Greenwashing - Manuel pour dépolluer le débat public

Synthèse de contributions de l’atelier ’Atecoplol’- Collectifs chercheurs Universités de Toulouse

28 juin 2022

Résumé

Cet article est une recension des contributions de divers membres d’un atelier, baptisé Atecopol, formé par un collectif de chercheurs et professeurs des universités de Toulouse. Un recueil de ces travaux a été publié sous le titre « Greenwashing » aux éditions de l’anthropocène du Seuil. Dénoncer le greenwashing comme arme pour « dépolluer le débat public » est utile. C’est à cet exercice que cet ouvrage s’est attaché et non à une critique de nos politiques publiques qui ressortirait d’une autre publication. La lecture de ce document qui recense les diverses formes de travestissement de la réalité par l’utilisation de labels écologiques peut paraître désespérante. Parer de vertus la poursuite de pratiques nocives pour notre environnement est, hélas, une pratique ancienne.
Fort heureusement les diagnostics des dégâts environnementaux sont mieux connus aujourd’hui et il existe des marges de progrès bien identifiées qui peuvent servir de guides pour demain.

Cet article est un résumé de l’ouvrage étudié complété par des commentaires, fruits d’une lecture collective de plusieurs membres du comité éditorial de l’encyclopédie. La présente recension résume les points essentiels de cet ouvrage aussi fidèlement que possible ; les commentaires, illustrés notamment par des publications de l’EDD, sont mis en italiques pour les identifier.

Auteur·e

Redaud Jean-Luc

Ingénieur Général honoraire des Ponts et des Eaux et Forêts, a consacré l’essentiel de sa carrière à la question de l’eau, au sein du Ministère de l’Environnement, puis à la Direction de l’Agence de l’Eau Adour-Garonne et enfin comme expert de nombreuses missions internationales dans le domaine de l’environnement, du développement durable et du climat.
Administrateur de 4D, Membre du secrétariat d’édition de l’EDD et de l’Académie de l’eau, il préside, aujourd’hui, le Groupe de travail « Eau & Climat » du Partenariat Français pour l’Eau.


  Développement durable, un espoir de concilier écologie, social et économie ?

 du discours à l’action, ou des promesses au dur mur des réalités.



  A - Du verdissement de la façade au verrouillage de l’avenir : formes et fonctions du greenwashing

Introduction de Aurélien Berlan, Guillaume Carbou, Laure Teulières.

Le greenwashing ,apparu à l’origine comme opération de récupération publicitaire de l’argument écologique par des entreprises ou institutions, dépasse aujourd’hui largement le champ de la communication et apparaît de plus en plus comme une tendance plus générale à mal penser les problèmes écologiques de nos sociétés. A ce titre, l’Atecopol, collectif d’universitaires de Toulouse, s’est attaché à passer en revue les principaux domaines où le greenwashing est à l’œuvre : la diversité des spécialistes mobilisés et des cas analysés montre qu’au-delà du simple verdissement de façade, l’objectif est de nous enfermer dans des trajectoires socio-écologiques insoutenables dont il est urgent de déjouer les pièges. Si on veut rendre nos modes de vie un peu plus durables, il faut commencer par dépolluer le débat public des fausses promesses qui nous empêchent d’être lucides sur les désastres en cours et sur les mesures nécessaires pour les limiter.

Les grosses ficelles de la communication
Les fausses promesses utilisent une rhétorique floue (ecofriendly, …), des euphémismes (produits phytosanitaires plutôt que pesticides), associent une notion écologique à une activité contestée (biocarburants), minorent la réalité (transition plutôt que changement), voire créent des oxymores (développement durable, énergie verte …). L’objectif est d’attirer le regard sur ce que l’on veut montrer pour le détourner de ce qu’on veut masquer. En anglais le greenwashing incorpore un double jeu de mots que rend mal le français : le « whitewashing », et le « brainwashing ».

Un contre feu à la critique écologique
Face aux critiques des mouvements écologistes, la première réaction des multinationales et institutions dominantes fut d’abord le déni, puis la récupération. Dans les années 80s et 90s, les géants de l’Energie fossile (Exxon, Shell, Total, etc.) ont ainsi largement financé des études déniant les travaux du GIEC sur l’origine et les effets du réchauffement climatique pour évoluer aujourd’hui en se présentant comme des industries de gestion du carbone, en se plaçant du côté de la promotion des ENR et en se tenant prêts à apporter des solutions aux problèmes écologiques.
Le greenwashing alimente à ce titre un monde où le souci de l’environnement semble être partout et nulle part, produisant un sentiment de saturation chez les gens. Cela génère trop souvent des dispositions foisonnantes pour un résultat environnemental dérisoire : la multiplication de normes en agriculture, loin de remette en cause le modèle productiviste a eu principalement pour effet l’élimination des petites exploitations au profit de plus industrielles.

Des dispositifs faisant illusion
Les exemples sont nombreux. Ainsi la lutte contre les passoires thermiques fait-elle généralement consensus, mais, mise en œuvre aujourd’hui avec des matériaux industriels fortement émissifs, elle permet surtout d’alimenter la croissance du BTP. De même, la méthanisation agricole présentée comme une énergie verte, telle que développée en Bretagne, sert surtout à verdir le complexe agroalimentaire breton qui est tout sauf écologique.
Le greenwashing se trouve institutionalisé dans les mécanismes de compensations, en particulier des marchés carbones mis en place en application du protocole de Kyoto. Cela permet à des industries ou activités très polluantes d’échapper à des obligations de réduction de leur GES en achetant des mécanismes de compensation au profit de pays du sud : investir dans une opération concourant à une réduction de GES dans un pays tiers (le plus souvent des plantations de forêts) en substitution d’une réduction jugée impossible de ses propres activités . Cela a abouti au fait qu’à peine 2% des échanges de crédits carbone ont eu pour effet de réduire les émissions et, en outre, de conduire à des opérations de reforestation contestées. Tel était le but de l’opération : empêcher la mise en place de mesures limitatives [1].




