, hôpitaux, écoles…), de construire des industries et de nourrir les populations croissantes des pays en développement. Des politiques volontaristes, centralisées, plus ou moins autarciques sont mises en place par ces gouvernements. Mais elles ne rencontrent pas le succès escompté.
De nouveaux modèles sont proposés d’économie ouverte, tant au commerce international qu’aux capitaux étrangers. Cette ouverture est accompagnée par une demande de réforme de l’État sous la pression du FMI et de la Banque mondiale à partir de 1981. Il s’agit des politiques de réformes structurelles. Dans la sphère économique et dans celle des services essentiels (santé, éducation,…), le rôle de l’État s’est réduit sous la pression du service de la dette. Après
plusieurs crises et notamment celle de l’Argentine, l’échec de ces politiques est patent, et il s’agit de retrouver de nouvelles lignes directrices.

Les blocs idéologiques.

Après Yalta, l’opposition en deux grands blocs structure le monde, même si une troisième voie est recherchée par les “pays non alignés” après la conférence de Bandung (1955). La “police” internationale est gérée par chacun des blocs, à l’intérieur de leurs zones d’influence respectives. Mais à partir de la chute du mur de Berlin (1989), et la fin de l’URSS (1991), les zones d’influence se restructurent, et la plupart des États gagnent en autonomie politique.Cela conduit notamment à des conflits régionaux de grande ampleur (ex-Yougoslavie, Rwanda, RDC, Liberia…) sur la base d’enjeux raciaux, religieux ou économiques. La domination de fait des États-Unis se renforce en s’appuyant sur la lutte contre le terrorisme à la suite de l’attentat du 11 septembre 2001. Elle promeut une organisation économique libérale, dans des économies ouvertes, tout en faisant preuve de protectionnisme national.

La mondialisation.

Sous l’effet des technologies de communication, du faible coût des transports et de l’ouverture des blocs, une mondialisation des échanges s’est opérée. Des accords internationaux plus nombreux sont mis en place pour le commerce à travers l’OMC, pour la protection de l’environnement face à des enjeux globaux (ozone, effet de serre, biodiversité). Cependant cette mondialisation qui voit une croissance significative des échanges marchands et financiers, ne profite pas à tous. Face à l’accroissement de la pauvreté de certaines populations (Pays les Moins Avancés), des “Objectifs du Millénaire pour le Développement” sont décidés en 2000.

Dans ce contexte, le concept de développement durable émerge progressivement en trois étapes : 1972, à Stockholm, l’importance des menaces pesant sur l’environnement est reconnue ; 1992, à Rio, une perspective est tracée entre environnement et développement, faisant une large place aux actions locales et aux acteurs locaux ; 2002,à Johannesbourg, il s’agit de comprendre comment impliquer l’économie et ses acteurs dans ce développement.

On peut s’interroger sur le sens à accorder à l’émergence du
concept de développement durable en regard du contexte. Si les menaces sur l’environnement ont été le facteur initial et déclencheur de la réflexion sur le développement durable, on doit maintenant constater que le développement durable propose une approche pragmatique sur les programmes sectoriels d’action des gouvernements, et l’implication très large des acteurs qu’il s’agisse des gouvernements locaux, des peuples autochtones, des femmes…
L’approche “développement durable” adoptée par la communauté
internationale répond ainsi à un besoin de repères dans un monde qui ne souhaite pas renouer avec les approches idéologiques, soit qu’elles aient conduit à des régimes totalitaires, soit qu’elles n’aient pu produire les résultats escomptés face à la complexité des sociétés humaines. Il s’agit d’une approche essentiellement procédurale, déontologique.

La place explicite des droits [3]
de l’homme est faible dans cette approche, si ce n’est insignifiante. Nous avons déjà mentionné leur mention dans l’Agenda 21. La déclaration de Rio qui sert de cadre à ce dernier et à la démarche de développement durable ne les mentionne pas. Lors du Sommet Mondial pour le Développement Durable, Johannesbourg 2002), les droits humains ont été mentionnés et débattus à plusieurs reprises 3 dans des contextes particuliers : responsabilité des entreprises, composante d’un contexte de développement régional et national, complément de l’approche environnementale. Par ailleurs, l’égalité homme-femme est mentionnée.

Dans le préambule du plan d’action de Johannesbourg les droits de l’homme sont mentionnés ainsi :

“art. 5. La paix, la sécurité, la stabilité et le respect des droits
humains et des libertés fondamentales, comprenant le droit au
développement, tout autant que le respect de la diversité culturelle,
sont essentiels pour accomplir un Développement Durable…”

S’il est bon de noter que les droits de l’homme ne sont mentionnés que de manière prudente, prouvant ainsi que cette notion est aujourd’hui toujours porteuse de valeurs qui remettent en question les pouvoirs établis, le texte précédent montre a contrario une méconnaissance des droits de l’homme. Il est curieux d’ajouter “libertés fondamentales” derrière “droits humains” qui précisément par les droits civils et politiques couvrent ce point. Ne conviendrait-il pas d’inverser les termes
et d’écrire :“Le respect des droits humains et la paix, la sécurité, la stabilité…”, notant ainsi que la paix, la sécurité et la stabilité sont conditionnées par l’accomplissement des droits de l’homme ?

