Résumé
Au sein du mouvement altermondialiste, la réflexion sur le développement durable alimente une remise en perspective de la programmatique comme de la stratégie de ce mouvement. Comment apprécier le succès actuel du développement durable ? Comment réagir aux risques grandissants de sa récupération ?
Les questions essentielles attachées au développement durable concernent d’une part les rapports entre la question sociale et la question écologique et d’autre part, les voies vers la paix et la démocratie. Une nouvelle conception du développement ne se réduit pas à la croissance, elle met l’accent sur la satisfaction des besoins fondamentaux
et le respect des droits civils et politiques autant que des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux.
Cette conception est aussi portée par le mouvement altermondialiste. Riche de sa diversité, de la multiplicité des courants qui le composent,inscrit dans la dynamique historique de la décolonisation qu’il prolonge et renouvelle, il propose d’organiser les sociétés et le monde à partir de l’accès à tous aux droits fondamentaux.
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La nouvelle classification de cet article est :
• 2.1- Conférences internationales et forums sociaux
• 6.2- Mouvements sociaux et luttes sociales
Auteur·e
Gustave Massiah, ingénieur et économiste, enseignant à l’Ecole d’Architecture de Paris-La Villette, consultant associé de ACT-Consultants. Président du CRID (Centre de recherche et d’Information sur le
Développement), il est membre fondateur du CEDETIM (Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale), de l’AITEC (Association Internationale de Tech (Initiatives Pour un Autre Monde). Il a été Vice-Président d’ATTAC-France.
La discussion sur le développement durable permet d’introduire une réflexion sur le débat programmatique dans le mouvement altermondialiste et d’aborder la question du débat stratégique dans ce mouvement.
Comment apprécier le succès actuel du développement durable ? Comment réagir aux risques grandissants de récupération ? D’autant que la proposition de développement durable résulte des critiques du système dominant portées par les mouvements écologistes et de solidarité internationale. Il n’y a donc pas de raison de décider maintenant, parce que d’autres le reprennent à leur compte que le développement durable ne présente plus d’intérêt, voire même qu’il faut le considérer comme un piège. Ceci étant, il y a un vrai problème de dialectique entre critique et récupération qui se pose là comme ailleurs et qu’il faut quand même prendre en compte. Il faut donc revenir sur l’histoire, la manière dont cette proposition s’est imposée pour savoir à partir de quel moment elle a pu être récupérée et ce qui a pu en être récupéré.
Le développement durable s’est introduit dans le débat d’idée international avec la prise de conscience des limites du modèle productiviste. Ces limites ont émergé à partir de la question des ressources dites naturelles par rapport à l’écosystème planétaire et non par rapport à la mondialisation. Cet écosystème planétaire ne peut pas être analysé uniquement par rapport à la question de la nature. Il avait d’ailleurs été posé de façon très conflictuelle par rapport à la question de la population. Le Club de Rome, au début des années soixante posait bien la question démographique, et en déduisait les propositions de croissance zéro. Le rapport Bruntland qui formalise cette idée de développement durable, répond à une critique qui n’est pas celle du Club de Rome. Cette critique du système dominant porte sur l’articulation entre les décisions prises à court terme et les conséquences à long terme de ces décisions. Le rapport Bruntland introduit une nouvelle approche beaucoup plus intéressante, celle de la prise en compte des droits des générations futures.
On y retrouve la question centrale du développement durable, celle du rapport entre la question sociale et la question écologique. La question écologique s’impose comme une question fondamentalement nouvelle, ce qui explique que son acceptation soit au départ, pour les générations plus anciennes, culturellement difficile. La discussion ne se limite pas à un débat théorique, elle comprend la réflexion sur les stratégies et les alliances.
La conférence de Rio sur Environnement et Développement, en 1992, a été un moment fondateur. La question écologique apparaît, dans ses différentes dimensions, liée à la question de la mondialisation. Parmi les questions fondamentales soulevées à cette conférence, celle de la science a fait l’objet de débats très vifs. La discussion a été ouverte par l’appel de Heidelberg, à l’initiative de Claude Allègre ; un certain nombre de scientifiques ont appelé les chefs d’Etat à ne pas écouter les “propositions rétrogrades” des écologistes et des tiers-mondistes et à ne pas rompre l’alliance entre les industriels et les scientifiques qui serait à la base du progrès et de la modernité. En réponse à cette agression, a été créé Global Chance, à l’initiative d’autres scientifiques, qui ont appelé à lier l’approche écologique et l’approche sociale et à ré-interroger les notions de progrès et de modernité. C’est dire que le développement durable renvoie à des questions fondamentales.