Le secteur de l’aviation a largement utilisé ce dispositif en annonçant à chaque passager que son billet comportait une
compensation Carbone sous forme de plantations d’arbres : de multiples études ont montré l’inefficacité du programme
CORSIA (Carbon Offseting and Reduction Scheme for International Aviation), programme qui se résume trop souvent
à des plantations monospécifiques de nouvelles essences d’arbres à croissance rapide comme l’eucalyptus, concourant
à la création de forêts très pauvres écologiquement .

De nombreux exemples promues par des ONGs environnementales montrent la possibilité d’introduire des considérations « écologiques » dans des mesures de compensation carbone. Il en est ainsi des opérations de reforestation soutenues par up2green qui promeut des opérations de restauration naturelle d’espèces végétales diversifiées et des paysages, projets qui montrent des alternatives aux errements passés sur des espaces complètement déforestés comme en Indonésie.

Le symptôme d’une pensée verrouillée
Trois biais de la pensées moderne semblent cadenasser les réflexions sur l’évolution de nos sociétés : le libéralisme économique, le solutionnisme technologique et la pensée en silo.
L’économisme désigne la tendance à n’imaginer la conduite des affaires humaines qu’au travers des mécanismes de marché. Il conduit à une simplification radicale des problématiques humaines et sociale et réduit la complexité de la vie à des indicateurs chiffrés ( le PIB, la chiffre d’affaire, la valeur financière, etc) La gestion des communs, l’auto-organisation et les coopérations internationales sont laissées dans l’ombre. L’absurdité de cette approche ressort nettement des processus de « compensation écologique » qui sont au cœur de la finance verte et de la gestion de la biodiversité
Le solutionnisme technologique désigne la confiance dans l’innovation techno-scientifique pour régler les problèmes. Un mouvement qui reste très répandu parmi ceux qui croient que le progrès repose sur une poursuite de la croissance des activités, qui pensent que des solutions seront trouvées face au réchauffement climatique et qui dénient notamment les obligations fortes de réduction des rejets de GES, nécessaires selon le GIEC pour limiter la hausse du réchauffement climatique. De nombreux projets de géo-ingénierie (stockage de CO2 en grande profondeur, fertilisation des océans, création de« parasols » atmosphériques chimiques artificiels, etc) sont à l’étude par ceux qui espèrent trouver là une alternative aux problèmes de réchauffements climatiques, dont la faisabilité et la non nocivité restent à démontrer.

La pensée en silo entretient l’aveuglement aux phénomènes systémiques : la décarbonation de nos activités ne peut pas être pensée indépendamment des autres pressions écologiques (gestion de l’eau et gestion de l’énergie sont ainsi étroitement liées). La pensé en silo privilégie les solutions technico-économiques aveugles aux autres aspects, notamment sociaux, incapable de dévier du tunnel qu’elle ne cesse de creuser.

« Le fondamentalisme du marché, le monétarisme et le laissez-faire libéral » constituent le credo central de la conduite des affaires du monde depuis les tenants des propositions de l’école de Chicago et de Milton Friedman dans les années 80s ( en opposition aux thèses plus classiques de Keynes) et promues avec vigueur par Donald Reagan et Margaret Thatcher. La poursuite effrénée d’indicateurs de croissance, sur la base d’un laissez-faire libéral, a été à l’origine de désastres sociaux (crise économique des années 1930 et conflit mondial qui s’en est suivi, crise financière des subprimes …) et environnementaux (marées noires, pollution par les plastiques, etc.). La mondialisation libérale de l’économie a permis à plusieurs pays de sortir de la pauvreté, mais très souvent au prix d’une forte dégradation des normes sociales (travail des enfants, etc) et environnementales. La période récente, notamment pendant l’épidémie du Covid, a permis de mesurer les effets désastreux de la libéralisation des échanges en termes d’accroissement des inégalités, comme de la perte de capacité de beaucoup de pays à réagir à des évènements brusques, violents et imprévus.
Les enseignements des études collationnées par le GIEC, insistent beaucoup sur les besoins d’une vision systémique, mais ne sont pas exempts, eux-mêmes, de ces critiques en omettant d’aborder des moteurs fondamentaux de nos sociétés que sont les effets de la démographie, de la mondialisation (qu’on peut analyser comme des transferts de rejets de GES) ou de l’accroissement des inégalités
 [2].

Une demande sociale pour rester en zone de confort
Malgré une prise de conscience des méfaits de nos modes de vie, peu de gens sont prêts à accepter une remise en cause de leurs privilèges dans les pays riches.

La moitié du CO2 émis depuis plus de deux cents ans l’a été après le premier rapport du GIEC (1990) et la croissance de rejets de GES poursuit inexorablement sa montée. L’aggravation de la situation atteste l’impuissance à réorienter la trajectoire collective.
Il est sur ce point notable que le terme « décroissance » soit banni des discours politiques, tous bords confondus.

