Après l’exploitation de la mine d’uranium de Saint-Priest-La-Prugne, la veille citoyenne d’un Collectif d’habitants

27 juin 2009

Résumé

L’ancienne mine d’uranium de Saint-Priest-La-Prugne dans la région des Bois Noirs, située à la rencontre des trois départements de la Loire, de l’Allier et du Puy-de-Dôme, fermée en 1980, a laissé des traces. De nombreux résidus radioactifs sont disséminés dans la région : contamination des eaux de certaines zones, remblais composés de résidus de minerai, dont la radioactivité est très fortement supérieure aux niveaux autorisés. De très nombreux sites sont concernés.

L’association Collectif Bois Noirs se bat depuis près de vingt-cinq ans pour obtenir que tous les sites contaminés fassent l’objet d’un traitement systématique pour retrouver les niveaux de radioactivité naturelle qu’elle connaissait auparavant.

Cet article est un témoignage sur une longue veille citoyenne d’un collectif d’habitants confronté à un problème général de société. C’est un exemple de démarches que l’Encyclopédie souhaite développer.


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La nouvelle classification de cet article est :

5.5- Déchets, pollutions et risques
7.4- Recherche et veille citoyennes

Auteur·e

Maussan Arlette

Présidente de l’association Collectif Bois Noirs qu’elle a contribué à créer en 1979, avec des habitants de la région, pour lutter contre un projet de centre de stockage de déchets radioactifs à Saint-Priest-La-Prugne et qui se bat aujourd’hui pour obtenir la décontamination de nombreux sites encore pollués par des résidus de l’ancienne mine d’uranium exploitée jusqu’en 1980.


 Un peu d’histoire

La mine d’uranium de Saint-Priest-la-Prugne, exploitée pendant 25 ans par la COGEMA [1] , a été fermée en 1980.
Vers la fin des années soixante dix, L’ANDRA [2] avait envisagé d’utiliser le site de la mine pour y créer un centre de stockage de déchets radioactifs, du type de celui qui existait déjà à La Hague.

Ce projet avait suscité inquiétudes et opposition de la part des élus et de la population, les habitants se rassemblant dans une association : le Collectif Bois Noirs.

Après plusieurs années de luttes, les élus et le Collectif Bois Noirs avaient obtenu des pouvoirs publics l’abandon de ce projet, très mal situé sur le plan écologique.

Depuis cette date, le Collectif Bois Noirs exerce une veille citoyenne constante vis-à-vis de « l’après mine ». Ce site qui reste soumis à des contrôles et des règlementations administratives afin de respecter les normes de qualité de l’air et des eaux de rejets, recèle en effet des stocks très im-portants de rebuts radioactifs.

Saint-Priest-La-Prugne
Saint-Priest-La-Prugne est situé dans le massif des Bois Noirs à la rencontre des trois départements de la Loire, de l’Allier et du Puy-de-Dôme. Le massif culmine à près de 1 300 m d’altitude au Puy de Montoncel et joue le rôle de château d’eau régional.

Il s’agit, sur le plan géologique, d’une formation en grande partie granitique, comportant d’importantes failles. L’installation d’un centre de stockage de déchets radioactifs y était donc particulièrement malvenue.

Les anciennes activités minières – extraction et traitement du minerai d’uranium - ont encore un impact sur l’environnement de la région. Il reste sur le site COGEMA 1,3 million de tonnes de résidus radioactifs, situés dans l’ancien lit de la Besbre, dans un lac artificiel et derrière une digue de 42 m de haut, recouverts d’une lame de 2 m d’eau.

De plus, une quantité identique de résidus avait été enfouie dans les galeries de la mine, au fur et à mesure de l’exploitation. Ils sont un facteur de contamination de l’air et de l’eau, à proximité du site, voire à des distances importantes comme l’ont révélé plusieurs expertises [3] .

Enfin on a pu faire le constat que des volumes importants de remblais miniers dont la radioactivité a pu être constatée, ont été dispersés dans la région.

