Résumé
En 1992 à Rio de Janeiro, la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement a proclamé que notre planète “constitue un tout marqué par l’interdépendance”. Cette interdépendance systémique en appelle logiquement à une solidarité entre les hommes et entre eux et la planète. Mais le mot “solidarité”
n’est pas franchement l’apanage des textes fondateurs du développement durable, qui lui préfèrent celui de coopération ou de partenariat. Pourtant, si l’on considère les stratégies des principales organisations non gouvernementales actives dans le domaine du développement durable, on mesure mieux la puissance d’une solidarité internationale non uniquement axée sur l’assistance des pays ou territoires du Nord à ceux du Sud mais fondée sur la prévalence d’
intérêts mutuels et partagés.
Dans ce contexte, la solidarité internationale doit être, comme les engagements de développement durable, un champ d’action
fort des collectivités locales, en appelant à la mobilisation à partir de la proximité entre élus et citoyens, tout particulièrement
pour la satisfaction des besoins essentiels des populations les plus démunies de la communauté humaine. Dès lors, les agendas 21 locaux peuvent constituer pour les collectivités locales des démarches efficaces pour manifester leur solidarité internationale, sur de multiples plans. La coopération décentralisée doit ainsi s’inscrire dans les valeurs, objectifs et actions de la collectivité qui tente de mettre en oeuvre un développement durable territorialisé. C’est, par exemple, l’une des orientations exprimées par la Ville de Paris qui, au-delà de son rôle de capitale internationale, est en elle-même un “carrefour des mondes”.
Son territoire comme ses agents se mettent ainsi au service d’autres collectivités, pour répondre aux défis planétaires du vingt et-
unième siècle. Cet enjeu ne correspond-il pas in fine à un “droit” pour tous à la durabilité, qu’il faudrait donc défendre dans
les mouvements de solidarité internationale ?
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La nouvelle classification de cet article est :
• 2.3- Citoyenneté et gouvernance, du local au global
• 3.2- Agendas 21 locaux et pratiques territoriales de développement durable
Auteur·e
Clément Cohen, chargé de mission à la Mairie de Paris depuis 2006,après avoir été pendant plus de douze ans consultant indépendant, est un expert du développement des territoires à partir de démarches de développement durable, notamment celles d’agenda 21. Ses différentes missions, analyses et interventions
de formateur l’ont doté d’une bonne connaissance et d’une pratique des politiques publiques de développement durable territorialisé.
En 1992 à Rio de Janeiro, la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement a proclamé que notre planète Terre (d’où le nom souvent attribué de “Sommet de la Terre” à la Conférence de 1992) est non seulement le “foyer de l’humanité”, mais plus encore “constitue un tout marqué par l’interdépendance”. Cette proclamation d’une interdépendance systémique entre la nature, l’humanité et les constructions humaines était logiquement issue de l’objectif central de Rio : établir sur les questions d’environnement et de développement “un partenariat mondial sur une base nouvelle et équitable en créant des niveaux de coopération nouveaux entre les Etats, les secteurs clefs de la société et les peuples”. Ainsi la Terre et l’urgence de sa préservation offraient-elles l’espace “naturel” d’une solidarité conventionnelle, voire contractuelle, donc en action, permettant ainsi de concilier et respecter “les intérêts de tous”
et “l’intégrité du système mondial de l’environnement et du développement” [1]
Mais en même temps, dans le texte même de la Déclaration de Rio, le mot “solidarité” n’apparaissait qu’une seule fois, à la quasi toute fin du document, dans l’ultime chapitre (le 27e) qui déclare :“Les Etats et les peuples doivent coopérer de bonne foi et dans un esprit de solidarité à l’application des principes consacrés dans la présente Déclaration et au développement du droit international dans le domaine du développement durable”.
Certes, le second sommet de la Terre à Johannesburg, en 2002, a partiellement corrigé ce déficit, notamment lorsque le rapport final de la conférence reconnaît“ combien il est important de renforcer la solidarité entre les hommes” et qu’il faut pour ce faire encourager “instamment
la promotion du dialogue et de la coopération entre les civilisations et les peuples de la planète, sans considération de race, de handicap,
de religion, de langue, de culture ou de traditions”, mais il ne nous paraît pas neutre que les grandes textes internationaux du développement durable ignorent plutôt ce terme [2].
