Le commerce équitable : une démarche exemplaire ?

14 octobre 2008

Résumé

En dépit des crises qui l’ont affecté tout au long du siècle dernier, le commerce mondialisé demeure inscrit dans le cadre du Consensus de Washington, promoteur d’un libéralisme pur et dur.
Pourtant, des citoyens consommateurs, désireux d’une économie plus soucieuse de la protection de la nature et du respect de l’humain, mettent en pratique le commerce équitable en soutien aux communautés défavorisées du Sud.
Si le commerce équitable occupe une place marginale dans l’économie mondiale, sa diffusion, confortée par une législation adaptée,participe de la promotion du développement durable.


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La nouvelle classification de cet article est :

4.2- Economie plurielle

Auteur·e

Van Hoove Jean-Paul

Jean-Paul Van Hoove, ingénieur mécanicien, initialement spécialiste du traitement du signal et des phénomènes vibratoires dans le secteur de l’automobile, puis au ministère en charge de l’équipement, a terminé sa carrière professionnelle à la direction de la recherche de ce ministère en s’intéressant plus particulièrement à la veille technologique et au développement durable. Il est un militant syndical, politique et aussi associatif, dans les domaines de l’économie solidaire (Artisans du Monde, Centre de documentation du Tiers-Monde de Paris, Action Consommation) et de la solidarité avec l’Afrique. Il rédige et diffuse chaque mois un agenda des actions africaines en région parisienne.


Le libéralisme, qui repose sur l’idée que le marché se régule de lui-même est devenu l’idéologie dominante ; c’est sur cette base que s’organisent actuellement les échanges internationaux. La libéralisation des échanges est un des moteurs de la mondialisation. L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), créée en 1994, est l’instrument de cette politique qui consiste en particulier à interdire aux Etats toute entrave au libre commerce et à les sanctionner en cas d’infraction.

Les prérogatives de l’OMC pour arbitrer les conflits commerciaux sont censées garantir à ses membres des conditions équitables. [1]. Mais peut-on parler d’équité dans les échanges quand les règles du commerce international sont imposées par les pays du Nord ?

D’un coté, la “main invisible” du marché ne rémunère pas suffisamment les facteurs de production humains, de l’autre, la théorie des avantages comparatifs ne s’applique que s’il n’y a ni déséquilibre dans l’information ni position dominante. Enfin, les principales ressources en devises des Pays En Développement (PED) proviennent de deux marchés marqués par l’instabilité et la spéculation [2], celui des produits agricoles et celui des matières premières. Ainsi, les progrès technologiques, les évolutions politiques et économiques, la libéralisation des marchés ont permis aux transnationales de contrôler de plus en plus les flux du commerce international.

Le seul choix des producteurs locaux reste alors de travailler pour les multinationales qui ne réinvestiront pas les bénéfices dans leur pays. L’ Investissement Direct Extérieur (IDE) et les termes préférentiels du commerce supposés corriger ces déséquilibres ne vont qu’aux pays en développement les plus dynamiques et contribuent encore à la marginalisation des plus pauvres. Ainsi, les clauses dérogatoires (traitement tarifaire préférentiel, principe de non réciprocité) dont les PED devraient bénéficier ne sont que théoriques. En réalité, les accords de libéralisation sont biaisés en faveur des pays du Nord qui protègent leurs propres marchés, privant les PED de leurs avantages comparatifs.

60 % des réserves énergétiques de la planète sont consommés par moins de 20 % de ses habitants [3]. De plus, à l’intérieur des pays riches, l’écart entre les populations aisées et pauvres s’agrandit [4]. Près du quart des travailleurs du monde ne gagne pas assez pour s’élever avec sa famille au dessus du seuil de pauvreté [5].

Ainsi, la critique la plus sévère sur la mondialisation concerne les inégalités qu’elle crée.

 S’inscrivant dans le refus de ces inégalités, des citoyens se sont mobilisés pour le développement d’un autre type de commerce, le commerce équitable.

