Le développement de Paris et de sa couronne : une dynamique du paysage

26 juillet 2010

Résumé

L’article nous invite à une promenade géomorphologique à travers le site de Paris et de ses deux couronnes. Il s’attache à resituer, au cœur des problématiques de son aménagement, les espaces, les paysages - magnifiés par la Seine -, l’histoire de ses lieux…
Autant d’éléments constructeurs de l’identité culturelle du site et de sa reconnaissance par ses habitants.

Auteur·e

Fortier Kriegel Anne

Anne Fortier Kriegel, architecte paysagiste, est titulaire d’un doctorat à l’École des hautes études en sciences sociales. Professeur à l’École d’architecture de Lille et chargée de mission d’Inspection générale sur les sites au Conseil général des ponts et chaussées. Conseiller technique au Cabinet de la Ministre de l’environnement en 1992/1993, elle est l’auteur de plusieurs ouvrages dont « Les paysages de France ».


Le site de Paris est resté depuis « la communale » dans la mémoire de tout un chacun comme l’image « d’une cuvette avec des bosses ». Ce site, pourtant bien dessiné par l’érosion des eaux, n’est plus un enjeu pour les aménageurs, en revanche, il est entièrement présent et vécu comme élément identitaire par les Parisiens qui, quotidiennement montent à Montmartre ou descendent de Ménilmontant. Évoquer les caractéristiques liées à l’histoire comme les qualités physiques de Paris, permet de revisiter le site géographique en le comprenant mieux, pour proposer de meilleures perspectives à l’aménagement. La description de la géomorphologie du site de Paris peut servir d’introduction aux interrogations posées par le débat actuel qui nous paraît souvent centré sur des concepts abstraits de densité, de hauteur, de financements. Parce que la question de l’espace n’est plus centrale dans les débats sur l’aménagement, qu’elle semble, selon certains, être entrée « en clandestinité », il convient de retrouver une vue d’ensemble éloignée de la mise en œuvre fragmentaire qu’on voit souvent se profiler. La question du site nous parait être celle qu’il convient de reposer. Le paysage constitue la matière sensible du développement durable et permet l’économie, la sociabilité comme la création écologique.

 La géographie du site originel de Paris et de ses deux couronnes

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Paris et sa petite couronne

La géographie comprend le fond de vallée avec le fleuve formé par le méandre central, les îles, le plateau et les versants qui rattachent les deux niveaux ; celui du lit élargi après les glaciations d’une part et des plateaux d’autre part. Ainsi, à la Défense, on peut distinguer parfaitement le niveau du lit inférieur du fleuve, aujourd’hui recouvert par l’urbanisation de Nanterre. Plus loin, le profil noir de la forêt de St-Germain situe le méandre au début du quaternaire et, juste au-dessus, la ligne d’horizon des plateaux.

On le voit, le site de Paris est lié à une suite de formations géographiques sur lesquelles se sont implantés des aménagements qui ont contribué à alimenter l’imaginaire des Parisiens. La « cuvette », attachée à notre mémoire a été engendrée par un méandre profond dont le cœur est l’Ile de la Cité et, dont le dénivelé des hauteurs de Montmartre paraît important. Elle est d’abord formée :

  • par un relief convexe au nord de l’Ile de la Cité.
    Si l’on suit les eaux du fleuve d’est en ouest, on découvre ainsi : la plaine suspendue de Vincennes, les contreforts de Romainville sur lesquels se sont implantés les vieux villages de Charonne, Belleville comprenant une série de lieux identifiables comme le Père Lachaise -terrasse de ce premier cœur de Paris- , les Buttes-Chaumont -en position de retournement- puis le col de la Chapelle, le canal de l’Ourcq, Montmartre et sa butte-témoin, rendue plus visible encore par l’architecture du Sacré- Coeur, le Col de Monceau, puis la Butte de Chaillot sur le revers de laquelle est implanté le bois de Boulogne.
    La partie nord fonctionne comme un amphithéâtre dont l’Ile de la Cité est la scène centrale.
  • par un relief concave au sud de l’Ile de la Cité. Cheminant toujours d’est en ouest on découvre :
    l’arrivée de la Bièvre, le jardin des Plantes, la Halle-aux-Vins, l’esplanade des Invalides, l’Ecole militaire, la plaine de Vaugirard. Le long de la Seine, cette partie a été une zone de marécages, un espace longtemps peu construit qui a accueilli, à certains endroits, tout ce dont la ville « ne veut pas ». L’ancienne cité romaine s’était d’ailleurs implantée plus au sud, à l’abri des inondations sur le versant sud de la colline Ste- Geneviève.
    Les masses bâties comprimées dans le plafond haussmannien ont, à leur tour, marqué par le volume de leur hauteur l’espace parisien, mais elles ont laissé perceptibles les reliefs de la capitale. Les Buttes-Chaumont, Montmartre, les collines de Chaillot, le Mont-Valérien, la Butte-aux-Cailles, sont ressentis comme des éléments de la géographie de la ville. Par ailleurs, deux « chenaux » au sud-est et au sud-ouest permettent les rapports visuels entre le cœur de la capitale et ses parties plus éloignées. A Paris, on bénéficie de vues qui fonctionnent comme des ricochets, ainsi la Grande Arche est comme le rappel, le ricochet contemporain de l’Arc de Triomphe. A cela s’ajoutent les axes historiques le grand axe qui part du Louvre et va rejoindre la forêt de St-Germain, celui de Vincennes-Nation, et l’axe qui retrouve St-Denis au nord.
    L’ensemble contenu à l’intérieur de la cuvette dessine le bassin visuel de Paris. La fermeture de l’espace parisien historique : outre la configuration géographique, cet espace historique a encore été marqué par la succession des enceintes qui cernent les agrandissements de la capitale. De l’enceinte de Philippe Auguste à celles des fermiers généraux, Paris est contenu jusqu’au XVIIIe siècle dans le bassin visuel originel. Au XIXe siècle, la fortification de Thiers, détermine les annexions de communes par Haussmann mais fait sortir la ville du bassin originel.
    Dans l’entre-deux-guerres, les immeubles HBM d’une hauteur plus élevée que les constructions du XIXe siècle ont ceinturé à leur tour Paris, accentuant l’effet de fortification.

