Résumé
Dans la perspective d’une transition vers une « économie verte », contrainte par le double impératif de l’épuisement des ressources fossiles et l’de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), la géothermie présente des caractéristiques particulièrement attrayantes : faible empreinte environnementale, non émissive en GES, sources thermique renouvelable à zéro émission, modulable et adaptée à la croissance de la puissance des installations en fonction de la demande, elle présente l’avantage, relativement aux autres renouvelables, d’une production continue d’énergie 24h/24 et 7j/7. Néanmoins, s’agissant d’une énergie par essence locale, à la fois très dépendante des caractéristiques géologiques particulières du site de production et répondant à des besoins du territoire, son développement encore modeste justifie des efforts particuliers. Nécessairement contrôlée par les autorités locales (Etats, régions, entreprises ad hoc) son développement nécessite de gros efforts en termes d’information de formation, d’échanges scientifiques et de transferts d’expériences et de technologies, afin de parvenir à un développement harmonieux. C’est en effet une énergie propre et sûre, produite à un prix compétitif dans les sites qui s’y prêtent, et qui présente l’avantage de pouvoir être maîtrisée localement, d’être créatrice d’emplois, et de contribuer à des politiques de développement (activités industrielles, agricoles, tertiaires, touristiques, induites « en cascade »). En poursuivant les tendances actuelles, la géothermie sera en mesure d’apporter une contribution modeste mais significative aux besoins énergétiques de l’humanité : 3% en 2050 et 10% en 2100. Moyennant un effort soutenu de R&D et de formation au cours des 20 prochaines années, la contribution de la géothermie haute énergie pourrait dépasser ces objectifs (atteindre le double). Il faut souligner que – comme pour bien d’autres ressources naturelles - les développements possibles sont très inégalement répartis. La géographie de la ressource naturelle ne correspond pas à celle de la demande actuelle. Certains pays et régions – souvent du Sud – sont en effet dotés de ressources exceptionnelles dépassant largement les besoins locaux. D’importantes perspectives sont ouvertes si l’on admet des redéploiements géographiques de l’industrie de puissance (délocalisation d’industries lourdes, fortement consommatrices d’énergie : sidérurgie, production d’aluminium, cimenterie…).
Dans la perspective d’une économie verte globalisée - si la fin du XX° siècle a été caractérisée par des délocalisations liées au bas coût de la main d’œuvre et l’ubiquité des approvisionnements en énergie fossile, ce sont les bas coûts de production des ressources renouvelables de puissance qui détermineront les relocalisations de l’industrie lourde au XXI° siècle.
Auteur·e
Volcanologue, ancien chef du département géothermie du BRGM puis directeur du Service Géologique National et président de l’association des services géologiques européens (Eurogeosurveys), Jaques VARET a également présidé le conseil scientifique de la Mission Interministérielle de l’Effet de Serre, a été le fondateur de l’Institut Français de l’Environnement et a présidé le CESMAT.
Il préside encore aujourd’hui le conseil scientifique du Parc National des Cévennes, conseille la société Electerre et enseigne la géothermie au Kenya.
Jaques Varet est Vice-président de 4D et Gérant de GEO2D (Ressources Géologiques pour le Développement Durable).
- L’origine des gisements géothermiques : la remontée des magmas
- Où se produisent ces remontées magmatiques et les gisements géothermiques qui en découlent ?
- Les gisements des frontières divergentes : bombements continentaux et rifts
- Les gisements des frontières convergentes : arcs insulaires, cordillères et chaines de montagnes
- L’exploitation industrielle de la géothermie pour la production d’électricité
- Perspectives de développement de la géothermie dans le monde
- Conclusions - perspectives
La terre est active. Elle se caractérise par des mouvements tectoniques et processus magmatiques. Si l’ouverture de fissures facilite non seulement la formation, mais aussi l’émission des liquides silicatés à haute température (900 à 1300°C) que sont les magmas, le moteur essentiel de leur ascension est la convection, la densité de la lave fondue étant inférieure à celle des roches encaissantes. Notamment du fait que les produits volatils dissous dans le magma (eau, gaz divers, etc.) se dégagent lorsque la pression s’abaisse à l’approche de la surface, facilitant son ascension. Les fluides peuvent aussi produire un dégagement brutal se traduisant par des explosions, avec projection de surface. Cette phase gazeuse joue un rôle dans diverses transformations des terrains qu’elles traversent : altération, dépôts (c’est la source de nombreux gisements métalliques). La lave, visqueuse, envahit les vides ainsi préparés lorsque le gaz ou la vapeur s’échappent en fracturant les terrains.