Le débat a aujourd’hui évolué avec l’apparition de la notion de décroissance. De mon point de vue, le mot d’ordre de décroissance est un mot d’ordre critique très pertinent. Il interpelle directement la notion de croissance qui est à la base de la modernité libérale. Mais, je trouve que c’est un mot d’ordre programmatique très contestable. Il est très mal reçu par les couches populaires des pays du Sud et par les pauvres et les exclus des pays du Nord qui le perçoivent comme un luxe des nantis. Il est donc très discutable du point de vue des alliances. Bien sûr les tenants de la décroissance expliquent, avec force arguments, qu’il faut lever les malentendus et qu’il ne s’agit pas de priver de développement les plus démunis et les exclus, mais au contraire de mieux répartir les richesses et de rendre la production et la consommation compatibles avec les équilibres des écosystèmes. Mais, il faut admettre qu’un mot d’ordre qu’il faut expliquer longuement pour éviter une mauvaise interprétation n’est pas le plus adéquat. Il paraît plus pertinent de revendiquer un autre développement ou une autre croissance, en rupture avec les modèles dominants. La définition d’un nouveau modèle de développement est à l’ordre du jour. Au-delà des effets de mode, le développement durable offre une piste. L’intérêt du développement durable est notamment d’ouvrir un débat sur la nature du développement.
Dans le concept de développement durable, on retrouve les grandes lignes pour un développement économiquement efficace, écologiquement soutenable, socialement équitable, démocratiquement fondé, géopolitiquement acceptable, culturellement diversifié. Le développement ne saurait se réduire à la croissance même si la production de richesses et l’efficacité économique restent indispensables. Le développement durable associe à cette dimension l’impératif d’égalité sociale, de préservation de l’environnement et des droits des générations futures, de défense des libertés et des droits démocratiques, d’équilibre géopolitique fondé sur une remise en cause structurelle des déséquilibres Nord- Sud, de respect des diversités culturelles.
Pour le définir, il faut lui donner un sens qui tienne compte de la critique du modèle dominant, celui de l’ajustement, et des modèles précédents dont l’échec a conduit à ce modèle dominant. Le fait d’avoir imposé, de façon dogmatique, des politiques d’ajustement au marché mondial, a conduit à des échecs de moins en moins contestés avec une croissance de la pauvreté, des discriminations et des inégalités sociales et écologiques, une dégradation de l’environnement et des libertés démocratiques. A l’inverse de ce modèle unique, le droit au développement commence par le droit pour chaque peuple à choisir son modèle de développement, un modèle qui préserve les droits fondamentaux individuels et collectifs.
Pour autant, un nouveau modèle ne peut pas être défini uniquement comme l’inverse symétrique du modèle dominant ; il ne s’agit donc pas de prendre le contre pied, mesure par mesure, de l’ajustement structurel. Ce n’est pas parce que le modèle dominant condamne les déséquilibres qu’il faut refuser l’équilibre, ce n’est pas parce qu’il idéalise le marché que le modèle alternatif devrait reposer sur sa négation totale. Il ne s’agit pas de mettre bout à bout des modalités inverses, il s’agit d’opposer une orientation et des objectifs et d’en déduire les modalités.
Mais promouvoir le développement durable ce n’est pas tomber dans la récupération. Certes, il y a de quoi être énervé quand on entend la Banque Mondiale s’en prévaloir et quand on voit EDF fonder sa publicité pronucléaire sur le développement durable. Si des idées issues des mouvements anti-systémiques des années soixante-dix sont reprises par des Gouvernements et par des entreprises, il leur faut aller plus loin et préciser à quelle conception du développement Ils se réfèrent.
