Automobile et effet de serre

Comment économiser l’énergie dans le secteur des transports et réduire la dépendance automobile ?

20 novembre 2019

Résumé

Tout attendre de la technologie risque fort de ne pas conduire à une réduction de la consommation d’énergie dans le secteur des transports. Telle est tout au moins la leçon qui peut être tirée de l’évolution de la situation depuis le premier choc pétrolier. Et cela s’explique : certes les consommations en litres aux 100 km baissent (et encore, seulement très légèrement) mais parallèlement le kilométrage parcouru par le parc de véhicules en circulation augmente.
L’approche que nous proposons consiste à poser le problème au bon niveau, c’est-à-dire en amont : avant tout, s’interroger sur nos besoins, sur la société de consommation, sur le système productif et son ouverture internationale ; puis, ce qui génère les flux, c’est-à-dire la localisation des logements et des activités ; ensuite, arrivent les questions de répartition modale (la marche, le vélo, les transports collectifs plutôt que la voiture et l’avion et du style de conduite automobile (plus ou moins apaisée) ; enfin seulement, on peut rechercher les améliorations à attendre de l’innovation technologique.

Auteur·e

Beauvais Jean-Marie

Après avoir soutenu, en 1976, sa thèse de doctorat sur le coût social des transports parisiens, Jean-Marie Beauvais est parti comme coopérant au Zaïre (aujourd’hui, RDC) pendant 5 ans dans le secteur des transports.
De retour en France, il a créé son propre bureau d’études (Beauvais Consultants) spécialisé en matière d’économies d’énergie et d’impact des transports sur l’environnement : pollution atmosphérique et sonore, accidents de la circulation, émissions de gaz à effet de serre, …
Pendant 40 années, il a réalisé des prévisions de trafic et des études socio-économiques intégrant les externalités pour le compte de la Banque mondiale, du Ministère de la transition écologique, des Conseils régionaux, de la SNCF, de l’ADEME, … Jean-Marie Beauvais est aussi le président de l’ADTT (Association pour le développement des transports collectifs en Touraine).



« Ce texte est la reprise – sous un forme légèrement modifiée d’un article publié en janvier 2019 dans la revue « Transports – Infrastructures – Mobilité  » ( N°513) - que nous remercions »

Comment économiser l’énergie dans les transports et réduire notre dépendance à l’automobile ? Chacun de nous attend de la réponse à cette question des retombées positives tant au niveau des « fins de mois » (budget des ménages) qu’au niveau de la « fin du monde » (émissions de CO2). Mais pour répondre à cette question il faut, au préalable, savoir quels sont les facteurs qui, en France, déterminent la consommation d’énergie dans le secteur des transports – et notamment celle d’énergie fossile par l’automobile , qui reste aujourd’hui une des sources majeure de ces émissions de gaz à effet de serre , et sur laquelle cet article sera essentiellement centré . Une fois les causes connues, nous pourrons mettre en évidence les leviers à actionner, après nous être interrogés tant sur notre soif de mobilité que sur les espoirs que nous mettons dans les solutions technologiques.

Des mesures telles que la baisse du prix du carburant ou le subventionnement de l’acquisition de voitures neuves, sont-elles à même de desserrer la dépendance automobile dont les « gilets jaunes » sont victimes ? Face à cette question, l’article se propose de poser le problème au bon niveau, c’est-à-dire, d’après nous, beaucoup plus « en amont » qu’il ne l’est aujourd’hui, même si, des réponses sociales ciblées doivent être aussi apportées à court terme.

 1 – Comment ont évolué les émissions de CO2 et les consommations d’énergie par les transports ?

En France, le secteur des transports est le secteur le plus émetteur puisqu’il compte, en 2016, pour 41 % du total des émissions totales de CO2 (tableau 1).

Plus étonnant encore, par rapport à l’année 1990, il est le seul à présenter une augmentation (+7,1 Mt CO2 ou encore +6 %) alors que tous les autres secteurs ont connu une baisse de leurs émissions, et qu’au niveau du total, tous secteurs confondus, la baisse est de 15%.

