Responsabilités et politiques des autorités organisatrices des transports publics du point de vue du développement durable
Résumé
Les transports sont indispensables à la Ville. Mais le modèle du “tout automobile” a été la principale solution à cet enjeu central. Il en est résulté un grand nombre de conséquences négatives : pollutions et problèmes de santé publique, émissions de gaz à effet de serre, étalement urbain, ségrégation sociale et spatiale...
Comment les surmonter ? Quelles alternatives à la voiture individuelle pour résoudre les problèmes des déplacements et la mobilité ?
Un certain nombre de réflexions actuelles et aussi l’expérience du Groupement des Autorités Responsables de Transports (GART) conduisent à un ensemble de pistes de solutions (planification spatiale, gouvernance des agglomérations urbaines, redéfinition des compétences, investissements et financements, mesures d’incitation, tarification...).
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La nouvelle classification de cet article est :
• 3.4- Politiques de transport
Auteur·e
Chantal Duchène est actuellement directrice générale du Groupement des Autorités Responsables de
Transport(GART). Economiste et juriste, elle a travaillé sur les aspects de planification, d’organisation, de
financement et de contractualisation dans les transports (routes et transport public). Avant de devenir en
2001 directrice générale du GART, elle a été, de 1997 à 2001, directrice des infrastructures et des transports à la
direction régionale de l’Équipement d’Ile-de-France et notamment le chef de projet du plan de déplacements urbains de la
région Ile-de-France. Auparavant, elle avait travaillé pour différents services du ministère des Transports et de l’Équipement.
Les transports sont indispensables pour la vie quotidienne. Mais la prédominance de l’automobile, le plus souvent utilisée en solo, est source d’émissions de gaz à effet de serre, de pollution atmosphérique et de bruit qui ont des effets importants sur la santé des individus. La faiblesse du coût du transport entraîne un gaspillage de ressources, notamment du pétrole, qui est pourtant une ressource en voie d’épuisement.
A l’échelle planétaire, près de 15% des émissions de gaz à effet de serre sont imputables au secteur du transport. Cela représentait, environ 6,3 milliards de tonnes de CO2 en 2006 [1]. Si rien n’est entrepris, ces émissions (générées pour plus des trois quarts par le transport routier) pourraient atteindre 9,3 milliards de tonnes en 2030.
De plus, le modèle automobile conjugué à des investissements routiers importants a entraîné un étalement urbain [2] qui rend très difficile la desserte en transport collectif et qui est source de ségrégations sociales et spatiales. Dans ce contexte, celui (souvent celle) qui n’a pas accès à l’automobile rencontre des difficultés importantes pour avoir accès à l’emploi, à la formation et à toutes les aménités de la ville.
Responsabilités et politiques des autorités organisatrices
Les responsabilités en matière de déplacements restent fragmentées, ce qui nuit à la mise en œuvre de politiques globales et cohérentes.
Ainsi, au niveau urbain, les autorités organisatrices de transport collectif sont chargées de la réalisation des plans de déplacements urbains (PDU, obligatoires pour les agglomérations de plus de 100 000 habitants). Ces plans concernent l’ensemble de la politique de déplacements de l’agglomération et visent à diminuer la circulation automobile et à augmenter l’usage des transports collectifs et des modes peu polluants et économes en énergie, notamment en définissant une nouvelle affectation du réseau principal de voirie en leur faveur et les politiques de stationnement. Mais, les autorités organisatrices ne disposent pas toujours de l’ensemble des compétences leur permettant la mise en œuvre effective des PDU. Ainsi, même si la loi sur l’Intercommunalité prévoit que l’organisation des transports collectifs est une compétence obligatoire des communautés d’agglomération et des communautés urbaines, en 2005, seules 59% des 259 autorités organisatrices de transport urbain sont des structures communautaires.
De plus, très peu de structures communautaires ont compétence sur le stationnement, par exemple, ce qui pose le problème de l’articulation des compétences des communes et des structures intercommunales. Par ailleurs, les grandes voiries, telles que les rocades de contournement continuent à être de la compétence de l’État.