Lors d’une intrusion volcanique, une masse éruptive à haute température (de 1200 à 700°C) se trouve assez rapidement mise en place au sein de terrains plus froids, sa forme initiale pouvant être celle d’une sphère plus ou moins ovale (dite « chambre magmatique »), d’une cheminée cylindrique (neck), d’une plaque plus ou moins épaisse (dike), ou d’une masse de forme quelconque. Une telle injection se refroidira nécessairement, ne serait-ce que par conduction solide à travers les terrains environnants. On reconnaît souvent des injections successives dans un même système volcanique, qui allonge la durée de vie et l’ampleur du système géothermique.
Les zones géothermiques intéressantes du point de vue de l’exploitation industrielles sont donc celles dont la dimension est au moins kilométrique et l’âge inférieur à un million d’années. Une durée longue de l’activité volcanique dans la période récente constitue un critère favorable. En outre, la composition des produits émis par le système volcanique offre un critère supplémentaire. La présence d’un ensemble différencié de laves constitue un critère favorable et les produits acides (rhyolites, trachytes, phonolites) indiquent souvent la présence de chambre magmatiques superficielles, favorables pour le développement de systèmes géothermiques d’intérêt industriel lorsqu’elles sont jeunes.
Fig. 1 : schéma classique de gisement géothermique de haute température : source de chaleur (intrusion magmatique en rouge) se traduisant par des émissions volcaniques et une caldera en surface (limitée par des failles dans lesquelles circulent les fluides) ; réservoir perméable où le fluide géothermal (eau chaude + vapeur) est animé de mouvements convectifs, manifestations de surface (geisers, sources chaudes…) traversant la couverture (source : USGS).
Au-dessus de la chambre magmatique se développe le réservoir. Il s’agit d’une formation géologique perméable, résultant soit d’une perméabilité d’origine (p.ex. une couche sédimentaire carbonatée) soit plus souvent d’une perméabilité induite par la transformation minéralogique ou par la fracturation de terrains. Dans le réservoir, il peut arriver – comme dans une « cocote minute » - que la température puisse dépasser celle de la vaporisation de l’eau, sous de la pression hydrostatique liée à la profondeur. La vapeur ainsi formée ne peut que s’élever, et réchauffe le terrain là où elle se condense. Ainsi s’ajoute au transfert de chaleur magmatique un transfert hydrothermal extrêmement efficace par convection biphasée (eau descendante et vapeur ascendante). Ces deux phénomènes peuvent prendre place au même endroit, eau et vapeur étant en équilibre, ou s’individualiser en cellules distinctes.
Un bon gisement géothermique se caractérise enfin par la présence d’une couverture imperméable, la vapeur s’accumule en dessous. Cette couverture peut être soit d’origine géologique externe (une couche argileuse sédimentaire), soit résulter du phénomène hydrothermal lui-même, par argilisation des terrains superficiels et dépôts de produits hydrothermaux (silice, calcite…) venant, de plus, les colmater (voir Fig.1). La pression maintient l’eau liquide dans les pores de la roche, par exemple à 200 0C avec une porosité de 10%. Si celle-ci se relâche, par exemple sous l’effet d’une faille active, la chaleur sensible de la roche entraîne la vaporisation de l’eau se traduisant par une « explosion phréatique » qui se distingue d’une éruption volcanique, par la température beaucoup plus basse des produits (hydrothermaux et non magmatiques).La trace de telles explosions phréatiques constitue un excellent indice de gisement géothermique de haute température.