Tableau 1
– Émissions de CO2, tous secteurs
 [1]
Secteurs 1990
Mt
CO2
2016
Mt
CO2
Structure
2016
Évolution
Mt
CO2
Energie 62,8 46,4 15% -16,4
Industrie 81,4 50,3 17% -31,1
Résidentiel Tertiaire 86,5 72,1 23% -14,4
Agriculture 11,2 10,9 4% -0,3
Transport 117,1 124,2 41% +7,1
Total 359,1 303,9 100% -55,1

-

Cette augmentation des émissions est la résultante d’une augmentation des consommations d’énergie (tableau 2) du secteur des transports qui passe de 38,5 à 43,8 Mtep (soit une augmentation de 14%) et de l’introduction d’énergies moins émettrices de CO2. Il est important de noter que l’automobile représente à elle seule environ 54% à 57% des émissions de CO2 liées aux transports, ce qui veut dire qu’elle est à elle seule responsable de plus de 22% des émissions françaises de CO2 liées à l’énergie (en 2016).

On note que les produits pétroliers raffinés comptent pour 91 % de la consommation totale ; c’est dire la grande dépendance du secteur au pétrole.

Tableau 2
– Consommations d’énergie, secteur des transports
 [2]
Produits 1990
Mtep
2016
Mtep
Structure
2016
Evolution
Mtep
Produits pétroliers * 37,84 39,73 91% 1,89
Charbon 0,00 0,00 0% 0,00
Gaz naturel 0,00 0,07 0% 0,07
Electricité 0,64 0,93 2% 0,29
Agro-carburants 0,00 3,04 7% 3,04
Total 34,48 43,77 100% 5,29

 2 – Quelles sont les causes de cette évolution défavorable ?

2.1. Les causes de l’augmentation des consommations d’énergie dans le secteur des transports

L’augmentation des consommations d’énergie peut s’expliquer par une croissance soutenue des échanges, par une croissance plus rapide des modes énergivores (avion et voiture, voir tableau 3) que des autres modes de transport, ou par une détérioration de l’efficacité énergétique. Qu’en est-il vraiment ?

Le transport de voyageurs comme le transport de marchandises ont connu une croissance significative : 27 % pour le premier et 23 % pour le second, entre 1990 et 2016, et ce malgré les crises.

En matière de transport de voyageurs (tableau 3), l’essentiel de l’augmentation vient des véhicules particuliers. En effet, le trafic total est passé, entre 1990 et 2016,de 732 à 932 milliards de voyageurs x km soit une augmentation de 200 milliards de voyageurs x km dont 156 milliards de voyageurs x km pour les véhicules particuliers. En 2016 ces derniers représentaient à eux seuls plus de 8O% des déplacements voyageurs .

Tableau 3
– Trafics voyageurs
 [3]
en milliards de voyageurs x kilomètres [4]
Modes 1990
G
v.km
2016
G
v.km
Structure
2016
Évolution
en G
v.km
Véhicules
particuliers
598,7 754,3 81% +155,6
Transport collectif
routier
46,4 58,9 6% +12,5
Transport
ferroviaire
75,1 104,2 11% +29,1
Transport
aérien
11,4 14,8 2% +3,4
Total 731,6 932,2 100% +200,6

-

En matière de transport de marchandises (tableau 4), toute l’augmentation vient du transport routier or justement, ce mode est plus consommateur d’énergie par unité de trafic que le transport ferroviaire ou le transport fluvial.

Tableau 4
– Trafics marchandises
 [5]
en milliards de tonnes x kilomètres [6]
Modes 1990
G
t.km
2016
G
t.km
Structure
2016
Evolution
en G
t.km
Transport
ferroviaire
52,2 32,6 10% -19,6
Transport
routier
197,0 288,9 85% +91,9
Transport fluvial* 7,2 6,8 2% -0,4
Transport
par
oléoducs
19,6 11,4 3% -8,2
Total 276,0 339,7 100% +63,7

-

Quant à l’évolution de l’efficacité énergétique du secteur, elle est liée à celle de la voiture particulière et du camion puisque qu’ils représentent plus des 8/10ème des parcours [7] . Or la consommation réelle des voitures est passée, entre 1990 et 2016, de 8,68 à 7,27 litres aux 100 km pour les motorisations essence et de 6,73 à 6,06 litres aux 100 km pour les motorisations diesel. Finalement, la baisse n’a donc été que de 0,5 % par an en moyenne car les efforts des constructeurs ont été quasiment annihilés par l’augmentation du poids, de la vitesse de pointe et de la surconsommation imputable à la climatisation (sans parler de la percée des SUV depuis une dizaine d’années). D’ailleurs, la puissance moyenne installée sur les véhicules a augmenté à un rythme soutenu : de 55 kW en 1990 à 86 kW en 2016 (soit +56% !).C’est ce qui explique également que les émissions unitaires de CO2 des automobiles par kilomètre parcouru, après avoir connu une baisse importante entre 1995 et 2015 (de 175 à 110 grammes par Km), soient reparties en légère hausse depuis cette date – notamment en raison de la part croissante prise par les achats de SUV – de l’ordre de 35% [8] ……


Quelques données récentes complémentaires sur l’automobile :  [9] .

