Planification régionale, l’enjeu démocratique -Ile de France-

Le développement durable en Ile de France

11 octobre 2011

Résumé

L’Ile-de-France est souvent présentée comme le moteur de la création de richesse en France, la capitale jouant un rôle clé sur la scène économique et diplomatique européenne et internationale mais son développement est déséquilibré : inégalités sociales et territoriales fortes, sur consommation des espaces et des ressources naturelles. La région parisienne devra relever les défis des métropoles du 21e siècle : composer avec les équilibres territoriaux pour reconfigurer son modèle urbain ; façonner une nouvelle gouvernance adaptée aux attentes citoyennes, aux exigences environnementales et à la complexité du monde. Il s’agit ici de démocratiser la décision, de mieux partager les grands choix qui président à l’aménagement du territoire régional.

Cette fiche a été co-rédigée par Vincent Fouchier et Muriel Naudin de l’IAU îdf, Vincent Wisner de Teddif et Ana Hours de 4D.

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 Portrait d’une métropole à la recherche de ses équilibres

Dans un monde majoritairement urbain où les mégalopoles croissent à vive allure, l’avenir des grandes régions urbaines est un enjeu central pour le XXIème siècle. Foyers de culture et d’innovations, elles deviennent progressivement des acteurs clés de la transition vers des sociétés durables. Cette question urbaine prend une dimension particulière en Ile-de-France. La région capitale regroupe 1/5ième de la population française et concentre les grands centres de décision politique et économique : 29% des activités se concentrent sur 2% du territoire national. L’ Ile-de-France est souvent présentée comme le moteur de la création de richesse en France, la capitale jouant un rôle clé sur la scène économique et diplomatique européenne et internationale.

Dès lors s’agit t-il de conforter le rayonnement de la région parisienne avant de penser son développement durable ? D’être tourné vers sa connexion au monde avant de penser aux équilibres territoriaux, à la régulation des flux ? La région parisienne devra relever les défis métropolitains du 21e siècle : composer avec les équilibres territoriaux pour reconfigurer son modèle urbain ; façonner une nouvelle gouvernance adaptée, aux attentes citoyennes, aux exigences environnementales et à la complexité du monde.

La région Ile-de-France est attractive, c’est la plus peuplée de France, première région économique française et une des premières au niveau européen, première destination touristique mondiale. Mais c’est en même temps un territoire en prise à des inégalités sociales et territoriales forte à l’échelle de la région. Les inégalités de revenus sont considérables entre les départements. Près de 9500 euros séparent en 2008 le revenu médian entre les Hauts de Seine (24503€) et la Seine- Saint Denis (14889€).

L’Ile-de-France est aussi une grande région agricole et forestière. Les espaces ouverts représentent 75 % de son territoire, 52% pour les terres agricoles. Cependant la dynamique de périurbanisation, à l’image des autres grandes régions urbaines tend à faire reculer l’espace rural. Malgré le faible rythme de construction de logements, la disparition des espaces ruraux ne s’est pas ralentie depuis 2003, notamment du fait de l’accroissement des zones dédiées aux activités économiques.

C’est également un territoire qui vit au dessus de ses moyens, la région impactant l’environnement bien au-delà de ses frontières administratives. L’empreinte écologique francilienne est légèrement supérieure à la moyenne française alors même qu’un Francilien consomme moins d’espace et de ressources qu’un Français. En effet, la très forte concentration de population et d’activités engendre une concentration des nuisances.

La région Ile de France est confrontée à trois grands défis pour cheminer vers un développement durable régional : la lutte contre les inégalités sociales et territoriales, rendant nécessaire l’augmentation considérable de l’offre de logement, social en particulier, et le développement des transports publics ; l’avènement d’une écorégion décarbornée et respectueuse des écosystèmes ; la mise en place d’une gouvernance citoyenne de la métropole parisienne. Il s’agit ici de démocratiser la décision, de mieux partager les grands choix qui président à l’aménagement du territoire régional. C’est ce défi qui est au cœur du présent article.

