Lettre n°19 ---- Printemps 2023

20 avril 2023

Science et politique : des relations compliquées

Les rapports entre la science et la société ont de tout temps été source de progrès comme de conflits. La science est encensée comme bienfaitrice de l’humanité quand elle permet des progrès techniques et une amélioration de nos modes de vie. Elle est au contraire vilipendée dès que les progrès de la connaissance et des technologies heurtent des habitudes ou des avantages acquis. Alimentant la perplexité de l’opinion, l’actualité dans le domaine de l’environnement se fait l’écho de multiples divergences entre annonces scientifiques et réponses politiques. Le décalage ne cesse de grandir entre une expertise qui menace nos modes de vie et une sphère politique qui garantit notre avenir tranquille en invoquant des solutions techniques illusoires.

L’Encyclopédie du développement durable : https://encyclopedie-dd.org

L’exemple des pesticides est édifiant : le Ministre de l’agriculture annonçait cette année son souhait d’obtenir une nouvelle dérogation à l’utilisation de néonicotinoïdes pour les producteurs de betteraves alors qu’ils sont interdits d’usage par l’Union Européenne depuis 3 ans ; sur injonction de la Cour de Justice Européenne, il devra finalement renoncer à cette dérogation. Alors que le chlordécone, à l’origine de cancers de la prostate, était d’ores et déjà abandonné dans de nombreux pays, les responsables politiques prétendent aujourd’hui avoir été mal informées des dangers dus à son utilisation jusqu’à la fin des années 90s aux Antilles. Les palinodies de nos autorités sur la réduction, voire l’interdiction pour les plus nocifs, des pesticides montre la difficulté à mettre en œuvre des promesses faites depuis au moins 20ans. Le Conseil Scientifique de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) agence qui est le conseil des autorités en ce domaine s’est lui-même ému « Le décalage entre science et expertise constitue l’un des facteurs les plus importants d’érosion de la crédibilité et l’Anses ne parvient pas à réduire cette tension ».

Des exemples analogues pourraient illustrer les difficultés du dialogue entre scientifiques, décideurs et citoyens sur d’autres secteurs touchant aux atteintes à notre santé ou à note environnement : climat, nucléaire, biodiversité, gestion des ressources en eau, océans etc...

Ces exemples illustrent les difficultés à repositionner nos sociétés dans un monde en profonde évolution. Le développement durable a prospéré à un moment où chacun pensait que la promotion de notre socle de valeurs – paix, démocratie, solidarités, liberté de l’individu, liberté d’entreprendre, progrès scientifique et technique, etc.- allait assurer des lendemains enchanteurs pour tous. Il y a beaucoup de déceptions sur les fruits de ces 50 dernières années : la dégradation de notre environnement et la perception de la finitude de notre planète en est une, ce n’est pas la seule la répartition inégale des richesses en est une autre, les crises de grands services publics comme ceux de l’école ou de la santé une autre ….la guerre frappe désormais à nos portes

L’accroissement de la circulation de l’information avec les progrès d’internet rend les dispositifs d’intermédiation traditionnels obsolètes. On côtoie dans les réseaux sociaux le meilleur comme le pire. Le complotisme prospère. Néanmoins, aujourd’hui c’est un progrès certain que chacun puisse prendre connaissance des avancées des travaux scientifiques. L’époque des « sachants » seuls capables d’interpréter les travaux des « savants » est derrière nous.

De multiples méthodes et expérimentations veillent à organiser des dialogues plus productifs entre scientifiques, décideurs et citoyens : la Commission Nationale du Débat Public a expérimenté en ce sens plusieurs méthodes et outils, des commissions citoyennes du consensus ont été mises en place dans la période plus récente. Un intérêt de ces méthodes est de créer des lieux de partage des connaissances multi-acteurs ; cela ne suffit pas évidemment à établir des consensus sur les sujets les plus contestés mais permet de mieux faire comprendre et diffuser les enjeux.

Faut-il attendre la catastrophe pour enfin ouvrir les yeux de nos décideurs et permettre que s’établissent des dialogues plus confiants entre scientifiques, décideurs et citoyens, condition d’une démocratie renouvelée.
Modestement, en appui des associations qui s’activent à réclamer les bifurcations nécessaires, notre Encyclopédie veut concourir à l’éclairage des voies qui permettraient de conduire nos sociétés vers un développement réellement durable

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  • L’actualité s’est faite l’écho de multiples divergences d’appréciation des enseignements à tirer des travaux scientifiques. L’instrumentalisation de la science par le décideurs , qu’il s’agisse de semer le doute ou justifier des décisions est un phénomène très ancien. Alimentant la perplexité de l’opinion, l’actualité dans le domaine de l’environnement se fait l’écho de multiples divergences entre annonces scientifiques et réponses politiques, la multiplication des canaux d’information a très largement ouvert le champ des controverses.
    Le présent article examine les progrès et reculs enregistrés en ce domaine dans la période récente
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