  • Le taux de motorisation des ménages est de 81% dont 35% sont bimotorisés. Mais il varie de 68% en région parisienne à 94% en zone rurale ou dans les petites villes.
  • Le parc automobile s’est stabilisé depuis 2010 autour de 32 millions de véhicules, 2 fois plus qu’en 1975 et 15 fois plus qu’en 1950…
  • 87% des français utilisent la voiture pour au moins un de leurs déplacements au quotidien, 75% la marche à pied, 30% un transport en commun, 15% pour un deux roues, 5% pour le covoiturage. 60% des actifs utilisent chaque jour l’automobile pour aller à leur travail.
  • 73% des actifs travaillent hors de leur commune. Les deux tiers de ceux qui utilisent leur voiture pour aller au travail s’en disent dépendants ,72% pour l’accès aux soins.
  • La dépense moyenne pour l’automobile est de 204 euros - 223 dans le péri urbain lointain et 18O dans les parties centrales des villes. La part du budget qui lui est affecté peut aller jusqu’à 25% pour les catégories les plus modestes du périurbain. Pour les transports en commun la dépense moyenne est de 44 euros – représentant un quart de leur coût réel.

2.2. Les causes de l’augmentation de la mobilité des personnes

La principale cause d’augmentation de la consommation d’énergie qui a pu être mise en évidence dans le transport de voyageurs est donc l’augmentation de la mobilité (+27% en 26 ans). Remontons dans la hiérarchie des causes pour rechercher les causes de cette cause. Les données sur la mobilité proviennent d’une enquête nationale [10] qui est réalisée moins d’une fois par décennie. Ainsi, nous ne pourrons plus comparer 2016 à 1990 mais seulement 2008 à 1994 [11].

L’augmentation du nombre de voyageurs x km est imputable d’une part, à l’augmentation du nombre d’habitants (+6 % en 14 ans) et d’autre part, à l’augmentation du nombre de kilomètres parcourus par habitant (+10 % en 14 ans). En 2008, le kilométrage annuel par personne était d’environ 14.700 km dont 41 % pour les déplacements à plus de 80 km et ces derniers connaissent une croissance plus forte que les déplacements à moins de 80 km :

  • Pour ce qui concerne les déplacements à longue distance, la hausse du kilométrage est liée à l’augmentation du nombre de déplacements par an et par personne. Cette dernière, qui fut de 16 % entre 1994 et 2008, est à rapprocher de l’augmentation tendancielle du pouvoir d’achat et du développement des vols à bas coûts ;
  • Pour ce qui concerne les déplacements à courte distance, la hausse du kilométrage est liée à l’augmentation de la longueur moyenne des déplacements. Cette dernière qui fut de 7 % entre 1994 et 2008, est liée à l’éloignement progressif des activités par rapport aux lieux de résidence. Il s’agit là d’une augmentation des distances tous motifs confondus mais l’augmentation des distances pour le motif domicile-travail, elle, atteint 23% durant cette période de 14 ans, passant de 12,0 à 14,7km. Cette dernière est liée à la périurbanisation. A son tour, la périurbanisation s’explique notamment par l’écart entre l’évolution du prix du logement et l’évolution du prix du carburant automobile.

La figure qui suit récapitule les différents facteurs qui ont été mis en évidence pour expliquer l’augmentation de la consommation d’énergie dans le secteur du transport routier. Elle a toute son importance car à la hiérarchisation des causes devra correspondre une hiérarchisation des mesures à prendre.

Figure 1. Remontée dans la hiérarchie des causes

-

 3 – Pourquoi hiérarchiser les politiques publiques pour économiser l’énergie dans le secteur des transports ?

Alors, que faire pour réduire le nombre de kilomètres, pour réorienter la répartition modale en faveur des modes les moins énergivores et pour augmenter l’efficacité énergétique de chaque mode ? D’après nous, les mesures à prendre doivent l’être dans un certain ordre c’est-à-dire qu’il convient d’abord de hiérarchiser des politiques publiques(figure 2). Sinon, prendre des mesures trop en aval de la chaine causale risque de générer des effets pervers tels que la situation résultante soit pire que la situation antérieure, ou en d’autres termes qu’on arrive à une augmentation et non pas à la réduction recherchée des consommations d’énergie.