On estime que 5 à 6 millions de personnes vivent mieux grâce au commerce équitable, ce qui correspond à environ un million de travailleurs [6] .En 2004, les produits du commerce équitable ne représentaient que 1/5 000e du commerce mondial et 1/000e du commerce entre l’Europe et le Tiers-Monde [7]. La croissance annuelle de ce type de commerce dans le monde est soutenue (37 % en 2005 pour un total de ventes de 1,1MD d’euros selon Fair trade). Presque totalement inconnu dans certains États européens mais très implanté dans d’autres, le commerce équitable a vu ses ventes globales en Europe atteindre le chiffre de 660 millions d’euros en 2005 contre 373 en 2001.

En 2002, un français dépensait 0,3 euros en achats commerce équitable, un hollandais 2 euros, un suisse 10 euros. Si l’on considère que l’offre ne concerne encore que l’artisanat et quelques produits agricoles tropicaux,on peut estimer qu’il y a encore de fortes marges de progrès.

 Le commerce équitable : caractéristiques, genèse, mise en oeuvre

Qu’est-ce que le commerce équitable ?

Le commerce équitable Nord-Sud est fondé sur les principes de partenariat durable et égalitaire et de respect réciproque qui humanisent le processus commercial et contrecarrent la pure logique de marché.

Les participants signent une charte qui définit les bases contractuelles de l’échange fondé dans la durée, sur la transparence organisationnelle, économique et financière.
Tous les modes de faire des organismes de commerce équitable reposent à des degrés divers sur l’application de règles
garantissant pour le produit proposé à la vente sa qualité :

  • sociale, à travers le respect des règles de l’OIT (Organisation Internationale du Travail), notamment en ce qui concerne le
    travail des enfants et l’adoption d’un fonctionnement démocratique, quant à la participation des femmes en particulier ;
  • et environnementale, par le choix d’une activité respectueuse de l’environnement.

Les organisations locales choisissent l’affectation des bénéfices de leur activité. Les bénéfices profitent à toute la communauté dont ils assurent ainsi l’auto-développement.

En contrepartie,les structures du Nord s’engagent à :travailler également sur la durée, garantir un juste prix (voir l’encadré : “La question du juste prix”), préfinancer si possible les commandes, trouver de nouveaux débouchés, sensibiliser l’opinion et mener campagne en faveur du changement des règles du commerce international conventionnel.

Quelle a été la genèse du commerce équitable ?

Après la crise de 1929, puis celle de l’après-guerre de 1939-45, crises toutes deux attribuées à l’insuffisante régulation de l’économie mondiale, les pays industrialisés ont cherché à reconstruire une organisation plus stable. Ainsi, naît en 1964 la notion d’un commerce plus équitable avec la première Conférence des Nations Unies sur le Commerce Et le Développement (CNUCED). La création,en 1967, aux Pays-Bas, de la première organisation d’importation solidaire précède la conférence de Delhi où les PED demandent “du commerce, pas de l’aide”(Trade not Aid).

Dès 1977, la CNUCED, préconise un “nouvel ordre économique mondial” pour améliorer les termes de l’échange grâce à des prix justes et équitables. La Charte des droits et devoirs économiques des Etats précise cette notion en proposant d’indexer le prix des exportations des PED sur le prix de leurs importations. Les rapports de force du commerce international firent avorter la concrétisation de cette idée d’équité. Néanmoins, l’idée fit son chemin parmi les économistes de l’ONU pour resurgir en 1990, lorsque le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) publia son premier rapport sur le “développement humain” mesuré à partir de variables non exclusivement économiques.

Parallèlement à l’adhésion progressive des opinions publiques aux idées du commerce équitable, la société civile se mondialise et constitue un contre-pouvoir efficace face aux forces économiques :

  • en 1989, l’ IFAT (International Federation for Alternative Trade) met en rapport producteurs du SUD et importateurs du NORD ;
  • en 1990, l’EFTA (European Fair Trade Association) réunit les importateurs européens ;
  • en 1994, NEWS (Network for European Worldshops) regroupe les différents groupes et associations de boutiques
    de commerce équitable européennes ;
  • en 1997,FLO (Fair Trade Labelling Organization) devient responsable de l’établissement des normes internationales du
    commerce équitable,de la certification,de la production et du contrôle des échanges effectués selon ces normes, ainsi que de la labellisation des produits ;
  • en 1998, FINE [8] réunit ces quatre réseaux du commerce équitable.

