Résumé
Les mobilités sont au cœur des échanges pour réduire l’empreinte carbone en France, en Europe et dans le monde.
Déploiement du ferroviaire et des mobilités douces, lutte contre l’autosolisme, logistique fluviale, sont autant de leviers d’actions connus pour répondre aux objectifs fixés lors de l’Accord de Paris. Mais qu’en est-il du secteur aérien ?
Cet article dresse un panorama des enjeux autour de ce poste d’émissions conséquent, de plus en plus controversé et discuté, en soulignant certaines doubles contraintes et complexités, tout en envisageant des pistes de solutions concrètes, politiques et économiques.
Auteur·e
Head of Public Sector au sein d’un think-tank dédié à la transformation durable des collectivités et entreprises, le « HUB Institute ».
Il travaille notamment sur les questions de mobilités décarbonées, de transition énergétique, de cohésion territoriale et d’innovations durables et a réalisé une thèse en 2022 sur les transitions urbaines (Penser la ville à l’ère des ZFE : plaidoyer pour une logistique urbaine durable).
À force d’idéation, d’abnégation et d’ingéniosité, l’humanité s’est donné les moyens de voler. Du songe d’Icare jusqu’au début du XXème siècle, ce rêve était inaccessible.
Mais en 1903, le premier prototype permettant de réaliser des vols motorisés et contrôlés voyait le jour [1], embarquant avec lui l’espoir de voir émerger un nouveau mode de transport à grande échelle : l’avion.
Depuis, au nom du progrès, son utilisation s’est démultipliée (plus de 4 milliards de passagers en 2017 [2]) et démocratisée (le prix unitaire du billet en monnaie constante a diminué de 40 % en 60 ans [3]), son utilité largement élargie (fret aérien, aviation militaire…) et son impact environnemental est devenu colossal. Mais aujourd’hui, dans un contexte de crise environnementale majeure, l’aviation est controversée.
Entre le mouvement flygskam [4] initié par Greta Thunberg, l’abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes, ou encore la thématique « Objectif E : se déplacer » de la Convention Citoyenne pour le Climat visant à réduire les émissions de CO2 liées au secteur aérien, des mouvements citoyens s’élèvent à travers le monde pour interroger son modèle. Cette hostilité grandissante fait écho à des problématiques environnementales multiples (maintien de la biodiversité, lutte contre le réchauffement climatique, préservation des ressources naturelles…) et s’oppose à une réalité économique dont les défis ont été exacerbés par la crise de la Covid-19… Alors, peut- on encore rêver d’avion ?
L’objectif de cette note est d’établir dans un premier temps un état des lieux des contradictions dans lequel se trouve le secteur aérien en contexte de réchauffement climatique, du fait de son poids économique mondial et de ses impacts environnementaux conséquents.
L’objectif sera alors d’analyser dans quelle mesure les pratiques et les politiques publiques envisagées ou mises en place peuvent remédier aux différents enjeux de pérennité du secteur aérien et de prise en compte de la lutte contre le réchauffement climatique.
En somme, posons-nous la question du devenir du secteur aérien dans un contexte de plus en plus contraint.
1) Tour d’horizon du secteur aérien : entre acteur macro-économique majeur et gouffre écologique
A) Des impacts environnementaux conséquents externalisés
La montée en puissance de mouvements citoyens circonspects, voire hostiles envers le secteur aérien, s’est constituée du fait que les nuisances et pollutions induites par ce secteur ont longtemps été occultées en faveur d’aspects considérés positifs comme pouvoir aller rapidement d’un bout à l’autre de la planète ou comme nécessaire contrepartie du développement économique : pour un grand nombre d’États, l’impact économique du secteur aérien sur les économies nationales est en effet conséquent. L’aérien a, de fait, permis de constituer des secteurs industriels majeurs, contribué à l’interconnexion des centres économiques mondiaux, induit le développement de nombreux pays par le biais du tourisme, permis une relative démocratisation des déplacements et, finalement, a accompagné la mondialisation de l’économie.
Parmi les principaux acteurs de ce secteur se trouvent en premier lieu les compagnies aériennes, acteurs majoritairement privés, qui exploitent des avions sur des lignes aériennes, dont les deux plus grosses compagnies en termes de passagers transportés sont américaines (Delta Airlines et American Airlines [5]), les deux plus grosses compagnies européennes étant Lufthansa et Ryanair. Ces compagnies aériennes utilisent le réseau des aéroports qui sont détenus par des gestionnaires. Viennent ensuite les constructeurs aéronautiques, véritables géants industriels dont les deux principaux sont Boeing et Airbus. Aux compagnies et constructeurs sont associés les sous-traitants : équipementiers, maintenance, service de restauration...Enfin, les organismes de contrôle du trafic aérien qui, en fonction des pays et des aéroports, peuvent être privés ou publics.
On ne peut conclure cette cartographie des acteurs contribuant à l’économie du secteur aérien, sans évoquer un acteur majeur : l’Etat. En effet, l’affirmation des États sur la scène internationale a été fréquemment liée à la création de leurs compagnies nationales.
Concernant le cas français, l’État, principal actionnaire d’Air France, marque ainsi sa volonté de protéger cette vitrine à l’international par une stratégie de sauvetage par recapitalisation [6] , de même que par le statut privilégié accordé à la compagnie sur les hubs du territoire comme Roissy.
De fait, les compagnies aériennes constituent un outil de soft-power, de surcroît quand elles sont adossées à des hubs aéroportuaires, méga-aéroports qui visent à assurer un maximum de correspondance aux voyageurs et aux biens, et dans la constitution desquels les pouvoirs publics jouent un rôle prépondérant. L’exemple par excellence est le hub d’Atlanta aux États- Unis, le plus grand du monde, avec la compagnie Delta Airlines, en deuxième position mondiale.