Au final, ne vaut-il pas mieux parcourir 4.000 km par an dans une voiture vieillissante qui consomme 7 litres aux 100 km que 12.000 km dans une voiture plus récente qui ne consomme que 5 litres aux 100 km ? Le nombre d’activités peut très bien être le même dans les deux cas mais la consommation en litres par an est deux fois moindre dans le premier cas. Au lieu de dépenser de l’argent pour faire baisser le nombre de litres aux 100 km, on le dépense pour élargir l’offre en transport collectif et améliorer les modes doux.

Ne viser que la réduction des consommations spécifiques présente deux inconvénients : la privation de financements pour les solutions alternatives à la voiture et l’augmentation du nombre de kilomètres [12].

Prenons quelques exemples :

  • Equiper les voitures d’une 4ème puis d’une 5ème vitesse, c’est bien car ça permet de rester dans le bon régime moteur et donc de réduire la consommation à vitesse donnée. Mais en pratique, l’automobiliste gardera la même consommation et augmentera sa vitesse et élargira son rayon d’action ;
  • Installer un déflecteur sur tracteur routier semi-remorque, ça permet d’améliorer l’aérodynamisme du véhicule et donc de réduire sa consommation. Mais, le conducteur n’en profitera pas pour moins appuyer sur l’accélérateur. Il appuiera tout autant et, la puissance du tracteur étant donnée, il roulera plus vite. Ainsi, il fera plus de rotation et donc plus de kilomètres dans la journée ce qui permettra des baisser les coûts du transporteur routier et donc de concurrencer encore plus le train qui est pourtant plus efficace énergétiquement et environnementalement ;
  • Elargir les routes et autoroutes pour éviter les surconsommations de carburant dans les encombrements, semble être une mesure de bon sens. Et pourtant, le retour à une circulation fluide attirera de nouveau automobilistes. Et cette induction de trafic fera qu’on se retrouvera quelques années plus tard avec la même saturation, mais à un niveau de trafic plus élevé ;
  • Mettre en place du covoiturage longue distance, augmente le taux d’occupation des voitures ce qui permet de diviser les consommations de carburant, même en tenant compte des détours à faire pour déposer les uns ou les autres. Mais cela vide le train qui offre une desserte parallèle et péjore donc son efficacité rapportée au voyageur x km.

L’effet pervers n’annulera pas forcément la totalité du bénéfice attendu mais explique, en grande partie, pourquoi la consommation en litres aux 100 km ne baisse que très lentement et que le trafic automobile augmente significativement.

Ces exemples montrent qu’on ne peut pas raisonner « toutes choses égales par ailleurs » car l’ailleurs n’est justement pas fixe. Pour le rendre fixe, il faut veiller à « verrouiller » les niveaux amont. D’où l’enchainement à respecter de l’amont à l’aval : choix de société, localisation des logements et des activités, répartition modale, conduite automobile, innovations technologiques. Il faut aborder la question dans sa globalité [13] .

N’ est-ce pas ce que disait en novembre 2017 un grand patron de l’industrie automobile, Carlos Tavares (PDG de PSA) en s’exprimant non pas comme constructeur mais comme citoyen : « Qui traite la question de la mobilité propre dans sa globalité ? Comment est-ce que nous allons produire plus d’énergie électrique propre ? Comment faire pour que l’empreinte carbone de fabrication d’une batterie du véhicule électrique ne soit pas un désastre écologique ?... Qui aujourd’hui est en train de se poser la question de manière suffisamment large d’un point de vue sociétale pour tenir compte de l’ensemble de ces paramètres ? »

Figure 2. Descente dans la hiérarchie des mesures à prendre

Lecture : du niveau 1 (impact final) vers le niveau 4 (la cause de la cause de la cause)

-

 4 – Quelles solutions pour réduire la consommation d’énergie dans les transports ?

Rappelons au passage que les politiques publiques doivent prendre en compte plusieurs objectifs (économiques, sociaux, environnementaux) et que la réduction des consommations d’énergie n’en est qu’un parmi d’autres. Par exemple, on peut vouloir faire la part belle aux citadins plutôt qu’aux voitures pour de multiples raisons : réduire le bruit, réduire la pollution atmosphérique, réduire les accidents, … Entrons maintenant dans le détail des cinq niveaux de la figure précédente.

4.1. Les choix de société

Le premier échelon à considérer est d’ordre anthropologique. La société de consommation repose sur l’imitation sans fin des classes supérieures, d’où la responsabilité de ces dernières car il est aujourd’hui admis qu’il y a un hiatus entre une croissance sans limites et des ressources finies [14] : d’une part, les grands acteurs du marché qui tendent à créer un mécanisme consumériste compulsif pour placer leurs produits ; d’autre part, des personnes qui deviennent autoréférentielles, s’isolent dans leur propre conscience et accroissent leur voracité.