Faire vivre la démocratie en Ile de France, à cette échelle, celle d’une grande région urbaine, la plus peuplée de France, la plus morcelée administrativement, concentrant une multitude de centres de décision, passe nécessairement par une élaboration collective des documents fixant les grandes orientations d’avenir pour la région et ses habitants. Affronter la complexité de ce territoire nécessite de co-construire avec l’ensemble des acteurs le projet de développement durable régional. En juin 2004 le Conseil régional Ile de France révise le schéma directeur de la région Ile–de-France (SDRIF) qui doit à l’horizon de 2030, dessiner les grands traits de l’aménagement du territoire régional. Le SDRIF expérimente, une nouvelle façon de faire de la planification.

  Planification régionale : l’enjeu démocratique

L’aménagement du territoire en Ile-de-France était depuis le plan Prost de 1935, encadré par des documents de planification conçus par l’Etat. Ceci est une spécificité de la région capitale. Il s’est agit en priorité d’équiper, de structurer et de limiter l’extension spatiale de l’agglomération parisienne. Les plans qui se sont succédés depuis, PADOG en 1960, SDAURP en 1965, SDAURIF en 1976, SDRIF en 1994, n’avaient pas pour ambition de parvenir à un développement durable régional. Si les exercices de planification, portés par l’Etat, ont cherché à réguler le développement de la métropole parisienne, les différents schémas, dans les années 60 particulièrement, ont été ceux de l’énergie bon marché (absence d’isolation des constructions neuves, priorités accordés au tout voiture…) et n’ont pas fait l’objet d’une pris en compte des vues des différents acteurs du territoire régional : collectivités territoriales, citoyens, entreprises…

Or, la planification renvoie nécessairement à la gouvernance, à savoir aux différentes instances qui président aux choix d’organisation du territoire régional. Dans ce domaine, les choses ont considérablement évolué en Île-de-France, depuis les étapes anciennes et fondatrices de la planification portée par l’État. Au-delà de la décentralisation consacrée par la révision de la Constitution en 2003 (« la République française est décentralisée »), il faut souligner la dimension à présent impérative de toutes les formes de concertation. Une stratégie métropolitaine efficace repose maintenant nécessairement sur une « autorité collective » ; la planification doit s’y adapter. Le respect de la subsidiarité, à savoir la recherche du niveau pertinent de l’action publique et le principe constitutionnel de non tutelle d’une collectivité sur une autre motivent la concertation autour des enjeux métropolitains et des outils de planification qui les portent. En effet, le Conseil régional, désormais maitre d’ouvrage de la planification régionale, ne peut manier la prescription comme l’État et imposer ses seules vues.
Chacun doit trouver sa place et une occasion de s’exprimer dans un processus transparent ; le partage des objectifs et des priorités est nécessaire pour éviter la juxtaposition de multiples projets locaux et le défaut de cohérence. La force de la conviction, la capacité de négociation et la mise en place de dispositifs incitatifs combinés à la capacité juridique d’interdire les « dérives locales » ou les « capacités de blocage » sont les conditions à la mise en œuvre d’une démarche partagée. Le parti d’aménagement, traduisant la vision descendante d’une légitimité qui s’impose, peut alors laisser place à un projet spatial négocié, lui-même porteur d’une vision d’avenir et d’une cohérence de politiques sectorielles.


Le SDRIF, un exemple de construction concertée de l’aménagement du territoire régional

Les évolutions institutionnelles, économiques, sociales et politiques intervenues depuis l’approbation du schéma directeur de la Région Ile-de-France (SDRIF) de 1994 ont conduit le Conseil régional à mettre en chantier un nouveau document de planification indispensable pour répondre aux enjeux métropolitains et mieux répondre aux exigences du développement durable.

Le SDRIF est un document de planification qui définit, d’ici 2030, l’avenir souhaitable de l’Île-de-France en matière d’aménagement de l’espace, d’évolutions sociales, économiques et environnementales. Il comprend une évaluation environnementale. Il est, à ce titre, une occasion essentielle pour la puissance publique de donner un cadre collectif au développement durable, cherchant une cohérence d’ensemble pour les grands choix d’aménagement.