Ils leur préfèrent nettement les termes “coopération” voire “partenariat”, qui allient à une solidarité de principe des projets actifs, réalisés ou en voie de l’être. Cela n’est pas illogique car le développement durable n’est concret“qu’en actions” (ACTION 21, agendas 21 locaux, conventions internationales, etc.).
Ainsi, il ne nous paraît pas ainsi inutile de revenir d’abord sur la différence de fond entre solidarité et coopération pour mieux expliciter en quoi le développement durable est intrinsèquement lié à la solidarité internationale. Dans un second temps, nous donnerons des éléments d’orientation et quelques repères concrets pour présenter des exemples de contenu de la solidarité internationale dans une démarche de développement durable.
La notion de solidarité internationale
Il n’est pas de l’objet de cet article de présenter la solidarité
internationale dans tout son champ, mais seulement d’en rappeler les éléments essentiels pour appréhender son articulation avec le développement durable.
D’abord, il n’est pas inutile de rappeler que,même si le rapprochement
est tentant, et probablement réel originellement, le terme “solidarité” n’est pas directement issu de celui de “solide” et encore moins “solidité”. Le latin a donné solidus pour solide, c’est-à-dire massif, consistant, principalement par opposition à liquide.Il a donné solidum pour solidaire, qui dès l’origine est un terme à usage juridique et qui veut dire “pour le tout” ou commun à plusieurs personnes de manière que chacun réponde de tout : obligation ou engagement solidaire
[3].La solidarité est donc très proche,sinon synonyme, du terme “systémique” employé par les scientifiques, qui provient
de l’anglais, mais qui s’utilise en général pour qualifier des systèmes ou relations complexes.
Qu’elle soit “solide” ou non – disons concrète et en actes ou bien abstraite, symbolique, financière – la solidarité est la marque de l’interdépendance, de la communauté d’intérêts.
Elle indique en effet une relation entre personnes, ou groupes, ayant conscience d’une communauté d’intérêts, qui entraîne des obligations mutuelles, de manière que chacun réponde de ce tout.Ainsi, la solidarité internationale s’exprime, en principe, entre personnes, groupes, peuples, ou Etats, appartenant au moins à deux entités nationales différentes et qui sont conscientes de la nécessité de se porter assistance mutuelle, au moins potentiellement.
On en déduit donc, sans qu’il soit besoin d’entrer dans les détails, que la solidarité Nord-Sud sur le plan international est loin d’être une réelle “solidarité”, car elle n’est pas a priori équilibrée.
En revanche au second degré, des analyses géostratégiques comme des analyses des flux physiques voire même symboliques (à travers les langues par exemple) montreraient aisément que si le Sud n’est pas en capacité d’apporter assistance au Nord, les deux ont des intérêts communs, relèvent d’interdépendances qui font leurs “richesses”. Mais ce second degré n’est pas celui couramment retenu lorsque l’on parle de
solidarité internationale et les organisations comme les militants
appartenant à ce mouvement font d’abord et surtout référence aux nécessités d’assistance du Nord auprès du Sud.
De ce point de vue, la solidarité internationale (l’adjectif est important car il détermine notre sujet –sinon ce serait un autre débat) est plus proche de l’appréhension anglosaxonne, plutôt assimilée à la “sympathie”, affinité entre individus ou groupes qui fait que des sentiments identiques sont éprouvés de part et d’autres, voire à l’ “empathie”, qui indique une identification à l’autre. C’est le sens que l’on trouve en anglais pour qualifier, par exemple, des mouvements sociaux qui ont pour but de manifester un accord, un soutien, une solidarité avec d’autres mouvements ou situations (grève de solidarité : sympathy strike). Reconnaissons cependant que là où les Anglo-saxons auraient tendance à rendre “utilitaire” la solidarité internationale (avec des avantages tirés par la partie Sud concernée mais aussi par la partie Nord), les Latins privilégieraient les notions de besoins et de droits humains (sinon de communauté mondiale). Encore que les différences s’estompent, aujourd’hui, au niveau des Organisations Non
Gouvernementales (ONG), y compris lorsqu’il est questions de
dons monétaires (pourquoi donner).
En tout cas, nous distinguerons, au moins provisoirement car
nous y reviendrons,la solidarité de la coopération internationale.