Le consumériste obsessif est le reflet subjectif du paradigme techno-économique et seul un changement dans les styles de vie pourrait réussir à exercer une pression saine sur ceux qui détiennent le pouvoir politique, économique et social. C’est déjà ce qui arrive quand certaines associations obtiennent qu’on n’achète plus certains produits et deviennent ainsi efficaces pour modifier le comportement des entreprises, en les forçant à considérer leur impact environnemental. Mais pour aller plus loin, il faut faire le choix personnel de la « sobriété heureuse », pour reprendre les termes du pape François, ce qui suppose une véritable conversion avec une nouvelle présence à soi-même à base de lenteur (et non pas de vitesse) et d’enracinement (et non pas d’hyper mobilité).

4.2. La localisation des logements et des activités

Gardons à l’esprit que le déplacement le moins énergivore est celui qui n’est pas nécessaire. D’où l’intérêt des mesures organisationnelles (telles que le télétravail ou le bureau de proximité).

D’où l’intérêt aussi, pour réduire les distances à parcourir en voiture :

  • à l’échelle d’une aire urbaine, d’une urbanisation plutôt dense que diffuse autour de pôles bien desservis en transport collectif, et de centres commerciaux qui ne soient pas qu’accessibles en voiture ;
  • à l’échelle d’un département, de créer des emplois dans les petites villes et de ne pas les vider de leurs services publics (tribunal, hôpital, …) ;
  • et entre les deux, d’aménagements centrés autour des gares [15] de façon à ce que ceux qui ne trouvent pas de travail sur place puissent gagner la gare en vélo ou à pied. C’est pourquoi, il faut encadrer la délivrance des permis de construire pour que les logements soient accessibles depuis une gare ou à défaut d’un simple point d’arrêt de transport collectif [16].

La difficulté avec les politiques d’aménagement du territoire tient à ce que les élus sont souvent « courtermistes ». Certes leur mandat ne dure quelques années, mais ce n’est pas une raison suffisante pour écarter les mesures qui n’auront d’effet bénéfique qu’à moyen terme voire même à long terme mais qu’il faut mettre en place dès aujourd’hui.

4.3. La répartition modale

Dans la mesure où un des objectifs de la politique des transports est de réduire les consommations d’énergie et les émissions de CO2, il apparait naturel d’orienter la demande vers les modes les plus efficaces par rapport à ces critères. Sur la base de l’éco-comparateur de l’ADEME, il convient donc de passer de la voiture et de l’avion aux transports collectifs mais aussi des modes motorisés aux modes actifs (marche et vélo) (tableau 5). Les efficacités énergétiques et environnementales qui figurent dans ce tableau tiennent compte des consommations d’énergie par kilomètre parcouru par le véhicule, de la part de l’électricité dans l’énergie utilisée et du taux d’occupation des véhicules.

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Tableau 5
- Consommations d’énergie et émissions de CO2
par voyageur x kilomètre
 [17]
Mode de transport gep/v.km gCO2/v.km
Voiture 54 171
Avion (moyen-courrier) 45 142
Moto 44 136
Bus 41 130
Autocar 18 59
Transilien 12 6
TER 12 29
Train grande ligne 7 12
Métro 7 3
Tramway 6 3
TGV 3 3
Vélo 0 0
Marche 0 0

-

Tant à courte distance qu’à longue distance, il faut donc réduire la place de la voiture et l’avion et, parallèlement, offrir des solutions de rechange.

Avant de proposer quelques pistes solutions visant à modifier la répartition modale (voir plus loin), il convient de rappeler la contrainte financière. Pour des raisons tant logiques que financières, la politique est l’art de choix. Pour des raisons logiques car on ne peut pas, comme on l’a fait dans le passé, développer à la fois les transports individuels et les transports, sans augmenter la mobilité avec ses conséquences sur l’environnement. Pour des raisons financières car, pour financer les transports collectifs, il faut réduire le financement des transports individuels si on raisonne à budget constant, tant au niveau de l’Etat que des collectivités locales. C’est pourquoi certaines des mesures qui suivent peut-être attendues et d’autres redoutées.