La présence de représentants de ces instances dans les différents “Forum Sociaux Mondiaux” (FSM) ainsi qu’aux rassemblements de la mouvance altermondialiste, en marge des réunions de l’OMC, montre que la société civile se sent concernée et s’organise au niveau mondial.

La part grandissante de l’opinion publique en phase avec les revendications des PED face à l’intransigeance des nations du Nord est peut-être l’une des causes des échecs relatifs des dernières conférences ministérielles de l’OMC : Cancun en 2003 et Hongkong fin 2005 [9]

Comment se déploie l’activité du commerce équitable ?

Le commerce équitable est aujourd’hui mis en oeuvre, pour l’essentiel, par un travail militant d’associations de solidarité Nord-Sud, et d’entreprises à finalité solidaire. La plupart sont en contact direct avec les producteurs et se retrouvent réunies dans le cadre de la Plate-Forme du Commerce Equitable (PFCE) ou du réseau Minga. Dans la chaîne qui va du producteur au consommateur, les segments occupés par les organismes de commerce équitable se répartissent suivant quatre types.

  • Le premier, représenté par les réseaux associatifs. Artisans du Monde importe suivant une méthodologie contrôlée par ses militants bénévoles, puis vend les produits ainsi importés dans son réseau de boutiques [10] ou à l’occasion de manifestations culturelles ou solidaires.
    Il existe d’autres réseaux de commerce équitable comme Artisans du Soleil pour qui le commerce équitable est en appui des initiatives au Sud ou encore comme GUAYAPI dont l’objectif est la préservation de la forêt tropicale. Enfin, il y a des associations comme FEDA (Femmes et Développement en Algérie), l’association Métissage (Sénégal), Ayalou (Djibouti), créées par des femmes migrantes qui cherchent à aider les femmes du Sud à obtenir une certaine indépendance économique en vendant leur production au Nord.
  • Le second type est composé d’importateurs qui font souvent office de grossistes. Leurs pratiques et leur discours sont différents suivant le type de distribution concernée. Ainsi, les sociétés Andine et Sira-Kura s’adressent à des réseaux de boutiques spécialisés dont les buts sont en cohérence avec les objectifs du commerce équitable. Alors que les sociétés Ethiquable et Alter-Eco proposent, pour l’essentiel, leurs produits dans les réseaux généralistes, pour lesquels le commerce équitable n’est que marginal. Les autres importateurs sont adossés à un réseau de vente militant comme Solidar’ Monde et Artisanat SEL qui importent essentiellement pour le compte d’un réseau militant.
  • Le troisième type est essentiellement consacré à la distribution. C’est le cas des réseaux Bio-Coop [11] qui trouvent là un prolongement logique à leur propre activité de défense du patrimoine naturel. Les réseaux généralistes de la Grande et Moyenne Distribution (GMD) dont il est difficile de séparer les préoccupations marketing et de reconquête de parts de marché (Lire l’encadré : “Commerce équitable et GMD”) de l’implication dans une démarche dite de “Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE)” ne sont pas considérés comme Organismes du Commerce Equitable (OCE) au sens de l’accord AFNOR AC X50-340.
La question du juste prix
Le prix équitable est celui de la justice économique plutôt que celui de la charité. Les producteurs sont payés pour leur travail, et non comme des pauvres qu’il faut aider. Le calcul du prix d’achat au producteur ne dépend pas du cours du marché mais d’une négociation qui met en avant le revenu nécessaire au producteur pour une vie digne et pour assurer son développement dans des conditions en relation avec les exigences du développement durable. La parfaite équité supposerait que l’on tienne compte des salaires en vigueur au Nord. On n’en est pas encore là, mais cela peut rester un objectif.
