Evolution des biotechnologies végétales

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30 septembre 2017

Résumé

Compte tenu des controverses, il nous a paru utile de faire un point sur les techniques actuelles des biotechnologies végétales, balayant largement les techniques utilisées depuis l’antiquité par les agriculteurs visant à sélectionner les graines issues d’espèces végétales comestibles jugées favorables jusqu’aux techniques les plus modernes nous permettant d’agir sur le génome. Les nouveaux outils biotechnologiques sont l’objet de multiples contestations et de doutes qui concernent des aspects variés de l’agriculture, de l’environnement, de la sociologie, de l’éthique et même parfois de la morale. Dans un siècle en évolution, ces craintes sont normales et le principe de précaution continuera à s’appliquer. Encore faut-il comprendre de quoi on parle pour ne pas rejeter en bloc la sélection qui a été une source majeure de tous temps des progrès de notre agriculture. L’objet de cet article, qui , volontairement , n’aborde pas les enjeux sanitaires ou environnementaux ( liés aux techniques de sélection), est essentiellement de faire un peu de pédagogie sur l’évolution lente des technologies du végétal qui reprennent les outils de la nature, les intensifient, les rendent moins aléatoires, plus précis et enfin mieux adaptés à nos besoins.

Auteur·e

Planchenault Dominique

Docteur vétérinaire, Docteur ès sciences en génétique, Dominique Planchenault a été 16 années chercheur au Cirad travaillant sur la résistance des animaux aux maladies non spécifiques.
Ancien directeur du Bureau de Ressources Génétiques, il développe les Centres Européens de Ressources phytogénétiques et zoogénétiques ainsi que les Centre de Ressources Biologiques en France.
Il est l’auteur de nombreuses publications.


La naissance de l’agriculture se situe aux environs de 12 000 ans avant JC. A la même époque, nous pouvons situer le début du processus de domestication des principales espèces végétales. Deux contraintes guident alors la transformation des espèces sauvages vers une espèce de plus en plus domestiquée.
La première réside dans la nécessité d’obtenir un caractère différent et si possible aisé à repérer. Cette variabilité entre les individus est primordiale. Le fruit est plus gros. Les graines sont plus nombreuses. La fleur est de couleur différente et arrive plus précocement. La germination se fait plus vite. En d’autres termes, il ne peut y avoir de nouvelles variétés que s’il y a des caractères facilement repérables ou des outils qui permettent de les repérer. L’existence d’une variabilité et son maintien sont les composantes majeures d’une capacité d’amélioration génétique.
Pour exercer un choix sur un caractère recherché, la deuxième contrainte est de pouvoir sélectionner et multiplier l’individu porteur. De façon intuitive, la capacité de sélection est directement liée à la reproduction. Au cours de l’évolution, les plantes se reproduisant par auto-fécondation (autogames) avaient une sécurité quasi automatique de proliférer. Les autres plantes devant trouver une voisine pour se multiplier se trouvaient défavorisées. Cependant, si les plantes autogames ont pu se développer rapidement dans des milieux stables, la chute de variabilité concomitante au sein de l’espèce les rendait particulièrement vulnérables lors d’un changement du milieu. A contrario, les espèces allogames peuvent avoir plus de mal à se reproduire, mais la persistance d’une variabilité forte est garante d’une bonne adaptabilité.
Tout au long des siècles, le travail de l’homme a été de favoriser l’émergence de plantes porteuses de caractères intéressants et de leur donner des conditions favorables de reproduction et de croissance. Aujourd’hui, ces deux exigences restent les mêmes. Il est utopique de croire qu’une plante qui ne présente pas des avantages alimentaires, économiques, sociaux ou environnementaux, puisse être recherchée. Par contre, il est tout à fait compréhensible que notre société puisse s’interroger sur les chemins de traverse qui permettent d’exercer un choix support de la sélection. En effet, les nouveaux outils biotechnologiques ouvrent de nouvelles voies pour les obtentions variétales. Elles sont l’objet de contestation, d’incompréhension et de doute. Dans notre société instruite et bienveillante, ces interrogations sont normales. Mais ces outils restent des objets que l’homme peut apprivoiser ou détourner. Il nous faut les comprendre pour ne pas rejeter en bloc la sélection qui a été la source de notre développement.

