Pollutions atmosphériques et développement durable

29 septembre 2010

Résumé

Le concept du développement durable a émergé au moment où la question de la qualité de l’air se détournait d’une vision hygiéniste pour s’intégrer dans la question environnementale. La maîtrise des émissions polluantes sur la base des économies d’énergie prônées par le développement durable, a tout à fait bénéficié à la qualité de l’air et donc à la santé humaine. L’émergence de la préoccupation du changement climatique s’inscrit dans la même perspective. Cependant, cet élargissement des échelles spatio-temporelles impose de rester cohérent avec les contraintes sanitaires telles qu’elles sont vécues et perçues au niveau local. Comment le développement durable et la prévention de la pollution atmosphérique sauront ils intégrer les différentes échelles au sein d’une gouvernance sanitaire dont la construction est mise en débat actuellement ?

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Auteur·e

Roussel Isabelle

Professeur émérite à l’Université de Lille 1


Le développement durable est un concept très récent par rapport à l’ancienneté des préoccupations liées aux pollutions de l’air qui, depuis 1810, en France, ont suscité non seulement une prise de conscience mais également tout un cortège de dispositifs législatifs dont l’initiative, depuis l’Acte Unique, est, actuellement, largement entre les mains de l’Union européenne. C’est l’hygiénisme, avec toutes ses ambigüités, qui a fourni un cadre pour la maîtrise des pollutions (C.Vlassopoulou, 1999). Les accidents de Londres en 1952 et de la vallée de la Meuse en 1930 ont servi à la fois de révélateurs et d’accélérateurs. La santé demeure un levier majeur pour établir une politique préventive dans le cadre de l’émergence progressive de la notion de santé environnementale telle qu’elle a été initiée, notamment, par la LAURE ( Loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’ Energie de décembre 1996) souvent qualifiée de « loi de santé publique ».

Au moment de l’émergence du concept de développement durable, le respect de la qualité de l’air, implicitement inclus dans le triptyque fondateur, s’est appuyé sur la maîtrise des énergies fossiles et la diminution des émissions. Pourtant, les préoccupations sanitaires restent fondamentales dans la gestion de la qualité de l’air même si la santé humaine ne s’impose que très modestement au sein du développement durable. La preuve en est : dans de nombreuses municipalités, l’élu en charge du développement durable n’est pas également le responsable des questions sanitaires et en outre, ignore bien souvent les actions entreprises dans ce domaine. Pourtant, actuellement, la qualité de l’air et la santé sont incontournables dans le cadre de la gestion du territoire à toutes les échelles. Dans quelle mesure, le développement durable, à travers sa dimension universelle et éthique, peut intégrer une dimension sanitaire pour mieux prendre en compte tous les leviers possibles de la prévention de la pollution atmosphérique ?

 L’air et le développement durable : une alliance qui s’écarte du registre sanitaire

L’histoire de la maîtrise des pollutions atmosphériques repose essentiellement sur la prise en compte de l’impact des polluants sur la santé humaine. La vision hygiéniste des pollutions a été largement décrite et effectivement, les critères sanitaires sont, plus ou moins bien intégrés à travers les normes qui ont permis de jeter les bases d’une politique en la matière. La création du Ministère en charge de l’environnement a sacralisé l’influence des ingénieurs au détriment de celle des médecins qui, au Ministère en charge de la santé, géraient la question de la qualité de l’air. Ce transfert de charge a marqué un recul sensible des critères sanitaires au profit d’une rigueur métrologique.

Cependant, le développement durable, en dépit du flou qu’il peut entretenir avec les questions de santé, a contribué à renouveler la problématique de la qualité de l’air qui s’est élargie aux dimensions de la planète et a bénéficié des incitations en faveur de la maîtrise des énergies fossiles. Cette stratégie planétaire s’est appuyée sur la mise en œuvre d’une réglementation mondiale et sur le développement de recherches et d’innovations dont la qualité de l’air a beaucoup bénéficié. Un parallélisme, voire même une synergie entre l’évolution du concept de développement durable et la problématique de la qualité de l’air s’impose.