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Nous avons vu dans l’article (J.Varet) La géothermie., - Juin 2011 - que la terre produit partout, de l’intérieur vers la surface, un flux de chaleur qui est en moyenne, de 1,2 microcal/cm2 . sec, soit 50 kW/km2. On trouve la même valeur pour les océans et les continents dans les zones géologiquement stables. La puissance totale du flux géothermique, pour la terre entière, est équivalente à 3 × 1010 kW, ce qui est du même ordre de grandeur que toute l’énergie produite industriellement par l’homme. Ce chiffre est beaucoup plus faible que celui de l’énergie reçue du Soleil : 15 × 1013 kW. Néanmoins, à la différence de l’énergie solaire, la géothermie est non seulement une énergie de flux, mais aussi une énergie de stock (énorme quantité d’énergie stockée dans la croûte terrestre). De ce fait, c’est une énergie susceptible de contribuer de manière significative et durable aux besoins de l’humanité.
- En rouge, les plus
favorables (production
d’électricité ). - En bleu, les bassins
Sédimentaires favorables
aux applications thermiques. - En gris, les zones de socle
Cristallin généralement
Moins favorables.
(Source : BRGM)
Fig. 2 - Carte des grands
types de zones de la
planète plus ou moins
propices à la géothermie.
Mais il s’agit là de la moyenne pour une terre considérée comme stable. Or l’intérieur de la planète et ses formations géologiques de surface sont en constants mouvements. Ceux-ci sont généralement peu perceptibles à l’intérieur des continents, qui se rattachent à de grandes « plaques » (fig. 3). Mais ils sont particulièrement sensibles dans certaines zones géologiques aux frontières de plaques, où des mouvements tectoniques entrainent des phénomènes de dissipation d’énergie très importants, se traduisant notamment par des remontées magmatiques [1].
En fait, la remontée des magmas découle pour l’essentiel de la tectonique des plaques dont les mouvements déterminent trois grands types de frontières et de gisements géothermiques (Fig.3) :
- 1) les frontières divergentes, là où les plaques s’éloignent les unes des autres avec production de nouvelles croûtes océaniques ;
- 2) les frontières convergentes, où les plaques entrent en collision ;
- 3) les frontières transformantes, lorsque les plaques glissent latéralement les unes contre les autres le long de failles.
Fig. 3 : Cadre géodynamique des gisements géothermiques : dorsales océaniques et rifts continentaux dans les zones d’expansion, cordillères et arcs insulaires dans les zones de subduction ; points chauds insulaires intraplaques (source : USGS, BRGM)
La chaleur dissipée à partir du noyau et dans le manteau engendre des cellules de convection dans l’asthénosphère (partie plastique du manteau). Cette convection concentre la chaleur en une zone chauffée qui se dilate, se traduisant par un soulèvement. Elle conduit à la production du magma basaltique par fusion partielle du manteau. Elle produit enfin, dans la lithosphère (partie rigide de l’enveloppe terrestre) des tensions qui font que les plaques divergent. C’est en définitive le moteur du « tapis roulant », qui entraîne la lithosphère de part et d’autre de la dorsale (cf. Fig.3).
Le flux géothermique atteint des valeurs particulièrement élevées (de 3 à 10 fois la moyenne) le long de ces frontières de plaques divergentes, où des injections magmatiques viennent régulièrement combler les fissures qui s’ouvrent (à une vitesse de 3 à 12 cm/an en moyenne), accroissant ainsi la surface du fond océanique avec une croûte basaltique toujours plus jeune. Dans ces zones d’expansion océaniques, plus encore que dans les zones volcaniques continentales, à la convection magmatique s’ajoute la circulation de l’eau dans les fissures, qui se traduit par les sources à haute température, découvertes en divers endroits le long des dorsales océaniques (Fig. 4). L’exploitation industrielle de la géothermie sous-marine n’a pas encore été tentée, mais dans les zones océaniques émergées d’Islande ou de l’Afar - comme dans le rift est-africain - ces systèmes géothermiques actifs offrent des opportunités de développements industriels dans des conditions particulièrement favorables.