Afin que les produits équitables soient vendables au Nord, on compense la meilleure rétribution du travail du producteur par une baisse du nombre d’intermédiaires, par la compression des marges mais surtout par des gains induits par la stabilité des échanges : baisse des coûts de contractualisation, visibilité des investissements productifs et diminution des gaspillages dues aux ajustements en cas de crises. Les surcoûts constatés au Nord ne sont pas systématiques mais proviennent essentiellement des effets de quantité et du mode de distribution. On peut imaginer une formation des prix qui intégrerait toutes les externalités calculées à partir de l’empreinte écologique, de l’utilité sociale et du prélèvement de taxes douanières compensatoires en cas d’une redistribution injuste des revenus, les produits de ces taxes devant servir à financer des programmes sociaux ou de développement au Sud. Cette notion dite de “clause sociale”a été rejetée dans le passé par les représentants des PED qui soupçonnaient les pays du Nord d’utiliser ce moyen pour mettre en place de nouvelles barrières douanières et mettre ainsi à bas ce qu’il leur reste d’avantage comparatif. La question demeure cependant centrale et devrait pouvoir réapparaître sous une autre forme, avec des garanties plus solides.
La question principale n’est cependant pas de rechercher le prix le plus bas,les consommateurs sont généralement d’accord pour des prix légèrement supérieurs, du moment qu’ils ont la garantie de pouvoir bénéficier en retour d’un monde moins violent et plus durable. La réponse à la question souvent soulevée demandant au commerce équitable d’être également accessible à toutes les catégories sociales est la même que pour le “bio” et peut être réglée par la segmentation du marché. Celle çi peut être techniquement à la charge des opérateurs économiques ou organisée par la puissance publique dans son rôle de régulateur social.
Rappelons que la question du prix n’est que relative :on peut avoir des prix plus élevés avec des revenus plus élevés, faire le choix de la qualité de vie plutôt que la quantité consommée ou gaspillée. Le projet du commerce équitable est de faire en sorte que nul ne soit condamné à l’exclusion pour raison économique, en offrant aux plus faibles le droit à une existence digne et la possibilité d’être des acteurs économiques à part entière. Les militants du commerce équitable se retrouvent très souvent à militer également pour une consommation plus responsable.
  • Le quatrième s’occupe de la certification. C’est, par exemple, l’association Max-Havelaar qui, comme pour la culture bio, délivre un label après vérification que le produit mis en vente est équitable. Prenons l’exemple du café. Le principe de fonctionnement est le suivant:cet organisme propose à des petits producteurs de café, sous réserve du respect de règles de commerce équitable, (fonctionnement démocratique, juste rémunération des coopérateurs, etc.) de leur trouver un torréfacteur qui leur achètera leur café régulièrement et avec un prix minimum garanti, quelles que soient les fluctuations du cours du café, s’il est bas et, légèrement au-dessus du cours lorsque celui-ci est haut. Au torréfacteur, il donne alors l’autorisation d’apposer sur ses paquets de café le label “Max-Havelaar” moyennant un pourcentage sur les ventes. Notons que les organismes importateurs du commerce équitable effectuent leur propre contrôle et pourraient éventuellement s’en satisfaire pour garantir leurs propres produits si bien que le label “Max-Havelaar” est surtout destiné aux produits de la GMD.

Toutes ces organisations – certaines à travers leur publicité ommerciale, les autres à travers des campagnes de lobbying – font progresser l’idée du commerce équitable ou d’un commerce plus juste. Notons que les organisations qui mettent en oeuvre en France ce mode de commerce sont souvent à l’origine de campagnes de sensibilisation, par exemple sur l’exploitation des enfants et à l’origine d’une prise de conscience des citoyens du Nord sur l’importance du développement des droits des travailleurs du Sud. Elles trouvent pour cela des alliés dans la société civile, particulièrement dans la mouvance alter mondialiste.

Trois autres types d’acteurs devraient ou sont en train de s’engager en faveur du commerce équitable.
Les diasporas du Sud pourraient – devraient – devenir des acteurs incontournables du commerce équitable Nord-Sud : elles constituent en effet le premier fournisseur brut de moyens financiers dans leur pays d’origine.

