Crise des transports en région parisienne : Vers le “métro-express”
Un réseau régional modernisé pour répondre au défi post-Copenhague de la mobilité urbaine à l’échelle du grand Paris
Résumé
Partant de l’idée selon laquelle l’extension territoriale sans fin de la métropole parisienne doit devenir marginale dans une perspective post carbone, l’auteur pense que le transport public doit devenir le facteur dominant de l’organisation urbaine.
S’inspirant des idées des dix équipes ayant participé au concours d’idées Grand Paris, il propose un ensemble de piste parmi lesquelles :
- nécessité de rendre compétitif le système de transports public par rapport à l’automobile (plus de vitesse, de fréquence, meilleur maillage, modernisation de l’existant…) ;
- pour les lignes nouvelles à créer, préférer « l’aérien » au « souterrain ». Outre le fait que le souterrain est plus onéreux, il est anxiogène, l’usager se déplace mais ne voyage pas !
- réconcilier le déplacement avec la ville et d’abord améliorer la vie quotidienne ;
- sortir de l’organisation radiale des lignes actuelles mais au lieu d’une logique circulaire (le grand huit) penser d’abord à des liaisons tangentielles ;
- mettre en œuvre tout de suite les projets incontestables, ceux qui concernent les réseaux de proximité ainsi que les opérations lourdes que justifie l’urgence des besoins ;
- en conclusion, changer profondément l’architecture et les systèmes de mobilité pour unifier une métropole fragmentée et atteindre les objectifs « Post-Copenhague ».
Ce texte reprend en grande partie le contenu d’un article de Frédéric Léonhardt déjà publié dans la revue Ville et transports que nous remercions.
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• 3.4- Politiques de transport
Auteur·e
Urbaniste, il a participé à la consultation internationale du Grand Paris dans l’équipe Castro-Denisoff-Casi / Nexity / Berim, en contribuant en particulier à l’élaboration des stratégies en matière de déplacement-mobilité et d’intervention sur les territoires dévalorisés.
Précédemment chef de projet politique de la ville en Seine- Saint-Denis, puis chargé de mission au centre de ressources de la DIV (Délégation Interministérielle à la Ville), il est actuellement en poste à l’Anru (Agence nationale pour la rénovation urbaine). En participant activement à la mise en oeuvre des politiques de développement social urbain depuis 2002, il a pu mesurer l’importance des enjeux de mobilité pour l’intégration sociale et économique des habitants des quartiers sensibles et pour la transformation urbaine des grands ensembles, en particulier en Ile-de-France.
Après les annonces présidentielles concernant le dépôt d’un projet de loi, à l’automne, destiné à piloter le Grand Paris le débat est loin d’être clos sur le devenir des transports de la capitale. Après avoir donné la parole il y a un mois à l’urbaniste Marc Wiel, qui tordait le cou au concept de vitesse des transports publics, voici un point de vue très différent développé par Frédéric Léonhardt, qui a participé à la consultation sur le Grand Paris dans l’équipe Castro.
Alors que les équipes du Grand Paris imaginent les systèmes de transports collectifs aériens du futur, le secrétaire d’Etat à la région capitale vante les mérites de son réseau souterrain de métro automatique de 130 km et le président de région se « bat » pour un programme d’investissement « tous azimuts » de 17 milliards d’euros sur 15 ans.
Le président de la République pense réaliser la « synthèse », en additionnant les enveloppes, 35 milliards d’euros, tout en exigeant de l’Etat et des collectivités locales la mise au point rapide d’un accord sur le contenu du programme. Pendant ce temps, pour la deuxième fois en quelques mois, des voyageurs d’une rame du RER A arpentent à pied le tunnel entre Auber et Châtelet suite à l’arrêt complet de leur rame, contribuant à la désorganisation générale de l’ensemble du réseau.