La qualité de l’air : une question à laquelle le développement durable confère une dimension planétaire.

En alertant le monde entier sur les dangers d’un développement fondé sur l’utilisation massive des matières premières et énergétiques à bas prix, le développement durable a encouragé les économies d’énergies fossiles pour limiter les émissions polluantes puisque la plupart des polluants atmosphériques sont issus de processus de combustion.

La vision planétaire véhiculée par le développement durable est en phase avec la nouvelle perception de la pollution atmosphérique développée dans le milieu des années 1980 : avec les pluies acides, on découvre, alors, combien la pollution peut transgresser les limites territoriales. Cette découverte a une portée considérable puisque les pollueurs et les pollués ne sont plus nécessairement dans la même zone géographique. L’acidification des lacs scandinaves aurait-elle pour origine les émissions américaines et les Japonais seraient-ils victimes, l’hiver, par vents d’ouest, des polluants émis par les usines chinoises ?


Fig.1 L’évolution des émissions de SO2 par secteur. Source : CITEPA


La réduction des émissions polluantes par le biais de l’incitation aux économies d’énergie est très efficace aussi bien dans le domaine industriel que dans les villes et même à l’intérieur des maisons.

_ Dans le domaine des émissions industrielles, les résultats sont très spectaculaires pour l’ensemble des pays européens. Grâce au développement durable, la prise de conscience s’est généralisée à la fois sur la raréfaction des ressources énergétiques et sur les impacts délétères de certains polluants. Les normes imposées (cf ci-dessous) se traduisent par une baisse tout à fait significative des émissions comme des immissions pour un certain nombre de polluants réglementés.

La diminution des émissions du dioxyde de soufre(SO2), traceur de la pollution industrielle, est spectaculaire. En revanche, la maîtrise des oxydes d’azote, considérés comme les traceurs de la pollution automobile, est moins nette puisque l’augmentation régulière du trafic jusqu’à ces dernières années, tend à masquer les progrès technologiques considérables réalisés par les motoristes.

_ Dans le champ de l’urbain, la pollution automobile a également fait l’objet d’un regain d’intérêt à partir des interrogations sur les pluies acides qui sont à l’origine de la disparition du plomb dans l’essence et de la généralisation de l’adoption du pot catalytique. Depuis, les motoristes ont eu à cœur de réduire les consommations et les émissions toxiques.

Les efforts réalisés dans les agglomérations en faveur des transports en commun commencent à produire des effets en termes de réduction des pollutions. En effet, grâce aux PDU, la voiture est de plus en plus chassée des centres villes mais la question de la périurbanisation et de l’accès inégalitaire aux aménités urbaines demeure posée.

_ La pollution à l’intérieur des locaux dont l’émergence s’impose depuis quelques années, surtout depuis la mise en œuvre de l’OQAI (Observatoire de la qualité de l’air intérieur), n’est pas sans lien avec les économies d’énergie. En effet, les chocs pétroliers des années soixante-dix avaient provoquée une tendance au confinement des logements et donc à l’accumulation de substances délétères à l’intérieur de ceux-ci. L’hypothèse du changement climatique a de nouveau braqué le projecteur sur la maîtrise des énergies fossiles mais un certain nombre de dispositifs et de campagnes de mesures tendent à promouvoir des modes d’isolation qui ne conduisent pas au confinement. L’adaptation au changement climatique préconisé par le développement durable ne peut pas s’effectuer au détriment de la qualité de l’air intérieur, responsable, en grande partie de la recrudescence des allergies et de la maladie asthmatique.

A travers la maîtrise de l’énergie et donc la diminution de la combustion des énergies fossiles, le développement durable a eu des effets bénéfiques sur la qualité de l’air en permettant le déploiement d’un arsenal réglementaire étayé par des connaissances scientifiques de plus en plus précises.