Le monde syndical découvre avec le commerce équitable qu’en défendant les droits des travailleurs du Sud,il défend en même temps les droits des travailleurs du Nord à vivre dignement de leur travail.

Les politiques, particulièrement ceux qui sont favorables au développement de l’économie sociale et solidaire, y voient l’amorce de modèles économiques alternatifs à l’économie libérale et peuvent, par la législation ou par l’usage de l’outil économique des marchés publics, faire en sorte que ces principes se généralisent et deviennent le mode normal de faire du commerce. C’est aussi un moyen pour eux de redonner un sens concret aux principes du développement durable.

 Commerce équitable et développement durable

Le libre-échange ne peut nourrir la planète car il va à l’encontre
du développement durable:gaspillage ici à cause de la surabondance, gaspillage là-bas par manque de ressources ou en raison de leur mauvaise répartition ou utilisation. Son application a conduit dans les pays du Sud à abandonner les cultures vivrières aux seules fins du développement des agricultures d’exportation. On sait aujourd’hui que cela n’a pas aidé au développement, au contraire.

Une croissance saine ne peut exister que si elle s’appuie sur une consommation responsable et une exploitation contrôlée des ressources (nature, diversité, etc.) préservant les intérêts des futures générations.

Le commerce équitable satisfait à ces conditions.

Le commerce équitable : une activité qui s’appuie sur l’idée du développement durable

En tenant compte des conditions de production, le commerce équitable rend possible la protection de l’environnement et de la qualité éthique des produits mis en vente et il réserve une place à la protection des cultures (4ème composante du développement durable) en permettant aux artisans qui en sont les dépositaires d’en vivre.

On sait pouvoir diminuer un certain nombre d’intermédiaires, rationaliser la production par une meilleure gestion des ressources disponibles et des contrats plus stables.

Parce qu’il rend obligatoires la traçabilité des produits et la co-responsabilité de tous les acteurs, du producteur de matières premières jusqu’au consommateur final, il rend ces derniers solidaires et mieux à même d’introduire dans le processus des critères du développement durable.

Le commerce équitable : un outil pour la diffusion d’un modèle de développement durable

Aujourd’hui le commerce sert de courroie de transmission à l’exploitation des gens et au pillage des ressources. La mise en place d’une vaste zone de libre-échange où tout est“marchandisé” ne laisse aucune chance de survie digne à de larges secteurs de la société mais risque de préparer les conflits généralisés que certains prédisent pour notre siècle.

On peut inverser cette tendance. Le commerce est au cœur du fonctionnement de l’économie : en y introduisant des règles d’équité et de responsabilisation des acteurs, on peut remettre l’économie au service de l’être humain quel que soit son lieu de vie ou sa catégorie sociale.

Comme le commerce équitable présente l’intérêt de pouvoir être appliqué ponctuellement et progressivement, on ne peut donc prétexter “un saut dans l’inconnu”, ou encore comme pour la taxe Tobin, de devoir attendre que tout le monde soit d’accord pour l’appliquer.

Toutefois, ne reposant que sur la volonté de citoyens consommateurs, son action risque de rester marginale si progressivement le législateur, poussé par l’opinion publique, ne vient en prendre le relais.

Commerce équitable et Grande et Moyenne Distribution
La question des prix des produits équitable est également au coeur d’un débat actuel qui renvoie au rôle actuel et futur de la GMD dans la diffusion de ces produits. Actuellement, la GMD permet d’augmenter les ventes de manière significative, ce qui, dans un premier temps, est bénéfique aux producteurs et à l’influence du commerce équitable dans l’opinion publique. Le risque serait de lui permettre de réaliser un “charity business”puis de récupérer l’expression “commerce équitable” à son profit en le détournant de ses objectifs pour enfin imposer ses propres conditions aux organismes de commerce équitable et aux producteurs.