Ainsi depuis 1980, le Collectif Bois Noirs participe activement au suivi du dossier de Saint-Priest-La-Prugne. Après s’être opposé au projet de centre de stockage de déchets radioactifs, il poursuit son action, entouré d’élus volontaires, de scientifiques – dont le Groupement des Scientifiques pour l’Information sur l’Energie Nucléaire (GSIEN) et la Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité (CRIIRAD) – et de juristes pour obtenir les décontaminations radiologiques nécessaires avec pour interlocuteur principal l’AREVA mais aussi les services de l’État.

 La démolition de l’ancienne usine de traitement du minerai d’uranium

Après la fermeture de la mine, l’usine de traitement du minerai, dite usine SIMO, subsistait. Après une période d’hésitation quant à l’utilisation des bâtiments pour d’autres usages, il s’est avéré, à la suite de différentes mesures radiamétriques relativement inquiétantes, qu’il était indispensable de les démolir et de décontaminer le site.

Le rôle du Collectif Bois Noirs a été alors de suivre au plus près le chantier de démolition et de décontamination de la SIMO et tout particulièrement d’obtenir des mesures de précaution relatives aux conditions de travail des ouvriers risquant d’être soumis pendant la durée des travaux à des poussières dangereuses (il faut, pour y remédier, arroser en permanence pour faire tomber ces poussières). Le Collectif Bois Noirs s’est aussi montré vigilant sur les conditions de stockage de tous ces résidus dans l’ancienne mine à ciel ouvert.

 La gestion des eaux

L’enquête publique concernant le dossier de démolition de cette ancienne usine, a appelé de nombreuses remarques, en particulier pour la gestion des eaux au niveau de l’ancienne mine à ciel ouvert (MCO).

Les conclusions du rapport de l’École des Mines avaient justifié les doutes du collectif quant à l’efficacité des drains de cette mine à ciel ouvert (seulement 10 % des eaux des eaux de pluie reçues sur la MCO ressortent à l’endroit prévu ; on ne sait pas où passent les autres 90 %).

Ce qui était évident pour les riverains avec leur simple bon sens, il a fallu à l’administration et à la COGEMA plusieurs années avant de le reconnaître.

Cette même expertise a montré des dysfonctionnements da ns la gestion des eaux du site COGEMA. La COGEMA a tenté de les résoudre par des traitements chimiques, sans remonter suffisamment à l’origine de la dégradation de la qualité de l’eau au niveau de la station de traitement.

Depuis des années, la CRIIRAD avait pourtant signalé des anomalies radiologiques sur les eaux du site minier mettant en évidence l’incapacité de la COGEMA à gérer ce problème comme à en comprendre l’origine.

La CRIIRAD
Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la RADioactivité dont le but est de défendre le droit à l’information sur la radioactivité et le nucléaire, créée en mai 1986 au lendemain de Tchernobyl, la CRIIRAD est une association de la loi de 1901. Elle revendique d’être indépendante des exploitants du nucléaire, de l’État et de tous partis politiques.

Il s’agit d’une structure à la fois bénévole et salariée. Elle dispose d’un laboratoire scientifique et a réalisé plus de 1 000 études ou expertises.

 La dispersion des remblais miniers

Mais à côté des contrôles de l’eau auxquels est soumise la COGEMA et des traitements nécessaires afin de respecter des valeurs règlementaires, un autre problème a été révélé lors de l’expertise radiologique de 2004 : la dispersion des remblais miniers.

Au cours de la période d’exploitation de la mine, la COGEMA était encombrée par d’importants volumes de « stériles », minerai trop pauvre pour être utilisé d’une manière rentable. Au fil des années, ces « stériles » ont alors été largement offerts aux riverains pour remblayer les plateformes de scieries, des cours de fermes, des routes et des chemins, des parkings, etc.

Mais il s’est avéré que ces remblais n’étaient pas toujours « stériles ». Les nombreuses campagnes de relevés que le Collectif Bois Noirs a effectuées, avec l’appui scientifique de la CRIIRAD, l’ont montré.