Or, le modèle de l’aviation civile, qui repose sur l’existence d’une énergie fossile, le kérosène, jusqu’alors facilement disponible… mais fortement polluant, est remis en cause par la nécessité de réduire son impact climatique.
Le secteur, exempté des mesures de l’Accord de Paris, s’est cependant fixé ses propres objectifs de réduction des émissions, mais ces initiatives ne sauraient être, à ce jour, à la hauteur des enjeux climatiques. Ainsi jusqu’à la pandémie, le trafic aérien affichait une expansion fulgurante : le seuil des 4 milliards de passagers était atteint en 2017 avec des perspectives annoncées par l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) de doublement du trafic d’ici dix ans. Les projections de l’Association du transport aérien international (IATA pour son acronyme en anglais) vont dans la même direction, et estiment que dès 2024, le nombre de passagers aura retrouvé son niveau d’avant crise, et devrait atteindre 5.4 milliards de passagers d’ici 2030. [7]
Quant à connaître la part d’émissions mondiales de CO2 du transport aérien, la question ne fait pas consensus. Selon l’OACI, le niveau d’émissions de CO2 du secteur participerait à hauteur de 2% des émissions mondiales. Mais selon certaines contributions scientifiques [8] et ONGE, l’impact réel sur le changement climatique serait plutôt de l’ordre de 5%, dès lors que sont pris en compte d’autres facteurs contribuant également au réchauffement de l’atmosphère. Outre le gaz carbonique en effet, émis en basse et en haute atmosphère, les cirrus de traînées (contrails), les oxydes d’azote (NOx) [9] et autres particules fines solides et aérosols, sont à prendre en compte dans le calcul [10]. Ces phénomènes, indépendants des rejets de gaz à effet de serre, participent pour plus de moitié à la contribution totale du secteur au réchauffement climatique. Ils ne font pourtant l’objet d’aucune prise en compte ni dans le protocole de Kyoto, ni dans les accords suivants. [11]
Ces 2% voire 5% des émissions mondiales de CO2 pourraient paraître modestes, mais doivent être corrélés aux taux de croissance du trafic mondial, celui-ci ayant doublé tous les 15 ans depuis les années 1970. À titre indicatif, en 2019, selon l’International Energy Agency (IEA) le transport aérien émettait 0,9 milliards de tonnes (Gt) de CO2 soit une augmentation de 28,5% en 18 ans. Sur la même période et selon la Banque Mondiale, le trafic aérien a augmenté de 153% en 18 ans. En l’occurrence, la multiplication des compagnies low-cost a encouragé une hausse spectaculaire de l’activité aérienne (+140 % depuis 2000). Le Parlement Européen a ainsi projeté cette croissance fulgurante du trafic, indiquant qu’à ce rythme, la part des émissions de CO2 de l’aviation internationale pourrait atteindre 22 % des émissions mondiales en 2050 [12].
Aussi, si le secteur aérien se targue d’efforts considérables pour améliorer sa performance énergétique : améliorations technologiques des avions, optimisation des procédures opérationnelles, système CORSIA de compensation carbone… qui tendent à réduire les émissions par passager (de 2000 à 2020), l’impact climatique du transport aérien augmente régulièrement, conduisant ces mesures à être largement insuffisantes pour venir compenser la très forte croissance du trafic.
Cette croissance du trafic amplifie de plus le problème de fond : le transport aérien reste le mode de transport le plus émetteur de gaz à effet de serre par personne et par kilomètre parcouru : de 14 à 40 fois plus émetteur en CO2 que le train, et deux fois plus que la voiture ; un vol aller-retour Paris-Pékin produit ainsi plus d’une tonne d’émissions de CO2 par passager, soit l’équivalent annuel de la consommation en chauffage d’une famille en France [13]. Dans ce contexte post-covid de ralentissement du trafic aérien, et de remise en cause du système actuel, une étude publiée dans la revue Global Environmental Change estime qu’en 2018 seulement 2 à 4% de la population ont pris un vol international. Ils estiment aussi que 1% de la population mondiale émet 50% du CO2 de l’ensemble du secteur aérien [14] .
Les impacts du secteur aérien et de l’aviation commerciale en particulier sur le réchauffement climatique sont donc en l’état problématiques et conduisent certaines parties prenantes (Réseau Action Climat, associations NégaWatt, Shift Project, Haut Conseil pour le Climat…) à prôner des mesures plus ou moins radicales pour faire baisser l’usage de l’avion.
La Présidente du Haut Conseil pour le Climat, Corinne Le Quéré, constate ainsi en avril 2020 :
« L’aviation est un secteur difficile car il n’a pas de solution technologique pour atteindre la neutralité carbone. Les technologies évoluent lentement à cause de la sécurité aérienne. C’est un secteur dépendant de la compensation carbone. C’est le seul secteur où une diminution de la demande faciliterait l’atteinte de la neutralité carbone ».
À cet emballement des pollutions et nuisances du secteur aérien qui engendrent des risques pour la santé et l’environnement et nuisent à la lutte contre les changements climatiques, il faut rappeler les enjeux économiques du secteur qui témoignent de la dissonance cognitive dans laquelle nos sociétés sont plongées.
B) Un secteur stratégique… à l’avenir incertain ?
