n°145 - août 2011
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L’accélération du changement climatique associé à la pénurie alimentaire et d’eau et au renchérissement de l’énergie, à l’horizon 2030, engendrera un risque substantiel d’un effondrement économique et politique, auprès de quoi la récession économique actuelle semblerait mineure.
Concernant les remèdes à mettre en œuvre, le lien entre la récession actuelle et les troubles qui nous attendent en 2020/30 ne saurait être plus clair :
L’enjeu aujourd’hui pour l’Europe est d’inscrire les plans de relance dans le cadre du développement d’une politique industrielle centrée sur le développement des infrastructures et des technologies propres afin de convertir notre société en économie bas-carbone capable de prévenir demain des troubles autrement plus considérables.
Les études menées en Europe et en France depuis plusieurs années déjà par le Cabinet Syndex éclairent les enjeux de la mutation de nos économies d’un double point de vue industriel et social.
Responsable de l’activité développement durable au Cabinet Syndex, spécialiste des études impacts emplois.
Co-responsable de l’activité développement durable au Cabinet Syndex et spécialiste des négociations internationales et des politiques européennes.
Les plans de relance ont été, partout dans le monde, une première occasion importante pour les gouvernements de donner une inflexion verte à leur politique économique. Au-delà de ces mesures conjoncturelles, on peut considérer les perspectives à moyen terme qui s’ouvrent actuellement en France. Il ne s’agit pas ici de détailler les modalités de la stratégie définie par le Grenelle ni d’en commenter l’opportunité, que ce soit par rapport à la continuation du modèle actuel ou par rapport à des options plus radicales de décroissance. Notre interrogation porte ici sur les conséquences économiques et sociales des choix actuels.
La question qui se pose le plus en amont sur ce thème semble être : « passer au vert risque-t-il freiner le développement économique ? ». Aborder cette question de front nous ferait sortir trop largement du cadre de cet article. Nous pouvons simplement dire qu’à l’évidence l’analyse économique pourra donner des indications mais certainement pas trancher ce débat ne serait-ce que parce qu’il n’y a aucune unanimité d’un point de vue scientifique, et plus radicalement que ces problèmes dépassent la dimension strictement économique (définition de la notion de développement et de richesse).
Bien qu’une dissension assez marquée persiste, une bonne part des analystes semble considérer positivement les perspectives ouvertes par le virage vert pour les économies développées, notamment parce que :
Mais comme l’a montré l’étude réalisée pour la Confédération Européenne des Syndicats par Syndex en consortium avec les instituts Wuppertal et Istas, la construction d’un nouveau modèle de développement durable qui respecte l’environnement et se combine avec une diminution des consommations en énergie, en eau et autres ressources naturelles pose in fine la question de la transition sociale pour assurer le passage vers une économie bas-carbone.
Il convient de ne pas restreindre le champ de la transition au nouveau modèle de croissance verte défini comme « une augmentation de la contribution des secteurs producteurs et utilisateurs de nouvelles technologies environnementales (NTE) à la croissance du PIB à tous les échelons, accompagnée de changements structurels » [1]
Ainsi, si l’industrie est indissociable de la croissance bas carbone, répondre aux défis du changement climatique nécessite des transformations profondes de notre modèle de croissance, combinant des modifications de comportement, mais aussi un processus très puissant d’innovation et de création de nouveaux produits et services, bouleversant les chaînes de valeur actuelles. |
Construire une nouvelle économie conciliant protection de l’environnement, progrès social et croissance économique exige de nouvelles formes de gouvernance des politiques publiques [2] comme des entreprises. À ce titre, la Responsabilité Sociale des Entreprises doit être partie prenante du dialogue social au sein de l’entreprise. Par ailleurs, les mutations des systèmes productifs supposent la mise en œuvre d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences d’un point de vue sectoriel et territorial.