 Comprendre les avancées

Par une série de tâtonnements, d’essais et d’erreurs, l’agriculteur a pu mettre en place une amélioration empirique des variétés utilisées. Dans sa région, en conservant les plus grosses graines ou les plus beaux individus, l’agriculteur avait l’espoir d’avoir de belles plantes à la saison suivante. Ainsi, sur les 250 à 300 000 espèces végétales comestibles connues, seulement 150 à 200 sont exploitées et à peine 3 (riz, maïs et blé) produisent environ 60% des calories et protéines végétales consommées par l’homme. Ce sont les outils disponibles au cours des différentes époques qui ont abouti à cette énorme restriction.
La sélection s’exerçait sur des critères essentiellement visibles (hauteur de la plante, précocité, largeur de l’épi, etc.) mais aussi sur des critères plus subtils (goût, critères de panification, etc.) issus d’un savoir-faire propre à l’agriculteur. Certains facteurs, comme la résistance aux maladies, ne pouvaient être appréhendés qu’à la faveur d’une erreur ou de l’arrivée d’un pathogène qui révélait les individus résistants. Selon l’opportunité des « accidents », il pouvait y avoir création d’une nouvelle variabilité sur laquelle une nouvelle sélection s’opérait. L’agriculteur progressait par défaut.
La compréhension du système de reproduction des plantes (Rudolf Camerere, 1665-1721) marque un nouveau virage. Avant une connaissance parfaite de la reproduction, il existe un travail important d’introduction, d’acclimatation et de maîtrise des performances agronomiques des plantes (amendements, engrais, fertilisation) impliquant de nombreuses espèces. Ainsi, le blé tendre est apparu, aux environs de 6 000 ans avant JC par hybridation interspécifique (Triticum urartu x Aegilops sp.), alors que les premières hybridations intra spécifiques du blé ne sont faites et identifiées qu’en 1880.
Parallèlement, l’agronomie se développe. Olivier De Serres (1531-1619) fait de nombreuses découvertes en agriculture. Il importe le houblon d’Angleterre pour la bière, le mûrier de Chine qu’il acclimate et des plantes inconnues en France comme la canne à sucre, le riz, la tomate et la pomme de terre. Le roi Henri IV commande 20 000 plants de mûriers qui seront plantés en 1603 dans les jardins des tuileries pour intensifier la fabrication de la soie. L’agriculture progresse par innovation.
D’autres avancées n’auraient pas été possibles sans l’entrée en lice, au côté des sciences agronomiques et de la biologie de la reproduction, des mathématiques, des statistiques et de l’informatique. Les lois de Mendel (1865), très simples, sous-tendent une transmission et une régulation complexes de l’expression des gènes. Les choix ont pu être plus précis grâce à l’observation d’une généalogie plus large. L’arrivée de nouvelles connaissances n’occasionne pas de véritable rupture. Elle permet de mieux comprendre les croisements qui se produisent naturellement entre les espèces, de révéler et observer les hybridations entre les variétés d’une même espèce.

Elle met en place un continuum de savoir et d’utilisation d’outils qui allient le naturel et la nécessité de le guider, de le favoriser ou de l’amplifier en fonction des besoins.
La compréhension de ce continuum de réalisation est déterminante pour l’arrivée des variétés modernes. Entre les hybridations naturelles interspécifiques qui sont les seules à pouvoir être constatées avec les mutations apportant des modifications importantes au sein d’une espèce et les hybridations intraspécifiques réalisées par l’homme, il n’y a pas de rupture. On ne procède plus par une succession d’échecs et de choix. Dans un milieu de mieux en mieux maitrisé, les connaissances sur les diverses variétés s’améliorent. Les croisements peuvent être plus facilement dirigés en fonction des besoins nouveaux. L’agriculture répond mieux aux besoins de la société.