Ces constats ont entraîné de très nombreux et très longs débats. Dès qu’un problème lié à la dispersion des remblais était signalé par la CRIIRAD et le Collectif Bois Noirs, la COGEMA avait tendance à le contester puis elle minimisait les valeurs radiologiques des mesures avant d’accepter, au terme de multiples discussions, de pratiquer les décontaminations de terrains qui s’imposaient.

Ainsi, pour une dizaine de parcelles, le même scénario s’est reproduit.

  • Le premier terrain décontaminé a été une plateforme de scierie, sur la commune de Lavoine, repérée facilement par la CRIIRAD car les appareils de mesure s’affolaient au passage de la voiture du technicien sur la route. En 1996, des mesures superficielles faites par la COGEMA avaient cependant rassuré le propriétaire. Mais, méfiant, celui-ci a par la suite accepté qu’une nouvelle expertise complète soit faite dans le cadre de l’enquête radiologique d’ensemble (décidée en 1998 et dont les résultats ont été présentés en 2004). Ultime complication, il nous a fallu convaincre la DRIRE Rhône-Alpes, car cette scierie, pourtant voisine du site COGEMA se trouve, en fait, sur le département limitrophe de l’Allier en Région Auvergne !

La COGEMA s’est acharnée à contester ces anomalies malgré des preuves évidentes :

 les valeurs radiamétriques étaient telles qu’elles étaient perceptibles de la route ;

 les mesures de radon dans le local d’affûtage ont atteint des taux records ce qui a conduit la CRIIRAD à alerter l’inspection du travail ;

 des mesures effectuées par hélicoptère ont fait apparaître de façon éclatante la présence de ce « point chaud ».

En 2002, finalement la COGEMA a dû mettre en œuvre la réhabilitation de la plateforme de la scierie et a fait décaisser, à ses frais, 8 000 m3 de remblais....

  • Le deuxième terrain, une cour de ferme, à Saint-Priest-la-Prugne a aussi été décontaminée après de longues étapes et de nombreuses discussions : non acceptation de la COGEMA, minimisation des valeurs, pour arriver enfin à la réalisation des travaux de décapages. La COGEMA prétendait au départ enlever quelques « brouettes » mais c’est 17 camions de remblais qui sont finalement retournés sur son site.
  • Le parking du centre de loisirs privé du Paradou, à Saint-Priest-la-Prugne a été décaissé par petits morceaux, toujours dans le but de banaliser le problème et de rassurer la population.
  • Le hangar du Moulin Thiennon, comme la scierie de Lavoine, signalé par la CRIIRAD, puis par la propriétaire dans le cadre de l’inventaire de 2004, très nettement visible sur la carte héliportée du CEA-DAM, a enfin été décaissé par la COGEMA, fin 2007.
  • L’ancienne usine Mercier, signalée dans le cadre de l’inventaire de 2004, repérable sur la carte des mesures héliportées du CEA-DAM, n’a été décaissée qu’après divers événements : incendie, vente à la municipalité... Or cette usine, avec des employés et une partie habitation n’a pas été contrôlée pour le radon et n’a été décaissée qu’à la suite d’une décision de la municipalité d’y réaliser un lotissement.
  • La cour de l’école de Lachaux [4] , remblayée par des « stériles » des mines d’uranium de Lachaux, signalée depuis très longtemps par une association du Puy-de-Dôme, a été décapée au cours de l’été 2006, suite à des mesures faites par des étudiantes, en stage à la CRIIRAD. L’intervention de la CRIIRAD a obligé l’administration et la COGEMA à reconnaître enfin la nécessité de cette réhabilitation.
  • Grâce, en plus, à la volonté des responsables du foyer de ski de fond de Montoncel, et sans doute aussi des retombées médiatiques de l’émission télévisée « Pièces à Conviction », le parking de ce foyer vient de bénéficier d’une mesure de réhabilitation (mai 2009).
  • Enfin, il a parfois été très difficile de reprendre certaines « pierres de collection », en réalité des blocs de minerai venant de l’exploitation de la mine d’uranium, parfois hautement radioactifs, en bonne place comme élément décoratif, sur la cheminée ou sur un buffet, dans certaines familles.