Les meilleurs gisements du monde se situent dans ce contexte, du fait que le maximum d’énergie thermique est dissipé dans une lithosphère amincie, avec des systèmes de fractures favorables au développement de réservoirs géothermiques de grande taille le long des segments de dorsales et à leurs extrémités où des systèmes de fractures transverses viennent favoriser le développement de réservoirs fracturés. C’est notamment le cas en Islande qui assure le chauffage de l’ensemble de ses habitants par géothermie et dont la capacité géothermoélectrique en plein développement (100MW/an supplémentaires au début du 21ème siècle) notamment pour la production d’aluminium, et en Afar (Erythrée, Ethiopie, Djibouti) ou tout reste à faire (J.Varet, 2010).
Fig. 4 : Schéma explicatif du
phénomène de convection
le long des frontières de plaques
en expansion (dorsales océaniques).
La remontée de l’asthénosphère
chaude entraîne un bombement
axial et la formation d’un rift dans
lequel des injections basaltiques
sont autant de sources se systèmes
géothermiques.
Un premier stade (Fig. 5) est caractérisé par un bombement de la lithosphère, avec remontées magmatiques et émissions de laves à partir de volcans fissuraux ou centraux (lorsque plusieurs directions de fissures se croisent). C’est ce que l’on observe par exemple en Auvergne. Lorsque le phénomène est assez récent, cela peut donner naissance à des systèmes géothermaux continentaux. Les zones volcaniques et hydrothermales du massif central français pourraient en recéler.
Fig. 5 : Bombements continentaux résultant de phénomènes d’extension (cas de l’Auvergne dans le Massif central français), avec remontée de l’asthénosphère et production de magmas de type alcalins (basaltes à olivine et leurs produits de différenciation jusqu’à des trachytes et des phonolites).
Un stade plus favorable encore pour la géothermie est celui du fossé (ou rift) continental, dans lequel le phénomène d’extension amène à l’effondrement de la zone centrale du bombement le long de failles normales avec développement d’un plancher à l’intérieur et à la surface duquel se développe un volcanisme plus ou moins important (Fig.6). Les fossés (ou « graben ») du Rhin et des Limagnes de Loire et d’Allier en sont des exemples, quoique le volcanisme y soit trop ancien, à la différence du rift est-africain, où la géothermie est en plein développement. Le Kenya fait actuellement figure de pionnier, avec le gisement d’Olkaria déjà assez bien développé et plusieurs autres sites en cours de développement. Le site de Menengaï recelant à lui seul plus de 1500MW. L’Ethiopie, en plein développement de ses importantes ressources hydroélectriques, devrait suivre et dépasser son voisin du sud dans la mesure où le continental rift est-africain y croise en Afar le rift océanique de la Mer Rouge et du Golfe d’Aden.
Fig.6 : Développement d’un rift continental à la suite de phénomènes de convection de l’asthénosphère sous-jacente. Ce cas est très favorable au développement de gisements géothermiques (exemple du Kenya et de l’Ethiopie, le long du rift est Africain).
En fait, les meilleurs gisements géothermiques se situent le long des dorsales océaniques, là où les flux de chaleur terrestre sont les plus levés (voir représentation du globe en figure 13), mais ces sites ne sont pas aujourd’hui économiquement accessibles, à l’exception de l’Islande et de l’Afar où les dorsales sont accessibles à terre.
Encadré 1 : le cas exemplaire de l’Islande
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La terre n’étant pas en expansion, une destruction des plaques s’opère aux frontières qui convergent l’une vers l’autre. Cette destruction résulte de l’enfoncement d’une plaque sous l’autre, par « digestion » de la portion enfoncée dans l’asthénosphère. C’est ici la présence d’eau, apportée par la plaque plongeante, qui facilite le processus de genèse des magmas, en abaissant la température de fusion. Le magma ainsi produit est de composition différente : ce sont les andésites qui dominent et non les basaltes comme dans le cas précédent. Ces magmas, plus légers, mais aussi plus visqueux remontent vers la surface, mais stagnent également dans la lithosphère, ce qui est favorable au développement de gisements géothermiques.