 Comprendre les techniques

Souvent reprise en génétique, l’image d’un jeu de cartes est suffisamment parlante pour montrer que les deux techniques– hybridation et mutation – essentiellement utilisées reviennent dans le premier cas à mélanger deux jeux (les gènes) librement choisis puis à refaire un seul jeu et dans le second cas à introduire de nouvelles cartes dans un jeu connu ou à en supprimer en espérant que l’ensemble reste jouable. La finalité revient à poursuivre la partie grâce à une nouvelle variabilité. Pour cela, différents outils sont utilisés.

  • L’hybridation interspécifique est le mode de croisement spontané le plus ancien connu et mis en évidence dans la nature. Cela ne signifie pas que les hybridations intra spécifiques n’existaient pas mais elles ne pouvaient être facilement décelées. Le meilleur exemple est celui du triticale qui provient du croisement spontané, mais non fertile, de blé et de seigle. Son observation a permis à l’homme de favoriser les variétés fertiles. Le triticale combine la robustesse du seigle, qui peut pousser sur des sols pauvres et sous des climats plus rudes, avec les rendements du blé. Le triticale a une valeur énergétique comparable à celle du blé. Sa teneur en protéine est plus faible mais sa teneur en lysine supérieure. Contrairement au seigle, sa farine, moins riche en gluten, n’est pas panifiable sans adjonction de farine de blé. De nombreuses espèces cultivées sont des hybrides naturels : blé, colza, moutarde, fraise, etc.
  • L’hybridation intra spécifique est le mode de reproduction naturelle entre deux variétés de même espèce. Il a fallu attendre une compréhension totale de la fécondation pour que cette méthode soit utilisée. Pour pouvoir orienter le croisement et obtenir le caractère recherché, il faut, au sein de la même espèce, que le pollen d’un des parents féconde l’autre parent. Il y a orientation de la reproduction dans la réalisation du croisement, puis sélection des plantes intéressantes et multiplication. Ces étapes obligent à différencier les hybrides qui sont des produits de départ vers la sélection de lignées (blé, orge) et les hybrides qui sont les produits finaux issus des croisements de lignées (maïs, colza, betterave...). Dans ce dernier cas, le produit obtenu (F1) présente souvent des caractéristiques supérieures à chacun des parents (vigueur hybride). Cette caractéristique particulière est perdue si les produits issus de parents F1 sont replantés. Cette logique impose aux semenciers le maintien des lignées parentales et protège indirectement leur travail de sélection. Elle oblige également les cultivateurs voulant préserver leur rendement à se réapprovisionner régulièrement en semence F1.
  • L’hybridation élargie nécessite encore une intervention plus complexe de l’homme. Le croisement, naturellement impossible, entre deux espèces très différentes, est forcé en culture in vitro. Le phénomène naturel d’avortement des embryons obtenus est stoppé avant le début de sa réalisation. Quelques rares embryons viables sont sauvés et mis en culture de tissu. La survie d’une cellule, d’un embryon et d’un individu résulte du succès d’un des multiples essais. Cette technique a été utilisée chez le riz pour l’obtention de variétés résistantes à des maladies ce qui a permis d’éviter certaines famines, en Inde notamment. Elle combine deux variétés de riz incapables de se reproduire entre elles, une variété classique et une sauvage résistante au virus du rabougrissement herbeux (maladie du riz). En Afrique, elle a servi à produire le riz Nerica qui semble avoir un meilleur rendement et être mieux adapté au milieu. Ce mode d’hybridation est largement utilisé dans le genre Brassica qui comprend une cinquantaine d’espèces et de nombreuses sous-espèces et variétés. Quatre espèces cultivées jouent un rôle important dans l’alimentation humaine : Brassica oleracea (les choux), Brassica napus (colza, rutabaga) Brassica rapa (navet, navette, chou chinois), Brassica nigra (moutarde noire).
  • Les mutations spontanées nous font quitter le domaine du réarrangement des chromosomes, base de la reproduction, et entrer dans celui de la coupure et de la reformation du chromosome. C’est un phénomène naturel. Il correspond àune modification de l’information génétique dans le génome d’une cellule. Elle devient visible si elle est suffisamment importante et n’entrave pas la survie de la plante. C’est une modification de la séquence de l’ADN et une des causes principales de l’évolution des espèces. Les mutations expliquent l’existence d’une variabilité entre les gènes. Elles sont dues à l’instabilité permanente des génomes et des séquences mobiles (transposons) qu’ils contiennent, à des erreurs de copie ou de réparation, à des coupures spontanées de l’ADN et à des phénomènes environnementaux (radiations, accidents climatiques, etc.) souvent mal connus. Les mutations qui sont les moins favorables, sont éliminées par le jeu de la sélection naturelle, alors que les mutations avantageuses, beaucoup plus rares, tendent à s’accumuler. Dans la nature les mutations naturelles sont des phénomènes relativement rares (de l’ordre de 10-7). A titre d’exemple, chez le colza, la mutation spontanée de résistance aux sulfonylurées est de cet ordre de grandeur. Un hectare de colza produit 109 graines. Il produit donc spontanément aux environs de 100 graines mutées résistantes aux sulfonylurées. Il faut alors beaucoup de chance (une sur 10 millions) pour les trouver et les sélectionner. Il n’est pas impossible de trouver les plantes mutées spontanément lorsque les modifications provoquées sont facilement identifiables, cas du chou-fleur cheddar de couleur orangée ou de certaines variétés de pommes issues initialement de mutations spontanées (Belrène, Bauline, etc.).
  • Les mutations induites permettent d’augmenter le taux de mutations en utilisant certains éléments physiques (UV, rayons X, irradiations), en faisant agir des composés chimiques (divers agents alkylants) ou en induisant la disparition ou la modification de caractères au cours de multiples repiquages en culture in-vitro. Le taux de mutation spontanée chez Arabidopsis est d’environ une mutation par génération. Son génome mesure 140 millions de paires de bases (140Mb). En extrapolant, on admet 8 mutations par génération pour le colza qui mesure 1 200 Mb, et, de la même façon, 38 pour l’orge et 100 pour le blé. Ces mutations peuvent s’accumuler ou disparaître. Chez Arabidopsis, entre deux écotypes, une mutation en moyenne est décelée toutes les 300 paires de bases, soit un total de 466 000 petites différences. Pour l’orge, il y en aurait plus de 17 millions. La mutagénèse par EMS (éthyl méthane sulfonate) chez Arabidopsis induit de l’ordre de 500 mutations par génération, soit 500 fois plus que la mutation spontanée, mais mille fois moins que la variation d’un écotype à l’autre. Devant cette somme de petites différences, la question se résume alors à un problème de sélection.Vouloir établir une liste des variétés de plantes améliorées par mutagénèse reviendrait, à quelques exceptions près, à établir une liste de toutes les variétés de plantes cultivées dans le monde. Il y aurait plus de 3 000 variétés commercialisées (FAO 1964) pour plus de 170 espèces (70 maïs, 155 sojas, 42 cotons, 5 aubergines, 6 pommes de terre, 242 blés, 3 tournesols).