Le déploiement du développement durable s’appuie sur un arsenal juridique et réglementaire fort ainsi que sur une stimulation de la recherche et de l’innovation

Le développement durable, bien que figurant dans certains textes législatifs devenus célèbres, a pu être considéré, par certains juristes, comme une notion floue et tout au plus un principe. (C.Cans, 2003). Cependant, l’interrogation générale sur la « soutenabilité » du développement a incité les Etats à réglementer ou/et à taxer un certain nombre de productions ou de modes de consommation. La pollution atmosphérique, comme l’eau ou les déchets, a donné lieu, sur le plan juridique, à de nombreuses normes et règlements élaborés, le plus souvent, au niveau européen. Que ce soit à travers les normes d’émission, d’immission ou celles concernant les produits, les pollutions sont très contingentées.

Sous l’influence de la propagation de la notion de développement durable et de sa dimension planétaire, la réglementation sur les pollutions s’est amplifiée. Les nombreuses directives sur la qualité de l’air, ont pu durcir les normes reposant sur des critères sanitaires et, en même temps, imposer des seuils d’alerte. Cependant, ce mode de gestion par les pics et les seuils est remis en question par le contexte des atmosphères actuelles caractérisées par de faibles doses de polluants multiples.

Mais, bien au-delà de ces mesures européennes, la scène de la politique de la qualité de l’air devient planétaire et un ensemble de conventions internationales se développent sur les charges critiques, sur les polluants organiques persistants. Le protocole de Montréal du 16/09/1987, interdit l’usage des CFC, (chlorofluorocarbures), utilisés comme réfrigérants et solvants et considérés comme responsables de la destruction de la couche d’ozone. La convention de Stockholm du 22 mai 2001 restreint très fortement l’utilisation du DDT et les rejets de dioxines et de furane.

La législation évolue en fonction des découvertes scientifiques qui permettent de faire progresser les connaissances tant sur la métrologie des polluants que sur leurs impacts..

Les économies d’énergie, comme la maîtrise des pollutions stimulent l’innovation et la recherche. Dans le monde entier les connaissances sur les polluants et sur leurs impacts se sont développées. Les mesures se sont généralisées à travers des réseaux de mesures qui respectent, en Europe mais, de plus en plus, dans le monde entier, des protocoles stabilisés et unifiés. Ces mesures concernent, au premier chef, les polluants réglementés, c’est-à-dire les plus toxiques et les plus connus mais également des polluants dits émergents qui sont de plus en plus mesurés avec des instruments de plus en plus précis. La surveillance des polluants réglementés a été confiée, par une délégation de service public, aux AASQA (Associations agréées de surveillance de la qualité de l’air), régies par la loi sur les associations de 1901 et pilotées par un conseil d’administration réunissant quatre collèges (Etat, industriels, collectivités locales, associations et personnes qualifiées). Le financement de la surveillance est tripartite et la « quote-part » des industriels provient de la taxe sur les émissions polluantes. Les mesures sont complétées par tout un travail de modélisation qui prend en compte à la fois le transport des polluants en fonction des paramètres météorologiques mais aussi la chimie de l’atmosphère. Le développement des modèles permettant la prévision, la cartographie et l’évaluation des expositions s’appuie sur les programmes de recherche lancés, en France par exemple, dès 1995 par PRIMEQUAL (programme de recherche interorganisme pour une meilleure qualité de l’air à l’échelle locale, (http://www.primequal.fr/).