En effet, si dans son sens économique (“Nord-Nord”) la coopération se rapproche de la notion juridique de solidarité (cf. les entreprises coopératives ; les coopérations entre Etats ou collectivités locales en Europe), elle s’en éloigne du point de vue des politiques d’aide au développement, qui assimilent purement et simplement la coopération à l’assistance aux pays en voie de développement, quand ce n’est pas à la
contrainte en termes de politiques ou budgets publiques imposée à ces derniers.
Ce sont les ONG qui permettent de mieux appréhender la solidarité Nord-Sud. Sans détailler ici le spectre important et multiforme des organisations oeuvrant dans ce domaine, on ne prendra qu’un exemple, qui nous paraît illustratif. C’est celui de Coordination SUD [4], qui est un ensemble de collectifs et structures non gouvernementales. SUD veut dire ici : Solidarité, Urgence, Développement, et montre combien il est à la fois nécessaire, sinon indispensable, de relier ces trois termes
(donc en incluant le développement durable), mais en même temps de les différencier dans l’action.Nous renvoyons au site Internet http://www.coordinationsud.org/ (“portail des ONG françaises de solidarité internationale”) et à l’encadré ci-dessous pour en savoir plus sur cette ONG. Ce qui est intéressant, c’est que la solidarité internationale ne se définit pas ici en soi mais, premièrement, par rapport à un ensemble de populations-cibles qui sont les “populations vulnérables des pays du Sud”, vulnérabilité d’ailleurs circonscrite essentiellement aux catastrophes d’origine naturelle ou humaine,situations de pauvreté, d’injustice et de manière générale subie par ceux qui souffrent d’une absence ou d’un déficit de développement (cf. Charte de Coordination SUD : Une éthique partagée)
; deuxièmement, par rapport à “la promotion des valeurs
de solidarité, de citoyenneté internationale et de développement
durable”. Nous voyons donc là comment cette ONG tient pour solidaires mais aussi pour différentes ces trois “valeurs”.
C’est cette approche que nous retiendrons pour définir ici la solidarité internationale.
Remarquons au passage,pas du tout pour critiquer mais pour illustrer une fois encore l’imprécision des termes “durable”et “durablement” accolés à celui de développement, que l’une des ONG membre de ce collectif SUD, le CFSI (Centre français pour la solidarité internationale) a comme slogan général : “durablement contre la faim”, ce qui renvoie a priori à un ensemble d’actions très ciblées visant à une lutte durable,
pérenne, dans ses objectifs et ses effets, et non de développement
durable en général.
La solidarité internationale et les principes du développement durable
Il faut d’abord rappeler que le développement durable, dont le
socle majeur des principes et des modalités d’action a été établi
à la Conférence de Rio de 1992, s’enracine dans la notion d’interdépendance. Il faut en effet partir du constat que la Terre forme un tout aux ressources naturelles limitées, et que cette limite porte le risque que l’humanité toute entière “construise” elle-même ses propres limites, risques et crises. La Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement a ainsi affirmé que nous sommes dans un système global mais que ni la planète ni la gouvernance du développement ne dispose en soi de moyens de sauvegarde. Il faut les construire et seules des coopérations et solidarités équilibrées, partenariales, le “partenariat mondial”, peuvent préserver la Terre face aux crises écologiques (climat,biodiversité,eau,…).
La première “solidarité” doit être celle de l’humanité avec le reste de la nature. C’est ce qu’affiche, en exergue, le premier principe de la Déclaration de Rio : “Les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature”. Et voilà que la solidarité devient “harmonie”, c’est-à-dire un accord solidaire et en même temps parfait et agréable entre l’ensemble des êtres humains, leur santé, leur travail (ou production) et la nature. En quelque sorte, le développement durable est, dans ses principes, forcément solidaire, empathique et harmonieux, pour les êtres humains et entre eux et la nature. Mais il faut en même temps –ce qui n’est pas anodin– que les acteurs concernés soient de “bonne foi” et agissent dans le dialogue et la coopération [5].