Fig.7 : Remontées magmatiques constituant des sources de chaleur pour les gisements géothermiques dans les zones de subduction. Ici, la lithosphère océanique plonge sous une autre plaque océanique entraînant par fusion partielle, du fait de la présence d’eau, la formation de magma andésitique. C’est le cas des arcs insulaires (Pacifique Ouest, Antilles…)
Dans les arcs insulaires volcaniques qui bordent à l’ouest le Pacifique, des Aléoutiennes aux Tonga en passant par le Japon, les Philippines et l’Indonésie, mais aussi aux Antilles entre la mer des Caraïbes et l’Atlantique, ou avec l’arc de ma mer Egée en Méditerranée, le flux peut atteindre des valeurs très élevées à l’intérieur de l’arc du fait des remontées magmatiques. A l’exception des Philippines et plus récemment de l’Indonésie, la géothermie reste dans l’ensemble peu développée dans ces pays. Le cas le plus étonnant étant celui du Japon qui a développé quelques petites centrales pour démonstration et exportation mais a préféré le nucléaire pour assurer la production de base, avec les inconvénients que l’on sait ans cette région géodynamique active.
Encadré 2 : un pays très prometteur : l’Indonésie L’Indonésie, après des années de développement lent dû au coût très bas sur le marché intérieur des hydrocarbures (pétrole et gaz) s’est enfin résolue à s’engager dans un programme géothermique ambitieux. Il faut dire que, doté de plusieurs arcs insulaires particulièrement actifs, l’Indonésie recèle sans doute l’un des plus gros potentiels de la planète (évalué à 26 GW). Avec 117 MW installés en 2009, la capacité de production devait tripler fin 2011 pour atteindre 345 MW, et encore plus que décupler pour approcher 5.000 MW en 2013, et 5.000 MW en 2015 si le « crash programme » proposé se réalise.
Carte de localisation des principaux gisements géothermiques d’Indonésie avec la puissance installée prévue pour 2012.
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Encadré 3 : Le cas singulier du Japon Au Japon, les premières recherches en géothermie ont débuté dans les années 1950, et la première centrale est entrée en opération en 1966. En 35 ans, 16 centrales ont été installées totalisant 530 MW, soit 0.2% des capacités électriques japonaises (250 GW). En termes de production, cela représente 3,440 GWh, soit 0.3% du total de 1,000 TWh de la demande japonaise. Mais avec plus de 100 volcans actifs, le potentiel de développement de la géothermie au Japon reste très important. Un sujet qui devrait revenir à l’ordre du jour a^rès l’accident de Fukushima (J.Varet, 2011). |
Dans le cas des cordillères, la plaque océanique plus dense s’enfonce sous la plaque continentale. À une profondeur excédant 100 km., la plaque est partiellement fondue. Comme dans le cas précédent, la plus grande partie du magma restera emprisonnée dans la lithosphère ; le magma atteignant la surface constitue des chaînes volcaniques des cordillères et des gisements géothermiques.
Fig. 8 : Développement des gisements géothermiques
Dans les zones de cordillères, lorsque la plaque océanique plonge sous la plaque continentale. Comme dans le cas précédent, un magma andésitique est produit par fusion partielle de la croute descendante hydratée. Il en résulte la remontée de plutons et le développement de systèmes volcaniques constituant autant de gisements géothermiques potentiels.
De bons exemples se trouvent à la marge du Pacifique-Est, depuis la chaîne des Cascades aux Etats-Unis jusqu’à la Cordillères des Andes en Amérique du Sud. L’Amérique centrale recèle ainsi de nombreux gisements encore peu exploités (le Salvador produit néanmoins le tiers de son électricité par géothermie). De très nombreux sites géothermiques, très favorables à la production d’électricité, peuvent être identifiés dans les pays correspondants.