La GMD pourrait être tentée, sous prétexte de faire baisser les prix, de négocier ses achats directement avec les producteurs. Elle serait alors en capacité, comme elle le pratique pour le système des marges arrières, de conditionner l’achat de produits équitables à des remises sur le reste de ses achats. Cette préoccupation est à l’origine d’un débat : doit-on certifier les filières ou seulement les produits ? Elle est, en France, à l’origine de la présence obligatoire d’une “Organisation de commerce équitable” (OCE) dans toute filière de ce type de commerce.

Faut-il pour autant condamner définitivement la présence de produits du commerce équitable dans la GMD ?

Le débat prend souvent un tour polémique. D’un coté, on souligne le risque présenté précédemment, celui de la dilution des principes fondateurs du commerce équitable allant même jusqu’à en faire un détournement de sens ou encore rappeler l’incompatibilité des objectifs (consommation responsable et solidaire) et des méthodes (marges arrières). De l’autre, on met en avant l’augmentation des points de vente, la demande des producteurs d’augmenter le nombre et le volume des produits commercialisés,le fait qu’elle prend moins de marge que les petits magasins et rend les produits du commerce équitable accessibles au plus grand nombre… On peut espérer que du débat et de la confrontation sortiront des solutions plus responsables que celles en vigueur dans le commerce conventionnel.

En fait, on observe en France, trois approches complémentaires : se limiter à la solidarité avec les plus pauvres des pays du Sud, contrer les effets pervers de la mondialisation libérale et enfin, expérimenter des alternatives où le genre humain est au centre. Ces trois réseaux concurrents en terme de part de marché, contribuent cependant tous à la diffusion du modèle du commerce équitable. Sans eux, les principales multinationales du négoce auraient tôt fait de réduire le sens du mot équitable à un aspect purement marketing.

L’encadrement juridique du commerce équitable en France et en Europe

La première trace de l’intérêt du législateur en faveur du commerce équitable est la loi “Le Texier”n°99-478 du 9 juin 1999,visant à inciter au respect des droits de l’enfant dans le monde, notamment lors de l’achat de fournitures scolaires. L’accroissement du nombre de collectivités locales souhaitant réaliser des achats responsables nécessitait que soit mis en place un cadre juridique adapté conférant à celles-ci la possibilité de prendre en compte des considérations sociales et environnementales dans le cadre de l’exécution d’un marché [12].

L’accord AFNOR AC X50-340 signé en janvier 2006 en référence au développement durable et à la responsabilité sociétale des entreprises limite l’appellation “Organisme de commerce équitable” (OCE) aux seuls acteurs dont c’est l’activité principale et impose leur présence dans toute filière de produit ou de service qui s’en réclamerait. Ce texte définit trois principes à réaliser conjointement :

  • équilibre de la relation commerciale entre les partenaires ou co-contractants ;
  • accompagnement des organismes de producteurs et/ou de travailleurs engagés dans le commerce équitable ;
  • information et sensibilisation du consommateur, du client et plus globalement du public. Il confirme que c’est le rôle de l’OCE de garantir que ces principes sont réellement appliqués.

Parallèlement, le législateur s’est préoccupé de la protection des principes du commerce équitable avec l’adoption de l’article 60 de la loi du 2 août 2005 destinée aux Petites et Moyennes Entreprises (PME). Son décret d’application devrait donner lieu à la constitution d’une Commission nationale du commerce équitable. Par ailleurs, le Conseil de la concurrence a été saisi pour statuer sur le risque d’entente anti-concurrentielle liée à la fixation d’un prix minimum comme critère du commerce équitable.

Le député européen Frithjof Schmidt (Allemagne) a présenté un rapport (adopté le 7 juillet 2006 ) qui invite la Commission européenne à reconnaître l’apport positif du commerce équitable, à agir pour son développement, par diverses mesures comme la réduction de TVA, à inclure le commerce équitable dans l’élaboration de la politique commerciale de l’Union, notamment en renforçant le Système de préférences généralisées (SPG +) qui offre aux PED un accès privilégié aux marchés de l’Union européenne. Ce rapport a déclenché “le lobbying des grandes compagnies internationales de négoce des matières premières (café etc.) et l’ironie du commissaire Mandelson.”

