L’accès pour tous aux services essentiels

1er juillet 2006

Résumé

Portés au premier plan lors de la Conférence de Johannesbourg en 2002, les services essentiels, destinés à pourvoir aux besoins vitaux des êtres humains en conformité avec les exigences du développement durable, doivent aujourd’hui faire l’objet d’une consécration juridique internationale ; leur mise en application au niveau local soulève quant à elle les questions de la meilleure gouvernance et des modes de financement les plus adéquats.


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6.1- Droits humains

Auteur·e

Martinand Claude

Claude Martinand est Vice-Président du Conseil Général des Ponts et Chaussées et Présidentde l’Institut de la Gestion Déléguée (IGD).

Directeur du cabinet du Ministre des transports de 1981 à 1984, il a été successivement Directeur général
de l’IGN,Directeur des Affaires économiques et internationales du Ministère de l’équipement, Conseiller
économique et social, Président de Réseau Ferré de France (RFF).
Il est l’auteur d’ouvrages et d’articles sur le Génie urbain, les services publics, les transports ferroviaires, le développement
durable, les services essentiels.


“Aucune société ne peut prospérer
et être heureuse si la plus grande
partie de ses membres est pauvre
et misérable”

Adam Smith

Depuis Johannesbourg en 2002, un mouvement mondial pour la reconnaissance d’un droit d’accès pour tous aux services essentiels s’est amplifié.

Par services essentiels ou services de base, on entend les services vitaux, indispensables à une vie digne et décente. C’est donc un élément fondamental de la lutte contre la
pauvreté.

Accéder à l’eau potable et à l’énergie, pouvoir effectuer des déplacements quotidiens et communiquer ou s’informer, bénéficier des services environnementaux d’assainissement liquide et solide (collecte et traitement des déchets) nécessite l’organisation de services collectifs impliquant des investissements pour des infrastructures généralement
organisées en réseaux ;du moins dans les villes où la densité conduit à ces solutions.

Ces “utilités”apparaissent également indispensables pour accéder à un habitat décent, à la santé, à l’éducation, à la culture, qui sont aussi des services essentiels, mais d’une autre nature et ne relèvent donc pas de la même démarche.

Ces services conditionnent bien sûr le développement urbain et le développement économique. Ils sont des fondements de la cohésion sociale et de la solidarité aux différents niveaux territoriaux jusqu’à l’échelle mondiale.

Ils contribuent également à la protection de l’environnement et doivent être organisés en préservant les ressources naturelles et en économisant les énergies non renouvelables générant des gaz à effet de serre. Ils ont souvent à voir avec la problématique des biens publics mondiaux ou locaux.

C’est donc manifestement une question majeure qui concerne de manière équilibrée les trois piliers du développement durable.

La communauté internationale, rassemblée autour des objectifs du millénaire pour le développement, paraît en mesure, pour la première fois de son histoire, d’apporter une réponse globale à la pauvreté. L’eau et l’assainissement ont été placés en tête des priorités. D’autres services doivent être ajoutés à cette liste dans une perspective de progrès continu.

La pauvreté est le résultat d’une privation de droits et d’une privation d’opportunités. Proclamer des droits, assortis d’objectifs chiffrés à atteindre selon un calendrier précis, est la voie privilégiée pour en faire, à terme, des droits opposables.

Chaque territoire, chaque service doivent faire l’objet d’une appréciation ambitieuse mais réaliste des objectifs de niveau de service et de calendrier à respecter.

La démarche recouvre donc les objectifs suivants :

  • la proclamation par l’ONU, dans des formes appropriées, des droits de tous à accéder progressivement à l’ensemble des services essentiels ;
  • la fixation de principes et de règles de bonne gouvernance et de financement pour rendre ces droits effectifs, en se donnant le maximum de chance de réussir ;
  • la déclinaison, service par service, et territoire par territoire, des droits et des principes correspondants, en y intégrant les spécificités objectives de manière à favoriser leur appropriation par toutes les parties prenantes, par exemple sous la forme d’Agendas 21.

Après Johannesburg, où une initiative de type II associant les pouvoirs publics et la société civile, sous l’égide de l’Institut de la Gestion Déléguée, a été présentée et a suscité un grand intérêt, la démarche s’est développée au niveau international. En avril 2005, une proposition commune de cinq pays (France, Suisse, Afrique du Sud, Brésil et Philippines) a été adoptée par le conseil d’administration d’ONU-Habitat,seule Agence de l’ONU associant les collectivités locales (CGLU). Cette Agence, avec l’appui de l’UNITAR, autre Agence de l’ONU, a pour mandat d’approfondir un document pouvant être adopté par la Commission Économique et Sociale, puis l’Assemblée plénière de l’ONU, en 2007 si possible.

En 2005, l’évaluation à mi-parcours de la mise en œuvre des objectifs du millénaire a montré les difficultés de respecter les calendriers et l’insuffisance de volonté politique.

La question de la gouvernance et du financement des services essentiels est donc apparue comme centrale.
Les principes et les règles, qui paraissent pertinents et recueillent un relatif consensus, pourraient être les suivants :

1. Les responsabilités des différents acteurs concernés par les services essentiels, doivent être clairement identifiées :

  • aux pouvoirs publics nationaux, la mise en oeuvre des politiques publiques (programmes, calendrier) garantissant l’accès aux services essentiels avec les réglementations et les moyens financiers correspondants ;
  • aux pouvoirs publics locaux , l’organisation du service, la définition du niveau de service à atteindre, la politique tarifaire, les modalités de financement des investissements et le choix du mode de gestion et de l’opérateur ;
  • aux communautés, aux usagers, aux citoyens et à la société civile, le droit d’être consulté et associé à la définition des objectifs, au contrôle et à l’évaluation des résultats (en pouvant accéder aux informations et à une expertise autonome) et le droit d’intenter des recours contre des irrégularités ou les insuffisances de continuité et de qualité des services ;
  • aux opérateurs, la mission d’exploiter le service sur une base professionnelle et performante ;
  • aux salariés des opérateurs, le droit d’être associé aux choix les concernant et de bénéficier de programmes de formation.