Dans le troisième type de collision, la convergence de deux plaques continentales, le système qui en résulte se traduit dans l’ensemble par des gradients géothermiques relativement faibles ; néanmoins des systèmes magmatiques peuvent se développer donnant naissance à des gisements géothermiques potentiels (cas du Tibet par exemple).
Dans les zones de cisaillement entre plaques (frontières dites transformantes), des gisements géothermiques peuvent se développer à la faveur de petits systèmes en extension. On en trouve au sud de la faille de San Andreas en Californie (Salton Sea), aux Açores et le long des grandes failles nord-Sud bordant à l’Est la remontée de la plaque indienne (frontière sino-laotienne).
Enfin, les sites correspondant à des points chauds à l’intérieur des plaques (par remontée de panaches profonds issus de la base de l’asthénosphère - comme à Hawaii ou à la Réunion – cf. fig. 3) sont également très favorables au développement industriel de la géothermie.
- Caractérisée par des températures de fluides de 150 à 320 0C, le développement d’installations géothermiques industrielles (fig. 8) nécessite d’abord d’identifier les zones favorables dans lesquelles les phénomènes magmatiques récents produisent des anomalies de flux entraînant la formation de réservoirs superficiels d’eau chaude pressurisée ou de vapeur. Un gisement de géothermie est mis en évidence par des travaux d’exploration, qui visent – sur la base d’études géologiques, géochimiques et géophysiques de terrain – à identifier la source de chaleur magmatique, le réservoir et la couverture.
- la géologie permet de déterminer la présence d’une source de chaleur magmatique à partir de l’étude des matériaux volcaniques émis en surface (en fonction de leur âge et de leur composition), de délimiter le gisement et de déterminer les caractéristiques du réservoir (fracturation, formations perméables…) ;
- l’hydrogéologie et la géochimie des eaux permettent de tracer les circuits d’alimentation et de fuites et de calculer les températures des réservoirs et la composition des fluides profonds ;
- diverses méthodes géophysiques (gravimétrie électrique, magnéto-tellurique, écoute sismique…) permettent de cartographier le gisement profond et notamment de délimiter les réservoirs.
Dans les zones rurales à faible densité de demande, il est possible de procéder au captage de sources d’eau chaude ou de vapeur qui jaillissent spontanément, et de produire de l’électricité au moyen de petites centrales thermodynamiques à fluide binaires (de quelques dizaines à quelques centaines de KWe). Nous avons ainsi installé une centrale de ce type à Fang (Thaïlande).
Mais en général, les exploitations géothermiques industrielles (avec des unités de l’ordre du MW) nécessitent de procéder par forage permettant de faire remonter le fluide à la surface avec une température et un débit suffisants. La faisabilité du projet ne peut alors être engagée qu’après une campagne de forages de reconnaissances permettant d’évaluer les caractéristiques techniques et l’économie du projet. Au stade de la réalisation industrielle, on produit par forages (à une profondeur de 1000 à 3000 mètres) un mélange eau-vapeur (à une température de 150 à 300°C et une pression de quelques bars), dont on sépare la vapeur (Fig. ), ou de la vapeur sèche, qui déchargée dans des turbines, permet de produire de l’électricité à un coût extrêmement compétitif.
La réinjection de l’eau géothermale est indispensable pour protéger l’environnement et aussi pour garantir la pérennité de la ressource. Afin de ne pas refroidir le réservoir, les puits d’exploitation et de réinjection doivent se trouver à une certaine distance les uns des autres, ce qui impose souvent la création de plusieurs plates-formes de forages. Pour éviter les nuisances provoquées par ces différents chantiers, notamment en milieu urbain, ou encore lorsque le terrain manque, ou encore pour des raisons géologiques (pour mieux recouper des failles verticales productrices de vapeur) on peut installer des puits dont la trajectoire dévie dans le sous-sol (puits déviés). Une seule plate-forme de forage permet alors de positionner plusieurs puits de production.