Il répond à cinq objectifs fondamentaux pour un développement durable en Ile de France :

  offrir un logement à tous les Franciliennes et Franciliens, avec un objectif central : construire 60 000 logements par an pendant 25 ans et viser un taux de 30 % de logement locatif social à terme ;

  accueillir l’emploi et stimuler l’activité économique, garantir le rayonnement international ; promouvoir une nouvelle approche stratégique de transports au service du projet régional ;

  préserver, restaurer, valoriser les ressources naturelles et permettre l’accès à un environnement de qualité ;

  doter la métropole d’équipements et de services de qualité.

On insistera ici sur l’effort sans précédent de concertation qui a guidé toute la phase d’élaboration du projet de SDRIF, qui peut apparaître comme une avancée singulière dans la prise en compte du développement durable à l’échelle d’une métropole mondiale de 12 millions d’habitants.
Un processus de concertation soutenu, des travaux préparatoires partagés

La démarche partenariale conduite par la Région s’est attachée à développer de nouvelles formes de dialogue dans un cadre participatif. Cette concertation s’est appuyée sur une double échelle de dialogue : régionale au travers d’ateliers thématiques et infra-régionale au travers d’ateliers territoriaux. Les ateliers étaient ouverts aux professionnels de l’aménagement mais aussi aux élus, aux acteurs de la société civile et aux associations. Le Conseil régional a ainsi organisé près de 50 ateliers, des forums et des états généraux, qui ont constitué le cadre de la construction partagée du projet régional. Les stratégies et les orientations régionales ont été débattues et rendues publiques.

Toutes les étapes de la procédure, tous les votes du Conseil régional ont été publics et ont fait l’objet de nombreux amendements, souvent négociés avec les partenaires de la Région. On peut considérer que ce débat démocratique est en lui même une des innovations de l’élaboration du SDRIF. Dès 2002 et jusqu’en 2004, la Région d’Île-de-France a mené des travaux préliminaires afin de préparer la mise en révision du SDRIF qui a abouti à la communication, en novembre 2003 portant sur ce nouveau schéma directeur.

Avec l’appui de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la Région d’Île-de-France, il a organisé, six forums techniques qui ont permis d’identifier les dynamiques à l’œuvre en Île-de-France, en 2004. Un bilan du SDRIF de 1994, réalisé conjointement par le Conseil régional, l’Etat et le Conseil économique et social régional a permis de révéler des écarts entre les objectifs définis et la réalité observée en 2004.


Un projet associant tous les acteurs de l’aménagement

Auparavant sous la seule responsabilité de l’Etat, la révision du schéma directeur est désormais confiée, spécificité de la région Ile de France, au Conseil régional, en association avec l’Etat. Cette nouvelle responsabilité donnée à l’assemblée régionale est une nouveauté et les conséquences ne sont pas seulement juridiques : ce passage vers une assemblée élue s’est traduit par des débats et échanges approfondis au sein de l’hémicycle régional, mais aussi avec l’Etat et l’ensemble des collectivités locales : départements, intercommunalité et communes.

Le Président du Conseil régional a été mandaté pour définir et organiser les démarches d’une concertation institutionnelles et participatives inédites. Un comité de pilotage a siégé à chaque grande étape en formation élargie aux Présidents des Conseils généraux, chambres consulaires et à l’Association des maires d’ïle-de-France.

Le Conseil régional a engagé la procédure de recueil des propositions des conseils généraux, du Conseil économique et social régional (CESR) et des chambres consulaires conformément à l’article L141.1 du code de l’urbanisme. Au-delà de ce dispositif légal, il a sollicité les intercommunalités d’Île-de-France mais aussi les associations, les acteurs de la vie économique francilienne et les partenaires de la société civile afin qu’ils lui fassent parvenir leurs contributions au projet et recueillir ainsi leurs premières propositions.

Consciente des enjeux interrégionaux et dans le cadre d’une concertation élargie, la Région a invité les Présidents de Conseils régionaux et de CESR du Bassin Parisien à une conférence interrégionale le 22 mai 2006.