Tandis que les décideurs se disputent sur la nature des investissements et des lignes à construire, l’usager des transports continue donc de vivre une crise de la mobilité urbaine d’une ampleur inédite, avec parcours à rallonge, incidents à répétition, sur-occupation des rames... Le décalage entre le temps immédiat de l’usager, le temps long du développement urbain et le temps trop long des décisions politiques n’a sans doute jamais paru aussi grand. Alors, si l’urgence est maintenant clairement décrétée, les hypothèses de travail des 10 équipes sur la mobilité métropolitaine constituent un matériau riche d’enseignements pour s’interroger sur les décisions à prendre dans les prochains mois.
Accessibilité, valeur cardinale pour les territoires du Grand Paris
Première règle fondamentale énoncée par les équipes : la métropole contemporaine se den- sifie, se réorganise sur elle-même, son extension sans fin devrait maintenant devenir marginale, l’influence du dispositif automobile dans l’étalement urbain ayant atteint une certaine limite, suivant de multiples influences : congestion, coût énergétique, pollution, réduction des vitesses.
Dès lors, le réseau de transports publics (re)devient le facteur dominant de l’organisation urbaine. Et la construction d’un nouveau projet spatial de développement de la métropole s’appuie sur des stratégies de mobilité qui articulent plusieurs niveaux de réponses (douces, partagées, intermodales, services et tarification intégrées) avec un réseau de transport public majeur à vitesse et capacité de trafic élevées qui en constitue l’épine dorsale. Plus que le concept de mobilité, ambivalent pour cet exercice de spatialisation du développement - car il concerne non pas les lieux mais les individus et leurs comportements -, c’est le concept d’accessibilité qui constitue une qualité fondamentale des différents espaces métropolitains.
L’accessibilité automobile est bien distribuée en Ile-de-France, produite par 50 ans d’investissements continus qui ont créé un maillage dense, homogène de grandes voiries urbaines. A l’inverse, dans le champ des transports publics, l’accessibilité discrimine fortement les territoires. Si Paris bénéficie d’une accessibilité élevée et assez homogène, dès le franchissement du périphérique, cette valeur s’effondre sauf en certains points d’accès au réseau (les quartiers proches des gares RER essentiellement) dans la direction du centre exclusivement. L’analyse de la connectivité des réseaux entre Paris et la périphérie, autrement dit de la capacité de correspondance entre les différentes lignes de métro et de RER est là aussi édifiante, 90% des stations en correspondance sont situées dans Paris intra-muros.
Autrement dit, dans Paris, on se dirige immédiatement dans l’ensemble des directions alors qu’en périphérie, au mieux, on a un accès assez rapide vers la zone centrale, au pire cet accès à ce choix limité se compte en plusieurs dizaines de minutes.
L’enjeu du Grand Paris est donc d’apporter aux territoires extra-muros un niveau d’accessibilité correcte à l’ensemble des espaces majeurs de la métropole.
Unifier le territoire métropolitain par la grande vitesse
Il est donc indispensable de rendre compétitif le transport public par rapport à l’automobile, reprendre un avantage « temps » avec un réseau à grande vitesse qui supplée, renforce, transforme un réseau RER par ailleurs complètement saturé, notamment en raison de l’architecture ultraradiale du réseau. Certaines propositions articulent donc des lignes de transport rapides (métros automatiques ou RER nouvelles générations) implantées sur les grandes infrastructures routières existantes (périphérique, A86...) ou sur des délaissés urbains pour relier les nouveaux pôles extra-muros. La liaison entre développement spatial et architecture des réseaux se décline par exemple avec le concept de segments urbains (équipe Descartes) qui organise la densification urbaine sur la continuité linéaire des infrastructures de transports. L’intensification de l’exploitation du réseau constitue également un gisement important (équipe Nouvel-Duthilleul) pour accroître rapidité, capacité et fiabilité du système RER existant : cadencement, décomposition des lignes RER entre secteur central et lignes de grande banlieue, création de gares d’interconnexion.
Fabriquer la métropole durable du XXIe siècle passe par cette (r)évolution du réseau majeur : plus de vitesse, de fréquence, de capacité de trafic avec un maillage régulier de l’ensemble de la zone dense.
