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n°241 - septembre 2017
Evolution des biotechnologies végétales
Mots clés associés : innovation, sciences et techniques | agriculture | education | formation | science et recherche | technologie
Résumé

Compte tenu des controverses, il nous a paru utile de faire un point sur les techniques actuelles des biotechnologies végétales, balayant largement les techniques utilisées depuis l’antiquité par les agriculteurs visant à sélectionner les graines issues d’espèces végétales comestibles jugées favorables jusqu’aux techniques les plus modernes nous permettant d’agir sur le génome. Les nouveaux outils biotechnologiques sont l’objet de multiples contestations et de doutes qui concernent des aspects variés de l’agriculture, de l’environnement, de la sociologie, de l’éthique et même parfois de la morale. Dans un siècle en évolution, ces craintes sont normales et le principe de précaution continuera à s’appliquer. Encore faut-il comprendre de quoi on parle pour ne pas rejeter en bloc la sélection qui a été une source majeure de tous temps des progrès de notre agriculture. L’objet de cet article, qui , volontairement , n’aborde pas les enjeux sanitaires ou environnementaux ( liés aux techniques de sélection), est essentiellement de faire un peu de pédagogie sur l’évolution lente des technologies du végétal qui reprennent les outils de la nature, les intensifient, les rendent moins aléatoires, plus précis et enfin mieux adaptés à nos besoins.

Auteurs
Planchenault Dominique

Docteur vétérinaire, Docteur ès sciences en génétique, Dominique Planchenault a été 16 années chercheur au Cirad travaillant sur la résistance des animaux aux maladies non spécifiques.
Ancien directeur du Bureau de Ressources Génétiques, il développe les Centres Européens de Ressources phytogénétiques et zoogénétiques ainsi que les Centre de Ressources Biologiques en France.
Il est l’auteur de nombreuses publications.

Texte

La naissance de l’agriculture se situe aux environs de 12 000 ans avant JC. A la même époque, nous pouvons situer le début du processus de domestication des principales espèces végétales. Deux contraintes guident alors la transformation des espèces sauvages vers une espèce de plus en plus domestiquée.
La première réside dans la nécessité d’obtenir un caractère différent et si possible aisé à repérer. Cette variabilité entre les individus est primordiale. Le fruit est plus gros. Les graines sont plus nombreuses. La fleur est de couleur différente et arrive plus précocement. La germination se fait plus vite. En d’autres termes, il ne peut y avoir de nouvelles variétés que s’il y a des caractères facilement repérables ou des outils qui permettent de les repérer. L’existence d’une variabilité et son maintien sont les composantes majeures d’une capacité d’amélioration génétique.
Pour exercer un choix sur un caractère recherché, la deuxième contrainte est de pouvoir sélectionner et multiplier l’individu porteur. De façon intuitive, la capacité de sélection est directement liée à la reproduction. Au cours de l’évolution, les plantes se reproduisant par auto-fécondation (autogames) avaient une sécurité quasi automatique de proliférer. Les autres plantes devant trouver une voisine pour se multiplier se trouvaient défavorisées. Cependant, si les plantes autogames ont pu se développer rapidement dans des milieux stables, la chute de variabilité concomitante au sein de l’espèce les rendait particulièrement vulnérables lors d’un changement du milieu. A contrario, les espèces allogames peuvent avoir plus de mal à se reproduire, mais la persistance d’une variabilité forte est garante d’une bonne adaptabilité.
Tout au long des siècles, le travail de l’homme a été de favoriser l’émergence de plantes porteuses de caractères intéressants et de leur donner des conditions favorables de reproduction et de croissance. Aujourd’hui, ces deux exigences restent les mêmes. Il est utopique de croire qu’une plante qui ne présente pas des avantages alimentaires, économiques, sociaux ou environnementaux, puisse être recherchée. Par contre, il est tout à fait compréhensible que notre société puisse s’interroger sur les chemins de traverse qui permettent d’exercer un choix support de la sélection. En effet, les nouveaux outils biotechnologiques ouvrent de nouvelles voies pour les obtentions variétales. Elles sont l’objet de contestation, d’incompréhension et de doute. Dans notre société instruite et bienveillante, ces interrogations sont normales. Mais ces outils restent des objets que l’homme peut apprivoiser ou détourner. Il nous faut les comprendre pour ne pas rejeter en bloc la sélection qui a été la source de notre développement.