    Ces variétés mutées enregistrées sont utilisées dans près de 60 pays. La liste s’allonge encore avec les variétés fruitières (ananas, poire, raisin, abricot, pêche, papaye, etc.) ou celles attachées au domaine de l’horticulture.

  • Les mutations somaclonales ne sont qu’une amélioration des techniques précédentes permettant de mieux repérer les éléments intéressant. Pour favoriser l’action des éléments mutagènes de nature physique ou chimique, les cellules en culture in vitro sont mises dans des conditions très défavorables (stress par chaleur, froid, rayons). Les rares produits viables obtenus sont mis en culture puis repiqués et enfin multipliés par voie non sexuée (bouturage par exemple).Utilisée depuis longtemps sur la vigne, sur l’abricot ou sur la banane, cette technique est utilisée par exemple sur le poirier, pour rechercher des individus résistants au feu bactérien. Elle n’a pas donné de véritables applications. Cependant, l’approche de cette technique nous fait rentrer de plain-pied dans l’ère des biotechnologies.

Ici, nous abandonnons le domaine de la compréhension et du suivi de la reproduction permettant, après la redistribution aléatoire des gènes, d’obtenir des individus possiblement intéressants, pour entrer dans celui d’un meilleur repérage de ces derniers, d’en augmenter la probabilité de survenue et, in fine, de faire des choix pertinents et adaptés aux besoins.

