La diversité culturelle

1er décembre 2006

Résumé

La culture peut être vue selon trois définitions : les activités artistiques, l’ensemble des repères
communs à une société donnée, et un essai de compréhension du monde à travers le
kaléidoscope des interprétations que les différentes sociétés font de notre monde commun.
La diversité culturelle représente alors, comme la diversité biologique, un riche réservoir de
possibles. Dans l’esprit du développement durable, ces trois acceptions devraient pouvoir
s’emboiter, comme un jeu de poupées russes.


Télécharger l’article en format pdf :

EDD23Flipo


Mise en garde : Cette version imprimable fait référence à l’ancien plan de classement de l’encyclopédie.


La nouvelle classification de cet article est :

6.5- Culture

Mots-clés associés :

Auteur·e

Flipo Fabrice

Fabrice Flipo est professeur, enseignant à Institut Mines-Télécom BS et chercheur au LCSP (Université de Paris-Cité). Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur les enjeux de l’Anthropocène [mot à la mode !!] au regard de l’émancipation, et suit également de près les enjeux écologiques du numérique.
Il a notamment publié Le développement durable et ses critiques (Bréal, 2022) et L’impératif de la sobriété numérique (Matériologiques, 2020).


Le mot « culture » revêt trois acceptions très différentes. Le premier sens est le plus commun : la culture, c’est l’ensemble des activités artistiques c’est-à-dire la peinture, le théâtre etc. sans oublier le cinéma. L’organisation de ces activités donne naissance à des échanges de biens et de services, marchands ou non. La libéralisation des biens et services marchands est une question discutée à l’OMC et qui donne lieu à des débats passionnés car « la culture n’est pas une marchandise ».

Pour comprendre pourquoi ces débats existent, le concept de « culture » doit être décliné dans un second sens : la culture, c’est l’ensemble des repères symboliques (langage etc.) et des pratiques (techniques etc.) mises en œuvre dans une société et transmises au fil des générations. La culture est un ensemble de lieux communs, au sens fort. Ces repères valent pour les œuvres collectives comme pour l’herméneutique de soi : nous ne pouvons chercher à accéder à « ce que nous sommes vraiment » que par le biais des outils et repères transmis par une culture particulière.

L’action collective se structure sur la base d’un ordre des choses et des êtres qui diffère selon les cultures. Cet ordre permet de séparer le propre et le sale, d’exprimer la politesse (un signe de politesse dans une culture peut être une insulte dans une autre culture), de repérer les choses (le mètre, la livre etc.), de définir « ce qui se fait » et « ce qui ne se fait pas », de structurer l’espace (urbanisme) etc. jusqu’à la distance à partir de laquelle la proximité avec d’autres personnes se fait oppressante. Pour les natifs d’une culture, cet ordre confine à l’évidence et à la naturalité, alors que pour les étrangers ou mêmes les enfants, cet ordre paraît étrange voire étranger.

Chaque culture est une manière particulière d’interpréter pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien. L’origine étymologique, « cultura », la culture du sol, témoigne de ce que cet effort d’interprétation toujours à reprendre est consubstantiellement une manière de pratiquer le monde. Etant poussière nous redeviendrons poussière et l’agriculture, au sens large de travail de la terre, des écosystèmes, est notre origine et notre destinée. La diversité culturelle représente alors, comme la diversité biologique, un riche réservoir de possibles.

 Du point de vue du développement durable, la culture est le lieu de plusieurs enjeux

Tout d’abord, la question du relativisme : si tout est le produit de l’intersubjectivité, l’universel est-il illusoire ? Culture et universel ne sont pas nécessairement antinomiques, et cela pour au moins trois raisons. Tout d’abord, la culture est un ordre construit, même si sa lenteur d’évolution lui confère une apparence d’immuabilité. Construit, il peut être déconstruit : la traduction est possible. Ensuite le monde n’est pas entièrement livré à l’arbitraire de la volonté. La matérialité naturelle et l’altérité qui l’habite (êtres vivants) résistent à un constructivisme total et offrent des points d’appuis communs. Enfin les êtres humains peuvent se référer à un sens éthique et moral dont il est partout attesté qu’une partie relève du « droit naturel » c’est-à-dire d’aspirations universelles. La Déclaration des Droits de l’Homme a été écrite avec le concours de personnes venant de pays éloignés, de cultures différentes, et cela ne les a pas empêchées de trouver un grand nombre de points d’accord.

Cette question du relativisme se répercute dans les sciences. Si la chute des les corps est universelle, écosystèmes, êtres vivants et institutions humaines sont singuliers et en constante coévolution. Sciences humaines, économie, technologie et biologie sont dépendantes de l’histoire et de la géographie, dont l’avenir ouvert n’est nulle part écrit à l’avance. Tout dépend de ce que nous voulons, collectivement. A cet égard, la thèse occidentale d’un progrès technique autonome et universel nous mène aujourd’hui à un dangereux état de tyrannie, fragilisant écosystèmes et sociétés.