De nombreux autres lieux restent encore à décontaminer (anciennes scieries, garages, routes et chemins…).

Bien sûr, comme le dit la COGEMA, les gens ne séjournent pas très longtemps à chaque endroit, et chaque fois, la COGEMA trouve des valeurs radiologiques faibles et bien sûr, nous affirmons le contraire…

Selon son habitude, la COGEMA jongle avec les chiffres et avec des modes de calculs minimalistes.

Nous voulons que tels et tels sites soient décapés mais la COGEMA, et très souvent aussi les services de l’État en charge de la gestion de « l’après-mine », trouvent que c’est inutile, que cela coûte cher, que « les gens se sont servis largement » de ce matériau…

Ramener des remblais sur la mine à ciel ouvert du site COGEMA est une solution qui ne pourra pas convenir très longtemps en raison de l’important volume qui reste à décaisser.

L’ancien exploitant perd de son « aura »…

Nous avons gagné quelques batailles, nous continuerons pour en gagner d’autres jusqu’à ce que la région retrouve des valeurs radiologiques semblables aux valeurs naturelles.

Nous devons poursuivre inlassablement notre travail avec l’appui des scientifiques, des techniciens, des juristes spécialistes de ces questions et des élus qui nous aident : multiples interventions auprès des pouvoirs publics, participation à des réunions – de la Commission Locale d’Information et de Surveillance (CLIS), par exemple – ; organisation de rassemblements, parfois de nature symbolique, et en même temps multiples actions d’information de la population utilisant les médias régionaux et nationaux comme par exemple notre participation à l’émission de FR3 Pièces à conviction du 11 février 2009.

Les habitants ne doivent pas être pénalisés par des risques sanitaires sur leur propriété et dans les lieux publics qu’ils fréquentent. Ils ne doivent pas être pénalisés non plus par des restrictions d’usages et des dévalorisations de bâtiments ou de terrains. Ils ne sont pas responsables de la dispersion des remblais contaminés lors de l’exploitation minière. Ces remblais auraient dû être contrôlés systématiquement, au moment de leur sortie du site de l’ancienne mine COGEMA, pour certifier qu’ils étaient véritablement des « stériles ».

Il est de la responsabilité de l’ancien exploitant et des pouvoirs publics de rétablir la sécurité par rapport aux nuisances de ces résidus de l’exploitation de la mine d’uranium, un héritage encombrant et éternel.

Arlette Maussan

Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[1Compagnie Générale des Matières Nucléaires, aujourd’hui AREVA

[2Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l’ANDRA est un établissement public industriel et commercial chargé de l’ensemble des déchets radioactifs en France et du pilotage des recherches les concernant. Elle est placée sous la tutelle des ministères en charge de l’énergie, de la recherche et de l’environnement.

[3Rapport de l’École des Mines de Paris de 2004 et expertise CRIIRAD de 2008.

[4Une autre mine d’uranium avait été exploitée jusqu’en 1955 sur la commune de Lachaux dans l’Allier, non loin de Saint-Priest- La-Prugne.

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 Bibliographie

 Débattre publiquement du nucléaire, Cahiers de Global Chance n° 12, novembre 2006.

 Compte-rendu de la Commission particulière du débat public « Gestion des déchets radioactifs », janvier 2006.

 Ancien site minier uranifère des Bois Noirs Limouzat, une contamination durable, bilan du suivi radiologique 2006-2007, CRIIRAD, 1er juillet 2008.

 Lire dans l’encyclopédie

* Benjamin Dessus, Énergie nucléaire et développement durable, N° (37) , Mai 2007.

* Benjamin Dessus, Introduction à l’énergie, N° (24) , Janvier 2007.

* Monique Sené, Les déchets radioactifs, à paraître

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