La condition nécessaire d’un essor industriel ravageur
Le développement industriel repose de plus en plus sur un processus d’occultation des dangers et dégâts socio-écologiques. Jadis, les activités industrielles les plus nocives ou dangereuses étaient éloignées des lieux d’habitation, aujourd’hui elles sont externalisées très loin des centres de consommation, souvent dans des pays pauvres où les normes environnementales et sociales sont faibles.
La « fée électricité » participe de ce processus de mise à distance des nuisances industrielles. Pourtant elle n’est propre qu’en apparence, étant un simple vecteur qui repose sur une source de production qui, quelle qu’elle soit, présente des dommages à son environnement.
Le greenwashing fonctionne comme une idéologie au sens de Marx, c’est-à-dire un phénomène d’inversion de la réalité dans la conscience commune (ce que Guy Debord a appelé la société du spectacle)

La captation de la transition par les intérêts dominants
« Ce seront les divers responsables de la ruine de la terre qui organiseront le sauvetage du peu qui en restera » (Bernard Charbonneau 1990)
L’annonce faite par Black Rock, premier actionnaire d’actifs au monde, de vouloir modifier sa politique d’investissement, pour répondre au défi climatique, peut être vue comme une réorientation de l’entreprise désireuse de faire main basse sur le marché de la transition. Les géants de l’énergie fossile se présentent désormais comme des industries de gestion du carbone. Le lobbying d’EDF, pour relancer le programme nucléaire, s’appuie largement sur une campagne visant à classer ce mode de production d’énergie dans les « énergies durables », dans la taxonomie européenne.
Sur un autre plan, on peut noter les activités de milliardaires qui, fortune faite, se présentent comme de généreux donateurs de la planète : la Fondation Bill Gates encourage des modèles techno-capitalistes présentés comme environnementalistes, via le soutien à es projets d’agriculture industrielle et diverses activités néfastes à la cause écologique [3] . Elon Musk finance des études en vue de faire éclore une innovation de rupture destinée à extraire le C02 de l’atmosphère.

Cette captation du label vert est le fait de la plus grande partie des entreprises ayant des contacts directs avec le public : il est particulièrement visible dans des activités comme la promotion touristique ou la consommation alimentaire. Sur ce dernier point, reviennent régulièrement les difficultés entre les associations de consommateurs et les firmes de l’agroalimentaire, quant à la clarté des signes de qualité et sanitaires affichés sur les divers emballages des produits mis sur les marchés.

Dans cet ensemble, le rôle des organismes financiers est essentiel. Vouloir réorienter la finance vers des fonds plus respectueux de critères environnementaux ou sociaux est sûrement une action positive. Le manque de transparence et de suivi du secteur financier rend aujourd’hui cet objectif illusoire.

A ce niveau, le greenwashing n’est plus seulement un outil cosmétique de défense du « business as usual », mais la pointe acérée de son développement, transmutée en un appel à une relance économique forcément « verte ». Un grand risque serait une démobilisation des individus concourant à la poursuite d’activités augmentant la pression sur la biomasse au-delà du possible, en comptant sur la capacité des sols, des cultures agricoles ou des forêts, voire, pour certains, des océans, pour supporter l’empreinte de nos besoins. En réduisant tout à l’empreinte carbone, on risque d’oublier d’aborder la problématique écologique dans toutes ses dimensions.

Dans cette course à la captation de l’écologie, les Etats ne sont pas en reste. Ce qui n’apparaît que comme une succession d’incantations doit se comprendre comme l’incapacité des dirigeants à envisager des transformations sociales d’envergure et à formater les crises écologiques et économiques selon les logiques habituelles. La mise en œuvre des stratégies de lutte contre le réchauffement climatique est une illustration ces problématiques.
L’accord Climat adopté à Paris en 2015 a été présenté comme un engagement des Etats à prendre des dispositions garantissant un réchauffement inferieur à 2°C, voire 1, 5°C de la planète d’ici la fin du siècle. L’obtention de cet accord adopté par tous les Etats de la planète a été une performance diplomatique de grande ampleur, mais pour obtenir cet accord il a été décidé de mettre en place un processus « bottom-up » de déclarations volontaires des intentions des Etats, sans cadre obligatoire collectif. Sept ans plus tard, on ne peut que constater que les déclarations des Etats ne sont pas à la hauteur des ambitions, que les derniers rapports du GIEC nous indiquent ne pas être sur la bonne trajectoire, que l’objectif 2°C sera sûrement atteint avant 2050 avec peu de chances d’espérer redescendre au-dessous de ce seuil à la fin du siècle. Face à ce constat, les pays pauvres réclament, avec de plus en plus d’insistance, des soutiens pour les aider à s’adapter à un contexte climatique qui devient plus dangereux dans de nombreuses régions de notre planète, menacées par des catastrophes (sécheresses récurrentes, inondations, montée du niveau des mers). On ne peut que constater l’incapacité des Nations unies à faire respecter cet accord. Cela n’empêche pas les Etats de se glorifier chacun de programmes vertueux, dénoncés par de nombreuses institutions multilatérales comme insuffisants. Officiellement, la France est calée sur les objectifs arrêtés au niveau de l’UE : réduire de 55% nos rejets de GES d’ici 2030, atteindre la neutralité carbone en 2050. Malgré une nouvelle loi climat voté le 22 août 2021 et diverses mesures d’accompagnement, des doutes certains s’expriment sur la sincérité du Gouvernement à respecter les objectifs officiels : parallèlement aux discussions de la loi climat, un rapport du Haut Conseil pour le Climat, puis un autre du Conseil d’Etat expriment clairement que les mesures prises à ce jour ou envisagées par l’Etat seront insuffisantes pour respecter les engagements pris. Comme souvent en matière d’environnement, c’est l’Union Européenne, et plus particulièrement le Parlement Européen, qui sert de guide et d’aiguillon à la timidité des Etats : en juillet 2022, un engagement fort de sortie des véhicules thermiques dès 2035 est adopté, la volonté de protéger notre marché contre les concurrences déloyales des pays tiers est réaffirmée, la crise du COVID a mis en évidence cette nécessité, … mais la taxe carbone aux frontières de l’UE, qui traduirait cette orientation, est encore reportée… Entre l’ouverture des marchés, ligne directrice principale de la politique de l’UE, et la protection sociale et écologique du territoire de l’UE, le choix porte toujours sur le libéralisme économique.
Face à ces contradictions dans le domaine du climat, pour la majorité des décideurs, l’heure est à de beaux discours parés d’un peu de peinture verte, qui se substituent à des prises de décisions devenues urgentes. Il en est de même, hélas dans de multiples autres activités liées à notre environnement : eau, air, pollutions chimiques, biodiversité, etc.