2. La gouvernance ou la maîtrise publique des services essentiels doit organiser des partenariats ou des relations contractuelles et des concertations entre les parties prenantes pour améliorer la qualité et la performance des services et l’accès équitable pour tous à ces services.

Le mode de gestion doit être laissé au libre choix des pouvoirs publics sur la base d’une approche raisonnée et adaptée au contexte. Ce choix doit pouvoir être périodiquement remis en cause et donc être réversible. L’émulation comparative (benchmarking) constitue la meilleure voie d’éclairage de ces choix, de contrôle des opérateurs et d’évaluation de la politique publique.

Un contrat d’objectifs entre l’autorité publique et l’opérateur public ou privé, assorti de mécanismes d’incitation, fondés sur quelques indicateurs de performance bien choisis, paraît une voie à privilégier car elle favorise l’implication de chaque acteur et des progrès communs à tous (jeu gagnant gagnant).

3. La politique tarifaire est une question essentielle, du ressort des pouvoirs publics. Elle doit être adaptée aux services et aux pays, selon leur degré de développement et traduire des choix économiques, sociaux et politiques.

Le partage des coûts entre les contribuables, les utilisateurs domestiques, les utilisateurs professionnels et l’aide internationale constitue la question préalable à résoudre.

La gratuité totale ou une tarification trop faible génèrent gaspillage et insuffisance d’entretien du patrimoine. Pour les pauvres, qui paient souvent plus que les riches pour un service de moindre qualité, il est possible de mettre en place des aides ciblées (quantité d’eau gratuite, aide au tarif ou au branchement) qui devraient être fondées sur la péréquation, pour l’essentiel
.
Des péréquations tarifaires paraissent indispensables pour exprimer des préoccupations d’équité et les nécessaires solidarités territoriales et/ou sociales au sein d’une agglomération ou de territoires plus vastes.

Les services essentiels doivent bénéficier de financements publics massifs pour les investissements d’infrastructures les plus lourdes, comme cela a été généralement le cas dans les pays développés. Mais l’objectif de couvrir au moins les coûts directs (petit équilibre) doit être retenu pour les utilisateurs domestiques. Pour les utilisateurs professionnels, une couverture des coûts complets devrait être adoptée dès que possible (électricité, télécommunications).



4. Pour le financement, à l’expérience, il paraît le plus souvent nécessaire de dissocier celui de l’infrastructure placé sous la responsabilité des pouvoirs publics avec des financements publics suffisants et l’aide internationale et celui de l’exploitation du service, confiée à un opérateur professionnel, et devant couvrir normalement ses coûts.

La mobilisation de l’épargne locale, souvent abondante, devrait être encouragée par des mécanismes de garantie, diminuant les risques de change.

Des prêts directs aux collectivités locales devraient être rendus possibles par des mécanismes de mutualisation des risques. Il faudrait encourager le pluralisme des opérateurs et leur professionnalisme et les choisir en fonction de leurs capacités :

  • opérateurs publics bien gérés ;
  • opérateurs privés nationaux ou locaux ;
  • opérateurs de l’économie sociale (ONG, communautés, coopératives...) pour les zones rurales ou certains quartiers des grandes villes ;
  • opérateurs internationaux qualifiés, souvent seuls à même d’améliorer l’exploitation des services dans les mégalopoles.

Les progrès de ces différentes catégories d’opérateurs peuvent être encouragés par l’aide internationale (échanges d’expérience, formation, assistance technique, coopération décentralisée...).

La transparence des choix, la lutte contre la corruption, la mise en compétition des opérateurs doivent être des préoccupations constantes, placées sous le contrôle vigilant des différentes parties prenantes, dans un cadre démocratique.

Les objectifs à atteindre pour l’accès aux services essentiels pour tous constituent une priorité majeure pour l’humanité et une cause parmi les plus nobles en faveur de la dignité de la condition humaine sur terre. Ces services devant devenir progressivement universels participent d’une vision universaliste de l’humanité.

Les principes et les règles à respecter pour réussir paraissent se dégager après quelques erreurs ou déconvenues de la dernière décennie.

Par de multiples dimensions, ce combat illustre particulièrement bien les différents aspects du développement durable :gouvernance, économie et financement des services, équité, solidarité, démocratie, lutte contre la corruption, dignité, protection de l’environnement et gestion économe des ressources naturelles non renouvelables. Cela illustre que le développement durable ne se réduit pas à son pilier environnemental.

Que toutes les femmes et les hommes de bonne volonté se mobilisent pour cette utopie réaliste !

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 Bibliographie

Pour en savoir plus

 Gouvernance, partenariat et financements pour les services essentiels - Institut de la Gestion Déléguée - février 2006 - en partenariatavec Partenariat pour le Développement Municipal (PDM) et l’ISTED.

 Les garanties d’accès aux services essentiels - Comité Français pour le sommet mondial de développement durable - Premier Ministre - Recommandations du groupe de travail - 2002.

 Les services publics, les défendre ? les démocratiser ? - Philippe Brachet - Ed. Publisud. 2001 - 96 p.- ISBN : 2-86600-963-0

 Lire dans l’encyclopédie

 Jean-Pierre Piéchaud, Services publics et développement durable (N°16).

 Lire sur Internet
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