Dans la conception que nous défendons, le développement ne se réduit pas à la croissance, il met l’accent sur la satisfaction des besoins fondamentaux. La régulation de l’économie et des échanges est fondée sur le respect des droits ; des droits civils et politiques autant que des droits économiques, sociaux et culturels. L’efficacité économique nécessite de savoir comment produire les richesses ; il faut aussi se demander quelles richesses produire et comment les répartir. La régulation par les mécanismes de marché garde son intérêt, elle ne peut pas être subordonnée au seul marché mondial. Il ne faut pas négliger l’encouragement du marché intérieur, des formes de consommation collective, du renforcement du lien social. La marchandise, tant la forme marchande que les rapports marchands, n’est pas la forme achevée de l’utilité sociale ; les pratiques populaires et l’économie solidaire ont aussi leur intérêt et leur légitimité.
Une politique de développement doit être définie par rapport à une situation, aux dynamismes internes et à la mobilisation de la société.
Un développement dans la durée n’est possible que s’il est accepté, géré, coordonné par les sociétés concernées et s’il prend en compte les réalités sociopolitiques locales. Elles seules peuvent définir valablement leurs besoins, mettre en œuvre les instruments de transformation des techniques de production, et faire évoluer les bases de l’organisation sociale. Cette démarche est d’autant plus nécessaire que les situations sont difficiles. Par exemple, la réduction des déficits budgétaires, indispensable dans de nombreuses situations, implique souvent des mesures impopulaires ; il reste que des choix sont possibles et que les orientations qui sont décidées doivent être discutées et appréciées. La réussite d’une politique d’austérité, quand elle est nécessaire, repose d’abord sur la légitimité du pouvoir et l’adhésion populaire à sa politique. L’ajustement structurel imposé est certainement une des plus mauvaises manières de répondre à ces impératifs. D’une manière générale, les politiques imposées de l’extérieur peuvent forcer la modernisation, elles débouchent souvent sur des conflits et des crises qui annulent tous les progrès.
La question de la démocratie est essentielle. Certes, elle ne peut pas être réduite à un nouveau dogme, celui de l’équivalence entre le marché et la démocratie. Le mépris pour les aspirations démocratiques et les libertés a été, pour une part majeure, le fossoyeur des régimes soviétiques et des régimes issus des luttes d’indépendance. La référence à la démocratie, et aux libertés, ne peut pas être simplement rhétorique. La démocratisation est une des conditions de la mobilisation et de l’engagement pour le développement. Elle fonde la nécessité et la légitimité de l’Etat comme garant de l’intérêt général, instrument des politiques sociales de répartition et de distribution, et porteur des liens sociaux qui fondent le développement économique.
Reconnaître à chaque peuple le droit de définir son modèle de développement ne signifie pas qu’il n’y ait pas de responsabilité des régimes et des Etats nationaux. Au contraire, leur responsabilité est engagée, face à leurs peuples, sur les choix des modèles et sur les orientations du développement, particulièrement en ce qui concerne le respect des droits humains. La nécessité de lutter contre l’idée néo-libérale qui voudrait que tous les États soient forcément corrompus, bureaucratiques, inefficaces, ne rend que plus pressante la lutte à mener contre les déviations bureaucratiques, technocratiques et autoritaires des États.
Le mouvement altermondialiste est riche de sa diversité, de la multiplicité des courants de pensée qui le composent. Il combine plusieurs démarches : la résistance aux logiques dominantes, la recherche des alternatives, la négociation en situation. Ce mouvement articule plusieurs formes d’expression : les luttes ; les pratiques solidaires ; les réflexions et l’élaboration. L’ensemble de ces dimensions alimente le débat démocratique et citoyen qui caractérise ce mouvement.
Ce mouvement est marqué par la prise de conscience des conséquences dramatiques de la phase néo-libérale de la mondialisation. Ces conséquences sont la montée des inégalités et de leur liaison avec les discriminations ; l’aggravation de la domination du Nord sur les peuples du Sud et leur liaison avec les conflits et les guerres ; la mise en cause de l’écosystème planétaire et des droits des générations futures et leur liaison avec le productivisme et la logique spéculative financière ; la montée des insécurités sociales, écologiques, guerrières et leur liaison avec les idéologies sécuritaires et les doctrines des guerres préventives.
C’est la prise en compte de ces conséquences qui explique la popularisation de la notion même de développement durable et qui conduit à élargir la définition du développement durable. à la compréhension des liaisons entre questions sociales, environnementales, sociétales et mondiale. Elle prend en compte l’intime liaison entre les niveaux locaux, nationaux, régionaux (au sens des grandes régions), et mondiaux.