 Comprendre les avancées

Par une série de tâtonnements, d’essais et d’erreurs, l’agriculteur a pu mettre en place une amélioration empirique des variétés utilisées. Dans sa région, en conservant les plus grosses graines ou les plus beaux individus, l’agriculteur avait l’espoir d’avoir de belles plantes à la saison suivante. Ainsi, sur les 250 à 300 000 espèces végétales comestibles connues, seulement 150 à 200 sont exploitées et à peine 3 (riz, maïs et blé) produisent environ 60% des calories et protéines végétales consommées par l’homme. Ce sont les outils disponibles au cours des différentes époques qui ont abouti à cette énorme restriction.
La sélection s’exerçait sur des critères essentiellement visibles (hauteur de la plante, précocité, largeur de l’épi, etc.) mais aussi sur des critères plus subtils (goût, critères de panification, etc.) issus d’un savoir-faire propre à l’agriculteur. Certains facteurs, comme la résistance aux maladies, ne pouvaient être appréhendés qu’à la faveur d’une erreur ou de l’arrivée d’un pathogène qui révélait les individus résistants. Selon l’opportunité des « accidents », il pouvait y avoir création d’une nouvelle variabilité sur laquelle une nouvelle sélection s’opérait. L’agriculteur progressait par défaut.
La compréhension du système de reproduction des plantes (Rudolf Camerere, 1665-1721) marque un nouveau virage. Avant une connaissance parfaite de la reproduction, il existe un travail important d’introduction, d’acclimatation et de maîtrise des performances agronomiques des plantes (amendements, engrais, fertilisation) impliquant de nombreuses espèces. Ainsi, le blé tendre est apparu, aux environs de 6 000 ans avant JC par hybridation interspécifique (Triticum urartu x Aegilops sp.), alors que les premières hybridations intra spécifiques du blé ne sont faites et identifiées qu’en 1880.
Parallèlement, l’agronomie se développe. Olivier De Serres (1531-1619) fait de nombreuses découvertes en agriculture. Il importe le houblon d’Angleterre pour la bière, le mûrier de Chine qu’il acclimate et des plantes inconnues en France comme la canne à sucre, le riz, la tomate et la pomme de terre. Le roi Henri IV commande 20 000 plants de mûriers qui seront plantés en 1603 dans les jardins des tuileries pour intensifier la fabrication de la soie. L’agriculture progresse par innovation.
D’autres avancées n’auraient pas été possibles sans l’entrée en lice, au côté des sciences agronomiques et de la biologie de la reproduction, des mathématiques, des statistiques et de l’informatique. Les lois de Mendel (1865), très simples, sous-tendent une transmission et une régulation complexes de l’expression des gènes. Les choix ont pu être plus précis grâce à l’observation d’une généalogie plus large. L’arrivée de nouvelles connaissances n’occasionne pas de véritable rupture. Elle permet de mieux comprendre les croisements qui se produisent naturellement entre les espèces, de révéler et observer les hybridations entre les variétés d’une même espèce.

Elle met en place un continuum de savoir et d’utilisation d’outils qui allient le naturel et la nécessité de le guider, de le favoriser ou de l’amplifier en fonction des besoins.
La compréhension de ce continuum de réalisation est déterminante pour l’arrivée des variétés modernes. Entre les hybridations naturelles interspécifiques qui sont les seules à pouvoir être constatées avec les mutations apportant des modifications importantes au sein d’une espèce et les hybridations intraspécifiques réalisées par l’homme, il n’y a pas de rupture. On ne procède plus par une succession d’échecs et de choix. Dans un milieu de mieux en mieux maitrisé, les connaissances sur les diverses variétés s’améliorent. Les croisements peuvent être plus facilement dirigés en fonction des besoins nouveaux. L’agriculture répond mieux aux besoins de la société.

