« Concertation », « participation », « co-construction », l’histoire d’un long et délicat chemin vers une citoyenneté urbaine active.

(septembre 2019)

13 juillet 2021

Résumé

L’auteur propose une vision historique du développement de la participation citoyenne dans le domaine des politiques urbaines ainsi qu’une grammaire de cette participation. Son article présente d’abord les rares ou timides expériences de démocratie participative antérieures aux années 70-80, puis montre comment celles-ci ont progressivement débouché sur une nouvelle manière de concevoir la ville et l’espace public. Deux grandes approches sont opposées : les démarches de « luttes urbaines » dont les ZAD (zones à défendre) sont l’expression contemporaine, et une approche plus « réformiste » incarnée par la « concertation » ou la « participation ».
A partir des années 80-90, la démocratie participative est de plus en plus associée aux préoccupations du développement durable. Elle s’inspire en effet fortement des objectifs fixés au Sommet de la Terre à Rio en 1992. Mais le souci de démocratiser les décisions en matière d’environnement était déjà présent bien auparavant et notamment dans la loi Bouchardeau de 1983 « relative à la démocratisation des enquêtes publiques et la protection de l’environnement ». Ce sont ces principes définis pour protéger l’environnement qui sont venus à la fois relayer et renforcer à la fois les concepts et les initiatives prises antérieurement pour démocratiser l’urbanisme. Mais il convient de bien distinguer quatre niveaux très différents d’implication des habitants : la concertation, la participation, « l’empowerement » et la co-construction - Plaidant pour cette co-construction, l’auteur en définit les conditions de mise en œuvre dans les projets urbains, à partir d’une analyse précise des nombreux problèmes pratiques qu’elle soulève.

Auteur·e

Giorgis Sébastien

Architecte DPLG, Paysagiste et Urbaniste, Paysagiste-Conseil de l’ État.
Fondateur du Réseau Euro-Méditerranéen de la Ville et des Paysages VOLUBILIS.
http://www.volubilis.org/


C’est sur l’agora, la place centrale de la cité antique, qui est le lieu fondateur de la citoyenneté [1] -appelée de ses vœux par le philosophe Henri Lefèvre - que prend corps « l’espace public », au sens des philosophes [2] , ce lieu du débat citoyen où se construit le projet politique de la cité.

« Le droit à la ville se manifeste comme forme supérieure des droits :
droit à la liberté, à l’individualisation dans la socialisation, à l’habitat et à l’habiter. Le droit à l’œuvre (à l’activité
participante) et le droit à l’appropriation (bien distinct du droit de propriété) s’impliquent dans le droit à la ville
 ».


Henri Lefèvre, Le droit à la ville, 1968


Cette forme de citoyenneté qui semble réapparaitre aujourd’hui avec difficulté (particulièrement en France) , revient pourtant de très loin et il aura fallu plus de deux millénaires pour que cette démocratie directe réémerge au début du 20ème siècle, aux États-Unis d’abord, au travers les propositions sur la ville et les démarches de projet urbain fondées sur les citoyens que développa Patrick Geddes, [3] et plus tard avec les travaux « d’écologie urbaine » de l’École de Chicago [4] et leurs prolongements au travers du dispositif de « Community organizing » mis en œuvre par le sociologue Saul Alinsky [5].

 Les premières expériences en Europe.