Inventer l’urbanité du mouvement
La troisième rupture commune aux 10 équipes, cohérente avec les valeurs de continuité, de mixité, d urbanité, pour cette « nouvelle métropole européenne » défendue en particulier par l’équipe Castro, implique une conception intégrée, urbaine et « humaine » des espaces publics de la mobilité. Il faut mettre fin aux dynamiques de séparation entre ville et transports qui ont marqué la conception des réseaux de transports durant les 30 dernières années, penser le déplacement comme un voyage, un temps positif plutôt qu’un calvaire quotidien, en finir avec le fameux slogan des années 70 « métro-boulot- dodo », qui symbolisait cette conception hy-perfonctionnelle et déshumanisante de l’espace transport.
De nombreuses pistes et projets pour les gares existantes ou futures illustrent cette ambition nouvelle, faire entrer la ville dans l’espace du transport, faire des lieux d’accès au réseau des lieux intenses, mixtes, des « commutateurs urbains » où services, loisirs, bureaux et habitat se coagulent pour renforcer l’efficacité de la desserte tout en inventant une nouvelle urbanité métropolitaine. L’espace de l’automobile est également profondément modifié, tant en terme de paysage, de front bâti, d’espace public, de rapport au tissu urbain limitrophe. Les stations-gares des lignes de métro périphériques de Tokyo sont analysés par plusieurs équipes, AUC notamment, et font figure d’exemple à suivre. Si la prise de conscience institutionnelle émerge, les équipes projettent cette révolution sur l’ensemble des points de contact du réseau, de l’arrêt de bus à la station de correspondance RER jusqu’aux 4 à 5 gares TGV implantées sur les barreaux d’interconnexion du réseau national - leur spatialisation restant très incertaine, faute de schéma d’infrastructures finalisé et de projet spatial métropolitain clarifié.
Mais cette interpénétration ville-réseau induit une autre rupture majeure par rapport aux options prises actuellement en matière d’insertion des infrastructures dans le tissu urbain. Le déplacement ne doit plus être considéré comme une nuisance entrant inéluctablement en conflit avec les espaces « traversés ».
La volonté des opérateurs et des pouvoirs publics d’enfouir systématiquement les nouveaux réseaux de transports collectifs rapides constitue une erreur profonde pour le devenir de la métropole : l’espace du transport souterrain est anxiogène, l’usager est enfermé sous la ville, il se déplace mais ne voyage pas dans la métropole.
L’obligation de concevoir des stations souterraines - au-delà du coût astronomique et des problèmes de sécurité - empêche la conception d’espaces publics de transports (quais, gares, stations) à l’urbanité affirmée, ouverts sur la ville, accessibles.
La rupture entre l’espace traversé et le réseau appauvrit profondément le contenu de la stratégie de développement métropolitain alors que la stratégie aérienne impose des tracés sur les espaces mutables - délaissés, infrastructures, friches - donc susceptibles de générer enfin cette densification, de résorber ces coupures urbaines qui fragmentent la périphérie. Dès lors, l’aérien est le levier fondamental pour imaginer et réaliser des formes urbaines contemporaines, il constitue un élément spectaculaire pour le voyageur-résident-citadin qui permet de percevoir la vie urbaine et de révéler enfin la réalité de la grande échelle métropolitaine actuellement complètement phagocytée par la puissance évocatrice du « petit Paris historique et haussmannien ».
Ces trois valeurs clés pour un réseau de transport métropolitain - accessibilité, grande vitesse et urbanité - sont déclinées par les équipes dans un référentiel spatial variable, plus ou moins compact, ciblant pour certains la zone dense, d’autres intégrant les villes nouvelles ou débordant le périmètre régional. Mais au-delà de ces divergences spatiales qui soulignent l’incertitude actuelle sur le développement du Grand Paris, il est possible de proposer un nouveau « logiciel de la mobilité métropolitaine » qui permette de franchir un pas décisif dans l’irrigation intensive des tissus urbains.
Quelle architecture pour le réseau rapide ?
- Le tout souterrain pour les lignes nouvelles qui en plus des arguments urbains déjà évoqués a l’immense inconvénient de coûter 3 fois plus cher que la tranchée couverte ou l’aérien (hors coûts supplémentaires pour les gares en sous-sol). Cet arbitrage ignore le développement récent d’innovations françaises qui permettent de réaliser efficacement et à moindre coût des métros sur viaduc.
