Construire des indicateurs sociaux départementaux : La coopération entre les départements et la statistique publique

4 mars 2013

Résumé

La construction d’indicateurs sociaux départementaux s’inscrit dans le cadre de la décentralisation des politiques sociales. Il s’agit de mettre à la disposition des collectivités territoriales des outils, les plus objectifs possibles, pour éclairer leurs politiques sociales. Il s’agit aussi de construire des outils utiles à l’échelon national pour répartir les financements, outils approuvés par l’échelon départemental.

Cette démarche s’inscrit nécessairement dans la longue durée, eu égard à la diversité des réalités départementales et à la nécessité, pour aboutir à des indicateurs largement partagés, d’associer les praticiens de l’action sociale les plus concernés.

Le travail accompli et les premiers résultats obtenus sont illustratifs de ce que peut offrir une coopération entre des organismes centraux, notamment ceux de la statistique publique, et des acteurs décentralisés, les conseils généraux.

Ainsi, une première liste d’indicateurs, périodiquement actualisés, figure désormais sur le site de l’Insee. Une typologie des départements a pu être constituée, qui caractérise leur degré de vulnérabilité sociale. Les travaux continuent, qui déboucheront notamment sur des indicateurs infra-départementaux.

Auteur·e·s

Mansuy Michèle

Statisticienne-économiste. A été coanimatrice du groupe d’expérimentation ADF-DREES « indicateurs sociaux départementaux


Gély Alain

Statisticien-économiste. Retraité. A travaillé à l’Insee, à la direction générale (notamment comme rédacteur en chef du Courrier des statistiques) et en directions régionales, à la direction de la prévision du Ministère des Finances, dans divers services statistiques ministériels (commerce, direction du développement des médias, industrie, services régionaux de statistique agricole, tourisme) et pour deux syndicats : la CFDT puis la CGT.

alaingely@orange.fr


 La décentralisation des politiques sociales requiert des indicateurs largement partagés



Rappelons brièvement le contexte. La décentralisation amorcée en 1982 a progressivement confié aux collectivités territoriales, et notamment aux conseils généraux, de vastes responsabilités en matière d’action sociale : insertion sociale des jeunes, protection de l’enfance, action sociale concernant les personnes handicapées et les personnes âgées. Ils exercent ces prérogatives en relation avec les services de l’Etat, des organismes de protection sociale et des observatoires spécialisés : la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF), la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), l’Observatoire de l’action sociale décentralisée (Odas) et l’Observatoire national de l’enfance en danger (Oned) [1]
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Aide sociale à l’enfance

L’aide sociale à l’enfance financée par les départements recouvre deux formes principales : les mesures éducatives (50 % de l’ensemble des mesures) et les mesures de placement (50 % également), ces dernières très majoritairement décidées par l’autorité judiciaire. Les départements peuvent aussi accorder des aides financières aux familles Au niveau national, l’Oned a pour mission de « mieux connaître le champ de l’enfance en danger pour mieux prévenir et mieux traiter [2] »

Personnes handicapées

Les prestations départementales allouées aux personnes handicapées comprennent l’allocation aux adultes handicapés (AAH), financée par l’État, les allocations de compensation qui relèvent des Conseils généraux : allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) et prestation de compensation du handicap (PCH) pour les moins de 60 ans (respectivement 24 et 32 % du total des bénéficiaires) la rémunération des aides ménagères ou auxiliaires de vie (6 % du total), ainsi que des aides à l’hébergement (accueil en établissement, accueil familial et accueil de jour ; 38 % du total).

Personnes âgées

La principale prestation départementale en faveur des personnes âgées est l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) : près de 87 % du nombre d’aides aux personnes âgées, fin 2010. L’APA est versée aux personnes âgées de 60 ans et plus évaluées comme étant en situation de perte d’autonomie, auxquelles une aide est reconnue nécessaire pour accomplir les actes essentiels de la vie. Vient ensuite l’aide sociale à l’hébergement (ASH), qui est une aide à l’accueil en établissement pour les personnes âgées dont les ressources et celles des obligés alimentaires sont insuffisantes, et qui peut faire l’objet d’un recours sur succession. L’APA n’est pas soumise à conditions de ressources, mais la partie restant à la charge du bénéficiaire dépend fortement des revenus de son foyer. Les autres aides départementales regroupent les aides ménagères du Conseil général et les prestations destinées aux personnes handicapées de 60 ans et plus.
La CNSA verse aux départements une partie des ressources qui leur servent à financer les prestations individuelles aux personnes âgées dépendantes et aux personnes handicapées.

