Développement durable - Europe - société civile européenne
Résumé
L’échelon européen joue aujourd’hui un rôle essentiel dans les politiques environnementales. C’est l’Union Européenne qui établit la législation, fixe les normes et veille à leur application ; c’est elle qui négocie, au plan mondial, les accords et conventions, tel le protocole de Kyoto qui ne serait pas entré en vigueur sans son engagement.
Les associations de défense de l’environnement ont joué un rôle important dans cette prise en compte. La société civile européenne en cours de construction prétend élargir son activité et peser plus sur les processus de décision au sein de l’Union européenne. Les notions de “société civile organisée”, de “démocratie participative” articulées
et en complément à la démocratie représentative, reflètent cette recherche.
Il n’en demeure pas moins que parce qu’il s’agit d’initiatives de citoyens, l’innovation sociétale, les questions nouvelles surgissent
de la société civile. Celle-ci aura-t-elle la capacité à apporter des concepts nouveaux et des pratiques neuves, aussi bien
sur les rapports environnement / économie, la relation de l’Homme à son environnement, les formes nouvelles de démocratie participative en complément de nos démocraties représentatives, la prise de conscience de l’interdépendance dans laquelle nous nous trouvons face à la finitude du monde et la limite, voire l’épuisement, des ressources dites “naturelles” ?
Cependant, malgré ces interrogations,c’est la mobilisation de la société civile – mouvements écologistes, ONG travaillant sur le développement, la réduction de la pauvreté, etc. – qui est à l’origine d’une prise de conscience dans les populations des pays développés. C’est cette mobilisation qui pousse les institutions et les forces politiques à faire du développement durable un axe majeur de leur action. De sa capacité à articuler mobilisation et propositions, action et imagination, dépend pour une grande part l’avenir même de la planète.
Télécharger l’article en format pdf :
Mise en garde : Cette version imprimable fait référence à l’ancien plan de classement de l’encyclopédie.
La nouvelle classification de cet article est :
• 2.2- Stratégies européennes et nationales
Auteur·e
Jean-Claude Boual est chargé de mission sur l’Europe et les services publics et l’Europe sociale au
ministère des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer. Il anime le Comité européen sur
les services d’intérêt général (CELSIG), il est membre du Forum permanent de la société civile. Il a été
secrétaire général de la fédération CGT de l’équipement et de l’environnement, de 1975 à 1991, et membre
de la Commission exécutive de la CGT entre 1979 et 1992.
L’échelon européen joue aujourd’hui un rôle essentiel dans les politiques environnementales. C’est l’Union européenne qui établit la législation, fixe les normes et veille à leur application ; c’est elle qui négocie, au plan mondial, les accords et conventions, tel le protocole de Kyoto qui ne serait pas entré en vigueur sans son engagement.
La politique de l’environnement au niveau européen, un lent processus vers l’intégration
La politique communautaire de l’environnement est formellement reconnue par l’Acte unique (février 1986) mais la procédure de décision requise en la matière au sein du Conseil est l’unanimité, ce qui laisse à penser que ce domaine est encore vécu par les États membres comme un domaine réservé qu’il est difficile d’abandonner au nom de la solidarité européenne [1].
Le Traité de Maastricht (1992) a élargi les compétences de l’Union en matière de protection de l’environnement. Celle-ci doit désormais “être intégrée dans la définition et dans la réalisation des autres politiques communautaires”.
La qualité de l’environnement est corrélée à la croissance, le terme de développement durable est intégré dans le corps du Traité instituant la Communauté européenne (article 3C devenu l’article 6 du TCE). Sauf dans certains cas (dispositions fiscales, mesures d’organisation territoriale, sources d’énergie) où le vote demeure à l’unanimité pour les décisions du Conseil, la règle générale est le vote à la majorité, ce qui permet d’engager une politique et d’élaborer du droit positif en la matière.
Aujourd’hui, l’Union européenne (UE) définit les réglementations et les politiques dans des secteurs tels que la pollution de l’air, l’environnement marin, l’utilisation des ressources et déchets, la protection des sols et les pesticides, les OGM, les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, la biodiversité et la protection des écosystèmes.
Elle développe des politiques pour promouvoir l’éco-innovation, notamment dans le cadre du 7e programme – cadre de recherche et développement [2] – et des lignes directrices pour la politique de cohésion 2007-2013. Son 6e plan d’action vise plus particulièrement le changement climatique avec l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto et la mise en œuvre du système européen d’échanges de quotas d’émissions, la biodiversité, les écosystèmes et l’utilisation des ressources ; elle souligne, à ce sujet, que : “l’empreinte écologique de l’Europe est plus de deux fois la taille de celle-ci. Les Européens utilisent en moyenne 4,9 ha par personne alors que 1,8 sont disponibles. La croissance annuelle de l’empreinte écologique de l’Union européenne des 25 a été de 3% depuis 1990” et elle se propose de dresser “un plan d’action pour promouvoir la production et la consommation durables”. Son 6e plan d’action porte également sur l’environnement et la santé, notamment avec la proposition de directive “Reach” sur les produits chimiques.