- La logique circulaire du métrophérique est remise en question par certaines équipes car à cette échelle, contrairement aux lignes 2 et 6 qui suivent l’enceinte des fermiers généraux, il n’y a aucun intérêt à faire le tour quand des lignes « droites » permettent d’économiser la moitié du trajet ! Il faut non seulement sortir de la forme radiale mais également de la forme concentrique du réseau. La solution passe par la création de tangentielles en première couronne aux caractéristiques différenciées suivant le contexte territorial, créant un maillage régulier, tenant compte de l’organisation des lignes RER existantes et assurant par leur linéarité une efficacité des liaisons à grande échelle.
Réévaluer la pertinence des matériels
Tramway tram-train, Busway téléphériques urbains.
- Le tramway est actuellement pensé à l’instar de la province comme un système de transport « lourd ». A l’échelle parisienne, il est à considérer, non pas dans le champ des réseaux rapides (moins de 20 km/h de moyenne et pas plus de 100 000 voyageurs par jour) mais dans le champ des réseaux de proximité avec pour alternatives les BHNS, téléphériques urbains...
- Le tram-train prévu sur le tracé de la Grande Ceinture nord constitue un concept SNCF alternatif du système RER, conçu d’abord en fonction de contraintes du réseau existant (doublement de la Grande Ceinture pour la tangentielle Nord), est sans doute beaucoup moins performant pour la zone dense qu’un métro automatique aérien, avec moins de fréquence, d’amplitude horaire et de capacité et desservant plus difficilement les nouveaux pôles de la métropole. A priori plus adapté en Grande couronne (exemple Massy - Evry), le concept de tram-train est à mettre en balance avec de nouveaux concepts émergents, bus longue distance sur voies rapides par exemple.
Le ticket gagnant : RER et métro automatique aérien
Entre les projets en cours et les visions futuristes des urbanistes (monorail, système à 100 km/h), le paradoxe actuel est que les opérateurs SNCF et RATP possèdent sans doute les modèles de base à moderniser pour répondre aux enjeux.
La SNCF possède avec le RER, un modèle à l’efficacité exceptionnelle (1 million de voyageurs transportés sur le RER A, à plus de 50 km/h) dont les carences viennent d’abord du fait qu’on lui fait supporter, sur 4 lignes et demi à l’architecture obsolète, l’ensemble des besoins du réseau rapide.
Il est possible de créer une, deux peut-être trois lignes nouvelles à peu de frais en réutilisant les recettes efficaces du SDAU 65, le recyclage des faisceaux non ou sous-exploités et la diamétralisation des gares parisiennes : prolongement d’Eole sur La Défense en reprenant le faisceau existant sur Saint-Lazare :
- création de la ligne F (prévue au schéma 1965 !) en assurant enfin la jonction des gares Saint-Lazare et Montparnasse, ligne RER interconnectable avec le E et le C (à Invalides) ;
- dédoublement du RER C en utilisant la Petite Ceinture sud (aujourd’hui désaffectée) permettant de desservir des sites majeurs, parc des expositions, futur Pentagone français et les pôles tertiaires implantés massivement sur la rive sud du périphérique depuis 15 ans. La RATP possède avec la ligne 14 le mode de transport le plus efficace, au rapport qualité/prix le plus performant en zone dense, quand il est implanté en aérien, en tranchée couverte et sur tronçons limités en souterrain : plus de 40 km/h de vitesse commerciale et potentiellement 400 000 voyageurs par jour, fréquence et amplitude horaire maximum, coût d’exploitation modéré.
De grandes lignes tangentielles en métro automatique relieraient :
- au nord, La Défense au secteur de Plaine- de-France/Roissy par l’A86 puis au voisinage des faisceaux routiers ;
- au sud, Arcueil, Vitry, Noisy-le-Grand, Chelles par l’A6, les friches industrielles du Val-de-Marne puis l’A4.