Dans les exploitations de ce type, l’eau se vaporise dans le forage, et un mélange eau - vapeur jaillit en surface. Il arrive même – comme à Larderello en Italie ou aux Geysers en Californie - que le gisement produise naturellement de la vapeur sèche. L’exploitant doit alors réguler la pression en tête de puits pour optimiser les conditions d’exploitation en fonction des caractéristiques du fluide ou de la centrale. La vapeur obtenue est transportée par tuyaux isolés jusqu’à la centrale (Fig.9) où elle est utilisée pour actionner une turbine couplée à un alternateur pour produire de l’électricité. On utilise dans la majorité des cas des unités de production à cycle direct où la vapeur actionne une turbine à échappement atmosphérique (cas le plus simple). Mais on peut choisir d’installer une turbine à condenseur (on crée alors un vide à l’échappement de la turbine), comme à Bouillante (Guadeloupe, Fig.10)
Fig. 9 : Puits de production géothermique débitant
un mélange eau-vapeur en Islande
(photo J.Varet, 2006)
Fig. 10 : Schéma de l’installation géothermique de Bouillante (Guadeloupe)
Le développement du gisement peut être modulaire (par ajouts successifs d’unités de 10 à 50 MW), ce qui permet d’étaler les investissements et représente un avantage dans les pays en développement.
Alors que l’Italie a été le pays pionnier, suivi de la Nouvelle Zélande et des Etats-Unis, l’Islande, les Philippines, l’Indonésie et le Kenya connaissent ces dernières années le développement le plus rapide. Pour la France, une centrale de 5 MW a été mise en production en 1983 à Bouillante, en Guadeloupe ; une seconde unité de 10 MW a été mise en service en 2005, et une extension du gisement a été identifiée par le BRGM qui est propice à des développements ultérieurs encore attendus à ce jour.
A côté de la géothermie haute énergie classique, où la vapeur est produite naturellement à la bonne température pour être envoyée en turbine, deux types d’exploitations peuvent être envisagés, dans des conditions économiques moins favorables mais néanmoins compétitives.
La géothermie de moyenne température ou moyenne enthalpie se présente sous forme d’eau chaude ou de vapeur humide à une température comprise entre 90 et 150°C. Ce type de gisement peut se développer à une profondeur inférieure à 1000 m dans les zones volcaniques ou encore dans des zones à gradient normal dans les bassins sédimentaires, à des profondeurs allant de 2 000 à 4 000 mètres. Pour produire de l’électricité, une technologie nécessitant l’utilisation d’un fluide intermédiaire à bas point d’ébullition (centrale à « fluide binaire », Fig.11) est nécessaire.
On distingue :
- des unités à cycle binaire où la vapeur turbinée est celle d’un fluide dit “de travail” qui est vaporisé par échange thermique avec le fluide géothermal (cycle de Rankine ou cycle de Kalina) ;
- des unités à cycle combiné qui associent divers types de dispositifs.
- 1 Géothermal - 2 Evacuation - 3 Fluide de travail - 4 Eau et vapeur - 5 Turbine - 6 Alternateur - 7 Echange thermique - 8 Tour de refroidissement
Fig. 11 : Géothermie moyenne énergie (température entre 90 et 150°C) : production d’électricité par une centrale à cycle binaire (BRGM).
La géothermie profonde des roches chaudes fracturées (géothermie stimulée ou « enhencedgeothermalsystems » dit EGS) s’apparente à la création artificielle d’un gisement géothermique dans un massif cristallin. Plusieurs expérimentations de cette technique sont en cours dans le monde, notamment sur le site de Soultz-sous-Forêts en Alsace. Nous en traiterons dans un autre article. Mais cette technologie est actuellement utilisée dans les champs géothermiques classiques pour stimuler la production. Ainsi, le champ de Larderello (Toscane Italie) a vu, ces dernières années, sa production passer de 800 à 1250 MW grâce à l’introduction de ces procédés de stimulation et de réinjection (Fig.12).