Coordination SUD - Solidarité Urgence Développement |
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Fondée en 1994, Coordination SUD - Solidarité Urgence Développement rassemble six collectifs d’ONG (CLONG - Volontariat, CNAJEP, Coordination d’Agen, CRID, FORIM, Groupe initiatives) et plus de 130 ONG françaises de solidarité internationales. En lien avec leurs partenaires des pays du Sud, ces ONG mènent des actions humanitaires d’urgence, d’aide au développement, de protection de l’environnement, de défense des droits humains auprès des populations défavorisées et aussi des actions d’éducation à la solidarité internationale et de plaidoyer. Elles se regroupent autour de valeurs communes en adhérant à la charte “Une éthique partagée”. Au sein des négociations environnementales, les ONG de solidarité internationale insistent sur l’importance de la ratification et de la mise en oeuvre des accords multilatéraux sur l’environnement (AME), à commencer par les deux conventions de Rio concernant la diversité biologique et les changements Climatiques. Coordination SUD et ses membres insistent également sur la nécessité de développer des modes de production et de consommation plus économes en énergie et plus respectueux des ressources naturelles en acceptant un meilleur partage des ressources mondiales, bases d’un développement durable. Site internet : http://www.coordinationsud.org/ |
Cette solidarité et la coopération intrinsèque qui lui est liée se
manifestent bien entendu également au niveau des collectivités locales. La Déclaration proclame le rôle général des collectivités locales dans le développement durable (principe 22). ACTION 21, programme d’actions destinées à traduire dans les faits les 27 principes de la Déclaration, lui-même adopté à Rio par les 178 Etats signataires, précise dans son chapitre 28 que : [paragraphe 28.1] “ce sont les collectivités locales qui construisent, exploitent et entretiennent les infrastructures économiques, sociales et environnementales, qui surveillent les processus de planification, qui fixent les orientations et la réglementation locales en matière d’environnement et qui apportent leur concours à l’application des politiques de l’environnement adoptées à l’échelon national ou infranational. Elles jouent, au niveau administratif le plus proche de la population, un rôle essentiel dans l’éducation, la mobilisation et la prise en compte des vues du public en faveur d’un développement durable”. Tandis que “leur coopération et leur coordination” doivent permettre de “renforcer l’échange d’informations et de données d’expérience entre les collectivités locales” [28.2], c’est sous forme de “concertation” que doit être développée “la coopération technique entre les collectivités locales” [28.3]. Les échanges et progrès mutuels doivent s’inscrire à travers des partenariats, soit directs,soit à travers les réseaux de collectivités“ entre organes et organismes compétents tels que le PNUD, le Centre des Nations Unies pour les établissements humains (CNUEH), le PNUE, la Banque mondiale, les banques régionales, l’Union internationale des villes et pouvoirs locaux, l’Association mondiale des grandes métropoles, le Sommet des grandes villes du monde, la Fédération mondiale des cités unies et villes jumelées
et autres partenaires appropriés dans le but de mobiliser un appui international accru au bénéfice des programmes des collectivités locales. Un des objectifs importants serait d’aider, de développer et d’améliorer les institutions existantes qui s’intéressent au renforcement des capacités des collectivités locales et à la gestion de l’environnement à l’échelon local” [6].
On le voit,le développement durable ajoute à la solidarité internationale
l’obligation de passer aussi par des institutions de niveau international ou multilatéral.
Solidarité internationale et développement durable :
une même exigence de satisfaction des besoins essentiels
Si la lutte contre la faim dans le monde est manifestement du ressort de la solidarité internationale, de l’assistance à “peuples en danger”, il ne faut pas oublier que le développement durable est d’abord un mode de développement qui doit répondre aux besoins essentiels. Il n’y a donc pas a priori de contradiction entre besoins essentiels et développement durable, même si l’on considère celui-ci à partir de son approche planétaire et environnementale.
C’est aussi bien entendu agir en priorité sur les situations d’urgence, les crises.
Cette exigence de satisfaction des besoins essentiels est celle des Objectifs du Millénaire (ODM). Ces objectifs, au nombre total de huit, visent à réaffirmer et renforcer la nécessité pour les pays et territoires les plus défavorisés de la planète de bénéficier pleinement du développement durable global que prône l’ONU [7]. C’est donc ensemble qu’ils forment un système interdépendant de développement durable, même si le terme “durable”apparaît seulement dans l’objectif7, qui porte sur la nécessité d’“assurer un environnement durable”. Par cette notion ambigüe, il est en fait question de l’eau et de l’assainissement d’abord et des “autres problèmes écologiques”
ensuite, parce que l’environnement exige ici que “l’on s’intéresse
d’abord au sort des populations pauvres et que l’on renforce la coopération mondiale à un niveau sans précédent”.