En Europe, les premiers frémissements sont bien plus tardifs. Une première tentative sera menée en 1945 par l’architecte et urbaniste André Lurçat quand il fut missionné par l’État pour assurer la reconstruction du centre-ville de Maubeuge entièrement détruit pendant la guerre. Mais sa démarche resta sans écho ailleurs… Il faudra attendre les innovations mises en œuvre dans le projet de reconquête du centre historique de Bologne en Italie (l’expérience du quartier San Léonardo) dans les années 60 pour vivre cette renaissance de l’implication citoyenne dans la fabrication ou la transformation de la ville, expérience qui allait devenir un des lieux de pèlerinage des urbanistes européens dans les deux décennies qui suivront.
Parmi ces précurseurs on peut citer également en Belgique, Simone et Lucien Kroll (qui resteront très isolés eux aussi) avec l’opération emblématique de la « Maison Médicalisée », la célèbre « Mémé » de la faculté de médecine de Louvain conçue avec les étudiants futurs utilisateurs. Leur démarche était fondée sur un principe : « l’habitat est une action, non un objet » [6] .
Ces premières expériences en matière de démocratie participative inspireront quelques générations d’urbanistes dont nous étions lorsque nous créons à Avignon, dès 1978, « l’Association pour la Participation et l’Action Régionale » (l’APARE) dont la première mission fut de concevoir, AVEC les habitants de deux communes de la Drôme, le projet spatial, urbain et patrimonial correspondant à l’idée qu’ils se faisaient de leur avenir. À ce moment-là, dix années après 68, quatorze ans avant les premières lois de décentralisation (1982), l’État et ses services sur les territoires (la « DDE ») faisait encore tout, de la planification à l’aménagement de la place du village, sans la moindre réunion publique ni information sur les projets. Le slogan non formulé pouvait alors s’énoncer ainsi : « Dormez tranquille citoyens, nous nous occupons de tout ». Faire notre bien, sans nous où malgré nous, était alors la pratique unique et indiscutée du moindre projet. Nos propositions conçues avec les citoyens en sont alors restées là…
Mais dans le même temps, la société française, très timidement, (la citoyenneté est un chemin), s’engageait dans cette nouvelle manière de vivre cette citoyenneté et de concevoir les projets urbains et ses paysages. Quarante années de pratique de ces démarches, au-delà des difficultés auxquelles se sont confrontés ces initiateurs, ont montré une chose : lorsque la méthode est bonne (et sincère), la conception du projet urbain y gagne grandement en qualité grâce à la mobilisation de cette « maitrise d’usage » dont est porteur chaque citoyen.

 L’émergence d’une nouvelle manière de concevoir la ville et l’espace public

En France, après des siècles d’un top down systématique exercé par un pouvoir central sans partage ni doute sur sa légitimité et où seuls les pouvoirs publics et leurs experts s’autorisaient à concevoir la ville, différentes notions ont émergé : « la concertation » (un timide début) ; « la participation » par laquelle une place un peu plus grande est laissée au citoyen encore souvent désigné comme « usager » ; et enfin « la co-construction », terme qui semble désormais l’emporter aujourd’hui pour désigner le processus participatif.
Dans la continuité des révoltes culturelles mondiales des années 60, deux grandes tendances s’affronteront sur ces champs de la citoyenneté urbaine : les démarches de « luttes urbaines d’un côté, dont les ZAD (zone à défendre) sont l’expression contemporaine, et une approche plus « réformiste » incarnée par la « participation » citoyenne, de l’autre.
L’histoire urbaine de ce dernier demi-siècle a ainsi été marquée par ces deux formes de mobilisation citoyenne. Parmi les références inclinant vers la voie « participative », l’ouvrage de l’architecte égyptien Hassan Fathy, « Gourna, A Tale of Two Villages » [7] a plus particulièrement marqué le public français du fait de sa traduction « Construire AVEC le peuple ». Cette expression militante a nourri l’imaginaire de toute une génération d’étudiants en architecture et en urbanisme dans les années 70. Elle est devenue le slogan d’un mouvement aspirant à cette nouvelle forme de démocratie qui s’est ainsi développé dans les années 60 avec la création à Grenoble, du premier « Groupe d’Action Municipale » (GAM), constitué à l’initiative d’associations, « d’unions de quartiers » et de syndicats ouvriers. Tous partageaient le constat de l’inadéquation des réponses de la gouvernance politique traditionnelle aux questions d’urbanisme. Près de dix ans plus tard, 150 GAM étaient à l’œuvre - il en reste une trentaine aujourd’hui -, formant un terrain d’expression pour cette autre manière de vivre et de concevoir la ville ensemble.
Cette première génération est également symbolisée en France par le mouvement de « L’Alma gare » à Roubaix, plutôt fondé sur la « lutte urbaine ». Face à un projet hygiéniste de démolition des anciennes courées urbaines jugées insalubres par la puissance publique qui préférait la promesse de confort des grands ensembles, les habitants se sont mobilisés au sein de l’Atelier Populaire d’Urbanisme (APU) qui développera dix années durant un autre projet plus attentif à la façon dont cette structure urbaine héritée de l’histoire ouvrière incarnait la mémoire et la fierté des habitants. Le slogan «  L’APU ne représente pas les habitants, il est les habitants  » symbolisera le concept que l’on pourrait nommer aujourd’hui, sous l’influence des mouvements anglo-saxons, « l’empowerment », dont une définition historique est évoquée plus loin. Aujourd’hui, les courées sont protégées dans le cadre d’une ZPPAUP, (Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager) créée en 2001. L’émotion des habitants, leur intuition et leur attachement à leur quartier ont précédé de 40 ans les analyses rationnelles des institutions.