 Faire des choix adaptés

De tout temps, les agriculteurs ont dû faire des choix adaptés d’abord à leurs contraintes puis ensuite à leurs besoins. Ils devaient choisir la semence correspondant le mieux au milieu qu’ils souhaitaient valoriser. Au fil des temps, ils ont rejeté sur les semenciers les plus performants ce travail de choix qu’ils ne pouvaient plus faire se consacrant à une production moins aléatoire.
Cette évolution ne peut être remise en cause. L’obtention de nouvelles variétés est devenue extrêmement technique. Elle nécessite l’emploi de méthodes de sélections longues et souvent très sophistiquées. L’agriculteur a eu raison de déléguer cette tâche à des semenciers efficaces qui savent répondre à leurs besoins. Il est illusoire de croire qu’il est possible de produire une nouvelle variété sur le coin d’un paillasse de laboratoire, ceux qui disent le faire utilisent des acquis antérieurs qui ont permis le développement actuel de l’agriculture. Refuser cette vision, c’est refuser simplement la sélection.
La question est alors du domaine philosophique. La sélection est-elle morale ? Avons-nous le droit de favoriser le développement de certaines plantes au détriment d’autres plantes ? En d’autres termes, pouvons-nous sans conséquence modifier le développement naturel des choses ? Nous ne chercherons pas à donner des réponses à ces questions. Nous prétendons simplement donner quelques éléments de réflexion.
Depuis moins de cinquante ans, le développement de nouveaux outils a permis de produire des plantes qui répondent mieux aux contraintes sociales ou environnementales et d’entrevoir la possibilité de sélectionner des variétés sur des caractères qui étaient jusqu’alors considérés comme impossibles à obtenir (rendement, résistance, adaptation).
Il est possible schématiquement de réduire cette approche à l’utilisation en parallèle de deux techniques : la culture cellulaire et la réaction en chaîne par polymérase (PCR ou polymerase chain reaction) avec les diverses techniques qui en découlent. La première permet aux sélectionneurs d’échapper aux contraintes du milieu et de réaliser des essais en grand nombre. Il faut reconnaitre ici que, si une plante ne permet pas de culture cellulaire, cette voie essentielle ne peut être empruntée et, les techniques d’hybridation et de mutation restent, seules, opérationnelles. Les secondes, issues des PCR, mettent à la disposition des chercheurs des quantités manipulables d’ADN et de données permettant une caractérisation plus fine. Ces deux techniques ont permis le développement de divers outils.