Pour le Groupement des Autorités Responsables de Transport (GART, association des collectivités ayant compétence en matière de transport), le droit au transport inscrit dans la loi doit s’accompagner de la responsabilité pour les collectivités territoriales d’organiser un service public de la mobilité durable ayant pour objet d’offrir une alternative crédible à l’usage de la voiture en solo dans les différentes parties du territoire et aux différents moments de la journée et de la semaine. Les collectivités doivent pouvoir organiser et éventuellement financer non seulement les transports collectifs (y compris le transport à la demande) mais aussi tout ce qui peut être regroupé sous le vocable du transport public individuel : différents usages de la voiture particulière (taxi, autopartage, covoiturage, location de vélos sous différentes formes, …)
Dans les agglomérations, les structures intercommunales (communautés urbaines, communautés d’agglomérations) doivent devenir des autorités organisatrices, non seulement des transports collectifs, mais de l’ensemble des déplacements de personnes et du transport de marchandises, et être des autorités organisatrices du service public de la mobilité durable, chargées de définir et de financer une politique globale, la mise en œuvre devant être réalisée au niveau le plus efficace, conformément au principe de subsidiarité.
Cette exigence impose que les structures intercommunales puissent exercer les compétences leur permettant de mettre en œuvre leurs plans de déplacements urbains, avec notamment un pouvoir de régulation de l’ensemble du champ des déplacements : affectation et tarification de la voirie, stationnement, organisation des transports collectifs et du transport public individuel. Le stationnement payant de surface doit être décentralisé au niveau intercommunal et dépénalisé. Elles doivent recevoir compétence pour l’organisation des transports de marchandises.
Pour les transports collectifs interurbains, les autorités organisatrices sont les régions responsables, depuis 2002, du transport ferré et des transports routiers d’intérêt régional, et les départements responsables des transports routiers départementaux. Par contre, les routes sont de la compétence des départements, à l’exception des autoroutes et des routes à grande circulation qui sont de la compétence de l’État.
L’autopartage, une formule nouvelle d’utilisation de la voiture : une voiture pour 15 à 20 utilisateurs, en location et libre-service |
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Quel service ? Un véhicule est disponible, sur demande, de façon parfois quasi-immédiate, pour une durée pouvant être très courte (quelques heures voire une heure) ou plus longtemps (un jour ou un week-end). Que faut-il payer ? Il faut acquitter :
Où çà marche ? Dans plusieurs pays européens, en Allemagne notamment. |
De fait, les régions responsables des transports régionaux ferrés et routiers seront, de plus en plus, amenées à jouer un rôle de fédérateur, notamment pour faciliter la chaîne des déplacements : information multimodale, systèmes billettiques, gestion des pôles d’échanges. Les régions pourraient aussi être amenées à jouer ce rôle fédérateur pour l’exploitation du système de voirie (notamment la voirie dite rapide), et pouvoir y instaurer un péage environnemental.
La nécessaire intervention du consommateur-citoyen
L’intervention des citoyens-consommateurs de services publics est indispensable, que ce soit durant les phases de planification (plan de déplacements urbains, schémas départementaux ou régionaux) ou lors de la mise en œuvre des différents services de mobilité. Rappelons que cette intervention a été rendue d’ailleurs obligatoire pour les services publics locaux, depuis la loi de 1992 sur l’administration territoriale de la République, et réaffirmée par la loi du 27 février 2002, relative à la démocratie de proximité, qui a rendu obligatoire la mise en place de commissions consultatives des services publics locaux. L’intervention des consommateurs est une garantie importante de la qualité du service, car leur point de vue peut utilement éclairer la collectivité responsable du service, qu’elle le gère en régie ou dans le cadre d’une délégation de service public.
Encore faut-il se donner les moyens de pouvoir entendre le point de vue de tous les usagers, y compris les plus démunis, bien souvent les plus tributaires du service public. Cette mise à l’écoute de tous est de la responsabilité de la collectivité et de ses élus(es).
Financement des politiques de transport collectif
Les collectivités doivent avoir les moyens de leur politique, pour réellement modifier les comportements de déplacements de la vie quotidienne.
Actuellement, le système de financement des transports collectifs n’est pas durable car les dépenses augmentent plus vite que les recettes et la part du transport collectif dans le budget des collectivités territoriales augmente.