Ceci dit, avançons maintenant quelques solutions de rechange :

  • Réhabiliter le réseau ferroviaire régional et en adapter la tarification, ce qui peut nécessiter un certain investissement (mais sans commune mesure avec le coût d’une LGV ou d’une autoroute) car son entretien a été abandonné pendant des années. C’est le cas, par exemple, de Loches-Tours qui présente pourtant un potentiel important de fréquentation ;
  • Mettre en place des solutions adaptées à la situation spécifique des zones rurales isolées : réseaux de bus plus denses, covoiturage, transports publics à la demande, taxis privés ou collectifs, voitures électriques, systèmes de location, télétravail, etc …-* tout en incitant l’usage de véhicules sobres dans les territoires où l’automobile n’a pas d’alternative.
  • S’appuyer sur le TGV pour relier les métropoles régionales entre elles. En effet, ce mode est le plus efficace, tant au niveau énergétique qu’au niveau environnemental (tableau 5) ;
  • Donner la priorité au transport collectif dans les agglomérations, notamment en mettant en place un réseau de tramway dans les villes qui n’en sont pas encore dotées. Le tramway est un mode de transport à la fois structurant et efficace, tant du point de vue de l’environnement que de celui de la qualité de service. Actuellement moins en vogue du fait de la mode du BHNS(bus à haut niveau de service), il peut pourtant s’améliorer encore en réduisant ses coûts et en s’adaptant à différents contextes (tramway légers, tramway périurbain, …) ;
  • Changer de braquet pour ce qui concerne les piétons (trottoirs larges et sûrs et propres, mise en place de circuits de pédibus) et les cyclistes (réduction de la circulation automobile en volume et en vitesse, création d’un réseau cyclable avec des itinéraires structurants – y compris entre des villes ou communes rurales éloignées) ;
  • Faciliter le passage d’un mode à l’autre ; c’est ce qu’on appelle l’inter modalité. En effet autant la voiture permet le porte-à-porte, autant les autres modes constituent une chaîne et chaque interface doit être fluide : correspondances physiquement pratiques, horaires coordonnés, titres de transport unique, information sur tous les segments du déplacement ;
  • Cesser d’augmenter le nombre de places de stationnement (tant publiques que privées), sauf s’il s’agit de parc-relais [18] ;
  • Ne plus continuer à développer les capacités routières, autoroutières et aéroportuaires, sauf s’il s’agit d’une zone qui ne peut pas être désenclavée par le train ;
  • Avoir le courage de prendre des mesures réglementaires et fiscales cohérentes :taxation du kérosène, limitation des vitesses, instauration d’une écotaxe sur les poids lourds, introduction du péage urbain, arrêt des subventions à l’industrie automobile à travers des primes à la casse, … ;
  • Plus particulièrement, en ce qui concerne la fiscalité sur le carburant, d’une part, annoncer une hausse régulière du prix des carburants pour que les agents économiques puissent progressivement s’adapter [19] et d’autre part, reprendre l’augmentation des taxes environnementales sur les carburants avec mesures redistributives pour des raisons sociales. En effet, pourquoi se priver de recettes fiscales en provenance des automobilistes favorisés, gros rouleurs et équipés de grosses cylindrées, si ces recettes servent à financer des transports collectifs (c’est d’ailleurs le rôle de l’AFITF) qui permettent de desserrer la dépendance automobile dont sont victimes les gilets jaunes ?

4.4. La sensibilisation à la conduite économique

Déjà aujourd’hui, chacun peut essayer, selon la marge de manœuvre dont il dispose, de limiter ses consommations d’énergie. Quelques exemples : éviter de s’installer là où il faudrait autant de voitures que de personnes dans le ménage ; choisir une petite cylindrée plutôt qu’une grosse, même si elle va moins vite ; éviter de prendre sa voiture pour aller à 500 m chercher sa baguette de pain ; habituer les enfants à aller à pied à l’école ; pensez aux vacances à vélo ; utiliser plutôt le train que l’avion pour aller de Paris à Marseille ; etc.

Mais tous ces conseils ne peuvent qu’être mal perçus par ceux qui n’ont pas le choix et qui peuvent même se sentir stigmatisés par ces donneurs de leçons. C’est pourquoi, il ne faut pas se limiter à une politique visant à modifier la répartition modale sans avoir au préalable fait des choix de société en matière de définition des besoins de mobilité (point 31), pris des mesures en matière d’aménagement du territoire (point 32) et amélioration des transports collectifs et des modes actifs (point 33).