“La stratégie de développement durable de l’UE vise à proposer un nouveau cadre pour aborder les tendances économiques, sociales et environnementales de long terme et les synergies entre celles-ci” selon les termes de la communication Environnement : bilan et perspectives de l’action européenne de la Commission européenne de février 2006.
En bien ou en mal, c’est l’Union européenne qui structure les politiques environnementales et de développement durable pour l’ensemble du territoire européen et détermine les cadres dans lesquels les États membres et les ONG interviennent.
Pour ces dernières, s’organiser à l’échelon européen est donc un impératif.
Le rôle de la société civile
Les obligations découlant de la Convention d’Aarhus, conclue en 1998 sous l’égide de l’ONU, sont en cours de transposition en droit communautaire par les institutions européennes (le Conseil et le Parlement comme co-législateurs et la Commission). Cette transposition, sous la forme juridique d’un règlement, doit définir les conditions en vertu desquelles les institutions et les organes de l’UE, comme l’Autorité européenne de sécurité des aliments ou la future agence des produits chimiques par exemple, garantiront au public l’accès à l’information, sa participation aux décisions ou l’accès à la justice pour toutes les questions relatives à l’environnement.
Le projet actuel, par exemple, prévoit que les institutions européennes seront tenues d’informer gratuitement les citoyens, de les consulter ainsi que les ONG et de leur fournir, dans les deux semaines, des réponses étayées aux demandes d’information qui leur auront été adressées. Les ONG auront la possibilité de prendre l’initiative d’un réexamen des décisions prises, la Commission sera tenue de fournir, à la demande des citoyens et des ONG, les informations concernant les cas où il y a eu des émissions de substances dangereuses dans l’environnement.
L’Union s’apprête à mettre partiellement en œuvre des dispositions définies en application de la Convention d’Aarhus en 2005 à Altmaty (Kazakhstan) qui porte sur le droit à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, sous l’égide de la Commission économique pour l’Europe des Nations unies (CEE – ONU).
La bonne application de ces dispositions dépendra, pour une grande part, de la capacité d’action d’une société civile, dynamique, capable de s’emparer de ces actions.
Le domaine de l’environnement est sans doute un des plus florissants en matière d’ONG au niveau européen. Le Bureau européen de l’environnement (BEE), créé en 1974, fédère une grande part de ces associations qui se déclinent jusqu’au niveau local.
Il travaille avec d’autres grandes associations environnementales et d’autres réseaux d’ONG comme les réseaux d’ONG sociales ou de citoyenneté. Cette coopération, de plus en plus fréquente et suivie, permet ainsi aux ONG de prendre en compte tous les aspects du développement durable, l’environnemental, le social, l’économique et le culturel. Leur action est pour beaucoup dans la prise en compte transversale des questions environnementales par les instances communautaires. Cependant, la société civile se trouve, aussi bien au plan théorique que pratique, confrontée à deux questions majeures : les relations environnement / économie avec la nécessité de faire surgir de nouveaux modes de production et de consommation durable, les relations société civile / politique, compte tenu des caractères souvent spécifiques ou segmentés de l’objet des ONG et de la crise du politique.
La croissance, vue essentiellement comme la croissance matérielle, ne saurait être infinie du simple fait que les ressources, dites naturelles, ne le sont pas. Les atteintes portées à l’environnement par l’extraction de ces ressources, les dérèglements climatiques, la combustion des énergies fossiles entraînent progressivement une prise de conscience de la finitude de notre monde. L’ “impossible” lutte contre la misère démontre également la vacuité des théories économiques basées uniquement sur la croissance mesurée en terme de “produit intérieur brut”. On sait que “les objectifs du millénaire” ne seront pas atteints à ce sujet et que, dans les pays dits riches, les écarts entre riches et pauvres et les “poches” de misère et d’exclusion ont tendance à croître.
La démarche classique du mouvement écologique se trouve confrontée à une question récurrente depuis son apparition. La recherche d’ “écotechnologie” susceptible de sauver par la technique écologique une société malade de la technique et du productivisme d’une part et la construction de réseaux d’économie solidaire d’autre part, peuvent-elles trouver, au niveau européen, une concrétisation autre que marginale ? Peuvent-elles engendrer un mouvement assez fort pour développer un mode de production et de consommation alternatif à celui que nous connaissons aujourd’hui et donner des contenus concrets au concept de développement durable dont toutes les politiques se réclament ?