 Le relais pris par les principes du développement durable

À partir des années 80, cette première génération d’initiatives citoyennes s’est estompée derrière le grand chantier de la décentralisation qui mobilisa toutes les énergies locales. Elle émerge à nouveau aujourd’hui, en réponse à la manière dont les pouvoirs locaux ont pris le relais du modèle descendant en invoquant la légitimité de la démocratie représentative.
L’ouverture de l’espace public médiatique, l’élévation continue du niveau d’éducation des citoyens, l’information en continu dispensée par les médias, la souplesse et la rapidité des échanges offerts par le développement des réseaux sociaux, viennent à leur tour questionner cette gouvernance locale qui, si l’on en juge par d’innombrables signes, atteint elle aussi ses limites.
L’aspiration sociale et politique à la démocratie participative est associée désormais aux préoccupations du développement durable. Elle inspire aujourd’hui les nouvelles démarches et les outils mis en place à la suite du Sommet de la Terre à Rio de 1992 (les agendas 21 locaux en sont une des expressions) et de ses recommandations, et en application de la convention d’Aarhus (1998), accord international ratifié par la France le 8 juillet 2002, visant la « démocratie environnementale » et intégrant le principe de participation.
Quelques années auparavant l’Amérique du Sud - après des années de dictature qui l’avait écartée de ces mouvements notamment en Argentine et au Brésil - avait été à l’origine d’expérimentations très originales visant à mettre en place des dispositifs très ouverts d’implication citoyenne, notamment les budgets participatifs tels ceux mis en œuvre à Porto Alègre dès 1989. Ceux-ci se sont développés ensuite en France, notamment à Angers, Avignon, Bordeaux ou Paris, si bien qu’en 2016 c’étaient plus de 80 communes en France qui étaient engagées dans ce processus de budget participatif, réunies cette même année pour la première fois dans le cadre d’un réseau à Montreuil [8]. Dans ce processus, le citoyen (seul, entre voisins, en associations ou en « collectifs ») décide directement de l’usage d’une part du budget de la commune en proposant des projets qui lui paraissent prioritaires et il en conçoit la structure. Ces projets sont alors soumis au vote de l’ensemble de la population de la commune qui désigne ceux qui seront réalisés dans le cadre de ce budget.

 Concertation, participation, co-construction, « empowerement » : la constitution progressive d’un vocabulaire de l’implication citoyenne.

Mises bout à bout toutes ces expériences ont progressivement enrichi le vocabulaire institutionnel et le cadre réglementaire de l’implication citoyenne dans les décisions portant sur les projets locaux. C’est dans le domaine de l’environnement (et non de l’urbanisme) qu’un premier texte instituera le principe d’information et de « participation » des habitants, au travers de la loi Bouchardeau [9] « relative à la démocratisation des enquêtes publiques et la protection de l’environnement » [10].

- L’évolution de vocabulaire sera dès lors rapide – avec une distinction très importante à faire entre quatre notions, la concertation, la participation, la coconstruction et l’empowerement :

  • La « concertation » est le premier principe introduit dans le code de l’urbanisme [11] - qui invite à associer les habitants, les associations et autres personnes concernées à l’élaboration des projets de SCOT, PLU, ZAC et autres opérations d’aménagement. Mais le formalisme administratif l’emportant sur le fond, le terme s’est vite usé et en est même devenu suspect du fait du manque d‘engagement des initiateurs de la démarche : « on n’en peut plus de cette pseudo concertation : trois réunions, toujours les mêmes participants et le projet est ficelé !  ».
  • La « participation » de son côté entend instaurer la possibilité d’un engagement plus actif des citoyens à la construction et aux prises de décision concernant la communauté et ses projets. Le « principe de participation » est inscrit dans notre arsenal législatif [12] jusqu’alors assez modeste de ce point de vue. Il prévoit que « chacun doit avoir accès aux informations relatives à l’environnement et que le public doit être associé au processus d’élaboration des projets ayant une incidence importante sur l’environnement ou l’aménagement du territoire ». Une étape fondamentale sera l’inscription de ce principe dans la Constitution par l’article 7 de la Charte pour l’environnement [13] .
  • La « co-construction » est le concept désormais préféré par les acteurs, compte tenu des interprétations encore trop strictement formelles auxquelles continueront à donner lieu les protocoles de participation. Le terme co-construction est inscrit dans la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine [14]. En rupture avec les formes de gouvernance habituelles, cette loi entend engager une « dynamique participative durable » mise en œuvre dans les 1500 quartiers prioritaires de la politique de la ville, programme qui fait l’objet d’un appel à projet sous la forme d’une « bourse nationale d’expérimentation en faveur de la participation ». La « maison du projet » et les « conseils de citoyens » [15]visent dorénavant à garantir la place des habitants dans les outils de pilotage « afin qu’un rapport de confiance réciproque s’instaure entre les habitants et les institutions  ».