La densité, la concertation citoyenne au service de la progression de la culture commune

Promouvoir une ville plus compacte et plus dense pour répondre au défi du logement et àl’accomplissement des contraintes climatiques et énergétiques © Région Ile-de-France

La densification est un impératif pour l’Ile-de-France, compte tenu des deux grands objectifs que sont l’augmentation du nombre de logements (construction de 60000 logements/an sur 25 ans) et la prise en compte des contraintes climatiques et énergétiques, à ce titre elle a constitué un sujet clé du débat sur le SDRIF.

La concertation en amont, puis le passage en enquête publique, conduisent à modifier le contenu des documents de planification, pour les rendre plus compréhensibles, plus pédagogiques, plus appropriables et moins « techniques ». On peut illustrer ce propos avec la thématique de la densification. La densification est un impératif pour l’Ile-de-France, notamment au regard des enjeux du développement durable. Il s’agit bien de promouvoir une ville compacte présentant une intensité urbaine, facteur de lien social et de pratiques urbaines. Cela concerne l’habitat, mais aussi tous les services que la ville peut offrir à ses habitants.

Mais la densité a « mauvaise presse », à ce titre elle a constitué un sujet clé du débat sur le SDRIF. Or, c’est précisément grâce à la concertation qu’elle a finalement pu être mieux acceptée, car mieux comprise.

Parallèlement les CAUE (conseils d’architecture d’urbanisme et de l’environnement) d’Ile de France en partenariat avec l’atelier international du Grand Paris ont entrepris d’organiser une série de séminaires, rassemblant des élus locaux, l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme et les équipes de la consultation, et de soirées débat ouvertes au grand public.

Ce type d’initiatives permet de faire tomber les préjugés : la densité n’est pas là où on le croit, le tissu haussmannien du centre de Paris est par exemple bien plus dense que les grands ensembles du Val Fourré. Elle permet également de ne pas seulement parler de rapport et de chiffres. L’intensité c’est également un renouveau des formes urbaines, une nouvelle façon de vivre la ville.

Le dialogue sur les grands enjeux de l’aménagement de l’Ile de France permet de faire progresser la culture commune autour de développement durable et de lever certains freins.

L’exigence de démarche collaborative et de transparence démocratique, une nécessité pour la planification

De plus en plus nombreuses sont les métropoles dans le monde qui mettent en place, comme en Île-de-France, des formes nouvelles de participation des citoyens : citons les démarches américaines d’ « advocacy planning » où il s’agit de croiser le plan officiel, celui de la majorité politique avec un plan alternatif représentant les intérêts des communautés, les expériences de Los Angeles (« Compass »), programme de prospective régionale participative ou de Cambridge (« Cambridge Futures »), démarche de prospective menée à l’échelon régional par un consortium indépendant associant universités, entreprises, élus et professionnels de la planification . Chacune implique les citoyens dans une réflexion prospective métropolitaine.
L’usage des outils de planification se renouvelle profondément. Pouvoir par exemple disposer en version numérique de toutes les cartes, dont la carte de destination générale des différentes parties du territoire, seule carte normative du SDRIF, qui traduit géographiquement les orientations du SDRIF, modifie en profondeur la nature du document. Il n’est plus inaccessible ; il devient transparent et facile d’accès .

Ceci n’est pas particulièrement nouveau mais prend une ampleur jamais égalée, dans la panoplie des outils à disposition. C’est la planification qui change. Son efficacité peut s’en trouver décuplée grâce à la concertation, à deux conditions :

o trouver le bon équilibre entre d’un côté la précision (pour garantir les respects de certaines dispositions sensibles), la technicité (liée aux supports numériques modernes) et, de l’autre, les nécessaires subsidiarités et pédagogie ;

o dépasser le strict champ de la portée juridique de la planification pour l’ouvrir sur une territorialisation des politiques sectorielles et un dialogue permanent quant à la mise en œuvre.

L’exercice de planification en Ile de France prend la forme d’une véritable pratique territoriale de développement durable. C’est un outil hybride portant à la fois une vision prospective du territoire et cherchant à l’arrimer à un plan d’action, qui pose les jalons d’un développement durable régional. Agenda 21 local, il fait l’objet d’une construction collective.

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