L’épidémiologie qui a permis l’évaluation de la pollution sur la santé, n’a cessé de se développer accompagnée par son complément indispensable, la toxicologie. Les études écologiques récentes confirment le lien à court terme entre les niveaux de pollution et l’occurrence de pathologies. Cependant, si cette relation est confirmée, elle est sans seuil ce qui signifie que, si les effets de la pollution augmentent avec les concentrations de polluants, il n’existe pas de niveaux de pollution en dessous desquels les polluants sont inoffensifs. Cette constatation remet en cause la gestion par les normes et les pics, et attire l’attention sur les effets chroniques possibles responsables, sur le long terme, de l’occurrence de certains cancers. A l’heure actuelle, des études sur les effets de la pollution de l’air, à long terme, sur la santé humaine sont entreprises mais se heurtent à la difficulté de la reconstitution des expositions sur plusieurs dizaines d’années. Il ne faut pas oublier que les personnes vulnérables sont aussi celles qui ont par exemple, à gérer un lourd héritage de proximité industrielle. Cette préoccupation légitime, de la gestion du risque sur le temps long, rejoint le souci porté par le concept du développement durable.

De plus en plus les conseils régionaux mettent en œuvre des programmes de recherche locaux. L’apport de connaissances au territoire n’est pas neutre et suppose une concertation entre le champ de l’expertise et celui de l’action au sein d’une gouvernance difficile à construire au niveau local et à articuler avec un fonctionnement vertical des territoires.

Ce souci de la proximité pose les questions du passage de la connaissance à l’action et de la relation entre l’individu et la collectivité. Or, ce sont ces questions sur lesquelles achoppent le développement durable et même, dans une certaine mesure, la prévention de la pollution atmosphérique.

1.

 La santé, élément-clé de la déclinaison territoriale de la maîtrise des pollutions

Les difficultés induites par la déclinaison territoriale du développement durable ont été déjà largement soulignées (B.Zuindeau, 2000). La prise en charge de la pollution atmosphérique par les politiques locales n’est pas non plus sans difficultés en dépit d’un souci affiché de mener une politique « au plus près des territoires  » impliquant les habitants selon le mode participatif préconisé par le développement durable. L’appropriation de la pollution atmosphérique par les habitants est encore à construire alors que leur implication dans les transformations liées à la maîtrise de la qualité de l’air est incontournable.

La pollution de proximité connaît un renouveau marqué depuis une quinzaine d’années

Dans le champ de la pollution atmosphérique, une pollution de proximité s’entend comme une pollution ambiante qui ne résulte pas majoritairement de transferts atmosphériques à longue distance et qui est déterminée par le voisinage de sources d’émissions fixes ou mobiles. (I.Roussel, 2006)

Les outils de la proximité se sont affinés. La finesse des modèles utilisés à l’heure actuelle permet, non sans incertitude toutefois, de définir des zones dans lesquelles la pollution atmosphérique est plus concentrée, les “ hot spots ”. L’évaluation des expositions est encore difficile à généraliser tant est grande l’hétérogénéité des situations ce qui est une caractéristique spécifique de la proximité. Le développement des techniques d’identification des sources permet, grâce à la reconnaissance des signatures des différentes émissions (véhicules, usines, chauffage…) de mettre en lumière des responsabilités particulières au sein de la pollution mesurée qui intègre des contributions effectuées à différentes échelles mais rend plus difficile la définition de territoires de gestion. Si la pollution atmosphérique s’étend du logement jusqu’à la planète, les différentes échelles peuvent se superposer et ainsi, le niveau de pollution mesuré peut rendre compte de la pollution liée à des sources proches et responsables de ce qu’il est convenu de nommer des « points noirs  », mais il intègre également le niveau des « bruits de fond  » issus de la ville ou de la région. La diminution des émissions urbaines qui demande des investissements énormes, en particulier pour généraliser les transports en commun, ne se traduit pas par une amélioration immédiate et locale de la qualité de l’air urbain qui continue à être détériorée par les conditions régionales.

Le paradoxe de la territorialisation de la qualité de l’air

La LAURE comportait deux volets principaux concernant la gestion de la qualité de l’air : la surveillance et l’aménagement du territoire. Incontestablement, le second volet, le plus innovant, a connu des difficultés liées à la faible congruence entre l’air et le territoire. En revanche, la mise en place d’un réseau de mesure performant est une réussite à telle enseigne que les AASQA ont acquis une lisibilité qui, dans l’esprit des habitants, cristallise autour de leur structure, l’ensemble des questions liées à la qualité de l’air. D’un point de vue général, ces dernières années, le diptyque réseau/territoire a plutôt fonctionné en faveur du développement des réseaux de mesure.