Cet objectif implique deux orientations : 1/ cibler des problématiques
thématiques clés, et d’abord autour de l’eau et de l’amélioration des habitants vivant dans les taudis les plus insalubres ;2/ élever la coopération à un niveau important, ce qui implique de fixer des objectifs quantitatifs élevés.
Cependant, même si le développement durable intègre tous
les ODM comme besoins essentiels,en priorisant par exemple
les besoins en logement (abri), l’approche par les seules thématiques
environnementales qu’ils définissent est insuffisante. Les besoins essentiels “environnementaux” du point de vue du développement durable concernent aussi d’autres domaines ou, actions tels la déforestation, les énergies domestiques, l’agriculture périurbaine, la salubrité, la maîtrise des eaux, les déchets, l’éclairage municipal, etc.
Plus largement encore, on peut se demander s’il ne faut pas aussi réfléchir, pour agir, y compris dans les pays les plus en difficulté,
sur une crise particulière qui affecte beaucoup de pays du Sud : les émissions de carbone. Bien que cela ne soit pas comparable entre Nord et Sud,la solidarité n’impliquerait-elle pas des actions de même nature sur tous les territoires très émissifs,et donc à la fois sur la production d’énergie localisée et adaptée à des besoins locaux et sur le renforcement de l’économie du recyclage et du réemploi ? C’est en tout cas un axe que le développement durable des pays en voie de développement ne peut ignorer.
Une interrogation : la paix dans le développement durable ?
Alors qu’elle est un élément fondamental de la solidarité
internationale, la question de la paix est beaucoup plus un filigrane
qu’un principe générateur d’action en termes de développement
durable. Certes, on peut dire que la paix est un besoin essentiel. En tout cas, le développement durable, qui implique la sécurité et la tranquillité des biens, des personnes et des milieux, apprend que “la paix, le développement et la protection de l’environnement sont interdépendants et indissociables” [principe 25 de la Déclaration]. En outre, “les Etats doivent résoudre pacifiquement tous leurs différends en matière d’environnement, en employant des moyens appropriés
conformément à la Charte des Nations Unies” [principe 26]. Mais Rio a aussi reconnu qu’en matière d’environnement, les rapports entre le Nord et le Sud peuvent être déséquilibrés, notamment sous l’impact des normes : “Les normes appliquées par certains pays peuvent ne pas convenir à d’autres pays, en particulier à des pays en développement, et leur imposer un coût économique et social injustifié” [principe 11].
Cette « guerre des normes » est donc susceptible d’entraîner des conflits économiques,avec des impacts sociaux. On peut donc là encore relever le rôle potentiel important des collectivités locales : à défaut de lancer des initiatives de paix telles qu’on les entend sur le plan diplomatique, les villes peuvent consolider des liens entre elles qui sont de facto favorables à la paix entre les peuples. Le développement durable est un mode de développement qui pousse à donner aux collectivités locales des rôles de plus en plus importants, y compris
probablement sur les questions diplomatiques ou encore de conciliation internationale ou, du moins, d’évitement des conflits. Le rapport de Mme Brundtland prescrivait en 1987
que plus encore que la promulgation de “lois sévères” en matière de responsabilité des acteurs, “la participation effective des communautés locales aux processus de prise de décisions peut aider celles-ci à mieux définir et à mieux faire respecter leurs intérêts communs” [Notre avenir à tous –chapitre 2 :Vers un développement durable].
Vers des agendas 21 locaux incluant la solidarité internationale en actes
Une fois posée comme composante du développement durable, la solidarité internationale devrait donc aussi faire partie “des réponses locales aux enjeux planétaires”. C’est ici que s’impose l’agenda 21 local.C’est un outil de programmation d’actions qui reste encore, pour un territoire donné, la meilleure manière de progresser sur le sentier du développement durable. Il est tout à fait adapté à l’inclusion d’actions de solidarité internationale pertinentes, c’est-à-dire stratégiques pour le territoire concerné et pour les territoires de coopération qu’il institue.