Déjouer le greenwashing pour libérer l’avenir
Il faut apprendre à déjouer les éco-promesses ou éco-tartufferies qui ne manqueront pas de surgir. Le désastre écologique menace une large partie des formes de vie jusqu’à l’habitabilité même de notre planète. Alors qu’il faut changer de modèle, tout est fait pour continuer à croire que des modifications à la marge suffiraient. Ce que le greenwashing contribue à masquer, c’est le nouveau bond en avant qui s’opère à la vitesse accélérée de l’industrialisation du monde, de la fuite en avant techno-solutionniste, confortées par la généralisation des usages du numérique, qui concourent à un envahissement de nombreux espaces vierges.
Démasquer et combatte le greenwashing demande de rendre audible et visible la multitude des alternatives écologiques solidaires et démocratiques qui permettraient de changer le cours des choses.
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 B - Diverses formes de Greenwashing

Le document présente l’analyse d’une vingtaine d’exemples très diversifiés : technologies (construction, agriculture, transports, économie circulaire, énergie, nucléaire, etc.), gestion des territoires (la ville durable), solutions écologiques (les SFN, l’anthropocène, la biodiversité), financières (la finance verte, etc.) , socio-politiques (RSE, rôle des politiques publiques, transition), sociales (que peuvent l’écocitoyen, la croissance verte, l’éco psychologie, le nationalisme et l’ écologie).

Le lecteur pourra se reporter avec intérêt au recueil publié.

Quelques cas analysés par le collectif ATECOPol sont résumés dans les lignes qui suivent, assortis de commentaires ayant fait l’objet de plusieurs articles dans l’EDD.

Véhicule propre : changer de voiture pour changer de monde (Celia Izoard)
Le véhicule électrique est présenté comme la quintessence du véhicule propre, « zéro émission ». La directive européenne « véhicule propre » veut fixer à 2030 -2035 la conversion de l’ensemble du parc des véhicules légers [4]. Cela ne vaut que pour leur utilisation. La fabrication, à l’inverse, émet deux fois plus de GES que celle du véhicule à essence ou diesel, du fait de la production très intensive en métaux et en chimie de sa batterie et de son moteur. Les études de cycle de vie montrent que l’avantage ne vaut que pour les voitures de petit gabarit et faisant l’objet d’un usage intensif. Encore faut-il que l’électricité qui sera nécessaire soit d’origine renouvelable et ne provienne pas d’énergies carbonées fossiles. En outre faudra-t-il s ’assurer que les batteries, dont la durée de vie n’excède pas 200 000 km, soient recyclées en fin de vie.

Au-delà des aspects énergétiques, les véhicules électriques nécessitent une quantité considérable de métaux pour les batteries, notamment cobalt, terres rares, cuivre et lithium. Le lithium provient pour une bonne partie des salars des hauts plateaux andins d’Amérique du sud, ce qui nécessite d’évaporer des quantités d’eau considérables, mettant en péril les modes de vie des communautés indigènes. Le cobalt nécessaire aux batteries provient du Congo-Kinshasa, le manganèse du Gabon, etc. Enfin le véhicule électrique nécessite des « terres rares » dont l’extraction est une activité des plus polluantes.

Pour les poids lourds, l’avenir imaginé est plutôt l’hydrogène comme source d’énergie. Aujourd’hui l’hydrogène est produit essentiellement à partir de pétrole ou de gaz naturel, l’hydrogène « vert » produit par électrolyse est supposé se substituer au mode actuel de production. Les simulations montrent que les objectifs affichés pour 2030 par l’UE nécessiteraient des quantités phénoménales d’électricité : pour 10000 camions parcourant a en moyenne 160 000 km par an, il faudrait l’équivalent de 15 réacteurs nucléaires ou 4 600 km2 d’éoliennes. Pour la France, le véhicule propre, qu’il s’agisse de voitures ou de camions de 33 tonnes, justifie à lui seul la prolongation du fonctionnement des réacteurs nucléaires en service, c’est en fait le « véhicule atomique ».

Force est de constater que la surenchère technologique en matière de véhicule propre sert surtout à organiser un renouvellement du parc automobile et favoriser un accroissement des déplacements. De grands progrès techniques ont été mis en œuvre dans le secteur des véhicules (notamment dans le rendement des moteurs), mais largement contredits par d’autres mesures promues par les constructeurs : promotion de SUV de près de 2 tonnes plutôt que de véhicules légers (une 4L pèse 500kg), refus d’une baisse des limitations de vitesses, développement anarchique du transport de fret par camions malgré les annonces répétées par plusieurs gouvernements successifs de notre volonté de donner un nouvel essor au transport ferroviaire ou d’ouvrir de nouvelles voies de transport fluvial.

Le secteur automobile est un secteur où la publicité est très agressive : le greenwashing est largement utilisé comme argument de promotion par les constructeurs, l’Etat est très sensible au devenir de ce secteur vital de l’économie française, les aides publiques concourent largement au soutien de ce secteur, notamment par l’aménagement et l’entretien d’un réseau d’autoroutes et de voieries de très bonne qualité. Malgré des discours officiels, les mêmes efforts ne sont pas faits sur les transports collectifs.