Cette prise de conscience commence dès le début de la phase néo-libérale - au début des années 80 - dans les pays du Sud avec les luttes contre la dette, le FMI, la Banque Mondiale, les plans d’ajustement structurel. Elle récuse dès 1989 le cadre institutionnel de cette phase de la mondialisation (G8, FMI et Banque Mondiale, OCDE, OMC). Elle se déploie en Europe à partir de 1994 (Italie, France, Allemagne), aux Etats-Unis et en Corée contre le chômage, la précarisation et la remise en cause des systèmes de protection sociale. A partir de Seattle en 1999, et de Porto Alegre en 2000, les forums vont être les lieux de la convergence des mouvements des pays du Sud et du Nord.
La mouvance altermondialiste dans ses différentes significations est porteuse d’un nouvel espoir né du refus de la fatalité ; c’est le sens de l’affirmation “un autre monde est possible”. Nous ne vivons pas “La Fin de l’Histoire” ni “Le Choc des civilisations”. Contrairement à ce que nous serinent ces affirmations doctrinaires, nous ne pensons pas que le système dominant est indépassable et que les luttes sociales sont dérisoires à l’échelle des millénaires.
Le mouvement altermondialiste est un mouvement historique qui renouvelle et prolonge le mouvement historique de la décolonisation. Il tire sa force du soutien de l’opinion publique dans chaque pays et au niveau international. Il pose la question de la formation de l’opinion publique mondiale et de son rapport avec l’hypothèse d’une conscience universelle. Il interpelle les Etats, comme on a pu le voir lors de la réunion de l’OMC à Cancun, dans leur nature, dans les politiques nationales qu’ils mènent et dans leur rôle sur la scène internationale. Il pèse sur le sens de la construction des grandes régions comme contre-tendances au néolibéralisme et à l’hégémonie géopolitique.
La stratégie du mouvement altermondialiste s’organise autour des caractéristiques de sa formation (la convergence des mouvements sociaux et citoyens) et de son orientation (l’accès pour tous aux droits fondamentaux, à la paix, à la démocratie). La mouvance altermondialiste résulte de la convergence des mouvements de solidarité. Le mouvement syndical, le mouvement paysan, le mouvement des « sans » (sans travail, sans logements, sans droits) organisé dans No-Vox, le mouvement des consommateurs, le mouvement écologiste, le mouvement féministe, le mouvement de défense des droits humains, le mouvement des associations de solidarité internationale - sans compter les associations culturelles, de jeunesse, de chercheurs - confrontent leurs luttes, leurs pratiques, leurs réflexions.
A travers les forums, une orientation commune se dégage, celle de l’accès pour tous aux droits, à la démocratie, à la paix. C’est la construction d’une alternative à la logique dominante, à l’ajustement au marché mondial, à la régulation par le marché des capitaux. A la prétention d’imposer que la seule organisation de la société acceptable soit la régulation par le marché mondial des capitaux, le mouvement altermondialiste oppose la proposition d’organiser les sociétés, et le monde, à partir de l’accès pour tous aux droits fondamentaux. Cette orientation commune donne son sens à la convergence des mouvements.
Le mouvement altermondialiste a mis en avant des propositions qui pourraient préfigurer un programme d’action. Elles sont issues des mouvements sociaux et associatifs à travers leur mobilisation ; elles ont bénéficié du travail des chercheurs, qui ont choisi de travailler avec ces mouvements, et de l’expertise citoyenne liée à ces mouvements. Elles ont été discutées dans les forums civils des grandes conférences multilatérales, à Rio, à Copenhague, à Vienne, à Pékin, au Caire, à Istanbul. Ce sont ces propositions qui ont convergé à Seattle. Elles ont servi de base au travail d’élaboration qui a connu une avancée avec le Forum Social Mondial depuis Porto Alegre.
Quatre dimensions illustrent la conception du développement durable : la garantie des libertés individuelles et collectives et des droits démocratiques ; la défense des écosystèmes et la préservation des droits des générations futures ; la diversité culturelle ; la prévention des guerres et le règlement des conflits par le droit international. Elles se déclinent en programmes d’action sur le développement local, le respect des droits économiques sociaux et culturels, les droits des générations futures et les inégalités écologiques, l’annulation de la dette, le commerce mondial et le marché des capitaux, la redistribution des richesses, la redéfinition du système international, etc.