Mais la prise en compte de la solidarité internationale implique de sortir des “murs” du territoire concerné. Un agenda 21 qui se veut aussi solidaire ne peut faire l’“impasse” sur les enjeux dans les pays en développement. Par exemple, la CGLU (Cités et Gouvernements Locaux Unis) [8], qui vient de réaffirmer (Déclaration finale du Congrès 2007) la nécessité de “favoriser dans nos villes et nos territoires un développement durable, plus équitable, inclusif, et respectueux des droits de l’Homme fondamentaux et de l’égalité entre les hommes et les femmes de toutes les races, cultures et religions” et d’approfondir “la démocratie et l’autonomie locale pour contribuer à bâtir un monde en paix et solidaire”, ouvre d’intéressantes portes pour l’action locale : insister sur les questions d’équité (justice), d’inclusion, de respect des droits, d’égalité, mais aussi d’approfondissement des processus
démocratiques, à l’échelle internationale.
Le passage entre l’affirmation d’objectifs internationaux de développement durable et les actions programmées dans le cadre d’un agenda 21 local ne pourra se faire que dans le cadre de coopérations appropriées. Mais il ne faudra pas sous-estimer l’importance des principes etdes valeurs que prône le territoire, pour les transférer à l’action internationale,et ne pas se contenter d’un catalogue d’actions. Dès lors, selon les territoires, on pourra trouver soit un domaine spécifique, plus ou moins appelé “solidarité et coopération”, soit l’inclusion d’actions de solidarité et/ou coopération internationale dans les thématiques territorialisées. Par exemple, la lutte contre les changements climatiques peut donner des déclinaisons locales dans
les territoires de coopération.
Mais aussi, soucieux de cohésion sociale, de solidarité entre hommes, entre territoires et entre générations, et du bien-être de tous, un agenda 21 local peut proposer d’assurer des conditions de vie satisfaisantes, en particulier aux personnes et aux familles connaissant des difficultés, dans des territoires de coopération ciblés. Il pourra ainsi, par exemple, engager des actions sur la re-qualification de zones rurales et/ou de quartiers fragilisés pour éviter l’installation de ghettos, et l’écoute des habitants par le développement d’actions de proximité et un accompagnement personnalisé.
Ainsi, au-delà des projets singuliers, une dynamique importante des agendas 21 locaux pourra être de permettre à des villes ou territoires “avancés” en termes de développement durable de pouvoir coopérer avec des territoires non ou faiblement durables, à l’échelle de la “planète” entière.
L’exemple de la Ville de Paris
Dans le cadre de son Agenda 21, la Ville de Paris est“engagée” [9] sur plusieurs fronts. Mais à la mi-2008 seule a été finalisée la phase de “diagnostic partagé” de l’agenda 21 parisien. Pourtant en tant que “carrefour des mondes” [10], Paris a considérablement renforcé,et surtout structuré, ses grands axes de coopération avec les villes du Sud, en se référant d’abord aux ODM. Mais en même temps, la collectivité décline et adapte à l’échelle internationale les défis ou urgences mis en exergue par la démarche d’agenda 21.
Sans en exposer le détail, on peut dire que l’essentiel revient à mettre un savoir-faire de collectivité “au service” d’autres villes, principalement dans les champs suivants : les missions humanitaires d’urgence ; la solidarité internationale comme valeur mobilisatrice des Parisiens ; la lutte contre le SIDA dans le monde ; l’action associant migration et codéveloppement ; la défense des libertés.Plus un champ spécifique qui concerne l’accès à l’eau potable.
On ne reprendra pas les initiatives inscrites dans le premier champ. On rappellera seulement l’action en faveur des victimes du tsunami en Asie en décembre 2004, sous le seul aspect de sa relation avec la lutte “intramuros” de Paris contre le réchauffement climatique et la mobilisation d’un acteur important de la Ville :la SEM (société d’économie mixte) “Eau de Paris” dans ce cadre.
Dans le champ de la solidarité internationale comme “valeur
citoyenne” (qualification que la Ville donne elle-même), il s’agit
surtout de soutenir la mobilisation des acteurs parisiens spécialisés
au cours de journées ou manifestations ad hoc : journée mondiale de l’alimentation,semaine de la solidarité internationale, etc., et de mettre par différents moyens et initiatives “le commerce équitable au coeur de la vie quotidienne”.
La lutte contre le SIDA occupe désormais le premier poste de
dépenses de la Ville de Paris en matière de solidarité internationale.
En 2007, les crédits alloués ont dépassé 2,3 millions d’euros. Ces aides substantielles ont permis la réalisation d’une vingtaine de programmes, sur une trentaine de sites ou régions. Mais au-delà, elles permettent également l’apport d’autres bailleurs de fonds : la totalité des cofinancements a été en 6 ans d’environ 16 millions d’euros.