Existe-t-il une agriculture durable (Eve Fouilleux, Aurélien Berlan)
Compensation (Adriana Blache, Frederic Boone, Etienne Journet)
Les nuisances de l’agriculture moderne sont désormais bien connues : le recours aux énergies fossiles, le retournement des prairies, l’utilisation des engrais, et les émanations de méthane des élevages sont responsables du quart des émissions mondiales des GES, pourcentage à peu près constant depuis le premier rapport du GIEC en 1990. Face aux critiques qui se sont multipliées depuis plusieurs décennies, les pouvoirs publics et la profession agricole ont mené une intense politique de greenwashing, qui s’est traduit par une multiplication de labels : dans les années 80s on a vu promouvoir les opérations « Fertimieux », puis« Irrimieux » , puis« Phytomieux », puis ce fut l’avènement en 1993 de « l’agriculture raisonnée » (supposée être un contre-feu à l’agriculture biologique), de « l’agriculture de précision » ,de « l‘agriculture de conservation » ou de « l’agriculture écologiquement intensive ». Toutes ces opérations sont destinées à encourager une utilisation plus raisonnée des intrants. Le développement de labels officiels est venu compléter ces dispositifs, le label « agriculture à haute valeur environnementale » est censé accompagner des changements majeurs, les obligations correspondantes sont assez faibles (obligation des maintenir des haies et bandes enherbées, limitation « raisonnée » de l’achat de pesticides, …). Le Gouvernement a proposé que ce label soit considéré comme équivalent aux labels de l’agriculture bio pour l’accès aux nouveaux éco-régimes de la PAC, sur la période à venir 2023-2027 : un dispositif critiqué par les tenants de l’agriculture bio et par la Commission Européenne elle-même, qui y voit un cahier de charge très allégé comparé à celui de l’agriculture biologique. De nombreux labels se sont aussi développés à l’initiative des multinationales de l’agro-alimentaire ou de la chimie. Tous ces dispositifs sont conçus pour « verdir » les formes de l’agriculture traditionnelle, pour échapper à toute contrainte réglementaire et reposer sur la bonne volonté des exploitants.

Malgré le foisonnement de labels, toutes les études montrent que les systèmes traditionnels intensifs restent largement dominants. Les études environnementales montrent hélas que la pression agricole sur les milieux reste très forte : la multiplication et l’extension des arrêtés sécheresse, la persistance de la contamination de nos rivières et nappes d’eaux souterraines en sont une illustration. L’annonce répétée par trois Présidents de la République successifs de réduire fortement l’utilisation des pesticides à l’issue de leur mandat et de bannir les plus nocifs, est ainsi restée lettre morte devant les exigences de la production agricole.

On sait pourtant que d’autres formes d’agriculture faisant davantage appel à l’agronomie, à une diminution de la consommation de produits animaux et de cultures de légumineuses, permettrait des niveaux de production satisfaisants. De nombreuses campagnes de vulgarisation d’opérations de l’agroécologie ou de l’agriculture biologique sont promues, à ce titre, par les pouvoirs publics, … mais l’essentiel du dispositif des aides publiques de la PAC, négocié entre l’Etat et la Profession agricole, concourt toujours au soutien dominant aux formes d’agriculture industrielle. Le discours sur la mise en valeur des mesures agro-environnementales est une forme de greenwashing destinée à cacher un soutien qui reste massif à la poursuite d’activités nuisibles à l’environnement.

Le dossier agricole est également promu comme facteur de compensation carbone des rejets des GES. L’agriculture et les forêts sont ainsi identifiées, comme puits de carbone et à ce titre des leviers pouvant concourir à l’objectif de neutralité carbone affiché pour 2050. Le stockage de carbone par la biomasse est utile et devrait être amplifié, mais on ne peut espérer qu’il compense significativement les émissions massives actuelles et constitue une alternative aux obligations de réduction des émissions de GES, contrairement aux affirmations trompeuses du lobbying agricole (même en mobilisant le potentiel de stockage des sols comme le suggérait le programme baptisé 3°/°° du Ministre de l’Agriculture) [5] . Il est établi qu’aucun puits de carbone naturel (forêt, prairie, tourbière, sols, etc.) ne peut garantir une séquestration de carbone aussi définitive que les réserves fossiles. Ainsi, une plantation d’arbres nécessite cinq à dix ans pour commencer à stocker significativement du carbone et peut être confrontée à de nombreux accidents, et notamment détruite par des incendies à tout moment, comme on le constate de plus en plus avec les périodes de sécheresses et canicules.

Beaucoup de décideurs institutionnels ou économiques voient dans les puits de carbone ’obligation de remplacer une contrainte claire et facilement mesurable (les rejets de GES), par une contrainte floue et difficile à évaluer. L’affichage de la mobilisation des puits de carbone naturels ou artificiels (procédés BECCS de stockage en grande profondeur) présentée comme une alternative aux obligations de réduction des rejets de GES peut apparaître, à ce titre, comme une forme de greenwashing pseudo-scientifique.

Comme le souligne le récent rapport du GIEC [6] , en agriculture les objectifs de réduction de rejets de CH4 et NOx sont très incertains, dépendants de contraintes de coûts, de diversité de systèmes agricoles, d’objectifs d’augmentation des rendements agricoles et de produits animaux. . Le secteur AFOLU (Agriculture, Forestry and Other Land Use), s’il est conduit de manière durable, peut contribuer sensiblement à la réduction de l’impact des GES, mais ne pourra pas compenser les efforts nécessaires dans les autres secteurs (C.9.).

Par ailleurs, les impacts des activités agricoles, au-delà de celles liées aux rejets de GES, concernent de multiples autres secteurs liés à notre environnement (eau, sols, zones humides, écosystèmes, devenir de certaines espèces comme les abeilles, etc.), et à notre santé (alimentation, etc.). A ce titre, les diagnostics systémiques sont toutefois difficiles.

Les impacts des activités agricoles vont largement au-delà du climat et concernent de multiples autres secteurs liés à notre environnement (eau, sols, zones humides, écosystèmes, devenir de certaines espèces comme les abeilles, etc.) comme de la santé humaine (alimentation, etc.). Les diagnostics passent par des visions systémiques rarement faites car difficiles souvent à établir.