D’un point de vue macro-économique, le secteur aérien est un acteur majeur. En 2016, à lui seul, il représente 3,6% du PIB mondial avec 65 millions d’emplois et 2.693 milliards de $ de chiffre d’affaires direct selon l’ATAG (Air Transport Action Group). En France, pour un volume du trafic qui s’élevait en 2019 à près de 180 millions de passagers selon le bulletin statistique du trafic aérien commercial fourni par la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC), la filière transport du secteur aérien représente environ 85.000 emplois directs, et la masse emploi globale du secteur intégrant la filière transport et la filière industrielle (emplois directs et indirects) représente près de 350.000 personnes [15]. La présence en France du premier constructeur d’avion, Airbus, accroît d’autant l’importance du secteur pour l’économie française, et explique pourquoi il représente 12% des exportations en 2018 [16]. Par ailleurs, le secteur aérien est également un catalyseur touristique. Ainsi, la Ville de Paris et ses 35 millions de visiteurs par an (dont 18 millions étrangers) dépend grandement du secteur aérien, ce qui est également le cas d’autres capitales telles que Londres, Barcelone, Rome ou Athènes… Aussi, s’il va sans dire que le secteur aérien s’appuie sur une position de force d’un point de vue économique en tant que pourvoyeur d’emplois et attracteur de devises, force est de constater que l’actualité récente (Covid-19, mouvement Greta Thunberg…) laisse entrevoir un avenir moins euphorique.
D’une part, la crise de la Covid-19 a certes affecté la majorité des secteurs économiques mais le secteur aérien est l’un des secteurs les plus fortement touchés. Le graphique ci-dessous, montre l’évolution du trafic mondial de passagers et compare les conséquences des principales crises politiques du XXe siècle. C’est au regard de ces chiffres que l’on prend la mesure du caractère exceptionnel de la crise de la Covid-19 sur le transport de passagers. L’ensemble des aéroports mondiaux ont ainsi vu leur trafic chuter et les compagnies aériennes ont subi des pertes à hauteur de plusieurs centaines de milliards de dollars. Selon les spécialistes, la visibilité quant à une reprise « à la normale » du trafic aérien, c’est-à-dire pour retrouver son niveau de 2019 (dernière année de référence), n’interviendrait pas avant 2024 [17]. Cependant, les conséquences économiques à long terme ne sont pas les mêmes pour tous les acteurs du secteur. En effet, les compagnies low-cost semblent mieux repartir, en raison de leur coût plus flexibles et la reprise plus rapide des vols courts courriers. Aussi, pour pallier l’arrêt brutal d’un secteur tout entier début 2020, puis à la progressive et très lente reprise envisagée, les États ont dû investir massivement pour préserver au mieux leur économie, donc leurs compagnies et les emplois qui s’y rattachent : « Le soutien financier d’environ 239 milliards de dollars fournis par les gouvernements a été une bouée de sauvetage pour de nombreuses compagnies aériennes » [18]. Ainsi, quand la France et les Pays-Bas ont versé 7 milliards d’€ en avril 2020, auxquels s’ajoutent 4 autres milliards 12 mois plus tard en échange d’une recapitalisation de l’État Français au sein d’Air France – KLM atteignant à présent les 30%, l’Italie et l’Allemagne ont fait de même avec Alitalia et Lufthansa. Rappelons qu’Air France à elle seule, emploie 41 000 personnes sur le territoire français. [19].
Source : Communiqué de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI), le 15 janvier 2021
Selon une étude de 2019 de la banque Suisse (UBS) [20] , 22% des personnes sondées déclaraient alors avoir réduit leur nombre de vols ou évité de prendre l’avion pour des raisons environnementales. Cependant, en termes de trafic, l’effet du flygskam sur le trafic aérien, notamment domestique car plus facilement substituable par un trajet en train ou en voiture, doit s’envisager selon les pays et nécessite des investigations. Sur cette période, il avait été observé que les vols intérieurs en Suède avaient diminué de 3,6% en 2018 et 9% en 2019, de même qu’en Allemagne où les vols intérieurs baissaient de 8,6% fin 2019. Le lien de causalité est par ailleurs à nuancer, car d’autres effets conjoncturels, comme la faillite d’une compagnie majeure, un mouvement de grève important et un ralentissement de l’économie suédoise, peuvent aussi expliquer cette baisse du trafic aérien [21]. Toutefois, selon un article publié en 2021 [22] qui tente d’identifier clairement l’effet du mouvement social, le trafic aérien domestique aurait été de 22% supérieur sans son existence. Un résultat qui n’est pas exempt de limites, mais apporte un élément de réponse à l’influence de mouvements sociaux comme flygskam sur l’aviation civile.
Cette tendance a cependant mis le secteur aérien en alerte : fin 2019, une campagne « Stop aux idées reçues » organisée par Air France, Airbus, la FNAM, le GIFAS, ADP et l’UAF, communiquait sur les efforts réalisés en matière de transition écologique.
La crise de la Covid a néanmoins changé la donne et on peut s’interroger, au niveau mondial, sur ce qu’il adviendra des futurs comportements, entre appétence aux déplacements d’agrément et conscience écologique. Si au niveau européen la conscientisation des enjeux environnementaux devrait être confortée dans les prochaines années, il pourrait ne pas en être de même pour la région Asie-Pacifique.
Concernant le secteur des voyages d’affaires, qui représente 20 % de l’ensemble des voyages mais constitue un marché de près de 1 400 milliards de dollars, celui-ci avait déjà amorcé sa transition avant la pandémie vers moins de déplacements, du fait de la prise en compte de la rationalisation des coûts et du temps de travail, des aspects sécuritaires, de l’émergence des enjeux environnementaux au sein des entreprises et du développement des visioconférences [23]. Mais il en va autrement d’autres secteurs de l’aérien, des vols privés en jets comme des vols de tourisme, notamment les vols low-cost, qui devraient poursuivre leur expansion.
Plus souples que les vols commerciaux d’affaires ou de tourisme, les vols en jets privés, dès l’été 2020, atteignaient ainsi leur niveau de trafic d’avant pandémie. En termes de pollutions comme d’inégalités, ce secteur est pour le moins problématique, puisque qu’un jet pollue entre 5 et 14 fois plus que le même parcours en avion commercial [24]. Dans son rapport de 2020, l’ONG Transport et Environnement souligne que les propriétaires de jets privés disposent en moyenne d’une fortune de 1,3 milliards d’euros. Pour amoindrir cette inégalité, la mise en place de taxes spécifiques sur les vols privés pourrait permettre d’accélérer la transition du secteur aérien.