Paris tient à mener de front une double action concernantà la fois les problèmes et difficultés des migrants sur son territoire propre et le codéveloppement, donc l’action entreprise par ceux-là même qui ont ou
qui souhaitent renouveler des liens avec leurs pays ou régions ou collectivités d’origine pour le développement de ceux-ci.
Dans ce dernier cadre, la ville de Paris a créé son propre label
“Paris co-développement Sud” qui consiste à soutenir à travers
un appel à projets des actions ayant vocation à financer des initiatives
d’associations parisiennes de migrants ou qui travaillent de manière étroite avec des Parisiens d’origine étrangère.
Six bourses comprises entre 6 000 et 12 000 euros ont été ainsi attribuées entre 2001 et 2007. Pour le troisième appel en 2008, la dotation est de 100 000 euros et les bourses allouées iront de 3 000 à 15 000 euros. Normalement, chacune des actions retenues est évaluée.
Le champ de la défense des libertés ou des droits de l’homme dans le monde concerne surtout le soutien à des personnalités fortes de la
scène internationale en les faisant “Citoyens d’honneur de la Ville de Paris” (Ingrid Betancourt en 2002, le Dalaï Lama en 2008, etc.). A cela s’ajoutent les différentes prises de position solennelles du Conseil de Paris, sans oublier un soutien continu sous plusieurs formes “au service du dialogue israélo-palestinien”.
Le politique spécifique de Paris pour l’accès à l’eau potable et à l’assainissement des populations des pays du Sud porte sur l’application de la loi Oudin-Santini – Paris étant l’une des rares villes à la mettre en oeuvre- qui permet, en prélevant sur le paiement de leurs factures d’eau par les Parisiens, de mettre 1 million d’euros dans un programme
de solidarité internationale,par l’intermédiaire d’ONG présentes
à Paris et localement.
Ce champ fait aussi en partie de celui de la coopération décentralisée, qui comporte essentiellement pour Paris deux volets :1/ mettre à disposition des “experts”, qui sont le plus souvent ses propres agents, notamment dans deux domaines importants (outre celui de l’eau et assainissement) : la gestion des services publics locaux et le développement urbain (exemple : participation à l’élaboration
du plan de déplacements de Phnom Penh) ; 2/ le travail plus “quotidien” de la collectivité au sein des différents réseaux de villes auxquels elle participe.
Historique des pactes d’amitié
de la Ville de Paris
Il est important de souligner que ce programme, qui ne participe donc pas encore formellement de l’agenda 21, revêt la cohérence d’un axe programmatique de développement durable territorial à travers le fait qu’il s’agit à chaque fois pour Paris de partir de forces, mobilisations
ou valeurs déjà présentes sur son propre territoire. Et parmi les motivations de la Ville et les acteurs mobilisés, il ne faut pas oublier le cas, en nombre important, de ses propres agents.
Alors que cela est une dimension capitale de la solidarité internationale (cf. notamment les ASI - associations de solidarité internationale regroupées dans la Coordination SUD), le développement durable “canonique” n’aborde pas vraiment la question des droits humains, ni même ceux relatifs à l’environnement. Le droit fondamental, finalement unique et très abstrait, est celui d’une vie saine et productive en harmonie avec la nature. Plus concrètement, cela signifie le droit et le devoir de préserver la nécessaire “capacité”des générations actuelles et futures à satisfaire leurs besoins, ce qui implique de facto une série de droits et devoirs pour les Etats et les acteurs du développement durable. Par exemple, en France, la Loi constitutionnelle
relative à la Charte de l’environnement, adoptée le 28 février 2005, mentionne les risques importants du développement actuel, qui “affecte” “la diversité biologique, l’épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines” et donc la “capacité des générations futures et les autres peuples à satisfaire leurs propres
besoins”. Il s’ensuit qu’il y aurait une sorte de droit d’alerte
(et d’action ?) pour arrêter et remédier aux effets de charge que provoquent la consommation et la production sur la nature, mais aussi sur le progrès social.
Le développement durable ouvre donc sur le parallélisme entre le devoir de sobriété au Nord et des droits environnementaux du Sud –mais ces derniers ne sont jamais réellement définis. N’y aurait-il pas là un nouvel espace d’action pour un agenda 21 local, tant pour des villes du Nord que du Sud ? Les agendas 21 locaux mettraient alors dans leurs programmes d’actions des axes de lutte pour les droits environnementaux et sociaux … Voilà une nouvelle raison enthousiasmante pour les mener à bien !