Insertion sociale

Les prestations au titre de l’insertion sociale correspondent pour l’essentiel au versement du RSA socle (fin 2010 et pour l’ensemble des régimes général et agricole, 1,4 million d’allocataires correspondant à 2,8 millions de personnes couvertes, si l’on compte aussi le conjoint et les enfants éventuels de l’allocataire). S’y ajoute le financement de contrats aidés pour certains bénéficiaires. Le RSA activité, qui est un complément pour les foyers à faible revenu d’activité, n’est pas de la compétence des Départements mais de celle de l’État. Le RSA est versé par les caisses d’allocations familiales (CAF) et de mutualité sociale agricole (MSA).

Bien entendu, cette décentralisation doit s’accompagner de transferts de ressources fiscales et sociales des organismes centraux vers les collectivités territoriales, afin que ces dernières aient les moyens humains et financiers de leurs responsabilités.


La diversité des départements français au regard de l’action sociale

Les départements sont très différents. En taille de population bien sûr (un peu moins de 80 000 habitants en Lozère en 2009, presque 2,6 millions dans le département du Nord). En part des ménages aux revenus très modestes également : en 2008, le taux de pauvreté varie entre 7 % (dans les Yvelines) et 21 % (en Seine-Saint-Denis).

Au-delà des critères comparatifs usuels (taille et structure par âge de la population, degré d’urbanisation), rassembler les départements selon les profils des populations concernées par leur action sociale permet à chacun d’entre eux de mieux mettre en évidence leurs contraintes spécifiques, comme on le verra ci-après avec la typologie issue des indicateurs sociaux départementaux.

De plus, les échanges entre départements sur leurs pratiques sont d’autant plus fructueux que leur contexte social est comparable. Que ce soit pour les bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et plus encore du revenu de solidarité active (RSA), ou encore pour l’ensemble des quatre politiques sociales décentralisées notamment, les contrastes entre départements sont importants.

Ainsi, les dix départements où la dépense d’action sociale pèse le moins sur la dépense totale y consacrent 36 % de leur budget global, contre 43 % en moyenne nationale. En revanche, pour les dix départements où la charge d’action sociale est proportionnellement la plus forte, la dépense sociale représente un peu plus de la moitié de leur budget total. En l’absence d’une péréquation et d’une action sociale renforcée de l’Etat, les inégalités se creuseraient irrémédiablement entre les habitants des départements aisés, dont les conseils généraux auraient les moyens financiers d’agir, et les habitants des départements les plus en difficulté, qui ne pourraient bénéficier de l’accompagnement social nécessaire. Ces transferts et cette indispensable péréquation, pour ne pas s’exercer dans l’arbitraire, exigent des critères clairs et reconnus, fondés notamment sur des indicateurs largement partagés. A défaut de quoi elle serait rejetée par les départements « riches » et les contribuables aisés ou moyens.


Même si la question des transferts et de la péréquation ne se posait pas, les conseils généraux, les professionnels et les acteurs sociaux locaux auraient besoin, pour guider leur action, d’informations statistiques fiables et claires ainsi que d’analyses fondées entre autres sur ces informations. Il s’agit de pouvoir comparer leur situation locale à celle d’autres départements et de rassembler des outils d’évaluation des politiques menées. Cette nécessité est d’autant plus forte que les budgets sociaux de l’Etat et des départements sont contraints, de plus en plus contraints, et que les problèmes économiques durables engendrent une aggravation du chômage et de la précarité financière.

En effet, la crise économique, dont la politique des conseils généraux ne peut être considérée comme responsable, se traduit par des obligations accrues, notamment en matière d’insertion sociale. D’autre part, les ressources fiscales des départements sont tendanciellement réduites, surtout dans les départements les plus frappés par le chômage. Ces départements sont pris en tenaille entre des dépenses croissantes et des ressources restreintes, ce qui nécessite des transferts accrus en leur faveur... au moment où les autres départements ainsi que l’Etat sont dans une situation financière détériorée. L’exemple du revenu de solidarité active est emblématique à cet égard. Si l’on dispose d’indicateurs largement considérés comme pertinents, la solidarité nationale et sociale s’exercera plus aisément au profit des habitants des départements en général, et en particulier de ceux qui sont les plus gravement touchés par la crise.