En Europe, une stratégie de développement durable est adoptée
au sommet de Göteborg, 2001. Des textes définissent la perspective retenue par l’Europe :

“Le développement durable — répondre aux besoins du présent
sans compromettre ceux des générations futures — est un
objectif fondamental assigné par les traités. Il implique que les
politiques économiques, sociales et environnementales soient
abordées dans un esprit de synergie.”

Texte de Conclusion du Sommet de Göteborg, 15-16 juin 2001.

“Par cette décision, on reconnaît qu’il faut, à long terme, faire aller de pair la croissance économique, la cohésion sociale et la protection de l’environnement.”

Développement durable pour un monde meilleur. Commission Européenne. Communication 264, 2001.

Ces deux extraits proviennent des parties introductives des documents. Les droits de l’homme ne sont jamais évoqués, comme le soulignera un représentant d’ATD Quart Monde lors des auditions du Conseil Économique et Social. Cependant dans le corps du document, les objectifs de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, les mesures à prendre face au vieillissement des populations et celles concernant
la sécurité sociale relèvent de la mise en œuvre des droits de l’homme.

À la lecture de ces textes, la mise à plat du développement social, des enjeux environnementaux et des conditions économiques est frappante. Le développement social lui-même, est réduit à la cohésion sociale, et la croissance économique devient l’objectif premier. Cela traduit une confusion entre objectifs et moyens. Quel est donc l’objet du “vivre ensemble” ? Qu’est-ce que le progrès social ? Et l’organisation politique
doit-elle y contribuer ? Ces sujets sont complètement absents des propositions du sommet de Göteborg.

Replacer les droits de l’homme au centre du développement durable

On a montré que la conception moderne des droits de l’homme intégrait à la fois l’objet du développement humain (une vie digne et libre) et les principales composantes de sa réalisation (conditions économiques, sociales et culturelles). Les rédacteurs de la Charte des Nations Unies, puis ceux de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme avaient saisi toute l’importance des droits de l’homme au cœur de la définition d’un projet social. Le préambule de cette dernière mérite d’être cité ici :

“Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde,

Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme,
Considérant qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient
protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas
contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et
l’oppression,…”

Par ailleurs, la démarche de développement durable souligne l’interdépendance la sphère sociale, la sphère environnementale et la sphère économique.Cette démarche a été proposée de manière pragmatique face aux difficultés du développement et aux risques que font courir les activités humaines à notre environnement dans sa globalité. Elle émerge de manière forte et structure aujourd’hui les politiques publiques à l’échelle internationale, nationale et locale, ainsi que la stratégie des acteurs économiques [4]
.

Cependant, cette démarche n’a pas pleinement tiré parti des acquis d’autres politiques et de leur mise oeuvre, notamment de celles traitant des droits de l’homme.

Il y a urgence aujourd’hui à clairement positionner ces deux démarches.

La réalisation des droits de l’homme est l’objet même de la démarche de développement durable, définissant clairement la finalité du développement social. Il s’agit de donner à tous plus de liberté et de développer les capacités de chacun.

D’une part, les libertés civiles et politiques permettent à tous de participer aux choix de la société à tout niveau. D’autre part, les capacités développées en terme de santé, de logement, d’éducation et de travail permettent l’exercice effectif de ces libertés. Sans ces capacités, ces libertés ne sont qu’illusions. Il faut souligner une nouvelle fois fortement l’interdépendance et l’indivisibilité de ces droits. Il faut les uns et les autres, les uns pour les autres, et il appartient aux gouvernements et aux sociétés qu’ils représentent de définir des trajectoires vertueuses de développement respectant tous donc les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels.

La réalisation des droits de l’homme est aussi une composante
de succès des politiques de développement durable. En effet, les politiques de développementdurable, au-delà de l’intégration des politiques sociales, environnementales et économiques, nécessitent avant tout la participation des individus et des différents groupes sociaux. Cette participation garantit une adaptation adéquate des politiques aux personnes concernées, ce qui interdit une construction abstraite plaquée sur la réalité sociale. Pour permettre à chacun de participer de manière intelligente et informée, mais aussi constructive, il est nécessaire de disposer des libertés et des capacités définies par les droits de l’homme.