Et ce n’est qu’ensuite, dans les cas, devenus plus rares, où le recours à la voiture est incontournable que les conseils de l’ADEME ont toute leur place : chacun veillera à ne pas laisser tourner son moteur inutilement, à choisir le bon rapport de vitesse, à éviter les à-coups, à anticiper, à réduire sa vitesse (lorsqu’on roule à 130 km/h, on augmente de 30 % la consommation comparée à une vitesse de 90 km/h), à éviter la climatisation, à entretenir régulièrement son véhicule, à rouler avec des pneus en bon état et bien gonflés, …

4.5. Les innovations technologiques et leurs limites.

La politique industrielle et les technologies émergentes doivent aussi être interrogées. Prenons le cas de la voiture électrique qui absorbe beaucoup d’argent public et tentons un premier bilan. Elle est coûteuse à l’achat (à tel point qu’elle doit être fortement subventionnée, sans parler des bornes publiques de recharge) mais bon marché à l’utilisation tant que le kWh est détaxé. Elle présente un intérêt sur le plan énergétique [20] car elle consomme moins d’énergie qu’un véhicule thermique comparable aux 100 km et, de plus, elle permet d’être moins dépendant du pétrole. Par ailleurs, elle est moins bruyante et émet moins de particules fines (surtout que les véhicules Diesel) [21] .

Mais d’une part, elle n’occupe pas moins de place que la voiture classique (donc mêmes problèmes de congestion et de stationnement) et d’autre part, elle présente plusieurs inconvénients en amont : au niveau de la production d’électricité (le VE n’est « écologique » que si l’électricité provient de centrales nucléaires avec leurs incontournables déchets radioactifs), et au niveau du stockage de l’électricité dans les batteries (ces batteries ont une durée de vie limitée et elles sont produites en Chine avec un fort contenu en charbon et donc en CO2, sans parler des exactions pour mettre la main sur le cobalt et le lithium en République démocratique du Congo).

L’évolution technologique n’est, bien sûr, pas mauvaise en soi : tout est dans la manière dont elle est utilisée. Aujourd’hui, elle sert surtout à mettre au point des véhicules de plus en plus sophistiqués [22] , chers et lourds (notamment à cause du poids des batteries) - en attendant le véhicule autonome. Les contraintes d’utilisation qui demeurent et le coût relativement élevé de ces nouveaux véhicules - y compris en terme de nouvelles infrastructures - risquent d’en limiter l’usage à un rôle de complément à la voiture actuelle - accessible seulement aux catégories sociales les plus aisées. Alors que l’innovation pourrait servir à concevoir des véhicules ayant un coût plus faible et une durée de vie plus longue qui répondraient ainsi aux préoccupations des ménages ayant un faible pouvoir d’achat.

A notre avis, il convient d’abord d’optimiser l’existant et d’améliorer ce qui a déjà fait ses preuves plutôt que de compter uniquement sur une innovation sans fin …et dont le déploiement sera nécessairement très long (rappelons qu’en 2017 il s’est vendu environ 35OOO véhicules électriques pour un parc automobile supérieur à 35 millions !). Cela est difficile car, bien que coûteuse, la fuite en avant est finalement assez consensuelle dans la mesure où elle évite tant les conflits avec les acteurs existants que la modification de nos comportements.

°O°

 Conclusion

Nous avons, dans cet article, défendu la thèse que pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, pour économiser efficacement l’énergie dans le secteur des transports et pour desserrer la dépendance automobile dont sont victimes les gilets jaunes, il ne faut pas penser que la technologie nous sauvera mais il faut prendre toute une série de mesures hiérarchisées, et ce en allant du général au particulier :

  • avant tout, s’interroger sur nos besoins, sur la société de consommation, sur le système productif et son ouverture internationale ;
  • puis, sur ce qui génère les flux, c’est-à-dire la localisation des logements et la localisation des activités ;
  • ensuite arrivent les questions de répartition modale (la marche, le vélo et les transports collectifs plutôt que la voiture et l’avion) et de style de conduite automobile ;
  • enfin seulement, on peut rechercher les améliorations à attendre de l’innovation technologique.

Traiter la question dans l’autre sens, c’est prendre le risque d’être confronté à un effet pervers tel que la situation résultante sera pire que la situation initiale ce qui ne fera qu’accélérer l’épuisement des ressources ; ce qui est contraire au but poursuivi et c’est en cela que l’effet est pervers.

Si une part des solutions viendra de la conjonction entre les efforts des industriels et les changements de comportements des automobilistes, aucun progrès à long terme significatif ne pourra se produire sans une transformation profonde de nos modes de vie et une rupture dans la politique d’aménagement du territoire et des services publics qui a fait de la mobilité automobile la variable d’ajustement permettant de résoudre les contradictions de l’organisation du territoire. A moyen terme, des avancées substantielles pourraient venir du développement des modes doux et d’innovations dans les services à la mobilité. Plus globalement, il faut se convaincre n’y aura pas de solution « miracle » comme la voiture électrique ou la taxe carbone : seule la conjonction de toutes les pistes évoquées ici permettra de réduire significativement les impacts majeurs de l’automobile sur les émissions de gaz à effet de serre à un horizon raisonnable.