Quant aux vols low-cost, ce secteur s’est considérablement structuré ces vingt dernières années, au point d’atteindre, en 2018, 21% de la capacité globale de l’aérien commercial. En 2019, les compagnies du segment occupaient 33 % du marché européen. [25] Elles gagnent des parts avec les crises (2001, 2008, 2020) car leur modèle économique est concentré sur les échelles nationale et régionale et sur le voyage de loisir, là où la reprise tend à être plus rapide qu’à plus large échelle.
La pandémie de Coronavirus aura certes stoppé le secteur aérien durant plusieurs mois, mais il devrait reprendre son expansion d’ici 3 à 5 ans.
Aussi, il est délicat d’entrevoir le choix sociétal qui émergera du « monde d’après » : « le même en un peu pire » ? [26] Ou un monde plus complexe et clivant, dont l’aérien serait un révélateur ? A défaut d’engagements rapides et quantifiables du secteur aérien, verra-t-on prochainement des actions en justice « climatiques » qui, après s’être portées sur les États (Pays-Bas en 2018, France en 2019), sur les compagnies pétrolières poursuivies en justice par de grandes villes (New York, San Francisco), pourraient également viser les compagnies aériennes et le secteur aérien ?
L’écriture d’un récit collectif qui aurait pour visée de préserver le monde de la crise climatique et accompagnerait de fait une décroissance des déplacements aériens, ne serait-elle pas pourtant la solution la plus responsable ?
2) Une mutation du secteur par tâtonnements
Face aux travaux du GIEC, de l’Accord de Paris et de la montée en puissance de la demande citoyenne, le secteur aérien a été convié à prendre des mesures pour réduire son impact sur le climat. Sa réponse majeure a été de proposer le programme CORSIA.
A) Le programme CORSIA : trop d’émissions, compensation.
Lors de la 39ème assemblée de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI), le 6 octobre 2016, le programme CORSIA (Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation) a été adopté.
Présenté comme un outil de contrainte (pionnier à l’échelle d’un secteur tout entier) auprès des acteurs de l’aviation civile, efficace dans son objectif de lutte contre le dérèglement climatique, il se distingue à travers un programme de compensation carbone en plusieurs étapes. Il a pour objectif, à terme, de proposer une croissance neutre en carbone à partir d’une année référence (2019) et de compenser la part d’émissions supplémentaires par rapport à cette référence via notamment des projets d’investissements de captation carbone.
La phase pilote (2021-2023) et la 1ère phase (2024-2026) se basent sur le volontariat des Etats membres de l’OACI. À ce jour, 70 États dont la France ont fait part de leur intérêt de participer à ce programme.
Cependant, ce ne sera qu’à partir de la 2nde phase (2027-2035) que l’OACI pourra contraindre les Etats « dont la part individuelle des activités de l’aviation internationale pour 2018 est supérieure à 0,5 % du total mondial ou dont la part cumulative atteint 90 % du total mondial » [27] de respecter ce protocole, sauf exception (les pays insulaires en développement et les pays sans littoral en développement sont exemptés de fait mais peuvent s’inscrire dans une démarche volontaire).
Un bon début ou un leurre ? La question est pertinente, la réponse est sans appel.
Si, en effet, l’aviation civile est le premier secteur de cette envergure à proposer un plan mondial de lutte contre le réchauffement climatique à travers la compensation carbone, celui-ci peut s’avérer être une déviation du vrai problème structurel auquel le secteur fait face, à savoir une croissance de plus de 104 % entre 1990 et 2015 [28] qui n’est pas équilibrée avec une optimisation énergétique de la même ampleur (voir schéma), couplée à un besoin en pétrole en hausse perpétuelle, dépassant même les 7 % du besoin mondial en 2015. [29]
Source : CO2 is in the air, 5 mythes sur le transport aérien
B) Biocarburants, éco-roulage, éco-pilotage, hydrogène et aérostats…
Que ce soit au niveau de l’OACI, des compagnies elles-mêmes ou encore des diverses législations mises en œuvre par certains pays, d’autres mesures de réduction des émissions ont vu le jour.
Le programme CORSIA a mécaniquement contraint les compagnies aériennes à reconsidérer leur impact carbone. De ce fait, bon nombre d’entre elles ont un intérêt (économique) à s’orienter vers ce qu’on appelle les biocarburants.
Il importe de rappeler que la majorité des biocarburants dits de « première génération » utilisés à ces fins sont issus d’huiles végétales (palme, soja, tournesol, colza, etc.), et peuvent donc entrer en concurrence avec la production agricole destinée à l’alimentation (en Allemagne, par exemple, 12 % des céréales produites servent à la confection de carburants [30] ). De plus, des productions comme l’huile de palme peuvent être à l’origine de ravages écologiques. En tenant compte de l’ensemble du cycle, de la production agricole initiale à l’utilisation finale, ces biocarburants émettent au moins autant, si ce n’est plus, de gaz à effet de serre que les combustibles fossiles auxquels ils se substituent [31] .
Leur bilan environnemental est d’autant plus mitigé qu’ils sont à l’origine de tensions sur les marchés agricoles [32]
.