Sympathie et Empathie : quand la vision artistique s’empare de la solidarité internationale |
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Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Le présent article doit beaucoup aux travaux et à la bibliographie mentionnée à la fin du texte émanant d’un groupe de travail constitué par l’AITEC (Association internationale de techniciens, experts et chercheurs) et Cités-unies France (CUF), dans le cadre d’un programme intitulé “Ancrer la solidarité internationale dans les territoires franciliens”. L’auteur de l’article a préparé une introduction à l’un des ateliers organisés dans ce cadre (mai 2008).
[2] Par exemple, la Charte d’Aalborg signée en 1994, sensée appliquer au niveau des villes européennes les principes et actions de durabilité avancés à Rio,
ne traite pas de la coopération, autrement que celle entre les villes signataires ; elle n’indique rien sur la solidarité internationale. Ce que corrigent quelque peu les “Engagements d’Aalborg”, dix ans plus tard, en soulignant (10e Engagement :“du local au global”) qu’il convient de “renforcer la coopération internationale des villes et développer des réponses locales aux problèmes globaux en partenariat avec les gouvernements locaux, communautés et acteurs concernés”.
[3] Cf. notamment : Le Petit Robert, Dictionnaire de la langue française. 2001.
[4] L’association 4D (Dossiers et débats pour le développement durable) est membre de la Coordination SUD.
[5] La Conférence de l’ONU de Johannesburg, en 2002, promue “Sommet pour le développement durable”, renforce cet aspect, comme beaucoup d’autres proclamés à Rio 10 années avant : “Nous sommes déterminés à faire en sorte que notre riche diversité,qui constitue notre force collective,soit mise à profit
pour nouer des partenariats constructifs axés sur le changement et visant à atteindre notre objectif commun, à savoir le développement durable. -
Reconnaissant combien il est important de renforcer la solidarité entre les hommes, nous encourageons instamment la promotion du dialogue et de la
coopération entre les civilisations et les peuples de la planète,sans considération de race,de handicap,de religion,de langue,de culture ou de traditions”.
[6] Rappelons que cette indication d’organismes et de réseaux date de 1992.
[7] Les huit objectifs sont : 1. Réduire l’extrême pauvreté et la faim. 2. Assurer l’éducation primaire pour tous. 3. Promouvoir l’égalité et l’autonomisation des
[9] Terme générique utilisé pour la démarche d’agenda 21 :“Paris s’engage”.
[10] Idem : titre du premier chapitre du “diagnostic partagé” de la démarche
Bibliographie
Bibliographie
La bibliographie ci-dessous est extraite d’un document édité par Via le monde, structure publique créée par le Conseil général de la Seine-Saint-Denis, afin de favoriser l’émergence d’une citoyenneté internationale, dans le cadre du programme de l’AITEC (Association internationale de techniciens, experts et chercheurs) et Cités-unies France (CUF) intitulé “Ancrer la solidarité internationale dans les territoires franciliens”.
Outre les textes fondateurs et constitutionnels du développement durable et des agendas 21 locaux, qu’on trouvera par ailleurs, on notera :
- Aurélien Boutaud : Développement durable et démocratie. Futuribles. Avril 2007.
- Meriem Houzir : La coopération décentralisée : dynamique actuelle et perspectives. Liaison Energie-Francophonie N°77 / Coopération décentralisée et développement durable, Enjeux pour le XXIe siècle. Décembre 2007.
- Samir Allal, Henri Boyé, Claude Jamati : Approche territoriale et développement durable :rôle de la coopération décentralisée.
Liaison Energie-Francophonie N°77 / Coopération décentralisée et développement durable, Enjeux pour le XXIe siècle. Décembre 2007.
- AFCCRE, Cités Unies France, Comité 21 : Charte de la coopération décentralisée pour le développement durable. Mise en oeuvre
des principes de l’Agenda 21 dans les coopérations transfrontalières, européennes et internationales des collectivités territoriales.
Avril 2004.
- Marc Mangenot : L’eau n’est pas une marchandise. Campagnes solidaires. Juillet-août 2007.
- Problèmes politiques et sociaux n°933. La ville durable : perspectives françaises et européennes. N° 933. Février 2007.
- info document (BMP – 135.2 kio)