ordonné gauche :Gwh/année
ordonnée droite :Kg/s
abcisse :années
Fig.12 : Augmentation de la production du camp de Larderello (Toscane, Italie) par introduction ces dernières années des technique d’injection héritées des travaux de recherche en géothermie stimulée (technologies EGS)
On dénombre aujourd’hui un peu plus de 350 installations géothermiques de production d’électricité dans le monde. La puissance totale de ces centrales totalise 10.715 MW en 2009 (Fig.13), ce qui ne représente que 0,2% tu total de l’énergie électrique installée sur la planète. Très loin derrière l’hydroélectricité, en MWh produits, la géothermie reste cependant, avec la biomasse et l’éolien, l’une des sources principales d’électricité renouvelable dans le monde. La disparité géographique de la production découle de celle des ressources. Les principaux pays producteurs se situent sur la périphérie du Pacifique : six dans le côté ouest des Amériques pour 3.390 MW, cinq en Asie pour 3.100 MW, deux en Océanie pour 437 MW (Fig.14).
L’Europe compte six pays producteurs, pour une puissance de 1.300 MW, et deux seulement en Afrique de l’Est pour 250 MW (alors que la ressource est importante). La géothermie couvre 0,4% des besoins mondiaux en électricité. Toutefois, dans certains pays sa contribution aux besoins nationaux peut atteindre plusieurs dizaines de pour-cent.
Avec 202 unités réparties sur 22 champs géothermiques (Californie, Nevada, Utah et Hawaii), les États-Unis arrivent aujourd’hui encore en tête des pays producteurs avec une capacité installée de 2.220 MW et une production importante (15 TWh/a), qui ne satisfait que 0,4% des besoins. Viennent ensuite les Philippines (1.900 MW), l’Italie (1.200), le Mexique (755), l’Indonésie (590), le Japon (547), la Nouvelle-Zélande (437), l’Islande (170), le Salvador (161), et le Costa Rica (142). En France, outre la Guadeloupe, la ressource est présente dans les îles volcaniques de la Martinique et de La Réunion, et vraisemblablement aussi dans le massif central.
Fig. 13 : Localisation des zones les plus chaudes : frontières de plaques flux de chaleur (en mW/m2), et puissance géothermique installée dans le monde en 2009, classée par pays (en MWe), pour un total de 10.7715MW.
Les prévisions de production à l’horizon 2050 publiées à ce jour se basent sur des taux de croissance de 1 à 4% par an des capacités de production mondiales. On dépasserait 160.000 GWe installés en 2050, soit plus de dix fois le volume actuel, et la puissance installée pourrait atteindre le million de GWe en 2100, soit 1000 fois la production actuelle. Les ressources disponibles permettent sans aucun doute d’atteindre un tel objectif. Il pourrait même être dépassé si des options plus volontaristes étaient retenues (des taux de croissance de 11%/an étaient atteints dans les années 70-80), passant notamment par le développement de gisements dans des régions encore peu consommatrices, et la relocalisation d’industries lourdes fortement consommatrices dans ces zones. |
La géothermie est en mesure de prendre une part significative dans le bouquet des énergies renouvelables à l’horizon 2050 et plus encore à l’horizon 2100, avec au moins 10% de la production totale. Parmi les renouvelables, c’est la seule à permettre d’assurer une production en base. En outre, les caractéristiques des gisements permettent de développer des capacités de stockage thermique. En matière de climat, la géothermie a toute sa place dans les politiques de mitigation des émissions.
Jacques Varet
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] A noter que la puissance totale des séismes (3 × 107 kW en moyenne) nous indique l’ordre de grandeur de l’énergie mécanique d’origine interne. On le voit, l’activité sismique de la planète – comme le mouvement des plaques - est bien une conséquence de son activité thermique.
Bibliographie
* Armstead, H. C. H., Geothermal Energy, John Wiley & Sons, New York, 1978
* Bertani, R., 2010. World Update on Geothermal Electric Power Generation 2005-2009. Proceedings World Geothermal Congress 2010, Bali, Indonesia, 2010.
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