Evoquer la territorialisation de la qualité de l’air relève du paradoxe (H.Scarwell, 2007) puisque, comme l’a illustré l’accident de Tchernobyl, l’air n’a pas de frontières : les émissions polluantes se déclinent territorialement mais à différentes échelles, du local au global depuis la pollution due à la fumée de cigarette dans une atmosphère confinée jusqu’à l’effet de serre. Par sa volatilité même, l’air est l’élément de notre environnement le plus difficile à contenir à l’intérieur d’un périmètre administratif. La gestion territoriale de cette ressource naturelle doit donc transgresser les différentes structures spatiales. Les limites spatio-temporelles de l’air sont floues et fluides en revanche la pollution atmosphérique est davantage circonscrite au sein d’un périmètre. M.Serres (2008) fait remarquer que c’est bien la pollution qui signe le territoire : « Les décharges géantes des villes marquent l’appropriation, par leur collectivité, de la nature environnant ces cités. Ne cessant de salir ce qui nous entoure, nous nous l’approprions sans nous en apercevoir.  » L’aménagement du territoire, ou plutôt son « ménagement », devient un élément sensible de la gestion de la qualité de l’air à travers une meilleure maîtrise des déplacements et des impacts sanitaires des différentes infrastructures routières et industrielles suggérées par le développement durable. L’organisation administrative française impose une territorialisation forte qui fait correspondre à chaque structure institutionnelle un périmètre spécifique. Cependant, dans le domaine de la qualité de l’air, il s’agit de repenser le territoire autrement, en s’arrêtant davantage sur les échanges inter ou trans-territoriaux que sur des périmètres de gestion figés et autonomes. Cette flexibilité des territoires de gestion s’impose d’autant plus que la globalité des pollutions dissocie spatialement les émissions des immissions. La maîtrise des sources ne relève pas des mêmes territoires que ceux qui ont à identifier et à prévenir les impacts et les effets.

L’implication des habitants s’impose mais reste difficile

Ce souci de proximité, lié à la perception de l’exposition et au sentiment des habitants d’être victimes d’une source de proximité correspond également à un désir d’action. L’évaluation de la pollution ne peut se satisfaire de simples constats, elle vise en premier lieu la recherche de réponses adaptées à des situations considérées comme problématiques ou à risques : La recherche de remédiation.

Dans l’ensemble, les résultats du Baromètre santé environnement (http://www.inpes.sante.fr/CFESBases...) montrent que 85 % de la population estime que la pollution de l’air extérieur présente un risque élevé pour la santé des Français. Cette enquête permet également de confirmer le rôle important des perceptions sensorielles dans la représentation de la pollution atmosphérique. En effet, les odeurs et les fumées sont considérées comme des éléments sensibles de la qualité de l’air. Ainsi, plus de la moitié des Français pensent que les mauvaises odeurs sont un signe de pollution de l’air extérieur et plus de 60 % assimilent systématiquement fumées et pollution. La participation des habitants aux politiques risque de privilégier les aspects sensibles des polluants au détriment d’éléments plus toxiques et moins visibles. Le grand beau temps propice à la formation de l’ozone n’est-il pas associé à un sentiment de confort qui va à l’encontre d’une prévention fondée sur le danger ? C’est alors qu’apparaît un décalage entre la gêne ressentie et combattue par les habitants et l’évaluation scientifique des risques qui ne prend en compte que l’occurrence des pathologies et ne peut pas répondre aux interrogations trop individualisées. Ce décalage est d’autant plus fort que les cartes indiquant la répartition spatiale des polluants se généralisent sans être accompagnées par des précisions sur les risques induits. (I.Roussel, 2007).