Les salariés sont en première ligne dans les entreprises et concernés à la fois par les problématiques d’emplois et de compétences et les problématiques de dialogue social. La question du changement climatique mériterait de devenir un ferment actif pour le renouveau de la relation sociale. Il s’agit plus concrètement de favoriser l’émergence de véritables politique et pratique de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Cela passe par une évolution forte de la gouvernance des entreprises, en permettant notamment à la partie prenante interne – les salariés et leurs représentants – d’avoir une démarche réelle d’anticipation et de disposer d’un droit d’intervention dans la gestion quantitative et qualitative des ressources humaines. Or, aujourd’hui, force est de constater que les pratiques de GPEC s’organisent de manière plutôt défensive autour des moments intenses et plutôt dramatiques que sont les restructurations.
Les travaux prospectifs [3] réalisés, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, à la demande des organisations syndicales CFDT et CGT dessinent les contours des mutations induites par la mise en œuvre des politiques et mesures liées aux enjeux du changement climatique. Toutefois, il faut bien le reconnaître, il est parfois bien difficile de séparer, au sein des dynamiques sectorielles, ce qui ressort en propre de l’impact sur l’emploi des mutations structurelles des industries [4], des mutations liées aux engagements du Grenelle et au renforcement de la contrainte carbone.
Par ailleurs, il convient de rester prudent quant aux résultats de ces travaux. Les dynamiques sectorielles ne doivent pas être interprétées de manière par trop mécaniste. Les incertitudes liées à l’horizon de sortie de la crise, aux évolutions technologiques, comme aux logiques d’acteurs sont de nature à modifier profondément les dynamiques sectorielles de l’emploi.
Ainsi, pour l’industrie automobile, le développement du véhicule propre serait de nature à créer, dans la filière motorisation, plus d’emplois qu’il n’en détruirait. Toutefois, les logiques d’organisation et les performances de marché des constructeurs automobiles européens peuvent conduire à des résultats bien différents.
Cela dit, il apparaît clairement que, pour certaines industries, la mise en œuvre des mesures du Grenelle par rapport à une trajectoire « sans Grenelle » est créatrice nette d’emplois, conférant de la sorte une vertu anticyclique au Grenelle, comme l’illustrent les résultats de l’évaluation économique du Grenelle réalisée par l’équipe d’Erasme. [5]
Menace sur l’emploi dans les industries
confrontées à la contrainte carbone |
Raffinage, sidérurgie, cimenterie,
chimie (amoniac-acide nitrique-noir de carbone-chlorochimie-pétrochimie), tuiles et briques |
Croissance modérée de l’emploi dans le
secteur énergétique |
Production d’électricité, transport de
gaz, chauffage urbain |
Mutation des emplois dans les industries
au cœur de la transition vers une économie bas-carbone |
Automobile |
Croissance de l’emploi dans les industries
de biens d’équipements |
Industrie ferroviaire, industries des
équipements mécaniques et électri- ques, industrie du verre et des mat- ériaux d’isolation |
Du point de vue des dynamiques d’emploi, les industries étudiées se regroupent en quatre catégories :
a. Menace sur l’emploi dans les industries confrontées à la contrainte carbone
b. Le secteur énergétique : une croissance modérée de l’emploi
c. Mutations des emplois dans les industries au cœur de la transition vers une économie bas carbone : le cas de l’automobile
d. Croissance de l’emploi dans les industries de biens d’équipement
Du point de vue des dynamiques de l’emploi, l’étude fait apparaître que la transition vers une économie bas-carbone aura souvent une incidence sur l’ensemble des métiers et des fonctions au sein des entreprises (R&D, conception/innovation, management, encadrement de proximité, techniciens/opérateurs…). Aussi, l’offre de formation doit-elle être en mesure de répondre à plusieurs enjeux :
L’AFPA (association nationale pour la formation professionnelle des adultes) a réalisé une première estimation quantitative et qualitative de l’impact de l’évolution réglementaire liée au développement durable par domaine (construction, électronique, réparation automobile, transports, etc.) en partenariat avec les branches professionnelles et d’autres partenaires comme le Centre d’analyse stratégique(CAS) [7].