  • La polyploïdiea pour objectif de multiplier le stock de chromosome (2n, 3n, 4n, etc.). L’individu ayant ainsi plus de 2 séries de chromosomes pourrait avoir une expression amplifiée de certains des caractères recherchés.La technique la plus simple consiste à enduire des zones de multiplication intense (bourgeons notamment) par des agents divers comme la colchicine et à induire le doublement des chromosomes sans division cellulaire. La culture in-vitro a permis d’isoler les cellules en division et de favoriser la multiplication quasi à l’infini des essais et un parfait contrôle des agents mutagènes utilisés ou le repérage d’un doublement spontané d’un ou des chromosomes. Comme signalé antérieurement, l’objectif final reste de pouvoir sélectionner les accidents intéressants.
  • La multiplication de masse en culture cellulaire donne la possibilité d’accélérer la reproduction de plantes pérennes et d’arbres, puis leur multiplication. La réussite d’une mise en culture de certaines cellules entraine un gain de temps sur l’obtention de nouveaux reproducteurs et la possibilité d’effectuer de nouveaux croisements.Cet outil est très utilisé pour de nombreuses espèces à vie longue (citronnier, oranger, olivier, cocotier, peuplier, eucalyptus, etc.). Il permet de multiplier les clones d’une même espèce (café, cacao...) et de répondre à la nécessité de plantations polyclonales réduisant les risques en cas de modification importante du milieu ou de l’arrivée d’une pathologie particulière.
  • L’hybridation somatique reprend des éléments propres aux croisements et aux mutations réalisés sur des cellules débarrassées de leur paroi. Ces protoplasmes se divisent mieux que des cellules « classiques ». Schématiquement, cette technique reproduit ce qui est naturellement réalisé lors d’une greffe où les entailles franches du porte-greffe et du greffon mettent en rapport des cellules débarrassées de leur paroi. La pomme de terre, Solanum tuberosum, est une espèce cultivée chez laquelle l’introduction de caractères par fusion de protoplastes est facilement réalisable. On a pu introduire des gènes de résistance au virus de l’enroulement, aux virus Y et X, au mildiou et à la pourriture bactérienne due à Erwinia, à partir des espèces sauvages d’Amérique du Sud, notamment Solanum brevidens et S. bulbocastanum. Elle trouve également des applications importantes chez les agrumes.
  • Les haploïdes et doubles haploïdes sont obtenus uniquement en culture cellulaire. Les gamétophytes mâles ou femelles sont des cellules naturellement haploïdes (stock chromosomique réduit à n). Ces cellules, porteuses de la reproduction, sont naturellement stériles. Il peut paraître intéressant d’obtenir des individus à 2n chromosomes en partant d’un seul stock chromosomique et en évitant ainsi le brassage des gènes qui se déroule durant la fusion des gamètes. La culture cellulaire permet d’isoler les doublements spontanés ou induits par la colchicine par exemple. Il faut encore que ces cellules particulières se développent jusqu’à un stade végétatif permettant une plantation puis une multiplication rendant intéressant cet isolement et sa sélection. Cette technique est communément utilisée chez l’orge, le blé, le riz, le melon, le poivron, le tabac, etc.
  • L’utilisation ultime des cultures cellulaires est la possibilité de multiplier des plantes stériles et de façon plus générale des plantes à multiplication végétative. C’est un cas particulier de la multiplication de masse. Les cultures cellulaires sont faites principalement à partir de cellules naturellement en division, les méristèmes. Les clones sont obtenus après isolement des sujets parvenus à un stade végétatif permettant la plantation et la sélection. Cette technique est surtout utilisée dans les domaines horticole (orchidée) et fruitier (palmier). Elle répond à une demande des consommateurs recherchant des fruits sans pépins.
  • La transgénèse est directement issue de la possibilité de travailler sur une quantité suffisante d’ADN d’un individu donné. La détermination et l’isolement de petits fragments d’ADN de diverses origines et leur incorporation au sein du génome d’un organisme receveur à l’aide d’un vecteur (virus, bactérie, etc.) deviennent possibles. La difficulté est d’avoir la meilleure connaissance possible sur l’élément transporté, sur l’action du vecteur utilisé et sur le lieu d’implantation de l’élément introduit. In fine, le principal obstacle reste surtout de régénérer une plante à partir d’une cellule transformée. Cet outil est utilisé pour introduire un nouveau caractère dans des variétés de maïs, soja, colza, riz, pommes de terre, cotonnier, etc. Il est le moyen le plus prometteur pour l’obtention de variétés qui répondent à des critères difficilement sélectionnables (résistance aux insectes, à la sécheresse, adaptation au milieu, qualité alimentaire, etc.). La transgénèse a été considérée initialement comme une technique efficace. Elle permet, en effet, le transfert de gènes ciblés, contrairement à l’hybridation, par exemple, qui porte sur des morceaux entiers de génome et non sur un seul gène. Aujourd’hui, l’outil, lui-même ne semble pas poser de problème. Cependant, son utilisation, en autorisant l’introduction de gènes (petits fragments d’ADN) étrangers à l’espèce considérée, entraîne des rejets de la part de la société, notamment en France. Ces ressentis sociétaux face à de nouvelles espèces ou variétés peuvent se comprendre dès lors qu’il y a insuffisance de connaissance sur les fragments introduits qui, s’ils contiennent bien les facteurs d’intérêt recherchés peuvent contenir d’autres éléments inconnus pouvant intervenir sur le développement et les qualités de la plante.
  • La cisgénèse se distingue de la transgénèse par le fait de transférer artificiellement des gènes entre des organismes qui peuvent être croisés selon les méthodes d’hybridation classiques, donc entre des organismes étroitement apparentés. Ainsi peuvent être créés des plants de pomme de terre résistants au mildiou par transfert des gènes de résistance dans des variétés améliorées à haut rendement. Cette technique présente l’avantage de la rapidité par rapport aux méthodes classiques de sélection et, parfois, elle est la seule à permettre l’obtention d’une variété cultivable et consommable.
  • La sélection génomique ou assistée par marqueurs dérive directement de la capacité nouvelle de lire les séquences d’ADN et d’en déterminer les divers polymorphismes. De façon très schématique, dans une variété qui présente des traits particuliers (résistance à la sécheresse, résistance à certaines maladies, etc.), on recherche des séquences spécifiques dont la présence est corrélée à ces caractères dans la descendance de cette variété après hybridation avec une variété qui ne les possède pas. Cet outil permet de sélectionner des caractères dits classiques (production, croissance, etc.) mais surtout des caractères plus difficiles à appréhender comme ceux liés à l’adaptation ou à la résistance.La puissance de cette méthode s’exprime d’autant plus qu’il y a une corrélation forte entre un marqueur et un caractère particulier. Elle permet alors non seulement d’éviter le système long