Pour le GART, afin d’entrer dans un cercle vertueux, ces moyens doivent provenir de l’usage de l’automobile. En effet, le faible coût du transport de personnes (même si les transports représentent 15% du budget des ménages) et la hausse du coût du foncier dans les zones centrales des agglomérations sont les principales causes de l’étalement urbain,
lui-même générateur de ségrégation sociale et territoriale. L’augmentation du coût de l’usage de la voiture peut prendre différentes formes non exclusives les unes des autres : augmentation de la taxe intérieure sur les produits pétroliers bénéficiant aux autorités organisatrices de déplacements, augmentation du coût du stationnement, péage.
Interface Politiques de déplacements / Aménagement
Pour stopper l’étalement urbain, l’argent public doit être utilisé pour peser sur le prix du foncier (par le biais d’agences foncières) dans les zones bien desservies par les transports collectifs plutôt que pour développer les réseaux routiers.
La vitesse maximale sur les routes doit être réduite pour diminuer à la fois l’insécurité routière, les émissions de gaz à effet de serre, le bruit et la pollution atmosphérique, et maîtriser l’étalement urbain. Afin de disposer des moyens financiers leur permettant de mettre en œuvre une politique de déplacements dynamique, les régions doivent pouvoir instaurer, à leur niveau, un péage environnemental, sur la base de la directive européenne sur l’eurovignette, qui permet de percevoir des péages calculés en fonction de la pollution des véhicules et de la congestion des routes et d’affecter les recettes ainsi dégagées pour financer les infrastructures de transport alternatif. Elles doivent aussi bénéficier du produit de la vignette qu’il convient de rétablir. Ce rétablissement devrait se faire avec une nouvelle approche : son montant devrait être lié au niveau des émissions de gaz à effet de serre produites afin d’orienter les achats vers les véhicules les moins polluants. Il serait aussi intéressant d’en faire une taxe payée annuellement et non pas seulement à l’achat du véhicule.
Afin d’éviter l’étalement urbain, il faut renforcer les Schémas de Cohérence Territoriale. Le problème de leur périmètre est posé car il est souvent insuffisant pour prendre en compte la réalité de la totalité de l’aire urbaine. Par ailleurs, il est indispensable, pour des raisons démocratiques, qu’il corresponde à une institution élue. De ce fait, la question de leur élaboration au niveau régional (sur le modèle francilien, ou en s’inspirant de ce qui se passe en Allemagne) doit être débattue.
Enfin à tous les niveaux, il faut diminuer le besoin de déplacements et de transport, synonymes de consommation d’énergie et de temps. Le développement économique et l’aménagement de l’espace doivent être revus sous cette contrainte.
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Chiffres tirés du rapport Stern de 2006, à partir des données de la World Resources Institute (WRI, 2006) et de l’Agence internationale de l’énergie (IEA, 2004).
[2] Un récent rapport de l’Agence Européenne de l’Environnement pointe les effets néfastes d’un modèle urbain peu dense (davantage favorable à la voiture), tant sur le plan écologique que sur le plan économique. Ainsi, pour une densité urbaine quatre fois supérieure en termes de population et d’emploi, le coût énergétique annuel du transport par habitant est quatre fois moindre et son coût économique est deux fois moins élevé. Cf. AEE, Urban sprawl in Europe – the ignored challenge, EEA Report No 10/2006.
Bibliographie
Pour en savoir plus
- Futurible n°115, janvier 2006, Perspectives énergétiques et effet de serre.
- Patrick Bonnel, Evolution de l’usage des transports collectifs et politiques de déplacement urbains, Laboratoire d’économie des
transports, Documentation française, collection Transports, recherche, innovation, 2006.
- Xavier Niel, Pourquoi se passer de sa voiture, INSEE PREMIERE, 1998.
- Jean-Marie Beauvais, Avec ou sans voiture, Documentation française, collection Transports, recherche, innovation, 2001.
Lire également dans l’encyclopédie
- Michel Rousselot, Politiques publiques de transports et développement durable (N°12).
- Philippe Domergue, Guérir notre système de transports, remèdes et ordonnances (N°13).