 Conclusion

Le commerce équitable n’est donc pas un simple échange marchand avec un supplément de justice dans les échanges Nord-Sud. Cette forme de commerce permet de s’interroger publiquement sur la mondialisation et le modèle dominant de développement.

L’application des règles du commerce équitable par une collectivité locale
Une collectivité locale peut s’investir dans le commerce équitable : par ses achats, des actions d’éducation au développement et à la solidarité, par l’inclusion d’un volet économique dans ses actions de coopération décentralisée. On pourrait aussi expérimenter le commerce équitable (marché semi-captif ou relations préférentielles directes) à partir du jumelage d’un centre ville commerçant avec une zone de production agricole. Les commerçants y trouveraient une meilleure garantie sur la provenance des produits avec une implication des consommateurs dans le choix de leurs ressources alimentaires. La formation des jeunes à l’environnement et à la nature serait basée sur des relations concrètes et pérennes. Cela servirait de support à la diffusion de produits fermiers et de services annexes comme le tourisme vert. Les producteurs paysans de la zone agricole y retrouveraient, pour une partie de leur production, une garantie de vente à prix stable sur un temps suffisant pour garantir et rentabiliser leurs investissements en les rendant un peu moins dépendants des grandes entreprises de distribution. Ils seraient ainsi incités à « bio-diversifier » leur production en re-cultivant des variétés locales. Cette politique apporterait ainsi sa contribution au développement des territoires et à l’agriculture paysanne tout en participant à la décroissance des impacts sur l’écosystème,grâce à la rationalisation des transports et de la distribution, à la stabilité des prix et donc à l’avènement d’une production soumise aux seuls aléas climatiques.

Conjuguant liberté d’entreprendre et solidarité pour maintenant et pour les générations futures, le commerce équitable est un outil pour éviter un futur non soutenable.

L’action du législateur, en appui aux acteurs du développement durable, est nécessaire ; encore faudrait-il qu’elle ne s’applique pas uniquement au commerce équitable du Sud vers le Nord et sous le seul angle de la “solidarité internationale” alors que la finalité du commerce équitable est un changement global du fonctionnement du commerce mondial et du commerce tout court.

Jean-Paul Van Hoove

Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[1The Washington Post / Courrier International du 25 nov.99 n°473 p.46

[2“un grain de café est vendu en moyenne à la Bourse dix sept fois”(Alain Faujas – Le Monde du 23 nov. 99 p7)

[4Los Angeles Times / Courrier International du 07 oct. 99 n°466 p.46

[7Site web du Ministère de l’écologie et du développement durable environnement (20 juillet 2005)

[10160 points de vente en 2006

[11N° spécial 2003 de “Consom’Action” le journal des Bio-Coop

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 Bibliographie

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  • Mémento du commerce équitable : les enjeux du nouveau millénaire : 2001-2003, EFTA, Bruxelles ; Maastricht 2001/12,221 P.
  • Commerce équitable : propositions pour des échanges solidaires au service du développement durable, Johnson, Pierre (sous la dir. de), Charles Léopold Mayer, Paris, 2003/10, 182 P.
  • Etat des lieux et enjeux du changement d’échelle du commerce équitable. Solagral, Nogent-sur-Marne, Délégation. Interministérielle à l’innovation et à l’économie sociale, ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité, 2003/01/14, P. 1-58.
  • Les coulisses de la grande distribution, Paul Jacquiau, Albin Michel, Paris, 2001, 366 P.
  • Le commerce équitable ou la juste répartition critique du système de production et de distribution équitable à travers l’exemple des organisations de producteurs de café en Equateur, Pérou et Bolivie, Diaz Pedregal,Virginie. Université René Descartes Paris V Sorbonne, 2006/01/06, 752 P.
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  • Du commerce équitable au commerce durable, mémoire de licence de Patrick Kohler, rue Marie-de-Nemours 2 - 2000 Neuchâtel, kohlerpat@hotmail.com, sous la direction du Prof F. Chiffelle, juin 2003.
  • Les défis du commerce équitable, CRID, Altermondes, avril 2007.
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