Ce travail aboutit à une première matrice d’impact convergente avec nos propres travaux, qui fait clairement apparaître l’enjeu global en termes de formation professionnelle. La transition bas-carbone ne se résume pas à l’émergence de quelques nouveaux métiers (diagnostic énergétique par exemple), mais transforme fondamentalement les métiers de l’ensemble des industries. Ce qui suppose, comme le souligne l’AFPA de repenser l’offre de formation actuelle dans un environnement institutionnel complexe et segmenté.
Travailler l’articulation entre croissance verte et emplois/compétences répond à deux enjeux inversés mais réconciliables :
Cette articulation se travaillera dans des temps différents :
Dans ce cadre, la sécurisation des parcours professionnels apparaît la question-clé de la transition vers une économie bas-carbone.
Pour l’essentiel, les emplois industriels concernés font référence à des métiers pour lesquels l’offre de formation existe aujourd’hui. Toutefois, pour les salariés, la question de la transférabilité des compétences individuelles et le défi de la substituabilité entre les emplois de filières technologiques produits-process différentes demeurent. La reconnaissance de cette transférabilité inter-filières au sein de l’industrie concourt à la sécurisation des parcours professionnels des salariés dans le cadre des mutations sectorielles et intersectorielles.
Il y a donc un enjeu sociétal à articuler et surtout éviter que ne s’opposent croissance verte et sécurisation des parcours professionnels, en intégrant dès l’amont la question de l’emploi lorsqu’elle est posée. Différents dispositifs existants peuvent être mobilisés dans ce but :
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[1] Croissance verte : l’économie du futur, Conseil économique pour le développement durable, rapport de Patricia Crifo, Michèle Debonneuil et Alain Grandjean, novembre 2009.
[2] À ce titre, l’article 42 précise de la loi Grenelle1 précise : « L’État prendra les mesures nécessaires pour que les projets de loi soient présentés avec une étude d’impact des dispositions législatives projetées tant économiques et sociales qu’environnementales. »
[3] SYndex-Alpha, gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans les secteurs de l’industrie et de l’énergie impactés par le Grenelle de l’environnement et l’évolution du système ETS d’échange et des droits d’émission des gaz à effet de serre.
Collection « RéférenceS » du Service de l’Économie, de l’Évaluation et de l’Intégration du Développement Durable (SEEIDD) du Commissariat Général au Développement Durable (CGDD)- Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans les secteurs de l’industrie et de l’énergie dans le contexte d’une économie verte
[4] Cf. Livrable I, octobre 2009.
[5] Résultats de l’évaluation économique du Grenelle de l’environnement par le modèle Nemesis, groupe de travail Scénarios énergétiques, Conseil d’analyse stratégique, novembre 2009, équipe Erasme, Ecole centrale Paris, B. Boitier, A. Fougeyrollas, O. Gharbi, P. Le Mouël, P. Zagamé.
[6] Les centrales électriques à cycle combiné sont des centrales qui contrairement aux centrales dites à cycle ouvert, ont un meilleur rendement. La chaleur liée à la combustion du gaz est récupérée et sert à faire alimenter une seconde turbine cette fois ci à vapeur et non à gaz comme la première turbine.
[7] L’impact du développement durable sur les qualifications et la formation, AFPA,-document de travail, novembre 2009. Présentation au COE ? du 29 novembre 2009.
« Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans les secteurs de l’industrie et de l’énergie impactés par le Grenelle de l’environnement et l’évolution du système européen ETS d’échange des droits d’émission des gaz à effet de serre dans le contexte d’une économie verte » SYndex-Alpha, Collection « RéférenceS » du Service de l’Économie, de l’Évaluation et de l’Intégration du Développement Durable (SEEIDD) du Commissariat Général au Développement Durable (CGDD). http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Ref-GPECb.pdf