Or, en dépit ou à cause de leur abondance, les informations statistiques dont disposent les conseils généraux posent, de leur point de vue, au moins deux types de problèmes :

  • il y en a trop : en effet, les données administratives très détaillées nécessaires à la gestion et au paiement des prestations constituent, une fois rendues anonymes, autant de sources statistiques potentielles. Comment s’y retrouver alors dans ces masses de données ? Devant cette surabondance , un responsable politique national ou local sera tenté de se fier à son flair au moment de la décision. Puis, dans la perspective des bilans et des évaluations, de mettre en exergue quelques cas particuliers bien choisis pour susciter l’empathie afin de valoriser son action et fonder de nouveaux projets ?
  • il n’y en a pas assez : les statistiques sont forcément trop tardives : c’est ainsi que, début 2013, les données locales sur le revenu les plus récentes remontent à 2010 [3] , ou trop grossières (l’action sociale locale est souvent très ciblée) ; d’où la tentation de déformer celles qui existent ou d’en confectionner de nouvelles par diverses enquêtes ou en constituant de nouveaux fichiers ; on aggrave ainsi la profusion que l’on dénonce par ailleurs... et on accentue le rejet par les citoyens de plus en plus sollicités pour des enquêtes statistiques dont ils ne voient pas toujours la finalité et dont ils pensent qu’elles ne leur serviront à rien, avec parfois même le sentiment qu’elles pourront être utilisées contre eux [4].

De plus, les indicateurs construits à partir de ces informations statistiques sont forcément aux yeux des utilisateurs des conseillers généraux :

  • soit trop synthétiques, ignorant la diversité des problèmes, ou trop simplistes, ignorant leur complexité ; ainsi, un même taux de chômage prend un sens différent selon la durée de perte d’emploi : situation difficile mais transitoire si celle-ci est très courte, signe de désajustements structurels forts si cette perte d’emploi se prolonge ; à la limite l’indicateur devient un « dictateur » s’il est unique et s’il induit des décisions automatiquement indexées sur lui ;
  • soit trop nombreux ou trop sophistiqués, assortis de formulations mathématiques incompréhensibles pour la plupart des citoyens, et peu aptes à éclairer la décision.

 Il faut tenter de sortir par le haut de ces difficultés, ce qui a été l’objet d’une démarche en quatre étapes.


La construction des indicateurs sociaux départementaux : quatre étapes rassemblant les acteurs les plus concernés

La démarche adoptée pour construire des indicateurs sociaux départementaux peut être résumée ainsi en trois étapes achevées et une quatrième en cours :

  • Première étape : rassemblement initial des acteurs concernés pour « poser le problème » : c’est l’objet du colloque organisé en janvier 2008 par le Conseil général de Loire Atlantique, le Conseil national de l’information statistique (Cnis) et l’Assemblée des départements de France (ADF) ;
Connaître pour agir

… ou quelle information statistique construire et partager au service des politiques de solidarité ?

Tel était le thème du colloque organisé à Nantes le 23 janvier 2008 par le Conseil général de Loire-Atlantique, le Cnis et l’ADF.

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Les conseils généraux et les différents acteurs locaux des politiques sociales y ont exprimé la nécessité d’une information adaptée sur la mise en œuvre et l’impact des politiques publiques et le suivi des objectifs fixés par la loi, et comparable pour tous les départements.

Pour avancer, des représentants des départements et des producteurs nationaux d’information sociale ont collaboré dans le cadre du groupe de travail « indicateurs sociaux départementaux » du Cnis, avec l’appui de l’ADF, pour définir des indicateurs prioritaires. Ces indicateurs constituent le noyau dur d’un système d’information partagé entre les échelons centraux et locaux pour les quatre principaux domaines de l’action sociale départementale : personnes âgées dépendantes ou en risque de dépendance ; enfance et jeunesse en danger ; minima sociaux et insertion ; personnes handicapées.