Ces difficultés rencontrées dans le cadre de la gestion de la proximité sont appelées à évoluer.

 Vers un élargissement des perspectives

Le caractère chronique des faibles risques et, en même temps le risque majeur et global du changement climatique redéfinissent totalement la prévention de la pollution atmosphérique.

La société du risque, les limites de la gestion par les normes.

En effet, les études récentes montrent la fin de la linéarité entre les sources et les effets sanitaires tout en mettant l’accent sur l’importance des pollutions chroniques. La pollution intérieure, en particulier, montre que la complexité du milieu ambiant agit de manière objective ou subjective sur le déclenchement des pathologies et également sur la notion de confort et de qualité de vie, elles-mêmes sources de bonne santé. Ce ne sont plus seulement les polluants toxiques issus de la cheminée de l’usine qu’il s’agit d’éradiquer mais c’est l’ensemble des produits mis en vente qu’il convient de maîtriser. Cette transformation du risque lié à la qualité de l’air met en cause l’ensemble des comportements et des modes de vie. Or, si, dans le cadre du développement durable, il est possible d’imposer des restrictions strictes à des industriels et de contrôler un nombre restreint de cheminées d’usines, il est beaucoup plus difficile de changer rapidement les modes de consommation fondés sur une énergie abondante et bon marché. Il faut plus de dix ans pour que le bénéfice d’une technologie plus sobre et économe percole sur l’ensemble du parc automobile. Sans compter la difficile évolution culturelle qui consiste à faire passer les habitants d’un statut de victime de la pollution industrielle à un statut d’acteur direct de l’environnement.

Les modes de vie sont aussi interrogés par l’inégalité des consommations énergétiques et l’empreinte écologique mise en lumière par la perspective du changement climatique.

Le risque majeur du changement climatique

Le changement climatique revisite à la fois la santé environnementale et la vision de la pollution atmosphérique par les habitants. Les hypothèses formulées par le GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) ne cessent de se confirmer et le récent rapport “ facteur 4 ” souligne l’importance des réductions qui restent à opérer dans les émissions de gaz à effet de serre (GES) ainsi que l’ampleur des efforts à consentir. Cet élargissement des perspectives impose la nécessité de travailler sur une vision intégrée de la pollution atmosphérique selon les recommandations du rapport de l’Agence Européenne de l’Environnement [1] (Rapport No 5, 2004), intitulé “ Air Pollution and climatic change policies in Europe  [2] . De fait, les sources des GES sont, le plus souvent, également des sources de gaz toxiques. Cependant, les actions qui s’imposent dans le cadre de la réduction des émissions carbonées ne doivent pas mettre en péril celles menées à travers un cheminement long et chaotique en faveur de la qualité de l’air. Autant il serait erroné d’opposer la sécurité sanitaire immédiate à la santé de la planète, autant il est urgent de mettre en garde contre les impacts sanitaires que risquent de provoquer certaines politiques comme sur les biocarburants ou le chauffage au bois. L’incertitude quant’ à l’impact sanitaire des biocarburants se situe à deux niveaux, celui de la combustion elle-même au moment de la combustion et celui de l’utilisation plus abondante de produits phytosanitaires pour cultiver les plantes. L’ADEME vient de publier, en avril 2010, une étude sur l’ « Analyse du cycle de vie des biocarburants de 1ère génération » qui ne donne pas d’arguments péremptoires dans le sens d’une toxicité accrue. Un doute persiste néanmoins sur le bioéthanol qui dégagerait davantage de HAP (Hydrocarbures aromatiques polycycliques) que l’essence de référence ce qui peut avoir également une incidence sur la formation de l’ozone. Quant au chauffage au bois, un consensus parait émerger sur l’innocuité des chaufferies d’une certaine taille lorsqu’elles sont bien gérées. L’inquiétude persiste sur les émissions provoquées par les différents chauffages au bois utilisés par les particuliers qui, faute d’une information suffisante, ont tendance à brûler n’importe quel bois dans n’importe quelle condition. Il ne faut pas oublier que, dans le monde entier, l’utilisation de la biomasse comme combustible représente un enjeu sanitaire majeur en raison des émissions de particules provoquées par la combustion.