On ne peut que regretter les échecs répétés des programmes d’action initiés par les pouvoirs publics :il en est ainsi, par exemple des nombreux plans de gestion pour lutter contre les excès de nitrates et la prolifération des algues vertes en Bretagne qui ont mobilisé depuis les années 90s des finances publiques importantes sans résultat significatif à ce jour. Aujourd’hui, une reculade sur le verdissement de la politique agricole revient à l’ordre du jour sur l’autel de la guerre en Ukraine et de la crise agricole et alimentaire qui peut en résulter.

En matière de greenwashing, l’agriculture est un cas d’école tant le renouvellement et l’usure des concepts utilisés sont particulièrement forts, comme si de nouveaux mots suffisaient à faire oublier les maux actuels. En matière agricole, malgré de nombreuses solutions alternatives moins agressives pour l’environnement clairement identifiées, les pratiques dominantes restent inchangées, des labels inefficaces prospèrent, la réglementation est inopérante.

L’avenir des énergies décarbonées (Frederic Boone, Mickaêl Coriat, Michel Duru)
Le terme « décarboné » est trompeur. Les ENRs ne sont pas producteurs de CO2 au cours de leur utilisation, mais il faut aussi compter les émissions liées à leur conception, installation, et aux dispositifs de stockage.

Un premier point est d’examiner si la solution répond à l’urgence de la situation : le développement d’un parc de centrales nucléaires, au-delà de nombreux risques et nuisances mal maitrisés, nécessitera des décennies pour devenir opérationnel alors que le GIEC nous donne à peine 10 ans pour inverser la courbe des rejets des GES.

La production d’hydrogène, qui n’est qu’un vecteur énergétique, provient aujourd’hui de manière dominante du gaz naturel et si elle était remplacée demain par l’électrolyse, elle nécessiterait une production d’ENR irréaliste.

Une production massive de bioénergie à partir de produits végétaux (bois, colza, huile de palme) entrainerait le déploiement de monocultures intensives remplaçant souvent des forêts naturelles ou des cultures de subsistance. A titre d’ordre de grandeur, pour disposer d’un agrocarburant issu du colza pour alimenter les besoins de l’aéroport Charles de Gaulle, on devrait utiliser 64 000km2, soit 10% de la surface de la France. Dédier des terres à la production d’énergie pousse à intensifier les productions agricoles avec les dégâts collatéraux connus. Il est possible de valoriser plutôt des déchets végétaux, mais le potentiel est très limité eu égard aux besoins. Au titre des opérations de greenwashing, on peut ainsi noter que le groupe MC Donald annonce que ses huiles usées permettent à un poids lourd de rouler 20 millions de km …sans dire qu’en France les camions parcourent 17 milliards de km par an. La production de biogaz à partir de déjection animale se heurte au mêmes limites : un potentiel limité à 0,7/0,9 Kwh/Jour/hab à horizon 2030, comparée aux 61 Kwh/j/hab consommés actuellement… avec de multiples nuisances collatérales.

Le secteur de l’énergie mobilise beaucoup le greenwashing technologique pour préserver son avenir : l’entreprise Total, qui a changé son nom pour s’appeler désormais Total Energies , voulant montrer qu’elle est devenue par-là un champion de la promotion des ENR au-delà de son domaine traditionnel des énergies carbonées, en est une illustration. Les ENR ont un rôle à jouer pour aller vers un monde bas carbone affranchi de l’utilisation des ressources fossiles, mais attention aux effets collatéraux. Se focaliser sur les solutions technologiques éloigne du vrai débat qui reste la sobriété pour réduire l‘empreinte environnementale.
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Responsabilité Sociale des Entreprises -RSE- (Guillaume Carbou, Marie-Anne verdier)
Peut-on moraliser les joueurs sans changer les règles du jeu ?
La RSE désigne « l’intégration volontaire des préoccupations sociales et environnementales des entreprises dans leurs activités commerciales et leur relation avec leur partie prenante »

La RSE s’est particulièrement institutionalisée en France à partie des années 90s au point que toutes les entreprises du CAC 40 ont un responsable DD et un responsable RSE. En grande partie c’est l’histoire d’un échec : échec à stopper l’érosion de la biodiversité, échec à combattre le creusement des inégalités.

Le développement de la RSE s’inscrit dans la dynamique propre à la financiarisation de l’économie au tournant libéral des années70s. Il s’agit de répondre aux préoccupations environnementales et sociales, tout en écartant toute intervention étatique.
Le système de compétition, à l’intérieur des entreprises comme sur le marché économique, sélectionne les dirigeants plus enclins à des logiques de profit qu’à des considérations écologiques ou sociales. Les pratiques de RSE peuvent dès lors servir de greenwashing évident au service de la performance financière de l’entreprise. La norme ISO26000 censée établir les lignes directrices de la RSE est très instructive su de point : une coquille vide pour ce qui est des obligations, un outil de communication au service de la réputation de l’entreprise.
Il est inimaginable d’arriver à rendre des joueurs responsables sans refonder en profondeur notre système économique, technique et institutionnel.

La RSE, présentée dans cet article comme « un artifice à blanchiment », pose de manière plus générale la pertinence des indicateurs économiques utilisés pour juger de la santé de nos sociétés. De nombreux rapports ont souligné les effets néfastes des seuls indicateurs de croissance (le fameux PIB !) comme ligne de conduite cardinale de nos gouvernants. Mesurer notre empreinte environnementale est devenue une antienne, au mieux une incantation, au pire une absolution des pollueurs. La transition devenue à la mode, tend pour sa part à rassurer l’opinion, à surestimer les enjeux techniques et à minorer les enjeux socio-économiques. Cela n’empêche pas les discours officiels d’être riches de promesses sur d’autres indicateurs de santé sociale ou écologique, mais qui peinent toujours à servir de ligne de conduite face aux indicateurs économiques traditionnels.