  • Par la suite, seconde étape : présélection d’un ensemble d’indicateurs pertinents au regard de l’action sociale des départements ; c’est la tâche accomplie en 2008-2009 par un groupe de travail du Cnis, appuyé par l’ADF, avec la participation active de départements volontaires et d’organismes concernés).
  • Troisième étape en 2010-2012 : s’assurer de la faisabilité des indicateurs et, notamment par des travaux de typologie, de leur pouvoir explicatif ; un groupe de travail coordonné par l’ADF et la Direction des études, de la recherche et des statistiques du ministère des affaires sociales (Drees) s’est chargé de cette mission. Pour cela ce groupe a choisi d’utiliser la batterie d’indicateurs sélectionnés par le groupe du Cnis pour analyser les disparités entre départements sur deux thèmes transversaux d’actualité : le vieillissement et la précarité. En parallèle et en cohérence avec ces travaux interdépartementaux, des partenariats locaux ont été constitués sur ces deux mêmes thèmes, dans des départements volontaires et des analyses ont été conduites à un niveau local plus fin (zone d’emploi, commune ou quartier pour la précarité ; intercommunalités pour le vieillissement) ; ce deuxième groupe était composé des mêmes acteurs que celui du Cnis, avec de nouveaux volontaires permettant une bonne couverture du territoire et associant des départements aux caractéristiques diverses ; il a d’ores et déjà débouché sur des résultats tangibles :
    • La publication sur le site de l’Insee d’une première batterie d’indicateurs, une cinquantaine, accompagnés chacun d’une documentation précise sur son « mode d’emploi » : qualités, limites, déclinaisons possibles... (voir encadré) ;
    • La publication d’un rapport présentant les résultats obtenus et des axes de travail pour la suite.
  • Quatrième étape : à partir de 2012, le réseau qui s’est ainsi constitué s’est pérennisé, toujours sous la double commande Drees-ADF ; un site coopératif a été ouvert par le conseil général de l’Ardèche, accessible à tous les participants.

 Les premiers apports de la démarche



Une première vague d’indicateurs a pu être calculée, validée et mise à disposition publique (voir l’encadré ci dessous)

Liste des indicateurs validés à ce jour (janvier 2013)

La liste des indicateurs retenus à ce stade se trouvent notamment sur le site de l’Insee :
http://www.insee.fr/fr/publications...

Indicateurs de contexte

Ces indicateurs visent à préciser le contexte démographique et socio-économique des départements et à mettre en lumière leurs points forts et leur fragilités.


Aide sociale à l’enfance


Personnes handicapées


Personnes âgées


Insertion sociale


Indicateurs financiers

En 2010, les Conseils généraux français ont consacré 30,4 milliards d’euros nets à l’aide sociale. Ce montant se chiffre à 28,9 milliards d’euros nets en France métropolitaine, dont 26 milliards pour les quatre grandes catégories d’aide à savoir : celle liée au revenu minimum d’insertion (RMI), contrat d’insertion - revenu minimum d’activité (CI-RMA) et aux contrats d’avenir, RSA « socle » et RSA expérimental pour 7,4 milliards nets, incluant 6,6 milliards d’allocation ; l’aide sociale aux personnes âgées pour un montant net de 6,6 milliards ; l’aide sociale aux personnes handicapées pour 5,5 milliards nets et l’aide sociale à l’enfance dont les dépenses nettes s’élèvent à 6,5 milliards.

Les départements d’Outre-mer ont quant à eux consacré 833 millions d’euros pour les dépenses nettes liées au RMI, CI-RMA et aux contrats d’avenir, 267 millions pour l’aide sociale aux personnes âgées, 105 millions pour l’aide sociale aux personnes handicapées et 202 millions pour l’aide sociale à l’enfance.

A l’issue des trois premières étapes, les travaux et les débats qu’ils ont suscités au cours de réunions mensuelles associant des représentants des départements et des organismes nationaux, dont la statistique publique, ont permis :