C’est ici qu’interviennent les SAF (Sustainable ou Synthetic Aviation Fuels), encore en phase de développement et sur lesquels tous les acteurs de la filière parient massivement. Ils regroupent deux grandes familles de carburants. D’une part, les BtL (Bio to Liquid), des biocarburants « de deuxième génération ». Airbus a fait une démonstration magistrale de leur potentiel en faisant voler son A380 [33]. D’autre part, les PtL (Power to Liquid). Cette seconde solution étant très consommatrice d’énergie pour sa production (électricité), nous ne la développerons pas ici. Les BtL présentent l’avantage d’être fabriqués à partir de lignocellulose (issue de déchets forestiers, de paille ou à partir de certaines cultures spécifiques), ce qui signifie qu’ils ne font appel ni aux oléagineux ni aux sucres dans leur composition. Dans la théorie, ils ne rentrent donc pas en compétition pour l’usage du sol et de l’eau avec la production alimentaire [34] . Des déchets ménagers communs comme les huiles et graisses récupérées, des déchets urbains solides et des déchets d’exploitation forestière peuvent aussi entrer dans le processus. Selon l’IATA, la réduction des émissions de CO2 globales sur l’ensemble du cycle de vie peut atteindre 80 % par rapport à des combustibles fossiles [35]
Il faut cependant bien évacuer l’idée selon laquelle ce type de carburant pourrait être entièrement décarboné. En France, l’ambition gouvernementale est d’appuyer en faveur de l’utilisation des biocarburants de deuxième, voire de troisième génération (produits à partir d’algues et de bactéries). Ainsi un « Engagement pour la Croissance Verte » (ECV) signé en 2017 par l’État, Air France, Airbus, Safran, Suez et Total, ambitionne de structurer la filière en France et tablent sur la substitution progressive du kérosène par les biocarburants dits durables, d’abord de 2 % en 2025 à 5 % en 2030 [36] puis enfin 50 % en 2050, comme stipulé dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie. Considérant ces ordres de grandeur, les uns n’ont pas vocation à remplacer l’autre dans l’immédiat. Même si, selon les mots du directeur général de l’IATA, c’est le vecteur de décarbonation dans lequel le secteur place précisément ses plus grands espoirs.
Du côté de l’IATA, on table sur 13 % des émissions évitées par le truchement de l’hydrogène et de l’électricité à horizon 2050. [37]
Pour l’utilisation de l’hydrogène comme carburant, il existe en France un fort tropisme principalement du fait de l’engagement pris par Airbus de développer cette technologie en contrepartie de l’afflux de subventions étatiques durant la crise du Covid-19. À la condition de ce soutien de l’État, et de la collaboration internationale, le constructeur promet l’avion tout hydrogène dès 2035, sur des modèles neufs.
Seul l’hydrogène sous sa forme liquide se montre approprié, le stocker obligerait à des modifications importantes de fuselage des avions. Il faut donc repartir d’une feuille blanche. L’hydrogène, peu dense et à l’énergie par unité de volume inférieure au kérosène, est de facto inadapté aux vols longues distances - quand ceux-ci contribuent pour plus de 50 % aux émissions. Ajouté à cela, un tel carburant obligerait au déploiement de nouvelles infrastructures, tant pour la production que le transport ou le stockage. [38]
Il faut préciser en outre, que l’intérêt écologique du recours à l’hydrogène dépend de l’intensité carbone de la production électrique à sa fabrication. Pour le cas d’un mix électrique émettant plus de 180 gCO2 par kWh produit, l’avion à hydrogène devient plus émetteur de CO2 que son parent au kérosène [39]. En l’état, le recours à l’hydrogène ne promet donc pas d’être un levier de substitution efficace au kérosène. Ainsi Boeing, l’autre leader mondial du secteur avec Airbus, l’a pour l’instant laissé de côté.
Maintenant, prenons bonne note que les nouvelles technologies comme les nouveaux carburants se trouveront limités de facto par la disponibilité en ressources d’une part, par l’incompatibilité des infrastructures existantes en l’état d’autre part. Les ruptures technologiques n’interviendront pas à un rythme suffisant pour parvenir à impacter la trajectoire du secteur à horizon 2050 afin de la rendre compatible avec les objectifs de neutralité carbone.
3) Gouvernance, propositions : quelles solutions ?
A) L’objectif E
L’objectif E de la thématique « Se Déplacer » du rapport final de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) orchestrée par le Gouvernement entre 2019 et 2020 a pour enjeu de « Limiter les effets néfastes du transport aérien ».
À travers 7 propositions concrètes et détaillées visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre causées par le transport aérien en favorisant notamment les transports « bas carbone », la CCC rappelle toutefois qu’« à court terme, l’impact sur les émissions sera donc relativement modéré ; mais à moyen terme et long terme, ces mesures contribueront à éviter que les émissions du secteur aérien n’augmentent trop rapidement, avec un effet significatif sur les émissions. » [40].
- Proposition E1 : Eco-contribution kilométrique
L’écocontribution kilométrique (ou taxe carbone sur les billets d’avion) est en vigueur depuis 2020 sur les vols en partance de France métropolitaine (hors Corse et Outre-mer). Elle est progressive (de 1,50 € sur les vols intérieurs et intra-européens en classe éco à 18 € pour les vols hors UE en classe affaire). Certes, les bénéfices de cette taxe tendent à être redirigés vers des projets d’investissements sur des modes de transports plus « verts », leur effet de dissuasion n’est à l’évidence pas efficace. D’autant plus qu’en comparaison de l’exonération sur le kérosène qui représente 7,2 milliards d’euros par an, les recettes fiscales de cette écocontribution devraient rapporter environ 180 millions d’euros [41].
La CCC a ainsi proposé via la proposition SD-E1, afin de créer et propager cet effet dissuasif, de renforcer « très sensiblement » cette taxe sur les billets d’avion : de 30 € sur les vols de moins de 2000 km en classe éco à 400 € sur les vols de + de 2000 km en classe affaire afin de
« mieux refléter les dommages environnementaux liés à l’aviation ».