Pour autant, toutes ces procédures de participation et de co-construction restent très encadrées par la puissance publique qui met en place, règlemente et contrôle le processus de A à Z, une participation en «  top down » en quelque sorte …

  • L’« empowerment  » : le terme apparaît chez nous par un effet de réaction, longtemps après son invention aux États-Unis. Il est présenté par le sociologue Jacques Donzelot comme « l’élévation du pouvoir des gens sur leur vie » [16] qui serait propre à remettre en cause la concertation et la participation. Le concept, qui s’était incarné dans les dispositifs du « community organizing » de Chicago évoqués plus haut, consiste en une prise en main directe par les groupes de citoyens eux-mêmes des questions laissées en friche par les institutions. Le terme émergea à nouveau aux États-Unis dans les années 70 à l’initiative de mouvements de femmes battues. C’est cette mouvance que l’on retrouve en France avec un sens similaire dans une note du ministère de la Ville qui invite à des « marches exploratoires des femmes » au service de la sécurité de toutes et de tous et dont le principe est décrit comme « des femmes actrices de leur sécurité (empowerment) qui se réapproprient l’espace public » [17].

Avec cette notion, il ne s’agit plus de concertation, de participation ni du consensus entre acteurs concernés par un aménagement en projet, mais au contraire d’assumer une dimension de conflit par l’expression de ce que certains désignent comme une « conscience de classe territoriale » ou comme un « communautarisme civique ».
A partir du principe selon lequel « les gens ordinaires sont les meilleurs experts pour eux-mêmes  », se développent les notions « d’expertise d’usage  » et du « pouvoir d’agir », traduction directe « d’empowerment ». Cette notion est difficile à admettre pour les partisans inconditionnels de la légitimité de la démocratie représentative. Ceux-ci considèrent que cette représentativité citoyenne ou associative n’a pas la même légitimité puisqu’elle ne se préoccupe que de l’intérêt particulier ou de celui de groupes [18] , alors que la démocratie représentative est la seule à pouvoir garantir l’intérêt public. Le débat est loin d’être clos, les pratiques restent balbutiantes en France, mêlant séances de jeu avec post-it colorés, « diagnostics en marchant  » et autres procédures inclusives. Sur ces questions, l’Espagne, l’Italie ou la Suisse, qui n’ont pas connu des siècles de centralisme à la française, se trouvent plus aptes à pratiquer l’autonomie locale et la responsabilité citoyenne.

 Des démarches en construction : les difficultés à surmonter.

Nous avons tous assisté à ces réunions publiques au cœur d’un quartier de 5000 habitants, où on se retrouve à 20 personnes dont 12 font partie des institutionnels et où, en dépit de cette ambiance intime, le face à face défini par la disposition de la salle mène à une confrontation stérile et contre-productive.
Les « diagnostics en marchant », le recueil de questionnaires et tous les efforts déployés sont loin d’être à la hauteur des attendus et ne touchent qu’une faible partie des citoyens, toujours les mêmes. Les « sans voix », les « invisibles », ceux qui n’ont jamais assisté de leur vie à une réunion publique ni répondu à un questionnaire, ne sont pas là alors qu’ils sont légitimes pour apporter cette expertise d’usage et le témoignage de leurs pratiques, de leurs attentes, de leurs rêves et de leurs craintes au sein du processus de conception des projets.
La question la plus importante dans les démarches de co-construction est donc celle-ci : comment mobiliser ces citoyens et les convaincre que leur présence est légitime et fondamentale ?
Cette question se pose de manière différente selon que l’on se situe dans un contexte rural (où la participation est plus « naturelle ») ou dans un contexte urbain. De même, en contextes urbains, selon que l’on se situe dans un quartier populaire ou dans un quartier bourgeois. Chaque contexte appelle des démarches adaptées pour lesquelles nous sommes encore dans une période de questionnement et d’apprentissage.