Espérons que la démarche que nous venons de présenter inspirera les 150 personnes qui ont été tirées au sort pour participer à la Convention Citoyenne pour le Climat, mise en place en octobre 2019, et qui a pour mandat de définir une série de mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990) dans un esprit de justice sociale.

Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[1Source : Ministère de la transition écologique et solidaire. Bilan énergétique de la France, 2017. Données associées, en millions de tonnes de CO2 (Mt CO2). Les chiffres concernent seulement les émissions liées au CO2 -ce qui sous-estime, notamment , les contributions de l’agriculture à l’effet de serre.

[2Source : Ministère de la transition écologique et solidaire. Bilan énergétique de la France, 2017. Données associées, en millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep).

[3Source : Ministère de la transition écologique et solidaire. Comptes transports en 2017. Séries longues, fichier F.

[4L’unité est le voyageur x km. Par exemple, la prestation une voiture transportant 3 passagers sur 5 km sera 3 x 5 = 15 voyageurs x km.

[5Source : Ministère de la transition écologique et solidaire. Comptes transports en 2017. Séries longues, fichier E.

[6L’unité est la tonne x km. Par exemple, la prestation d’un camion transportant 8 tonnes sur 25 km sera de 8 x 25 = 200 tonnes x km.

[7A partir de ce point, nous nous limitons au cas du transport de voyageurs.

[8Rappelons que les normes européennes imposeront en 2020 des émissions de CO2 inférieures à 95 Grammes par kilomètre.

[9Informations portant sur les années 2018 -2O19 ajoutées par le comité éditorial de l’ Encyclopédie. .

[10Cette enquête interroge les Français sur leurs déplacements y compris à l’étranger alors que les tableaux précédents issus des Comptes des transports ne couvrent que les transports intérieurs (sur le territoire français y compris ceux effectués par des étrangers).

[11Une nouvelle enquête va être publiée fin 2019.

[12Par analogie, on retrouve la théorie de l’homéostasie établie en 1982 par Gérard Wilde (Queens University, Ontario) qui consiste très schématiquement à dire d’une part, qu’il y a une différence entre le risque perçu et le risque réel et d’autre part, que les précautions que nous prenons correspondent au risque que nous percevons et non pas au risque réel. Par temps de brouillard, le conducteur prendra plus de précautions et roulera lentement. Sur la même route avec une bonne visibilité, le conducteur prendra moins de précautions et roulera plus vite. Ce qui est constant, c’est le degré de prise de risque. On peut alors se poser la question : à quoi bon dépenser de l’argent public pour rendre l’infrastructure moins dangereuse ?

[13Une maison à énergie positive mais construite loin de tout, ne présentera pas forcément un bilan énergétique positif si on le mesure non plus au niveau du seul logement mais niveau de l’ensemble logement et déplacements.

[14Laudato Si. « Miser sur un autre style de vie ». Points 203 à 206.

[15Exemple de « Transport Oriented Development » : Orenco Station (dans le périurbain de Portland aux Etats-Unis d’Amérique).

[16Cette disposition est prévue dans le SCOT de Tours.

[17Source : Ecocomparateur ADEME (https://fr.wikipedia.org/wiki/Effic... , consulté le 27 décembre 2018). Les données sur les émissions de CO2 par kilomètre sont des moyennes – différentes de celles constatées pour les seules voitures neuves mises sur le marché. Elles s’appuient sur des taux d’occupation également moyens.

[18Le prolongement d’une ligne de tramway en banlieue et l’installation d’un parc-relais au terminus de cette ligne de tramway pourrait avoir pour conséquence d’étendre la périurbanisation. Mais, dans notre perspective, n’est pas le cas puisque l’urbanisation est maîtrisée (étape amont de la figure 2).

[19Déjà dans les années 70, l’OCDE recommandait déjà de donner un signal-prix en hausse de 5%, 6% ou 7% par an en plus de l’inflation.

[20Uniquement pendant la phase de roulage mais pas lors de la construction.

[21Même si, les particules provenant des freins, des pneus, des chaussées et des remises en suspension restent quasiment inchangées.

[22A titre d’exemple : aujourd’hui toutes les voitures neuves sont livrées avec la climatisation (avec son impact sur la consommation, la pollution et le climat).

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