Pour éviter ces contradictions et maîtriser les effets négatifs, les dommages collatéraux de la maîtrise des GES sur la qualité de l’air, le rapport du sénateur P.Richert préconise la prise en compte globale des environnements atmosphériques (Richert, 2007). Paradoxalement, le logement est un lieu de conflit potentiel entre les investissements à effectuer pour réduire les consommations énergétiques et les dispositions à prendre pour améliorer la qualité de l’air.

La complexité grandissante de la pollution atmosphérique et son caractère très technique échappe au grand public qui saisit de manière beaucoup plus expérimentale les variations climatiques que des phénomènes plus abstraits tels que l’ozone ou les particules qui sont pourtant des enjeux de santé publique majeurs. L’expérience vécue de la canicule de 2003 valide le changement climatique de manière sans doute plus sensible que la notion de pollution atmosphérique, perceptible uniquement à travers la fumée et les odeurs.

Les nouveaux concepts de la santé environnementale.

L’intrusion du climat en tant que « concernement partagé  » par l’ensemble de la population impose un lien universel et, en même temps oblige la réintégration du « non-humain  » dans le champ de l’action publique et privée ce qui suppose une véritable révolution culturelle décrite par B.Latour (1999). Le schéma dichotomique de nuisances affectant séparément l’homme et l’écosystème n’a pas de sens. Il s’agit d’un réseau d’influences mutuelles où il devient possible d’analyser par exemple les bienfaits apportés par les écosystèmes à la santé humaine aussi bien que les risques liés à la prolifération de pathogènes ou de parasites. L’arrivée du climat dans les politiques impose de repenser l’interface trop souvent impensé entre l’homme et la nature. Selon E. Morin (2003) « Notre tradition scientifique occidentale était jusqu’alors dominée par une disjonction fondamentale entre l’homme et le monde physique ou naturel : l’homme avait dans la nature un statut de complète insularité….Aujourd’hui nous découvrons que la science écologique peut se fonder uniquement sur la déinsularisation de la place de l’homme dans la nature….Ce type de solidarité est d’une importance capitale car il nous permet de formuler de nouveaux principes. Nous pouvons affirmer que désormais seule une nature à double pilotage est concevable : la nature doit être pilotée par l’homme, mais celui ci doit, à son tour être piloté par la nature. Les deux copilotes, bien qu’hétérogènes, sont de toute façon inséparables.  » C’est sur cet interface que se situe, aujourd’hui, la santé environnementale qui relève donc d’une double tension entre l’homme et la nature et entre l’individu et le collectif. Cette posture interroge le registre de l’éthique et de la responsabilité. Qu’en est-il du développement durable ? Peut-il adopter ce même positionnement ?

 Quelle perspective pour le développement durable ?

Même couplée avec la perspective, plus lointaine, du changement climatique, la maîtrise de la pollution de l’air reste très liée à la santé et spécialement à la thématique environnement-santé selon une définition totalement renouvelée depuis ces dernières années : « La santé environnementale comporte les aspects de la santé humaine et des maladies qui sont déterminés par l’environnement. Cela se réfère également à la théorie et à la pratique de contrôle et d’évaluation dans l’environnement des facteurs qui peuvent potentiellement affecter la santé. (OMS, 1990)  ». Cette définition souligne l’équilibre nécessaire à trouver entre l’homme et l’écosystème qu’il habite. Cet équilibre à construire se situe à toutes les échelles. La notion de développement durable est-elle suffisamment souple pour s’intégrer non seulement au niveau du territoire mais aussi à celui de l’individu puisque la santé, in fine, se décide au niveau individuel, celui de la vulnérabilité ? Les réflexions actuelles sur ce concept permettent-elles de l’élargir au-delà du domaine normatif pour lequel il a montré son efficacité ? L’équité territoriale, pilier du développement durable, est-elle étayée par un souci éthique de solidarité et de responsabilité dans lequel l’affectivité trouve sa place ? Si le développement durable a pu apparaître pour certains comme la généralisation du paradigme de développement des pays du nord, la vocation universelle dont il se réclame s’appuie nécessairement sur l’humanitaire qui, selon D.Fassin. : « assure la relève de l’agir pour l’Autre dans la construction de ce que l’on nomme nouvel ordre international. Parce que la médecine est supposée détenir une sorte de pouvoir de neutralité et de désintéressement au dessus des conflits et des intérêts, elle semble légitime à proposer une conception des rapports internationaux fondés sur les droits de l’homme » (D.Fassin , 1997, p.101-102). Il semblerait que, dans ces conditions, le développement durable agisse pour donner aux êtres humains un soin et un respect égaux.