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La grande couronne ou le grand Paris

L’enceinte de Thiers sort pour la première fois du bassin visuel et installe la ville à l’extérieur de la cuvette. Cette enceinte prend déjà position sur le plateau d’Orly au sud. L’urbanisation se profile alors et la ceinture forestière semble être le seul élément capable de marquer la limite entre la ville et le début du territoire.

Un ensemble d’entités géographiques constituées par des reliefs caractérise par ailleurs le grand Paris :

En aval de Paris, une succession de boucles très serrées, parallèles à la direction du lit glaciaire, s’arrêtent à la forêt de St-Germain.. On retrouve notamment la plaine suspendue de Versailles, les collines de Marly et des Alluets.

En amont de Paris, un grand triangle de confluence dominé par les horizons des plateaux. Ce triangle développé par le méandre de St-Maur est occupé en son centre par la butte de Mont-Mesly. Il est délimité par le plateau d’Orly, par le plateau de Brie et le plateau de Romainville. Au nord, la plaine de France est elle-même limitée par le plateau de Romainville et les collines de Chelles.

Entre les niveaux bas du fleuve et les horizons supérieurs des plateaux, on repère des différences des dénivelés de plus de 100 mètres de hauteur.

La ceinture forestière cerne l’ensemble et donne au cœur de la capitale un horizon arboré. Celui-ci est une des caractéristiques du paysage parisien. La ceinture est marquée à l’aval et au sud des boucles par les forêts de Verrières, Meudon, Ville d’Avray, Malmaison, Marly, à l’amont et au sud-est par les grandes forêts de Sénart, les bois de la Grange, les bois de Notre-Dame, la forêt d’Armainvilliers, au nord des boucles, par les buttes arborées de Cormeilles et la forêt de Montmorency.

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 L’aménagement du site parisien : quel questionnement ?

L’irrigation par le fleuve Seine du site parisien confère à ce dernier des qualités qui commandent aux orientations à retenir pour son aménagement.

La Seine ouvre sur le ciel l’horizon de Paris

Une présentation du fleuve nous semble ensuite utile pour introduire la question paysagère et peut-être aussi, celle plus poétique, de l’horizon. Cet aspect permet de comprendre autant la qualité de la lumière que la couleur dont Paris est imprégné. Artère principale, la Seine a été le moyen de communication et de transport. Michelet disait qu’elle était « la grande rue » et Balzac qualifiait les Grands Boulevards, hauts-lieux du commerce au XIXe siècle, de « Seine sèche ». Le Parisien le constate tous les jours dans le périple de son trajet quotidien, elle est restée le fil conducteur qui a servi d’ancrage au développement de la ville. Mais, le fleuve est beaucoup plus que l’élément fondateur de l’aménagement car les eaux du fleuve s’ouvrent sur l’horizon, captent encore la lumière du ciel qui, selon le poète, est violette à Paris :

« O, l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux »,

Arthur Rimbaud, Voyelles.

Dessin de Paul Checcaglini

De la rive droite à la rive gauche, le cours des eaux marque une orientation est-ouest. Est-ouest, le temps du cycle du jour, de l’année ou de celui de la vie. Cette orientation liée à la course du soleil anime depuis longtemps le rythme de la vie des Parisiens. C’est sur ce fil conducteur réel et pas seulement poétique, les eaux du fleuve, que se sont accrochés les plus beaux espaces comme les plus belles vues de la capitale. La place de la Concorde, les Invalides, le Cours-la-Reine, le rond-point des Champs-Elysées, le parc des Tuileries, le jardin des Plantes, le bassin de l’Arsenal, Bercy en sont autant d’illustrations... La Seine est donc ce lien qui relie « les perles » spatiales, établit les correspondances, permet les plus beaux vis-à-vis, expressions de l’excellence de l’art de l’aménagement à la française. Le site, comme l’horizon de Paris, apparaît ainsi à la fois dans sa dimension poétique, poïétique [1] et politique.