Ces nouvelles lignes pourraient se réaliser à un coût modéré, 2 milliards d’euros. Elles déchargeraient le réseau existant en zone centrale grâce aux multiples correspondances avec les réseaux RER et métro existants, généreraient un développement urbain intense enfin hors du Paris intra-muros, désenclaveraient de nombreux quartiers en difficultés et permettraient à des polarités émergentes de décoller.
L’automatisation de certaines lignes du réseau existant (déjà lancée pour la ligne 1) combinée à la réalisation de prolongements aériens en banlieue, largement moins coûteux et plus efficient que les prolongements souterrains envisagés et dont le coût est exorbitant (750 millions d’euros pour le prolongement de la ligne 11), compléterait la stratégie métro. Premiers exemples possibles parmi d’autres :
- prolongement de la ligne 3 à Gallieni en desservant Bagnolet, Romainville, Montreuil, Noisy-le-Sec, Rosny au-dessus de l’A3 ;
- prolongement de la ligne 10 à Austerlitz en deux branches Gare-de-Lyon - Charenton et Ivry - Vitry au voisinage des réseaux ferrés ou des voies sur berges.
Améliorer la vie quotidienne, horizon 2014 ou 2020 ?
La commande présidentielle d’un accord Etat- région sur le programme transport dès l’été 2009 constitue un challenge à 2 visages :
- un danger si on se contente d’additionner les projets dans les cartons avec un accord de façade pour un programme pléthorique dont l’impact serait éventuellement perceptible dans une décennie.
- une formidable opportunité, s’il s’agit d’un point de départ pour repenser la mobilité de la métropole parisienne et sa déclinaison opérationnelle en projets structurants à court, moyen et long terme.
L’objection centrale à cette refonte du programme se situe dans le retard qu’il occasionnerait pour les opérations en phase quasi opérationnelle. Cette crainte légitime peut être un élément fondateur de la démarche de construction du programme :
- mettre en oeuvre tout de suite les projets incontestables qui concernent essentiellement le réseau de proximité, notamment les nouvelles lignes de tramway et BHNS et accélérer les investissements de modernisation urgente du réseau RER ;
- concevoir les premières opérations lourdes reconfigurées, réalisables en urgence : prolongement Eole à La Défense par le faisceau existant pour 2012, dédoublement de la ligne RER C par la Petite Ceinture en 2013, les deux premiers tronçons des tangentielles Nord et Sud en métro automatique La Défense - Saint-Denis et Noisy-le-Grand-Vitry pour 2014.
Plutôt que de retard, il s’agirait d’une mobilisation exceptionnelle pour relever dans un temps restreint grâce des procédures juridiques, financières et opérationnelles adaptées, le challenge imaginé par l’équipe Descartes et retenu par le président « Ce qui serait extraordinaire, serait d’améliorer l’ordinaire. »
Horizon 2020 : réaliser 500 km de réseau à grande vitesse, le Métro-Express pour « dessiner le Grand Paris »
L’urgence initiale engage de fait une action de modernisation générale de l’existant (automatisation de lignes de métro prolongées et optimisation du réseau RER), renforcé par les lignes nouvelles nécessaires à un réseau à grande vitesse, dense, maillé, opérationnel dans la décennie. Cette stratégie évite l’écueil d’un nouveau réseau « ultramoderne » reliant quelques secteurs privilégiés et d’un réseau existant implicitement délaissé.
Le projet spatial du Grand Paris, actuellement loin d’être abouti, peut alors se dessiner/négocier progressivement, dans une interaction toujours plus étroite avec le réseau de transport en commun. Cette démarche itérative, entre planification et mobilité, place la dizaine de lignes rapides du Grand Paris comme le support réel du développement urbain, inversant la tendance qui depuis les années 80 fait que les projets de transports « courent après l’urbanisation ». Pour construire cette stratégie combinée mobilité/développement urbain, il est indispensable de repenser les rôles respectifs et les interactions entre l’ensemble des acteurs :
- la maîtrise d’ouvrage, L’Etat, la région, Paris métropole, le Stif et l’ensemble des collectivités locales ;
- les opérateurs, principalement SNCF-RFF, RATP mais également les autres opérateurs intervenant sur l’ensemble des dispositifs de mobilités ;
- et plus largement, l’ensemble des organismes d’études et planification (bureaux d’ingénierie, urbanistes et architectes, Apur, IAU...) et d’intervention (agences foncières, établissements publics d’aménagement, SEM) qui conçoivent et produisent la forme urbaine de la métropole.