 Comprendre les techniques

Souvent reprise en génétique, l’image d’un jeu de cartes est suffisamment parlante pour montrer que les deux techniques– hybridation et mutation – essentiellement utilisées reviennent dans le premier cas à mélanger deux jeux (les gènes) librement choisis puis à refaire un seul jeu et dans le second cas à introduire de nouvelles cartes dans un jeu connu ou à en supprimer en espérant que l’ensemble reste jouable. La finalité revient à poursuivre la partie grâce à une nouvelle variabilité. Pour cela, différents outils sont utilisés.

Ici, nous abandonnons le domaine de la compréhension et du suivi de la reproduction permettant, après la redistribution aléatoire des gènes, d’obtenir des individus possiblement intéressants, pour entrer dans celui d’un meilleur repérage de ces derniers, d’en augmenter la probabilité de survenue et, in fine, de faire des choix pertinents et adaptés aux besoins.

 Faire des choix adaptés

De tout temps, les agriculteurs ont dû faire des choix adaptés d’abord à leurs contraintes puis ensuite à leurs besoins. Ils devaient choisir la semence correspondant le mieux au milieu qu’ils souhaitaient valoriser. Au fil des temps, ils ont rejeté sur les semenciers les plus performants ce travail de choix qu’ils ne pouvaient plus faire se consacrant à une production moins aléatoire.
Cette évolution ne peut être remise en cause. L’obtention de nouvelles variétés est devenue extrêmement technique. Elle nécessite l’emploi de méthodes de sélections longues et souvent très sophistiquées. L’agriculteur a eu raison de déléguer cette tâche à des semenciers efficaces qui savent répondre à leurs besoins. Il est illusoire de croire qu’il est possible de produire une nouvelle variété sur le coin d’un paillasse de laboratoire, ceux qui disent le faire utilisent des acquis antérieurs qui ont permis le développement actuel de l’agriculture. Refuser cette vision, c’est refuser simplement la sélection.
La question est alors du domaine philosophique. La sélection est-elle morale ? Avons-nous le droit de favoriser le développement de certaines plantes au détriment d’autres plantes ? En d’autres termes, pouvons-nous sans conséquence modifier le développement naturel des choses ? Nous ne chercherons pas à donner des réponses à ces questions. Nous prétendons simplement donner quelques éléments de réflexion.
Depuis moins de cinquante ans, le développement de nouveaux outils a permis de produire des plantes qui répondent mieux aux contraintes sociales ou environnementales et d’entrevoir la possibilité de sélectionner des variétés sur des caractères qui étaient jusqu’alors considérés comme impossibles à obtenir (rendement, résistance, adaptation).
Il est possible schématiquement de réduire cette approche à l’utilisation en parallèle de deux techniques : la culture cellulaire et la réaction en chaîne par polymérase (PCR ou polymerase chain reaction) avec les diverses techniques qui en découlent. La première permet aux sélectionneurs d’échapper aux contraintes du milieu et de réaliser des essais en grand nombre. Il faut reconnaitre ici que, si une plante ne permet pas de culture cellulaire, cette voie essentielle ne peut être empruntée et, les techniques d’hybridation et de mutation restent, seules, opérationnelles. Les secondes, issues des PCR, mettent à la disposition des chercheurs des quantités manipulables d’ADN et de données permettant une caractérisation plus fine. Ces deux techniques ont permis le développement de divers outils.