Finance verte
Financer la transition ou financiariser la nature ? (Sandrine Feyel, Frederic Hache)
La finance durable est définie comme le financement d’activités durables prenant en compte les 17 objectifs de développement durable définis par L’ONU avec leurs indicateurs de suivi associés. Malgré des décennies d’existence, nous ne sommes pas capables aujourd’hui de mesurer l’impact de ces stratégies. Il existe une multitude de formes de la finance durable parmi lesquelles les plus connues sont les « green bonds », dettes émises sur des marchés financiers pour financer des projets verts. Elles peuvent inclure des projets très controversés La finance verte, telle que promue actuellement, encourage surtout la financiarisation de la biodiversité et est constituée en grande partie de projets de compensations : planter des arbres en Roumanie peut être, ainsi, considéré comme une compensation de la destruction d’un habitat de « flamants roses » rendue nécessaire pour la construction d’un aéroport.

Les organismes financiers ont un rôle majeur d’orientation des stratégies des organisations publiques et privées. Tous les grands organismes financiers ont constitué des fonds spécialisés dit éthiques ou environnementaux supposés recueillir des crédits de particuliers attachés à une utilisation raisonnée de leurs épargnes. La « finance verte » ou « green finance », repose sur des instruments et mécanismes financiers permettant d’encourager l’investissement du secteur financier dans les produits « durables » ou, au contraire, de décourager les investissements dans ceux qui ne le sont pas (industries polluantes ou à fortes émissions de gaz à effet de serre par exemple). Pour cela, elle doit s’armer de nouveaux instruments de financement afin d’accélérer la transition énergétique. Concrètement, elle se traduit par la mise en place des « green bonds » – littéralement obligations vertes.

Pourtant, la finance verte tient parfois du mirage. Si les green bonds sont plébiscités par les entreprises, il n’existe, à l’heure actuelle, aucune règle concrète et internationale pour définir le degré de « green » d’un projet. Certes, des labels existent, permettant de classifier les investissements verts tels que les Green Bonds Principles (GBP) ; mais aujourd’hui, 75% des obligations vertes ne sont pas labellisées, créant ainsi le risque d’un greenwashing d’entreprises prônant le « faire du vert » en s’inscrivant dans une tendance marketing, sans pour autant le prouver concrètement.
Des engagements vertueux du monde financier sont régulièrement annoncés, ils sont malheureusement trop souvent mal suivis. Les grandes banques internationales continuent, ainsi, de financer abondamment l’industrie du charbon. C’est la principale conclusion d’une recherche menée par vingt-huit ONG, dont Reclaim Finance, Les Amis de la Terre France et Urgewald. Depuis la COP 26, la France s’est engagée à ne plus financer de projets charbon… et pourtant, de grandes banques françaises continent à apparaître dans ce panel  [7].

  C - Politiques publiques : du discours à l’action ?

L’Etat peut-il faire autre chose que se payer de mots ? (Julien Weisbin)
L’Etat, comme principe structurant traditionnel de la vie sociale, n’a que peu à voir avec la soutenabilité écologique mais plutôt avec une problématique de la puissance et de la croissance économique. Depuis que le premier Ministère de l’Environnement a vu le jour en 1971, une inflation de termes s’est déclenchée pour désigner ces nouveaux enjeux : environnement, qualité de la vie, développement durable, écologie et énergie, transition écologique et énergétique, aujourd’hui l’heure est à la planification écologique.

Après le sommet mondial de Rio en 1992, cette trajectoire connait un saut sémantique autour de l’apparition du « développement durable » qui devient un mot d’ordre supposé trouver des chemins combinant contraintes environnementales, sociales et économiques .
En 2007, le Grenelle de l’environnement inaugure un processus de co-construction supposé définir des décisions à long terme de protection de l’environnement. Un grand Ministère est créé visant des transversalités et l’efficacité en regroupant dans un périmètre fluctuant, l’environnement, l’équipement, les affaires maritimes, l’aménagement du territoire, l’énergie, etc.
Les promesses du Grenelle ont eu peu d’effet. Le souci de l’environnement est moindre que le souci de l’Etat de faire avancer à cette occasion un agenda néo-libéral et un remodelage de la puissance publique se traduisant par des fusions de services et réduction d’effectifs, notamment dans les services déconcentrés. L’action publique doit s’accommoder désormais des principes du « New Public Management » : des politiques de compensation (le contrat) plutôt que la règlementation, concourant à une bureaucratisation des administrations Progressivement le « développement durable » est dénoncé comme concept trop flou (trop uniquement environnemental pour certains), il est concurrencé par d‘autres concepts , la biodiversité au plan international, la transition au plan national.

Le Ministère est supposé synonyme de changement total. Il s’ensuit une dépolitisation des enjeux environnementaux qui ne voient des progrès qu’à travers l’incitation plutôt que l’imposition de mesures contraignantes. L’Etat devient modeste. Le « green libéralisme » est à la manœuvre.

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Le développement durable, un espoir de concilier écologie, social et économie ? Aujourd’hui un concept usé par un trop grand lot de promesses mal tenues ? La transition, nouvel eldorado du futur ?  [8]