À travers la proposition SD-E5 « Promouvoir l’idée d’une écocontribution européenne », la CCC met le doigt sur un aspect essentiel de la complexité des enjeux. C’est en réalité un combat à mener à plusieurs, à l’unisson. Si la France peut donner le La dans la mutation du secteur de l’aviation civile afin de tenir l’objectif crucial des 2°C, les enjeux sont multiples et les acteurs nombreux. Sans commun accord à l’échelle européenne, c’est la certitude d’un coup d’épée dans l’eau. Avec un tel accord, ce serait une première étape nécessaire pour réussir ce défi, doublé d’un symbole fort.
- Proposition E2 : La substitution de l’avion par le train -si offre satisfaisante-
Parmi les propositions de la Convention, la question centrale de la substitution de l’avion par le train sur certains trajets a fait l’objet d’un certain consensus.
La proposition SD-E2 consiste à « organiser progressivement la fin du trafic aérien sur les vols intérieurs d’ici 2025, uniquement sur les lignes où il existe une alternative bas carbone satisfaisante en prix et en temps (sur un trajet de moins de 4h) ».
En d’autres termes, un Paris-Bordeaux en avion dure 1h10 et revient approximativement à 70 kg de CO2 par passager quand le même trajet en train dure à peine plus de 2 heures et ne revient qu’à 1 kg de CO2 par passager. Le calcul est relativement simple, le ratio impact carbone/temps investi, limpide.
Il en va de même pour les destinations comme Nantes ou Lyon, et c’est de ce constat que résulte cette proposition : réduire drastiquement l’offre de ces vols dans un premier temps, afin d’en interdire la possibilité dans un second temps.
Pour ce faire, l’Assemblée Nationale a voté l’Article 145 du projet de loi « Climat et Résilience », interdisant ainsi les vols intérieurs là où il existe une alternative « bas carbone » en moins de 2h30. Si la durée de cette alternative (2h30 ? 4h00 ?) pose question, c’est aussi le grand nombre « d’exceptions à la règle » qui suscite des inquiétudes.
Le vrai défi est alors d’améliorer ladite offre de substitution, de l’enrichir. Si un Paris-Bordeaux en avion n’est plus réellement un sujet (l’offre ferroviaire est plus intéressante en termes de budget, de temps, d’impact carbone voire de confort), qu’en est-il des autres axes empruntés massivement ?
À l’échelle européenne, 7% des voyageurs et 11% des marchandises transitent par le rail, pour uniquement 0,5% des émissions de gaz à effet de serre [42]. Si la Commission Européenne a annoncé vouloir doubler le trafic ferroviaire à grande vitesse pour les voyageurs d’ici à 2030, l’enjeu est véritable et nécessite des investissements lourds pour inciter les voyageurs européens à privilégier le train à l’avion sur un maximum de déplacements.
« Sur la période 2014-2020, près d’un milliard d’euros de subventions européennes ont été versés au profit d’une sélection de projets de SNCF Réseau. Ces subventions ont permis d’accélérer la modernisation et le développement du réseau ferroviaire français, et de créer de la valeur au-delà de ses territoires. », annonce la SNCF.
De multiples programmes sont prévus dans le cadre budgétaire européen sur la période 2021- 2027 participant également à améliorer l’offre ferroviaire en France et en Europe. En septembre 2021, un appel à propositions appelé MIE 2 devait être doté de 6 milliards d’euros [43] tandis que la loi de Finances 2023 a opté pour une enveloppe supplémentaire de 800 millions pour le déploiement d’une offre de transports durables [44].
L’incitation à privilégier le train plutôt que l’avion doit trouver des réponses à l’échelle de l’Europe. Seule, la France ne peut produire un impact concret et efficace. Une politique européenne cohérente dans son ensemble au sujet du ferroviaire peut en revanche permettre d’atteindre des objectifs ambitieux, réels et impactants.
B) Loi climat & résilience : quel impact sur le secteur aérien ?
Faisant suite à la Convention Citoyenne pour le Climat, le Gouvernement a adopté la loi Climat & Résilience prévoyant de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 par rapport à 1990. Le Chapitre IV « Limiter les émissions du transport aérien et favoriser l’intermodalité entre le train et l’avion » du Titre IV « Se déplacer » est spécifiquement dédié au secteur aérien.
Certes, les principales propositions de la Convention Citoyenne ont été reprises, avant d’être reconsidérées. Deux mesures principales ont été retenues et ajustées : la fin des vols domestiques lorsqu’existe une alternative en train de moins de 2h30 et la compensation de 100% des émissions sur les vols intérieurs par les compagnies d’ici 2024.
Comme indiqué précédemment, la CCC avait proposé d’interdire les vols domestiques dont une alternative en train existait en moins de 4 heures. De son côté, la loi Climat avait réduit cette durée d’alternative à 2 heures et demie. Cinq lignes sont finalement concernées par les 2h30, contre 23 pour les 4 heures.
Le Réseau Action Climat dans son étude sur « le report de l’avion vers le train » analyse ainsi que « l’impact climatique de cette mesure resterait très limité, puisqu’elle ne permettait de réduire que de 11,2% les émissions de CO2 issues des vols métropolitains, et de 0,8% les émissions de l’ensemble des vols au départ de la France. L’élargissement de ce champ horaire à 4h permettrait de réduire de 33,2% les émissions de CO2 issues des vols métropolitains et de 2,5% les émissions de l’ensemble des vols au départ de la France, soit une multiplication par 3 du bénéfice climat de la mesure » [45].
L’impact de cette mesure parait donc très relatif en nombre de destinations intégrées et en quantité de carbone évité.
Réseau Action Climat, « Climat : que vaut le plan du gouvernement ? », mai 2020
°O°
Conclusion :
Si la pandémie a atteint le secteur aérien comme peu d’autres secteurs au niveau mondial, elle ne l’a pas fragilisé durablement pour autant. Les États du monde se sont mobilisés pour protéger leurs compagnies et aéroports, les différentes prospectives quant à la reprise du trafic
« à la normale » (au niveau de 2019, soit 4,8 milliards de voyageurs) tablent sur 2024 sans compter les perspectives de croissance de 4 % par an jusqu’en 2050 [46]…Non, Le secteur aérien ne semble pas structurellement menacé.