La représentation dominante restreint les acteurs de la transformation sociale au face-à-face entre les entreprises et les administrations, le pouvoir économique et le pouvoir politique. Dans la nouvelle période, l’émergence des associations et des collectivités locales renforce le pouvoir citoyen. L’alliance entre les mouvements et les institutions locales est une alliance stratégique. Elle a été expérimentée à travers les Forums des autorités locales et les Etats Généraux des collectivités locales contre l’AGCS. Les politiques locales peuvent illustrer des alternatives (garantie de l’accès pour tous par les services publics locaux, financement et redistribution par les taxes locales, nationales et globales, satisfaction des besoins des habitants à travers les marchés intérieurs non subordonnés au tout exportation, articulation à travers un contrôle citoyen de la démocratie participative et de la démocratie représentative, citoyenneté de résidence, priorité à l’emploi et aux activités locales, préservation de l’environnement, défense des écosystèmes locaux, etc.)
La question des alliances est constante. Avec des succès variables, le mouvement combine plusieurs approches qui constituent l’espace de ses alliances, nationales et mondiales. Il s’inscrit dans des alliances larges dont les deux formes les plus marquantes sont les alliances anti-guerre et les alliances anti-fascistes. Elles ont l’avantage d’être larges, mais elles négligent la construction des alternatives. Le mouvement est interpellé par des alliances plus radicales dont les deux formes les plus marquantes sont les alliances anti-capitalistes et les alliances anti-productivistes. Elles ont l’avantage de se soucier des causes et donc d’être toujours nécessaires, mais elles sont souvent limitées et rarempent suffisantes. Enfin le mouvement est confronté à la question des alliances correspondant à la période, avec ceux qui refusent le cours néo-libéral, et notamment les nouveaux-keynésiens.
L’hypothèse de travail est que la phase “néo-libérale” de la mondialisation, qui peut être définie comme une phase de reconquête, est une phase de transition, probablement en voie d’achèvement. Trois scénarios sont alors possibles. Le premier scénario est porté par des courants régressifs, néo-conservateurs, fondamentalistes, intégristes, qui malheureusement progressent beaucoup dans le monde. Le deuxième scénario est porté par le courant altermondialiste - par la convergence des mouvements qui a été présentée plus haut - qui s’est engagé dans la construction d’un nouveau mouvement social et citoyen. Le troisième scénario, qualifié souvent de nouveau-keynésien, est porté par des couches, sociales confrontées à la précarisation et par une partie des couches moyennes, qui ont été particulièrement visées par la “reprise en main” néo-libérale. Les bases sociales des différentes approches ne sont pas disjointes ; des projets différents peuvent tenter les mêmes catégories.
Ces scénarios ne sont pas des scénarios d’anticipation ou de prévision, ce sont des scénarios sur les courants de pensée possibles. Le conflit entre ces courants participera à la construction d’une nouvelle pensée économique, sociale, culturelle et politique. Aujourd’hui, il existe un rapprochement entre les courants altermondialistes et les nouveaux-keynésiens contre le courant néo-conservateur.
Les confrontations qui permettront de définir les perspectives de ce rapprochement, passent par une double remise à plat, celle du soviétisme et celle du keynésianisme. Préciser ce que signifie l’accès pour tous aux droits fondamentaux, implique de faire le deuil du soviétisme pour montrer que la revendication de l’égalité ne passe pas par une sous-estimation de la démocratie. L’innovation majeure des transformations à venir viendra de la capacité à produire de l’égalité sans produire de la bureaucratie. Préciser aussi ce que signifie la régulation publique et l’action de l’Etat, implique de faire le deuil du keynésianisme pour montrer que la recherche d’alternatives ne s’inscrit pas dans la nostalgie des politiques passées. La régulation publique n’est pas indépendante de la nature de l’Etat et l’Etat social, quel que soit son intérêt par rapport au néolibéralisme, n’est pas suffisant pour définir des alternatives et le dépassement de la logique du système dominant. La régulation publique et les redistributions de richesses devront aussi être pensées à l’échelle mondiale ce qui impliquera la mise en œuvre d’une taxation internationale.
Jusqu’où peut aller ce rapprochement, qui en tirera les fruits et comment pourra être caractérisée et appréciée la logique qui en résultera ? L’Histoire reste à écrire et dépend des mobilisations.
Gustave Massiah
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