Ces recherches militantes s’articuleront-elles autrement que formellement dans des luttes ou contestations ponctuelles, avec des réseaux de la recherche et de la connaissance (universités, organismes de recherche, entreprises, etc.) pour repenser (et agir dans ce sens) les rapports entre l’Homme et son environnement ? Peut-on construire une “société de la connaissance”, comme le promet l’Union européenne, en séparant toujours culture et nature ?
Finitude du monde, croissance indéfinie impossible, ressources naturelles limitées, misère qui perdure, voire se développe, y compris dans les pays dits riches, voilà le véritable défi pour la société civile européenne. Ce défi est d’autant plus important que “le politique” a démissionné face à ces enjeux. Les institutions européennes paralysées ne peuvent évoluer faute d’accord entre les États, voire entre les sociétés nationales qui composent l’Union ; les débats pour créer un espace public européen y sont encore insuffisants, les institutions et partis politiques restent sur les enjeux nationaux, étroits, sans réfléchir à l’interdépendance de plus en plus forte entre peuples et sociétés au sein de l’Europe. Les politiques mises en œuvre reposent sur les vieux paradigmes en échec et les égoïsmes des gouvernements mais aussi parfois des peuples accentuent les blocages.
Les débats tournent de plus en plus autour de deux conceptions, celle du primat de marché sur le politique et celle de la participation de la société civile à la prise de décision politique.
La première repose sur les schémas idéologiques qui ont conduit aux situations que nous connaissons, la seconde est peut-être un début de réponse à ces questions mais fait l’objet de réticences extrêmement fortes car elle prend de front les idéologies et les pratiques politiques dominantes qui veulent qu’en votant le peuple délègue ses pouvoirs et n’a donc plus à être consulté et qu’entre deux élections ce n’est plus à lui à décider.
La deuxième conception cherche une voie qui permettra à la fois la prise en compte de ces préoccupations particulières et les aspects globaux qui sont l’objet du politique. Son principal handicap est la dispersion, l’éclatement consubstantiel à l’organisation de la société civile. En effet, les associations, les ONG se construisent autour d’objets louables, qui ont un impact sur la société mais qui sont thématiques.
Leurs objets mêmes et la pratique qui en découle les spécialisent sur des questions spécifiques, qui peuvent être souvent d’une complexité forte : le logement, la santé, l’éducation, l’aide au développement, la “sortie du nucléaire”, la lutte contre tel ou tel équipement, etc. Ces actions émanent souvent de revendications particulières, d’ordre financier, souvent concurrentes les unes aux autres, en matière d’environnement, elles relèvent souvent du “syndrome NIMBY”.
Les réflexions, au sein de la société civile européenne, consistent à essayer de surmonter ces cloisonnements et cet éparpillement, en évitant l’instrumentalisation par les instances communautaires et le politique, tout en étant en capacité de peser sur eux afin de participer au processus de décision.
Les notions de “société civile organisée”, de “démocratie participative” articulées et en complément à la démocratie représentative, reflètent cette recherche.
Il n’en demeure pas moins que parce qu’il s’agit d’initiatives de citoyens, l’innovation sociétale, les questions nouvelles, surgissent de la société civile. Celle-ci aura-t-elle la capacité à apporter des concepts nouveaux et des pratiques neuves, aussi bien sur les rapports environnement / économie, la relation de l’Homme à son environnement, les formes nouvelles de démocratie participative en complément de nos démocraties représentatives, la prise de conscience de l’interdépendance dans laquelle nous nous trouvons face à la finitude du monde et la limite, voire l’épuisement, des ressources dites “naturelles” ?
Cependant, malgré ces interrogations, c’est la mobilisation de la société civile – mouvements écologistes, ONG travaillant sur le développement, la réduction de la pauvreté, etc. – qui est à l’origine d’une prise de conscience dans les populations des pays développés. C’est cette mobilisation qui pousse les institutions et les forces politiques à faire du développement durable un axe majeur de leur action.
De sa capacité à articuler mobilisation et propositions, action et imagination, dépend pour une grande part l’avenir même de la planète.
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] 1986 (26 avril) est également l’année de la catastrophe de Tchernobyl, mais la prise de conscience de l’interdépendance des territoires et des hommes face à de tels événements ne viendra que par la suite.
[2] Cf. site de l’Union européenne : www.ec.europa.eu/index_fr.htm
Bibliographie
Pour en savoir plus
- J.-C. Boual, Vers une société civile européenne, Éditions de l’aube, 1999.
- O. Aktouf, La stratégie de l’autruche, Écosociété, 2002, Québec.
- P. Descola, Par-delà nature et culture, Gallimard, 2006.
- Jean-Claude Boual – Ph.D. Grojean – J.R. Rabier – D. Spoel – R. Van Ermen, Plan B, Changer la gouvernance européenne, Éditions Labor, Bruxelles, 2006.