  • D’écarter quelques indicateurs qui avaient été présélectionnés mais qui se sont avérés impossibles à mobiliser de manière durable, redondants ou encore trop ambigus, notamment en raison des pratiques diverses selon les départements. Ainsi, la part des allocataires CAF dont les revenus sont composés majoritairement de prestations ne figure plus dans la liste : cet indicateur, fortement corrélé au taux de pauvreté monétaire dans le département, faisait double emploi. Dans un autre registre, l’indicateur concernant les enfants de 3 à 4 ans détectés comme nécessitant un suivi de santé spécifique lors de leur visite médicale organisée par les conseils généraux a été abandonné. En effet, dans certains départements, cet examen concerne tous les enfants, tandis qu’il est ciblé dans d’autres départements sur les enfants qui sont jugés avoir un risque plus important. La base d’observation est différente selon qu’il y a ciblage ou non, et la comparaison des ratios obtenus entre départements n’a alors pas de sens. C’est ce qu’a révélé la phase d’expérimentation, et cet indicateur n’a donc pas été repris dans la liste finale. Enfin, certains indicateurs n’ont pas été conservés car leur mise à disposition n’est pas réalisable à court-moyen terme. C’est par exemple le cas de ceux concernant les travailleurs pauvres ou les personnes à faible salaire. Leur calcul suppose des travaux de méthode importants pour les consolider (dans le cas des faibles salaires) ou le recueil de données nouvelles à l’échelle du département (dans le cas des travailleurs pauvres, indicateur qui nécessite de croiser des informations sur les salaires avec celles des revenus du ménage, informations non disponibles à ce jour par département). Le groupe a donc exclu ces deux indicateurs, en maintenant une recommandation plus générale de production de données dynamiques concernant l’emploi et les revenus ;
  • D’incorporer d’autres indicateurs qui s’avèrent clairs et utiles mais qui n’avaient pas été repérés lors de la première étape « conceptuelle ». Exemple la composition par âge et type de ménage de la population en situation de pauvreté monétaire : en effet, le taux de pauvreté monétaire fluctue du simple au triple selon le département, mais les victimes de la pauvreté diffèrent aussi ici et là : plus de personnes âgées, ou au contraire de familles et d’enfants, ou encore de personnes isolées, qu’en moyenne nationale. D’autres n’avaient pas été abordées lors de la première étape, faute de temps (dépenses sociales par habitant, …) ;
  • De progresser dans la compréhension mutuelle de l’intérêt et des limites de chaque indicateur ; en particulier, des travaux menés en coopération entre l’Insee et le Conseil général du Nord ont mis en évidence l’utilisation possible des travaux menés à l’échelle nationale pour éclairer les disparités infra-départementales ; il a parfois été nécessaire, pour ceci, de recourir à des variables approchées disponibles au niveau départemental, remplaçant celles qui avaient été repérées nationalement mais non disponibles ou non représentatives localement ; ces travaux ont mis en évidence des zones infra-départementales pertinentes, analogues à celles qu’avaient déterminés des études antérieures beaucoup plus lourdes. En retour, les échanges entre équipe nationale et équipe régionale ont permis de choisir ensemble un indicateur nouveau, la proportion de demandeurs d’emploi de longue durée parmi la population d’âge actif, plus pertinent dans la construction de typologies que celui classiquement utilisé, rapporté à la population de l’ensemble des demandeurs d’emploi, qui n’est pas interprétable seul [5]. http://www.insee.fr/fr/themes/docum...
  • De confectionner et de discuter des typologies adaptées aux problématiques de l’action sociale départementale : voir, ci-après, la « vulnérabilité sociale selon les départements » qui illustre un usage des indicateurs sociaux départementaux.

 Une typologie des départements fondés sur certains des indicateurs retenus .



Des degrés différents de vulnérabilité sociale selon les départements

La population des départements connaît des degrés différents de vulnérabilité sociale. En effet, six groupes de départements se dégagent de l’analyse des bénéficiaires des quatre domaines de la politique sociale décentralisée et des revenus des ménages locaux (voir ci-dessous la carte et les caractéristiques des six groupes). C’est ici une illustration de l’utilité que peuvent avoir les indicateurs sélectionnés par le groupe de travail.

En effet, la typologie présentée a été réalisée à partir d’indicateurs des revenus des ménages, des inégalités entre ménages du département, ainsi que de la proportion de bénéficiaires des politiques en faveur des personnes handicapées et âgées, et de l’insertion sociale. Ces critères de vulnérabilité peuvent être décrits par quinze des variables synthétiques retenues par le groupe de travail [6] : niveau de vie médian, disparité des niveaux de vie, taux de pauvreté de l’ensemble de la population et des personnes de 65 ans et plus, taux de chômage, population des bénéficiaires de l’aide sociale et ses caractéristiques (part de population couverte par le RSA ; taux de bénéficiaires de prestations destinées aux personnes handicapées et aux personnes âgées ; part de ces personnes hébergées en établissement ; part des enfants handicapés scolarisés dans le 1er ou second degré parmi les enfants scolarisés ; taux d’allocataires de l’AAH ; part des personnes les plus dépendantes parmi les bénéficiaires de l’APA domicile ; taux de bénéficiaires de l’aide sociale à l’enfance ; proportion d’enfants et jeunes placés parmi les moins de 20 ans).