Les inventeurs de CRISPR-Cas9 ont utilisé un système existant dans la nature pour faire de l’ingénierie de

génome. L’association de la protéine Cas9, qui joue le rôle de ciseaux, et d’une petite séquence d’ARN, qui indique l’endroit exact où intervenir, permet de recréer un mécanisme qui se ressemble à la fonction « couper-coller » d’un logiciel de traitement de texte. Il devient ainsi très simple de modifier l’ADN d’un organisme vivant, de façon ciblée gène par gène. CRISPR-Cas9 représente une véritable rupture et constitue une découverte majeure, de par son efficacité, son universalité sur tous les types d’organismes vivants, sa facilité d’usage, sa rapidité de mise en œuvre et son coût modéré. On parle maintenant de génétique de précision. Ces outils permettent d’obtenir de nouveaux caractères d’intérêt portant sur des résistances à des maladies, au stress hydrique, sur des qualités nutritionnelles ou technologiques, sans affecter le reste du génome. Ces applications devraient se développer dans les 5-10 prochaines années. Des preuves de concept ont déjà été apportées dans nombreuses espèces : riz, blé, maïs, orge, sorgho, soja, chou, tomate, pomme de terre, laitue, oranger, peuplier, vigne, etc.

 En guise de conclusion

Les méthodes et outils de l’amélioration des plantes se sont perfectionnés au cours du temps. Au début, l’amélioration des plantes a surtout fait appel aux systèmes de reproduction (croisement et autofécondation) et à la sélection. Les progrès des connaissances en biologie, en particulier en génétique, puis en statistiques et informatique et enfin en génomique ont permis de mettre au point un ensemble de méthodes qui s’intègrent en parfaite complémentarité dans la « boite à outils » des sélectionneurs.
Au cours des dix prochaines années, les obtenteurs prévoient une forte progression de la sélection génomique sur les grandes espèces et la progression de la mutagénèse ciblée sous réserve que celle-ci bénéficie dans l’Union européenne d’un cadre réglementaire adapté.
Ainsi, aujourd’hui, sauf pour les espèces mineures, pratiquement toutes les variétés nouvelles qui arrivent sur le marché ont bénéficié d’une ou plusieurs techniques issues des biotechnologies. Les plantes issues de mutagénèse ciblée ne sont pas distinguables de plantes classiques. Elles ne peuvent pâtir des erreurs qui ont présidé à la mise au point des techniques. Il reste indispensable qu’elles bénéficient d’un encadrement réglementaire non discriminatoire qui permette leur développement effectif en Europe.
Les nouvelles biotechnologies peuvent être également perçues comme la capacité à traiter l’information biologique, informatique et génomique pour atteindre des objectifs répondant au triple défi de l’agriculture : faire face à la sécurité alimentaire, mieux respecter l’environnement et s’adapter aux changements climatiques. Elles suggèrent essentiellement l’aptitude à lier des éléments entre eux, à faire preuve de logique, de raisonnement déductif et inductif. Dans ce sens, elle est liée au langage et à la pensée abstraite, qui est plutôt (mais pas exclusivement) le propre de l’humain.
sssssssssss C’est aussi ce que nous appelons l’intelligence.

01 juin 2017
Bibliographie

* Dominique Planchenault, coordonnateur du groupe de travail BioPagGe/Rapport n° 10157 : Les biotechnologies et les nouvelles variétés végétales – 2012 - Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt/CGAAER .
* A. Ricroch, Y. Dattée, M. Fellous :Biotechnologies végétales : Environnement, alimentation, santé, Vuibert édition, AFBV, 266 pages.
* A. Zaid, H. G. Hughes, E. Porceddu, F. Nicholas : Glossaire de la biotechnologie pour l’alimentation et l’agriculture, , 2004, FAO, 322 pages.
Téléchargeable sur http://www.fao.org/docrep/004/y2775...
* M. Pitrat, C. Foury : Histoires de légumes : des origines à l’orée du XXIème siècle. . 2004, Editions Quae, 410 pages.
* Contribution du GNIS : La filière semences, au service de la terre , 2011, 25 pages.

Lire également dans l'encyclopédie

dans l’encyclopédie
* Bourdel, Christian : Quelles politiques publiques pour les Plantes Génétiquement Modifiées ?, N° 140 , Avril 2011.
* Soret, Mathilde : OGM : Quel bilan ?, N° 240 , Septembre 2017.

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