Les politiques mises en œuvre pour atteindre l’objectif des 2°C à la fin du siècle n’intègrent que très modestement le secteur aérien, les compagnies aériennes (et notamment les low-cost) n’ont, semble-t-il, pas intégré l’absolue nécessité d’une transformation amenant ainsi conjointement les usagers à repenser leurs modes de déplacements.
Cependant, la crise climatique nous rappelle tous les jours notre intérêt immédiat et commun à transformer nos usages, à faire baisser drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre alors que le secteur aérien est responsable de plus de 5 % d’entre elles… Oui, le secteur aérien est structurellement menaçant.
Ainsi, pour répondre aux objectifs fixés lors de l’Accord de Paris, le secteur aérien doit se réinventer, se transformer.
En premier lieu à l’échelle des États. Si la France, du fait de la loi Climat & Résilience votée en juillet 2021, affiche une volonté d’aller en ce sens, les faits ne suivent pas les déclarations d’intentions. Le relatif impact de cette loi sur un secteur si énergivore, malgré des recommandations initiales plus impactantes (via la CCC) pose question. Déni de réalité ou incapacité d’agir à notre seule échelle ?
Il paraît évident en effet que l’efficacité nécessaire des actions futures ne pourra s’envisager, a minima, qu’à l’échelle européenne. La France n’en a pas la capacité sans mettre en péril sa filière aéronautique et ses centaines de milliers d’emplois. L’Europe, quant à elle, a un pouvoir d’instaurer progressivement une meilleure justice sociale face au problème climatique en légiférant sur l’aérien.
En revanche, il nous faut être ou devenir instigateurs d’une politique européenne conduite à l’unisson. Si la revalorisation de la taxe carbone, les investissements massifs dans une offre ferroviaire de qualité devenant une vraie substitution à l’avion (tant en offre de transport qu’en emploi) ou une mise en place d’un quota carbone individuel peuvent bien entendu être incités par la France, leur efficacité tangible ne le sera qu’à 27. A cet égard, le récent programme « fit for 55 » [47] est un bon point de départ [48].
Les entreprises du secteur ont quant à elles pour intérêt commun d’anticiper d’ores et déjà l’aviation de demain. Concernant les constructeurs, l’avion vert est une piste mais n’est pas la
solution à tous les problèmes [49]. Il est en effet illusoire d’imaginer un avion neutre en carbone avant la prochaine décennie [50] , or il est temps de stopper l’hémorragie environnementale.
De même, les compagnies ont elles aussi, tout comme les constructeurs, un rôle prépondérant à jouer. Des low-costs bradant certaines destinations, à celles proposant des « vols vers nulle part », toutes ont un devoir moral, éthique. La responsabilité de tout un chacun est nécessaire pour converger vers des solutions d’avenir et un futur durable.
Enfin, il faut rappeler le rôle du citoyen, de l’usager.
L’avion est un marqueur social fort, capitalisant de fait sur un volume de demande très élevé (et très privilégié). Notre rôle à tous, au-delà de la prise de conscience, est de nous questionner sur notre usage de l’avion. Avant-même qu’on nous l’impose collectivement, nous devons peut- être nous restreindre individuellement.
La crise environnementale et les bouleversements qui en découlent nous forcent à considérer l’avion autrement qu’à travers le prisme de la découverte, du voyage ou de la conséquence opportune d’une mondialisation sans limites établies.
Nous continuerons à prendre l’avion, à voir « l’ailleurs ». Mais dans quelles proportions ? N’oublions pas qu’Icare, lui-même, s’était brûlé les ailes.
Les compagnies aériennes et les États semblent s’accorder sur un constat : malgré de potentielles innovations technologiques sur les carburants et les avions, malgré de meilleurs systèmes organisationnels, le secteur aérien restera un secteur fortement émetteur de gaz à effet de serre.
De ce constat difficilement argumentable, certains envisagent que cette incompressibilité des émissions peut être compensée par le financement de programmes dits « à haute valeur environnementale ». Parmi ceux-ci, on trouve la plantation d’arbres, ou d’autres investissements dans les « puits de carbone ». La compensation carbone par la plantation d’arbres est sujette à de nombreuses limites, le rythme de croissance des arbres étant en décalage avec le rythme du changement climatique et la captation de carbone par les arbres n’étant pas sans risque. D’autres part, pousser les compagnies aériennes à compenser leurs émissions sans les réglementer risque de réduire leurs efforts de décarbonation.
Aussi, si l’on veut limiter le réchauffement climatique à moins de 2 degrés, la compensation carbone et l’amélioration de l’efficacité énergétique ne seront pas suffisantes. Une mutation profonde des comportements individuels, des politiques publiques, du logiciel économique et des enjeux industriels sont à intégrer au plus vite.
Le scénario selon lequel « nous y arriverons, coûte que coûte » n’est pas tenable, à moins d’une implication, immédiate, de tous les acteurs, de tous les secteurs, à toutes les échelles.
50 ans après le rapport Meadows, quelques mois après le dernier rapport du GIEC, à l’heure du Green Deal, de la loi Climat & Résilience, du consensus scientifique le plus total, d’une ambition politique construite autour d’une demande citoyenne forte, il n’est plus l’heure de dire qu’ « il est l’heure d’agir ».
Le secteur aérien, comme tant d’autres industries et secteurs, doit se réinventer ou ne sera pas.
°O°
Décembre 2022
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Learning to Fly : The Wright Brother’ Adventure, NASA
[2] World Development Indicators , last update : 08/04/2022
[3] Cour des Comptes, Communication à la commission des finances du Sénat. L’État et la compétitivité du transport aérien. Un rôle complexe, une stratégie à élaborer, septembre 2016.