Enfin, la réalisation d’un développementdurable estune condition d’accès à une vie digne et libre, c’est-à-dire aux droits de l’homme. En effet, comment donner à chacun les capacités nécessaires à la mise en œuvre de ses droits dans un monde ou la qualité de l’air, les déchets, la dégradation des sols et de la qualité des eaux ne permettent pas de disposer d’une alimentation et d’un habitat sain ? De même, si les échanges marchands et les flux financiers sont désorganisés et déséquilibrés, ou si la capacité à rendre plus efficace et moins pénible le travail humain par l’industrialisation n’est pas accessible, alors l’autonomie individuelle et les capacités physiques et psychiques
pour assumer cette vie digne et libre ( santé, alimentation, éducation…)
peuvent faire défaut. Il est alors impossible de mener une vie libre et digne. Cependant, si un état général de dénuement ne permet pas de jouir des droits élémentaires, a contrario une économie et un environnement sains ne profiteront à tous qu’à condition de donner un accès général aux services essentiels par une politique ayant pour objectif le développement social et donc l’accès aux droits de l’homme.

Enfin, soulignons la convergence des méthodes adoptées pour la mise en œuvre des droits de l’homme et du développement durable. Ces deux démarches ne construisent pas une utopie globalisante à mettre en place, mais proposent des critères à mettre œuvre. Lors du développement d’un plan d’action face à une problématique précise, la recherche du respect simultané de ces critères crée entre eux des tensions qui les équilibrent.

La démarche des droits humains et celle du développement durable reconnaissent la multiplicité et l’irréductibilité des objectifs à atteindre ; elles demandent des progrès pour chacune de leurs composantes respectives. Il ne s’agit en aucun cas d’un progrès limité au développement économique ou à la maximisation de l’utilité collective mesurée par le volume des échanges marchands. Face à la complexité, ces démarches préconisent une approche complexe participative, nécessitant une stratégie d’adaptation s’appuyant sur les capacités disponibles. Ces conclusions atteintes dès 1948 dans le domaine du développement des sociétés humaines à travers la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, trouvent aujourd’hui un complément dans le domaine du développement économique et la protection environnementale.

En conclusion, on comprend pourquoi il était nécessaire d’éclairer cette argumentation de deux approches du développement durable.

Une première, issue du rapport Brundtland et très souvent reprise, ne considère pas l’objet du développement, mais seulement les conditions de mise en œuvre d’un développement durable, mettant sur le même niveau objectifs, conditions de réalisation et moyens d’exécution.

La seconde :

“Le développement durable est un développement social, respectant
l’environnement et viable économiquement” permet de structurer la réflexion, et de repositionner le développement social au centre de la démarche de développement durable, mais bien sûr sans négliger les conditions de réalisation et de pérennité de ce développement.

Ainsi, rendre réel et accessible l’ensemble des droits de l’homme est le cœur et l’objectif du développement social et donc du développement durable.

Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[1Ogunlade Davidson, Co-Chair IPCC WG III, Afrique du Sud, qualifie le concept de développement durable d’ “elusive”, ce qui signifie tout autant insaisissable qu’évasif.”

[2Conférence “Rio 10 ans après” du 19 juin 2002, Cité de la Villette. Paris. (Vidéo disponible sur le site de la Cité de la Villette)

[3Les droits humains sont mentionnés quatre fois dans le texte.Ils ont été retirés du paragraphe définissant les objectifs du développement durable (art.121).

[4On notera qu’il ne s’agit pas seulement d’une question de moyens économiques. Le Programme des Nations Unies pour le Développement a défini dans la dernière décennie une série d’indicateurs sur le développement, qui permettent une analyse des Etats. En Inde, le Kerala apparaît comme un État regroupant de nombreux succès. Ce résultats est avant tout du à une organisation sociale, une approche de la place de chacun dans l’État. Il ne s’agit objectivement pas d’une question de niveau économique. De nombreux exemples obtenus en explorant systématiquement les composantes du développement humain sont ainsi démontrés. On notera que certains États ayant un fort potentiel économique peuvent aussi être les porteurs d’un développement déséquilibré, indépendamment du régime politique qu’ils ont adopté. Les droits humains sont mentionnés quatre fois dans le texte. Ils ont été retirés du paragraphe définissant les objectifs du développement durable (art. 121).

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 Bibliographie

Pour en savoir plus

 Rousseau, Jean-Jacques, 1762. Du contrat social.

 Sen, Amartya, 1999. Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté. Odile Jacob,2000.

Documents de référence et lectures complémentaires

 Antoine, Serge ; Barrère Martine ; Verbrugge Genevière, Editeurs, 1994. La planète terre entre nos mains. Guide pour la mise en oeuvre des engagements du sommet Planète terre. La documentation française, 1994.

 Martin, Jean-Yves, éditeur. Développement durable ? Doctrines Pratiques Evaluations, IRD, 2002.

 Office of the High Commissioner for Human rights. Human rights, poverty reduction and sustainable development.

 Health, food and water. Background paper. World Summit on Sustainable Development. 2002.

 Lire dans l’encyclopédie

* Marc Darras, Fondements et contenu des droits de la personne humaine (N°47) Juin 2007.

* Marc Darras, Les droits économiques sociaux et culturels (N°48) Juin 2007.

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