 Comment coconstruire l’espace urbain ? : quelques questions et débuts de réponses

En 2015 à Lyon, les 36 èmes Rencontres Nationales des Agences d’Urbanisme ont proposé comme sujet de réflexion « l’individu, créateur de villes », témoignant du fait que le monde des professionnels de l’urbanisme était très conscient de l’urgente nécessité de faire une place au citoyen, à l’habitant pour une co-construction de l’espace urbain et pour chercher les façons d’y remédier. Cinq questions clés ont été mises en évidence.

 1) Les déclencheurs : quels peuvent être les déclencheurs, les initiatives et situations propices aux projets de co-construction ? Quels sont les éléments de contexte qui peuvent susciter la volonté de coproduire un espace urbain ?

 2) Les impacts sur les acteurs : comment les habitants (tous ?) arrivent-ils dans le processus ? Comment y sont-ils intégrés ? Comment les « acteurs » (élus, professionnels, etc.) reçoivent-ils la parole des habitants ? Quelles évolutions de leurs pratiques professionnelles en procèdent : leur rôle se trouve-t-il renouvelé ?

 3) Les impacts sur l’espace urbain et le lien social : la participation transforme-t-elle le projet urbain ? En quoi l’espace produit est-il différent : usage, esthétique, capacité évolutive, coût ? La participation entraine-t-elle une transformation de nos représentations de la ville, du quartier, de nos paysages urbains ?

 4) La dimension temporelle : s’agit-il d’une démarche éphémère ou bien pérenne ? Est-elle reproductible ? Quel degré d’évolutivité ? Quels moyens financiers et humains lui allouer ?

 5) Les facteurs de réussite et les freins rencontrés : quels sont les obstacles à dépasser dans la réalisation d’un projet coconstruit ? Quels en sont les facteurs de réussite ? Comment dépasser les contraintes et difficultés ?

A chacune de ces questions il n’est pas possible de donner des réponses standardisées, mais on peut soulever des points de vigilance méthodologiques :

  • À quels besoins, à quelles nécessités d’usage répond le processus engagé ? Comment et par qui ces besoins sont-ils formulés : la puissance publique ? Les habitants ? et dans ce cas, lesquels ?
    S’ils ne sont pas formulés par l’habitant, le responsable du bien commun doit-il pour autant ignorer les carences et les tensions d’une situation ?
    Les réponses à ce premier questionnement orientent à l’évidence la forme que prendra le processus de co-construction du projet.
  • Dans l’hypothèse où le besoin est exprimé par les habitants, par lesquels d’entre eux l’a-t-il été : une « catégorie », un sous-groupe, une « communauté » ?
    Comment vérifier que ce besoin est partagé par d’autres habitants ? Sait-on saisir, au-delà des habitués de l’engagement, « ces sans voix, ceux qui restent dans leurs chambres  » ?
  • En substituant la gestion du conflit à la recherche du consensus, qui saura signifier avec clarté les divergences d’intérêts des participants ? Comment avancer néanmoins vers un projet répondant au mieux au bien commun dans ce conflit explicite ? À quel moment la décision publique doit-elle être arrêtée ?
  • La désignation d’un chef d’orchestre, médiateur ou grand témoin, paraît nécessaire au vu des retours d’expériences sur le sujet. Si un « leader » s’affirme dans un processus d’empowerment, se pose alors rapidement la question de sa légitimité : comment est-il désigné ? Quels sont les critères de sa légitimité ? Comment fonctionne l’articulation des légitimés de divers rangs ?
  • La question des temporalités : si la co-construction peut être considérée comme un moment de la fabrication du projet, elle reste perçue par la puissance publique et par une partie du public comme une perte de temps qui retarde l’action. En revanche, si elle est définie comme une organisation pérenne garantissant la bonne gouvernance d’une communauté, elle deviendra le processus continu pour faire la ville et le paysage urbain. Il ne s’agira plus de débattre d’un mode d’aménagement ou de la géométrie d’un quartier donné, mais de veiller à ce que cette réponse formelle soit suffisamment souple et multi- fonctionnelle pour autoriser une appropriation et des usages divers dans le temps.
  • La question de l’échelle de la co-construction : le travail sur les questions de voisinage ou de vie de quartier peut-il s’appréhender avec pertinence sans considérer les échelles de la ville et du bassin de vie dans lequel il s’inscrit ? L’emboîtement des échelles de la co-construction est ici en cause, de la même façon que dans un processus de conception plus classique.
    L’articulation entre le Conseil de développement à l’échelle de l’agglomération, le GAM (groupe d’action municipale) à l’échelle communale, et le Conseil de quartier est alors à construire en écho à l’articulation des compétences des différentes collectivités, afin que la pertinence territoriale du processus de co-construction bénéficie des mêmes mises en perspectives territoriales.