[4] En Suédois : « La honte de prendre l’avion ».
[5] « World Airline Rankings ». Flight Global. 2018.
[6] Menée à trois reprises par l’État, en 1994, 2018 et enfin 2021, cette fois à hauteur de 9 milliards d’euros.
[7] IATA, communiqué No 10, 1er mars.
[8] Larsson et al. (2019) (Larsson, J., Elofsson, A., Sterner, T., & Åkerman, J. (2019). International and national climate policies for aviation : a review. Climate Policy, 19(6), 787–799)
[9] Qui interviennent dans le processus de formation de l’ozone, un d’autre gaz à effet de serre.
[10] CO2 in the air, Réseau Action Climat, décembre 2015.
[11] Vignon, D. (2022). Pas de décarbonation du secteur aérien sans la capture et le stockage du CO2. Annales des Mines - Responsabilité et environnement, 105, 63-66.
https://doi.org/10.3917/re1.105.0063
[12] Martin Cames, J. & Cook, V., 2015. Emission Reduction Targets for International Aviation and Shipping, EPRS : European Parliamentary Research Service.
[13] Wolrath Söderberg M & Wormbs N (2019) Grounded : Beyond flygskam. European Liberal Forum & Fores think tank.
[14] Gössling, S., & Humpe, A. (2020). The global scale, distribution and growth of aviation : Implications for
climate change. Global Environmental Change, 65, 102194.
[15] 15 Transport & Environnement, Etude prospective sur l’évolution de l’emploi dans le secteur aéronautique et l’aérien en France, septembre 2021.
[16] Aéronautique : un secteur stratégique pour l’économie française , par Guillaume de Calignon. Les Echos, le 10 avril 2019.
[17] Press Release No : 10, IATA. March 2022.
[18] 18 (IATA, juillet 2021).
[19] The Shift Project, Pouvoir voler en 2050 : quelle aviation dans un monde contraint ? , mars 2021.
[20] UBS (2019). Green Power : Will climate change propel the sector towards Hybrid Electric Aviation.
https://www.ubs.com/global/en/inves... ;
étude réalisée sur 6000 personnes de différents pays (États-Unis, Allemagne, Royaume-Uni, France)
[21] Le secteur aérien face à la culpabilité de prendre l’avion, Meziani Héléne, Les Echos Etudes, 29/08/2019.
[22] Eriksson, A. (2021). Shame to cool ? : An empirical study on how Flygskam has affected demand for domestic flights in Sweden. Il a construit à partir de données de plusieurs pays européens un contrefactuel (la Suède si flygskam n’avait pas existé) pour ainsi identifier l’effet du mouvement flygskam.
[23] Chaire Pégase de Montpellier Business School, Voyages d’affaires et visioconférence : quel avenir pour le transport aérien ? , 2021.
[24] Étude ONG : Transport & Environnement, 2020.
[26] Michel Houellebecq, France Inter, le 4 mai 2020.
[27] (Plan de mise en œuvre du programme CORSIA, OACI)
[28] (International Energy Agency)
[29] Jean-Paul Ceron et al., Aviation : Le transport aérien : des efforts engagés encore à l’état d’expérimentation , dans Rapport annuel 2018 de l’Observatoire mondial de l’action climatique non- étatique, Climate Chance, 2018.
[30] Institut fédéral allemand pour l’agriculture et l’alimentation
[31] N2O, release from agro-biofuel production negates global warming reduction by replacing fossil fuels, P. J. Crutzen et al., Atmos.
[32] Selon la FAO, en 2009, un pays comme le Brésil utilisait jusqu’à 50 % de sa production de canne à sucre pour ses biocarburants. Aux États-Unis, c’était 30 % de la production de maïs imparti à la production d’éthanol.
Vanessa Persillet. Les biocarburants de première génération : un bilan mondial mitigé. INRA sciences sociales, INRA - Institut national de la recherche agronomique, 2012, pp.1-7. ffhal-02642405f.
[33] Toutefois, pour un moteur sur les quatre de l’appareil fonctionnant au SAF. Le carburant consommé durant ce vol de trois heures a été produit par Total Energies, et fabriqué à partir d’esters et d’acides gras hydrotraités (HEFA).
https://www.airbus.com/en/newsroom/...
[34] Lycourghiotis, S., Kordouli, E., Sygellou, L., Bourikas, K., & Kordulis, C. (2019). Nickel catalysts supported on palygorskite for transformation of waste cooking oils into green diesel. Applied Catalysis B : Environmental, 259, 118059.
[35] Il faut pour cela prendre en compte l’ensemble des émissions issues de la production de SAF, à partir de la matière première utilisée, des équipements nécessaires aux cultures, le transport des matières premières, le raffinage du carburant, etc.
https://www.iata.org/contentassets/... .
[37] IATA (2021), ‟Net-Zero Carbon Emissions by 2050”.
[38] Vignon, D. (2022). Op. Cit.
[39] The Shift Project, Pouvoir voler en 2050 : quelle aviation dans un monde contraint ? , mars 2021.
[40] (Rapport final CCC, 2020, page 252)
[41] Les propositions de la Convention Citoyenne pour le climat. Se déplacer limiter les effets néfastes du transport aérien. 29 janvier 2021.
[42] Chiffres SNCF Réseau, 2021.
[45] Le train peut-il absorber les voyageurs des lignes aériennes intérieures en France ? , Réseau Action Climat, juin 2021
[46] The Shift Project, 2021
[47] European Green Deal : Commission proposes transformation of EU economy and society to meet climate ambitions, European Commission
[49] The Shift Project, op. cit.
[50] Innover et se rénover : plan de vol pour une industrie aéronautique durable , Florian Gandon & Corentin Lefloch