En 1971, ce Ministère avait deux objectifs bien désignés : lutter contre les pollutions d’une part, protéger des espaces naturels emblématique d’autre part (les parcs nationaux et les PNR). Bientôt est apparu le paradoxe de ce nouveau domaine de l’Etat : l’écologie politique naît d’une écologie critique des solutions technico-économiques, l’action publique est conduite par des ingénieurs issus des Grands Corps Techniques.
Après 1992, le succès du concept développement durable a conduit les pouvoirs publics à élargir le champ des compétences du ministère « chargé de l’environnement » à de nombreux autres secteurs traditionnellement plutôt du ressort de ministères plus techniques ou économiques. En 2007, le Grenelle de l’Environnement a proposé le défi d’une co-construction de nouvelles stratégies publiques environnementales entre représentants de l’Etat et acteurs de la société civile.
Il ne fallut pas longtemps, hélas, pour voir les intérêts dominant reprendre leurs anciennes pratiques. Dès 2010, en visite au salon de l’agriculture, le Président Sarkozy déclare que « l’environnement ça commence à bien faire », le 9 octobre 2014, sous la Présidence de François Hollande, Segolène Royal annonce l’abandon de la taxe carbone sur les camions sous prétexte que « l’environnement ne doit pas être l’ennemi du social », alors que cette mesure avait été adoptée par les députés de droite et de gauche, enfin plus récemment le mouvement des gilets jaunes a conduit le Gouvernement Macron1 à l’inaction environnementale. Parallèlement, on ne peut que constater les fortes réductions de moyens de l’action publique environnementale et sociale et en particulier des effectifs notamment en moyens de contrôle, dont des effets maléfiques ont été mis en évidence récemment dans plusieurs secteurs d’activités sensibles comme les contrôles sanitaires , ou les EHPAD.
Ces abandons n’empêchent pas l’abondance de promesses généreuses qui se multiplient comme pour cacher cette impuissance publique à aborder de front la nécessité d’engager des moyens de lutte contre un environnement qui se dégrade. Dans la campagne pour l’élection présidentielle de 2022, la« planification écologique » est devenu le nouveau graal promis par tous les candidats.

Dans le Gouvernement formé à l’issue de élections présidentielle de 2022 le terme « développement durable », fil de conduite des politiques gouvernementales depuis le Sommet de Rio de 1992, disparaît au profit du mot « transition » : il y a un Ministre de la transition écologique, un second de la transition énergétique, un troisième de la transition sociale chargé de corriger les effets de l’inflation pour les plus pauvres et un Ministre de la transition économique pour gérer le budget du pays et les conséquences de la dette publique ; la Première Ministre est supposée être le chef d’orchestre donnant de la cohérence à cet ensemble. Plutôt que le mot changement qui pourrait inquiéter, le terme de « transition » est là pour rassurer les citoyens face à un contexte national et international inquiétant. « Transition, planification écologique » des formules promettant de faire demain ce qu’on ne peut (ou ne veut) pas faire aujourd’hui ? Parer de nouveaux concepts un monde qu’on ne veut pas changer pour promettre un avenir plus désirable, le greenwashing est à l’œuvre.

La nouvelle assemblée constituée à l’issue des élections législatives de juin 2022 révèle une abstention massive, un paysage fracturé ente groupes de pressions antagonistes… et sans doute une confiance à restaurer profondément dans la capacité des responsables politiques à conduire le pays. Restaurer les conditions d’une « durabilité forte », peut-il être un moyen d’y concourir ?

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Dans le domaine de l’environnement, pour beaucoup d’acteurs économiques ou publics, le greenwashing reste, trop souvent, un moyen de faire oublier la persistance d’activités nocives en mettant en avant de nouvelles solutions techniques favorables à une meilleure gestion de nos ressources naturelles. Dénoncer le greenwashing est utile pour dépolluer le débat public.

Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[1Frederic Hache « 50 nuances de vert ; extension des marchés sur capital naturel et finance durable », Green France Observatory, 2019

[2Cf déterminants scenario du GIEC - Marc Gillet in EDD n°277 décembre 2021 - voir la rubrique « Lire dans l’encyclopédie »

[3Lionel Astruc « l’art de la fausse générosité » Arles - Acte sud 2019

[4le Parlement européen a voté le 9 juin2022 l’interdiction de ventes de voitures à moteur thermique à partir de 2035

[5Cf articles publiés dans l’EDD N°234 André-Jean Guérin , INRA septembre 2016 et n° 262, IDRI septembre 2019 - voir la rubrique « Lire dans l’encyclopédie »

[6Voir notes de décryptage rapports du GIEC du PFE pour les références citées

[7CF article Reporterre du 15 février 2022

[8Cf articles sur développement durable et transition n°268, 269, 270 et 271 in EDD - voir la rubrique « Lire dans l’encyclopédie »

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 Bibliographie

. Greenwashing – Manuel pour dépolluer le débat public – Anthropocène Leseuil Mars 2022
. Décryptages rapports 2021 et 2022 du GIEC in PFE -
https://www.partenariat-francais-eau.fr/thematique/changements-globaux-et-climatiques/
. Le radar des ODD dans les politiques publiques in 4D - https://www.association4d.org/blog/2022/03/23/
. Résoudre l’inconnu des transirions – 4D in EDD n°270 juin2020 - voir la rubrique « Lire dans l’encyclopédie »
. Développement durable et transition -Jacques Theys n°268, 269 in EDD - voir la rubrique « Lire dans l’encyclopédie »
. Les mouvements de la transition – Flipo n°261 juin2019 - voir la rubrique « Lire dans l’encyclopédie »
. Le pilotage du développement durable, Michel Mousel dans Mouvements 2005 : N° 271 , Juillet 2020 - voir la rubrique « Lire dans l’encyclopédie »
. La PAC victime de son Histoire Armand de Largentaye n° 278 et279 in EDD - voir la rubrique « Lire dans l’encyclopédie »
. Scenario du GIEC et autres déterminants sociologique et environnementaux Gillet Marc n°277 décembre 2021 - voir la rubrique « Lire dans l’encyclopédie »
. Eau-Climat : Tant de temps pour un temps que nous n’avons plus Jean Luc Redaud :, N° 257 , Février 2019 - voir la rubrique « Lire dans l’encyclopédie »
. Les agricultures du monde face aux dérèglements climatique – Papy-INRA n°234 septembre 2016 - voir la rubrique « Lire dans l’encyclopédie »
. La situation énergétique de la France -B Dessus n°195 juin2013 - voir la rubrique « Lire dans l’encyclopédie »

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