Des formes de coopération nouvelles devraient émerger : des opérations d’intérêt national ou régional de développement urbain, contractualisées avec l’ensemble des collectivités (département, agglomérations, communes), positionnées sur les tracés du réseau rapide et les gares concernées, mises en oeuvre avec des procédures juridiques, financières, opérationnelles innovantes permettant d’atteindre les objectifs énoncés par Nicolas Sarkozy et notamment les 70 000 logements neufs par an.
La nouvelle métropole, discontinuité de l’archipel ou continuité des tissus urbains ?
Au-delà des impératifs d’urgence et d’efficacité qui doivent motiver les arbitrages en matière de transports, c’est bien une façon de concevoir la ville contemporaine qui est en jeu. En assumant la critique légitime du parti pris et du schématisme, deux processus d’élaboration urbains se confrontent. Tout d’abord, Une conception de la ville dominée par une logique économique - en question depuis la crise financière -, relier les grands pôles spécialisés de la métropole, avec pour contrainte politique donnée, le refus des territoires (élus et citoyens) d’être traversés par réseaux de transports rapides, conçue dès lors avec une solution technique « miracle », le tout souterrain. Les préoccupations sociales (desserte des territoires défavorisés et enclavés, réduction des temps de transports pour l’ensemble des Franciliens) et de qualité de vie (qualité des espaces et des temps du déplacement) ne sont pas déterminantes pour élaborer ce projet. Cette stratégie aboutit à la projection d’un archipel de nouveaux clusters économiques et résidentiels hyperconnectés entre eux et avec le reste de la planète par un « super-réseau », produisant sur l’ensemble de la métropole sans doute de la discontinuité et de la différenciation.
La conception alternative de la métropole que génère la stratégie transports proposée dans cet article ne détermine pas de hiérarchies entre les différentes contraintes : économiques, politiques, sociales, techniques. Au contraire, le projet territorial et sa forme spatiale, se fabriquent aux différentes échelles de la métropole en formulant des réponses qui ont pour ambition de surmonter les contradictions entre ces contraintes. Cette nouvelle synthèse « réconcilie le déplacement et la ville », conçoit le mouvement, l’espace public et le tissu urbain ensemble et s’appuie sur les nouveaux facteurs fondamentaux de durabilité et d’adaptabilité qu’impose l’urgence climatique et écologique. Cette ville « pour tous », spatialement moins hiérarchisée et plus compacte a pour ambition de fabriquer de la continuité et de la solidarité à toutes les échelles de la métropole européenne contemporaine Deux conceptions de la métropole, deux stratégies pour le Grand Paris pour lesquelles les décisions prochaines en matière de transports seront lourdes de conséquence.
Frédéric LEONHARDT
Bibliographie
- Phillipe Panerai, Paris Métropole, formes et échelles du grand Paris, Editions de la Villette, 2008
- Alain Cottereau, Les batailles pour la création du métro : un choix de mode de vie, un succès pour la démocratie locale, Revue d’histoire du XIX ème siècle, mars 2005, p 89 -151
- Equipe AUC, Consultation du grand Paris, Learning from Tokyo, p 104-116, Avril 2009
- Schéma Directeur d’aménagement et d’urbanisme de la region parisienne, 1965, direction Paul Delouvrier, chapitre Transports, p 146-197
- IAURIF, La mobilité, changement dans les échelles et les rythmes, note rapide N° 339, juin 2003
- Frédéric Léonhardt, La bataille du rail, Urbanisme, N°363, la ville durable en questions, Agora , novembre-décembre 2008,
- La gare Contemporaine, rapport remis au premier ministre de la sénatrice Fabienne Keller, Mars 2009