A partir d’une analyse en composantes principales [7] fondée sur ces variables, six classes de départements peuvent être distingués [8] et mises en regard du taux de RSA et d’APA, autres indicateurs retenus par le groupe.

Remarque, ici : il serait prétentieux, inexact, d’affirmer avoir ainsi évalué l’efficacité de telle prestation ou de telles dépenses d’action sociale. Plus modestement, l’outil d’analyse ainsi confectionné avec quelques-uns des indicateurs sociaux départementaux permet des réflexions et comparaisons complémentaires, souvent plus riches que celles auxquelles on recourt traditionnellement : comparaison avec les seuls autres départements de la région, ensemble des départements de même type (ruraux ou urbains, littoraux, montagnards...) ou « départements millionnaires » (= dont la population dépasse le million d’habitants) par exemple.

Vulnérabilité sociale : six groupes de départements

1

Note : Cette classification concerne uniquement les départements métropolitains.

Légende :








Bien que les effets de taille de la population et de structure des âges aient été neutralisés [9] , les différences entre départements sont très marquées. C’est d’abord en fonction du niveau de vie des ménages que les départements se différencient, les départements à niveau de vie médian [10] élevé s’opposant à ceux où le taux de pauvreté est fort.

En complément de ce clivage principal, d’autres disparités entre départements apparaissent. Elles sont liées à l’ampleur des inégalités de niveau de vie entre ménages du département, et celle du taux de personnes handicapées bénéficiaires de prestations. La proportion de bénéficiaires de la politique de protection de l’enfance n’intervient qu’ensuite.

Quatre groupes s’écartent notablement de la moyenne des départements.

Les départements aisés (tous les départements franciliens, sauf la Seine-Saint- Denis, et la Haute-Savoie) connaissent les niveaux de vie les plus élevés et la pauvreté la plus modérée. La population d’âge actif est plus nombreuse, en proportion du total. Les cadres y sont très présents. Les bénéficiaires des politiques d’action sociale y sont proportionnellement moins nombreux, mais les dépenses sociales hors insertion y ont des montants plus élevés pour chaque bénéficiaire, alors que c’est l’inverse pour la dépense par habitant. Les inégalités de niveau de vie entre ménages du département sont plus fortes qu’ailleurs.

Les départements à forte pauvreté des moins de 65 ans se situent au nord du pays, et en façade méditerranéenne. Le chômage y est élevé, et les demandeurs d’emploi de longue durée (plus d’un an) sont plus présents parmi les personnes d’âge actif. Les bénéficiaires du RSA socle ou de l’APA y sont plus nombreux, en proportion de la population d’âge correspondant. La pauvreté touche davantage qu’ailleurs les enfants et les jeunes, et aussi les familles monoparentales.

Les sept départements ruraux pauvres sont situés en bordure du Massif Central. C’est au sein des personnes âgées et des couples sans enfant que se concentre la pauvreté dans ces départements. De plus, ils accueillent plus souvent que d’autres des personnes handicapées, enfants ou adultes.

Les deux départements corses sont singuliers. La pauvreté y touche fortement à la fois l’ensemble de la population et les personnes âgées. Les bénéficiaires de l’APA à domicile (mais pas en établissement) et de l’aide sociale à l’hébergement sont plus nombreux. Cependant, ce sont surtout les adultes de 30 à 64 ans qui sont surreprésentés dans la population pauvre.

Enfin, deux groupes de départements se détachent moins de l’ensemble pour les indicateurs choisis : le groupe de départements médians (33 départements) et le groupe des départements médians favorisés (31 départements), ce dernier étant dans une situation plus favorable en matière de revenus et d’emploi, et aussi de dépense sociale par habitant.