    et couteux des expérimentations, mais aussi d’avoir un regard plus large vers d’autres populations notamment celles contenues dans des banques de semences. Son emploi, qui n’altère pas le développement in-vitro de l’embryon, autorise une sélection directe sur la graine et réduit d’autant plus le temps d’obtention d’une nouvelle variété.

  • Le tilling (Targeting Induced Local Lesions in Genomes) combine des méthodes de mutagénèse aléatoire avec des méthodes modernes d’analyse de l’ADN grâce à l’identification à haut débit de mutations ponctuelles. Il s’agit de provoquer des mutations sur des génomes connus par des agents (chimiques ou physiques), de bien les localiser sur les séquences préalablement connues de l’ADN et d’observer les mutants correspondants. Un large éventail de variétés peut ainsi être étudié. Le tilling est utilisé sur la tomate, le melon, le pois, le colza, le blé, l’orge, la luzerne, etc. Son emploi vise la recherche de résistances, de qualités gustatives ou nutritionnelles. Cet outil est le précurseur d’une nouvelle technique qui introduit plus de précision dans ces méthodes qui utilisaient toutes une coupure de l’ADN et sa réparation. Pour être acceptables par la société, elles doivent, aujourd’hui, se faire sans grand fragment d’ADN, sans élément étranger, sans cassure, implantation et réparation aléatoires.
  • La mutagénèse ciblée (ou édition de gènes) apporte, à travers diverses techniques utilisées, une plus grande précision et permet de répondre plus rapidement aux enjeux agricoles, notamment en prenant en compte le développement de caractères d’intérêt portant sur des résistances aux maladies, la tolérance au stress hydrique, des qualités nutritionnelles, etc. Plus efficaces, plus faciles à mettre en œuvre et peu coûteuses, ces techniques ouvrent de nouvelles perspectives pour l’amélioration des plantes. Sous certaines conditions, elles devraient également permettre l’amélioration d’espèces mineures ou actuellement délaissées par les programmes d’amélioration variétale. La force des méthodes de modification ciblée du génome (genome editing) est de pouvoir couper l’ADN à un endroit très précis. Il est alors possible d’inactiver un gène par coupure ciblée et réparation défectueuse (suppression ou insertion de quelques bases), modifier de façon ciblée quelques nucléotides dans un gène donné (gene editing) ou insérer très précisément un ADN étranger. Le ciblage peut être obtenu par le biais de nucléases dirigées vers une séquence choisie de l’ADN. Il est possible de retenir quatre outils :
    • les méganucléases (peu utilisées aujourd’hui),
    • les nucléases à doigts de zinc (zinc finger),
    • TALEN (Transcription Activator-Like Effector Nucléases)
    • CRISPR-Cas9 (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats–CRISPR associated protein 9).