 Relativisme absolu et tyrannie de l’universel sont deux extrêmes dont un authentique dialogue doit savoir se garder

Ensuite, la question de la civilisation. La « civilisation » s’oppose à la « barbarie » qui peut être définie comme le non-respect des règles élémentaires de civilité. La difficulté du dialogue interculturel provient en partie de ce que les règles de civilité d’une culture peuvent être comprises dans une autre culture comme une expression d’incivilité et par là de barbarisme. Cette compréhension superficielle et l’incapacité à se décentrer par rapport à sa propre culture engendre stéréotypes voire intolérance, les autres cultures étant appréhendées comme étant « simples », «  arbitraires  », voire « inférieures » ou « arriérées ». Le paroxysme est atteint lorsque la culture est tenue pour morte, juste digne d’appartenir à un « folklore  » figé qu’on vient contempler dans des musées. Un dialogue interculturel authentique ne peut avoir lieu si l’Autre n’est pas reconnu en tant que Sujet. Prendre au sérieux le destin d’un être étrange, d’un étranger, est peut-être le fondement premier de l’antique vertu d’hospitalité.

Le barbare, c’est l’étranger, mais c’est aussi le sauvage, la forêt (« sylva » signifie « sauvage »), lieu qui échappe à l’ordre domestique, à « l’ager », c’est-à-dire à notre ordre à nous.
Quelle place accordons-nous à l’animal dans nos lieux communs ?
Comment socialisons-nous les autres espèces dans nos pratiques d’habitation du monde ?

Sommes-nous capables de leur offrir une hospitalité suffisante ?
À l’heure de la sixième plus grande extinction d’espèces depuis l’apparition de la vie sur Terre, cette question n’engage rien moins que notre avenir à tous.

La culture pose enfin la question de la souveraineté, un enjeu qui est au cœur des négociations entre les Etats. L’article 21 de la Déclaration des Droits de l’Homme indique que « Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ». Les affaires « publiques » ne sont autres que la gestion des « lieux communs » du « pays ». Cette gestion est elle-même dépendante de lieux singuliers, de l’histoire, de la géographie et de la manière selon laquelle un peuple interprète et pratique le monde qu’il habite. L’espace « international » ne devrait donc pas être confondu avec l’espace « interétatique ». Le caractère général de la volonté de l’Etat peut masquer un écrasement des minorités ou au contraire en être l’instrument de domination. Les débats en la matière peuvent être pacifiques, comme dans le cas de l’autonomie relative accordée par le Canada au Québec, ou explosives, violentes, comme dans le cas d’un grand nombre d’Etats africains, ou en France, avec la Corse.

Le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays se double d’un devoir de ne pas s’ingérer dans les affaires publiques d’autres pays. Le droit des peuples à se gouverner eux-mêmes implique un droit à la diversité culturelle. Les identités étant toujours mouvantes, « communauté » et « publicité » font l’objet d’une co-définition évolutive qui se décline à tous les niveaux de gouvernance, du global au familial en passant par l’étatique et le départemental. Du privilégié nomade qui se domicilie en Suisse en raison des avantages fiscaux au réfugié soudanais fuyant les massacres refoulé aux frontières, du refus des Etats-Unis du multilatéralisme aux efforts intenses des pays africains pour ouvrir leurs frontières, les raisons de l’indépendance peuvent être très variables et parfois au service de l’égoïsme. Le libre-échange des biens et des services, négocié entre Etats à l’OMC, cache bien des problèmes de souveraineté et de liberté des peuples à décider de leur destin. Un développement durable exigerait que les voyageurs se déplacent pour entretenir des relations de fraternité entre les peuples plutôt que pour leur propre loisir ou pour tirer des bénéfices économiques à court terme.

« La » culture se comprend dans un troisième sens qui vient coiffer les deux autres. La « culture générale » désigne la capacité d’une personne à comprendre différentes cultures. Ces décentrements successifs par rapport à sa propre culture initiale sont autant de pierres sur un chemin qui mène vers l’Universel. En ce sens-là, la culture a avant tout une visée humaniste.

Elle est le contraire de la spécialisation et d’un enfermement sur soi. La diversité des cultures présente dès lors un intérêt similaire à la diversité biologique : entretenir la richesse d’une diversité de points de vue et de pratiques qui contribuent à nous aider à mieux comprendre le monde et à mieux nous comprendre nous-mêmes, la question de nos origines étant loin d’être close.

Le voyage garde en cela toute sa pertinence en tant que quête initiatique : quand on voyage seul et sans autre but que la rencontre, celui ou celle que l’on cherche à trouver, finalement, n’est autre que soi-même.

 Outils

Recommander cet article

Version imprimable de cet article Imprimer l'article

 Bibliographie

Pour en savoir plus

 DELANNOI G. & P.-A. TAGUIEFF, Théories du nationalisme – Nations, nationalité, ethnicité, Paris, Kimé, 1991.

 DEMORGON J., Complexité des cultures et de l’interculturel, Paris, Anthropos, 1996.

 HALL E. T., Au-delà de la culture, Paris, Seuil, 1979.

 HILY M.-A. & M.-L. LEFEBVRE (Dir.), Identité collective et altérité, Paris, L’Harmattan, 1999.

 NATHAN, T., Nous ne sommes pas seuls au monde, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 2001.

 TAYLOR, C., Multiculturalisme. Différence et démocratie, Paris, Aubier, 1992.

 WIEVIORKA, M. (1996), Une société fragmentée ? le multiculturalisme en débat, Paris, La Découverte.

 UNESCO, Convention sur la diversité culturelle.

 Lire dans l’encyclopédie
 Documents joints
Envoyer un commentaire