Le niveau des dépenses sociales reflète le contexte social

Les six groupes ci-dessus se distinguent par les revenus des ménages qui y habitent, mais aussi par la dépense moyenne par habitant consacrée à l’action sociale (graphique suivant

Revenus des ménages et dépenses sociales, médianes par groupe de départements (en % de la valeur médiane métropolitaine)

Note 1 : pour chaque indicateur, la médiane du groupe est exprimée en % de la médiane des départements métropolitains (en ordonnée).

Note 2 : les dépenses sociales brutes par habitant sont les dépenses de l’année avant déduction des recouvrements, remboursements et récupérations, hors frais de personnel, rapportées à la population du département.

Lire : En 2009, la dépense sociale brute par habitant de la médiane des départements aisés est inférieure de près de 20 % à la dépense médiane de l’ensemble des départements métropolitains.

La carte du RSA reflète celle de la pauvreté

Fin 2010, neuf départements, où la pauvreté et le chômage sont très présents, dépassent de moitié le taux de RSA national moyen (en rouge sur la carte ci-dessous).

Population couverte par le RSA [11] socle au 31 décembre 2010 (% de la moyenne métropolitaine)

Légende :








Lire : Dans le département de l’Hérault, la population couverte par le RSA représente fin 2010 6,8% de la population, soit plus de 1,5 fois la moyenne métropolitaine (4,5%)

Sources : Cnaf, MSA, Insee

Allocation personnalisée d’autonomie : des différences moins marquées que dans le cas du RSA

En proportion de la population âgée de 75 ans ou plus, le taux de bénéficiaires de l’APA varie moins autour de la moyenne nationale que le taux de RSA. Toutefois, l’écart entre les départements le plus concerné et le moins concerné est de 1 à 3 (.carte ci-dessous)

Bénéficiaires de l’APA, en % de la population de 75 ans et plus, au 31 décembre 2009 (% de la moyenne française)

Légende :







Lire : Dans le département de la Nièvre, le taux d’APA est de 24,6%, soit plus de 15% au-dessus de la moyenne nationale (21 %)
Sources : Drees, enquête auprès des Conseils généraux ; Insee

Certains départements, comme le Nord ou la Seine-Saint-Denis, sont au-dessus de la moyenne pour les bénéficiaires des deux prestations.

Si l’on considère simultanément les quatre grands domaines d’action sociale départementale, la population des différents départements apparait plus ou moins exposée aux risques sociaux.

 Conclusion : Concilier démarche descendante et démarche ascendante

L’expérience accumulée par ces trois années de travail a montré que l’on ne pouvait se limiter :

  • Ni à une démarche purement descendante où on se bornerait à désagréger, au niveau départemental, des indicateurs bien définis au niveau national ou international. Illustration : le cas du taux de diplômés de l’enseignement supérieur, rapporté à la population d’âge de fin d’études universitaires (25-34 ans), qui représente au niveau national la proportion de jeunes formés à ce niveau ; cet indicateur présentait de graves distorsions entre les départements-sièges d’universités, qui regroupent pendant la durée de leur formation les étudiants de leur bassin d’attraction, et les autres ; cet inconvénient, négligeable pour une analyse nationale, devient inacceptable quand on veut comparer des territoires entre eux ; l’analyse et les débats ont donc conduit le groupe de travail à préférer un taux de diplôme rapporté au nombre de personnes, au sein de cette population, ayant fini leurs études qui est, lui, parfaitement pertinent à l’échelle départementale pour indiquer l’attractivité des marchés locaux du travail pour ces diplômés ;
  • Ni à une démarche purement ascendante où l’on se contenterait d’additionner des données disparates.

Pour que ces indicateurs soient pertinents, utiles pour des analyses locales et adaptés à des comparaisons, il est le plus souvent nécessaire d’effectuer des allers et retours entre, d’une part, concepts et chiffrages nationaux et, d’autre part, analyses et travaux locaux, dans un partenariat actif entre les acteurs concernés pour construire les indicateurs partagés les mieux adaptés. C’est aussi le gage d’une meilleure appropriation à terme de ces indicateurs par les acteurs locaux. Tant il est vrai que la production d’indicateurs ne peut être une fin en soi.