Quelques questions à propos de l’aménagement de la capitale

Trois types de questions peuvent être abordés.

  • Quel confortement pour les lieux fondateurs ?
    Les sites culturels ou géographiques peuvent-ils être capables de servir de liaisons entre le cœur historique et la banlieue pour établir des jalonnements utiles ? Doivent-ils donner lieu à des opérations de mise en valeur de l’espace ? A titre d’exemple, le Landy qui a été l’espace de rassemblement de tous les peuples de Gaule, le lieu qui gardait le pays et dont les rois de France ont reconnu la permanence est aujourd’hui recouvert par un hangar TGV, peut-il encore faire l’objet d’une reconquête ? D’autres éléments plus tardifs mais aussi symboliques comme les forts doivent-ils faire l’objet de projets ?
  • Quelle place pour la Seine ?
    Faut-il considérer que l’espace de la Seine doive rester un lieu de respiration pour la ville ou au contraire que la hauteur des constructions -IGH d’Issy-les-Moulineaux, Masséna- Brunesseau et Bercy-Poniatowski- du Front de Seine du XVe arrondissement puisse servir pour magnifier les qualités propres du site ? N’y a-t-il pas, de manière plus globale, un danger pour la vie même de la ville à boucher le fond de la cuvette ? Est-il souhaitable de construire des immeubles de grande hauteur –IGH- le long de la Seine et sur la ceinture dans la perspective d’un paysage parisien harmonieux dans les cinquante années à venir ? Ne transforme-t-on pas, en implantant des tours, les horizons d’un fleuve de plaine en celui d’un fleuve de canyon ? Les tours ne peuvent-elles pas être elles-mêmes conçues comme des îles ? Quelles ambiances paysagères doit-on introduire sur les îles de la Seine notamment l’Ile Monsieur -à reconstituer-, l’Ile St-Germain, l’Ile de la Jatte ? La fermeture de l’espace avec le bassin visuel, les effets de ricochets doivent-ils être pensés en fonction du site ?
  • Faut-il renforcer l’effet de ceinture du Paris historique ?
    Sachant que les sites actuellement retenus par le maire de Paris se rattachent au renforcement de l’effet de ceinture -Clichy-Batignolles, porte de la Chapelle, porte de Montreuil, Bercy-Charenton, Masséna-Brunesseau, porte de Versailles- quel débat peut-on engager pour éclairer les décisions ? Faut-il trouver des liens rayonnants du cœur à la grande couronne ? Doit-on encore réfléchir au rétablissement pour les deux cents ans à venir des axes historiques ? Quelle importance donner à un jalonnement de projets -y compris par IGH- et comment pourraient-ils être imaginés sur le grand axe est-ouest Porte Maillot – Neuilly ? Cergy ? Nation -Vincennes ? Ou sur l’axe vers St-Denis ? Peut-on travailler à conforter les horizons boisés et plus généralement à renforcer les ambiances paysagères ?

La réflexion doit aujourd’hui se poursuivre sur ces questions car, dans le grand débat lancé depuis le printemps, peu d’équipes les ont finalement traitées. Si, pour répondre à l’enjeu posé, il apparaît que seul C. de Portzamparc ait engagé un effort de pédagogie pour expliquer le fait métropolitain contemporain. Si, dans ce cadre, il nous remémore que la métropole ne correspond plus à la ville classique inscrite dans l’imaginaire commun car le lien [2] entre l’îlot et la rue est rompu et que partout les lieux sont aujourd’hui bloqués. Les projets présentés à travers les images montrées par les dix équipes dans l’exposition du Trocadéro laissent souvent le Parisien perplexe.

Le besoin essentiel des populations de lire, de connaître et de se reconnaître a contribué à donner au site de Paris une identité culturelle propre et aussi à le rendre lisible. La lisibilité permet d’être un habitant d’un lieu car elle donne la possibilité de se repérer, de se situer, de se positionner pour se déplacer et se mouvoir à l’intérieur même du site. L’identité attachée au culturel fait naître l’appartenance liée au sentiment de citoyenneté et de sécurité

Anne Fortier Kriegel

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Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[1Etude des potentialités inscrites dans le site pour déboucher sur des créations nouvelles

[2Symbolisé par les divinités grecques, Hestia, déesse du foyer et Hermès, dieu du transport et du commerce

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 Bibliographie

Pour en savoir plus

 Masboungi Ariella, Penser la ville par le paysage, Paris, Editions de la Villette, 2002

 Picon Bernard, Entre la société et la nature, le regard. In : le paysage, pourquoi faire, Actes du colloque organisé par l’Université d’Avignon, 1996

 Fortier-Kriegel Anne, L’avenir des paysages français. Fayard, 2005

 Cabanel Jean, Paysage, paysages, Editions Jean Pierre de Monza, Paris 1995

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