Peut-on alors envisager que les mutations sociétales récentes imposent la redéfinition de contours plus récents nouveaux et plus précis du développement durable qui intervient dans une synergie de plus en plus large entre la gestion de l’écosystème planétaire et la santé humaine ?

 Conclusion

Alors que les préoccupations sanitaires ont toujours été très présentes dans les politiques mises en œuvre pour maîtriser la pollution de l’air, le développement durable s’est davantage construit sur des bases écologiques pour rendre compatibles ? les activités humaines avec l’exploitation des ressources de la planète. Le concept de développement durable a accompagné la gestion de la pollution atmosphérique dans son passage de l’hygiénisme à l’environnement à travers un élargissement spatio-temporel des perspectives. Or, la notion de santé, si elle reste un levier indispensable pour mobiliser des actions préventives, est plus mal à l’aise pour s’appliquer à ces différentes échelles. Le concept de développement durable, adopté de manière emblématique par de nombreuses entreprises et collectivités territoriales est insuffisant, pour l’instant, pour mobiliser des comportements affectifs ou des attitudes préventives de santé dans la mesure où la santé est un champ impensé par le développement durable. Il semble qu’actuellement, l’urgence du changement climatique et les grandes crises qui affectent notre société, imposent de réconcilier la prévention de la santé humaine avec les préoccupations environnementales. La santé de l’homme est étroitement dépendante de celle de la planète. Cette dépendance rend nécessaire de redonner une nouvelle impulsion à la notion de santé environnementale au sein de laquelle le développement durable pourrait trouver sa place.

Paradoxalement, l’élargissement des perspectives sanitaires aux dimensions de la planète se traduit par une demande d’ancrage local fort, par une politique « au plus près des territoires ». Les progrès de la connaissance, l’élaboration de modèles aux échelles fines, l’enracinement territorial des recherches, la sensibilité des populations à la santé individuelle contribuent à définir un rapport nouveau de la proximité au politique qui stigmatise ou révèle des inégalités difficiles à admettre. Ces nouvelles orientations de la connaissance ou de la surveillance appellent le rassemblement des acteurs en s’appuyant davantage sur des valeurs et l’affectivité des habitants que sur la rationalité technique. Effectivement, il semblerait que les élus locaux, en particulier ceux des grandes agglomérations, soient de plus en plus conscients de la complexité des questions environnementales. La multiplicité des acteurs concernés supposent qu’ils soient regroupés au sein d’une gouvernance fortement articulée aux niveaux régionaux, nationaux et même planétaires. Comment le développement durable et la qualité de l’air sauront-ils s’intégrer dans ces nouvelles structures pour conjuguer le long terme et la proximité ? C’est tout le paradoxe de l’environnement interrogé, à la fois lointain et proche, individuel et collectif.

Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[2Voir aussi le rapport technique de l’AEE, 2006, Air quality and ancillary benefits of climate change policies (Qualité de l’air et bénéfices indirects des politiques en matière de changement climatique),

 Outils

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 Bibliographie

Pour en savoir plus

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