Dans toutes ces démarches, dont on mesure ici la technicité méthodologique, une chose est claire : ce n’est pas depuis une tribune surélevée par rapport à un « public » spectateur, comme on le voit encore trop souvent dans les réunions publiques, que l’on peut répondre à toutes ces questions. C’est au contraire autour d’une table ronde, des visites de terrain partagées, que peut s’esquisser, d’une manière spécifique à chaque situation, à chaque collectif ou à chaque type de question, la manière de construire au mieux une autre démocratie locale plus en phase avec les aspirations, la culture, les intérêts de tous et de chacun dans toute leur diversité.

La conclusion est alors simple : du passé et du vécu de tous et de chacun, faisons ici table ronde !

Sébastien GIORGIS
Avignon, Septembre 2019

Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[1Citoyenneté qui certes à Athènes ne concerne que les « citoyens », à l’exclusion des femmes, des esclaves et des métèques (les étrangers), soit 10 à 15% de la population

[2«  Au singulier, l’espace public désigne la sphère du débat politique, la publicité des opinions privées. Au pluriel, les espaces publics correspondent au réseau viaire, rues et boulevards, places et parvis, parcs et jardins, bref à toutes les voies de circulation ouvertes aux publics, dans les métropoles comme dans les villages urbanisés.  ». Thiery Paquot, 2009, La Découverte

[3Biologiste et sociologue écossais, 1854 - 1932

[4Yves Grafmeyer et Isaac Joseph (dirs), L’école de Chicago - naissance de l’écologie urbaine, Aubier, Paris, 1990 1ére édition : Les éditions du Champ Urbain - CRU, 1979] extrait : « Fascinés par le comportement de l’homme dans son nouveau milieu urbain, Robert Park, Ernest Burgess, Roderick McKenzie et Louis Wirth jettent les bases d’une « approche écologique de la ville » »

[5H. Balazard, « Community organizing », In Casillo I et al, Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Paris, GIS, 2013

[6Tout est paysage, Simone et Lucien Kroll, réédition Sens et Tonka, 2012

[7Gourna, a Tale of two villages, publié en anglais au Caire en 1969, traduit en français dès 1970 sous le titre « Construire avec le peuple » (Hassan Fathy, Ed. Sindbad, 1979)

[8Une guide « budget » participatif élaboré par la plateforme Citizen Lab. est accessible sur https://www.citizenlab.co/ebooks-fr...

[9n°83-630 du 12 juillet 1983

[10Cf. de ce point de vue le rapport du CGEDD « La concertation préalable en urbanisme : Accompagner le développement d’une pratique citoyenne », Rapport n° 010896-01 établi par Jean-Philippe MORETAU (coordonnateur) et Jean-Pierre THIBAULT, Décembre 2017. Ce rapport, Qui rappelle d’une manière exhaustive l’enchaînement des lois dans ces domaines et la manière dont l’urbanisme rejoint l’environnement. Il et qui propose des pistes d’amélioration notables de ces processus.

[11art L 300-2

[12loi 95-200 du 02/02/1995

[13Article explicité au JO du 12 avril 2009 dans le texte 38 (vocabulaire de l’environnement) : « le corps social est pleinement associé à l’élaboration des projets et décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».

[14Février 2014

[15Constitués, pour une part, par des habitants tirés au sort pour éviter de se retrouver éternellement devant les vingt mêmes « professionnels de la citoyenneté » qui s’auto désignent en cercle fermé, comme les « représentants des habitants »

[16Jacques Donzelot, Quand la ville se défait. Quelle politique face à la crise des banlieues ?, Points, coll. Points Essais, 2008.

[17- //sig.ville.gouv.fr/IMG/pdf/sgciv-guidemarcheexploratoire.pdf

[18Le syndrome du NIMBY : Not In My Back Yard

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