Les inventeurs de CRISPR-Cas9 ont utilisé un système existant dans la nature pour faire de l’ingénierie de

génome. L’association de la protéine Cas9, qui joue le rôle de ciseaux, et d’une petite séquence d’ARN, qui indique l’endroit exact où intervenir, permet de recréer un mécanisme qui se ressemble à la fonction « couper-coller » d’un logiciel de traitement de texte. Il devient ainsi très simple de modifier l’ADN d’un organisme vivant, de façon ciblée gène par gène. CRISPR-Cas9 représente une véritable rupture et constitue une découverte majeure, de par son efficacité, son universalité sur tous les types d’organismes vivants, sa facilité d’usage, sa rapidité de mise en œuvre et son coût modéré. On parle maintenant de génétique de précision. Ces outils permettent d’obtenir de nouveaux caractères d’intérêt portant sur des résistances à des maladies, au stress hydrique, sur des qualités nutritionnelles ou technologiques, sans affecter le reste du génome. Ces applications devraient se développer dans les 5-10 prochaines années. Des preuves de concept ont déjà été apportées dans nombreuses espèces : riz, blé, maïs, orge, sorgho, soja, chou, tomate, pomme de terre, laitue, oranger, peuplier, vigne, etc.

 En guise de conclusion

Les méthodes et outils de l’amélioration des plantes se sont perfectionnés au cours du temps. Au début, l’amélioration des plantes a surtout fait appel aux systèmes de reproduction (croisement et autofécondation) et à la sélection. Les progrès des connaissances en biologie, en particulier en génétique, puis en statistiques et informatique et enfin en génomique ont permis de mettre au point un ensemble de méthodes qui s’intègrent en parfaite complémentarité dans la « boite à outils » des sélectionneurs.
Au cours des dix prochaines années, les obtenteurs prévoient une forte progression de la sélection génomique sur les grandes espèces et la progression de la mutagénèse ciblée sous réserve que celle-ci bénéficie dans l’Union européenne d’un cadre réglementaire adapté.
Ainsi, aujourd’hui, sauf pour les espèces mineures, pratiquement toutes les variétés nouvelles qui arrivent sur le marché ont bénéficié d’une ou plusieurs techniques issues des biotechnologies. Les plantes issues de mutagénèse ciblée ne sont pas distinguables de plantes classiques. Elles ne peuvent pâtir des erreurs qui ont présidé à la mise au point des techniques. Il reste indispensable qu’elles bénéficient d’un encadrement réglementaire non discriminatoire qui permette leur développement effectif en Europe.
Les nouvelles biotechnologies peuvent être également perçues comme la capacité à traiter l’information biologique, informatique et génomique pour atteindre des objectifs répondant au triple défi de l’agriculture : faire face à la sécurité alimentaire, mieux respecter l’environnement et s’adapter aux changements climatiques. Elles suggèrent essentiellement l’aptitude à lier des éléments entre eux, à faire preuve de logique, de raisonnement déductif et inductif. Dans ce sens, elle est liée au langage et à la pensée abstraite, qui est plutôt (mais pas exclusivement) le propre de l’humain.
sssssssssss C’est aussi ce que nous appelons l’intelligence.

01 juin 2017
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 Bibliographie

* Dominique Planchenault, coordonnateur du groupe de travail BioPagGe/Rapport n° 10157 : Les biotechnologies et les nouvelles variétés végétales – 2012 - Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt/CGAAER .
* A. Ricroch, Y. Dattée, M. Fellous :Biotechnologies végétales : Environnement, alimentation, santé, Vuibert édition, AFBV, 266 pages.
* A. Zaid, H. G. Hughes, E. Porceddu, F. Nicholas : Glossaire de la biotechnologie pour l’alimentation et l’agriculture, , 2004, FAO, 322 pages.
Téléchargeable sur http://www.fao.org/docrep/004/y2775...
* M. Pitrat, C. Foury : Histoires de légumes : des origines à l’orée du XXIème siècle. . 2004, Editions Quae, 410 pages.
* Contribution du GNIS : La filière semences, au service de la terre , 2011, 25 pages.

 Lire dans l’encyclopédie

dans l’encyclopédie
* Bourdel, Christian : Quelles politiques publiques pour les Plantes Génétiquement Modifiées ?, N° 140 , Avril 2011.
* Soret, Mathilde : OGM : Quel bilan ?, N° 240 , Septembre 2017.

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