L’enjeu est maintenant, pour que la démarche entreprise porte pleinement ses fruits, la généralisation et l’appropriation de ces indicateurs par les conseils généraux qui n’ont pas encore participé à la démarche, les services de l’Etat et les autres partenaires de l’action sociale :

  • De progresser vers l’harmonisation des critères utilisés pour la description et l’analyse de réalités sociales diverses. Par exemple : les travaux ont mis en évidence la nécessité d’une adaptation progressive des différents logiciels utilisés par les conseils généraux (contact a été pris à cette fin avec les éditeurs de ces logiciels)...
  • Tout en respectant la diversité des approches et des politiques sociales décentralisées , qu’il s’agit de mieux éclairer sans prétendre les régenter centralement ou les conformer à des normes technocratiques.



Michèle Mansuy - Alain Gély


 Annexe : Actions sociales départementales

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Graphique 1 : Évolution des dépenses d’action sociale départementale en euros constants (base 100 en 1996).

Champ • France métropolitaine.
Sources • Drees - enquêtes aide sociale départementale. Dépenses hors services communs et autres interventions sociales. Hors frais de personnel à l’exception de ceux liés à la gestion du RMI, quand ils sont identifiables (il existe des différences dans les méthodes d’imputation comptable des départements. Certains départements ne ventilent pas leurs dépenses de personnels entre les différentes sous-fonctions de l’action sociale mais en inscrivent la totalité dans la sous fonction
dédiée aux « services communs »), et des assistants familiaux.
Dépenses nettes : dépenses après prise en compte des dotations et des transferts.



Graphique 2 : Évolution des dépenses brutes d’action sociale départementale par grande fonction (hors prise en compte des transferts de compensation) en euros constants (base 100 en 1996).

Champ • France métropolitaine – hors services communs et autres interventions sociales. Hors frais de personnel à l’exception de ceux liés au RMI et aux assistants familiaux.
Sources • Drees - enquêtes aide sociale départementale, CNAF et MSA pour les allocataires du RMI, RMA et contrats d’avenir.

Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[1Pour plus de détails, notamment sur la péréquation entre collectivités territoriales et son financement, voir « Politiques sociales locales, champ d’intervention et dépenses »
http://www.cairn.info/revue-francai... . Les chiffres de 2008, cités dans les paragraphes qui suivent, en sont issus.

[2Un système d’information géré par l’Oned et alimenté par des données individuelles anonymisées fournies par les conseils généraux, est en cours de construction.

[3Elles sont en effet fondées sur les revenus 2010 déclarés en 2011 à l’administration fiscale. Les traitements lourds (recoupement avec des données d’enquêtes auprès des ménages) nécessaires pour transformer des données purement administratives en statistiques de qualité au niveau local impliquent un décalage d’une année supplémentaire.

[4Voir à ce sujet l’atelier « contexte sécuritaire et statistique publique » lors du colloque organisé par les syndicats CGT, CFDT et SUD de l’Insee en mars 2011, en particulier l’intervention de Paule Laidebeur, du conseil général du Nord : http://www.cgtinsee.org/Kolok/kolok..., pages 38 à 41

[5Mécaniquement, lorsque le chômage augmente, la valeur de cet indicateur baisse. On ne peut donc pas l’interpréter sans tenir compte simultanément des évolutions du taux de chômage général.

[6D’autres typologies plus spécialisées, utilisant des indicateurs plus détaillés concernant d’une part les personnes âgées et d’autre part les populations en recherche d’insertion sociale, ont été construites et sont présentées dans le rapport du groupe, en complément de celle, plus globale, présentée ici : http://www.drees.sante.gouv.fr/rapp...

[7Pour une présentation de l’analyse en composantes principales, voir par exemple ce document de l’Inra : http://transgohan.free.fr/stage/fic...

[8Par convention, les données de revenus relatives à la Corse ont été estimées à la moyenne régionale. En l’absence de données concernant les revenus disponibles, les départements d’Outre-mer n’ont pas pu être classés

[9Par exemple, les taux de bénéficiaires sont exprimés en pourcentage de la population potentielle correspondante, et le taux de bénéficiaires de l’APA est calculé en fonction de la population de 75 ans et plus.

[10La médiane sépare une distribution en 2 parties égales. La moitié de la population se situe en dessous de la médiane, l’autre moitié au-dessus. La médiane caractérise mieux que la moyenne le milieu d’une distribution non symétrique, ce qui est le cas des salaires, revenus, niveaux de vie ou patrimoines.

[11Allocataire, conjoint, enfants et autres personnes à charge

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