La planification écologique française : entre transformations et résistances.
Partie 2 : Enseignements des 5 explorations d’une France en voie de décarbonation : questions de mise en œuvre.
Résumé
Cette seconde partie de l’étude présente quelques aspects complémentaires de l’analyse des 5 explorations décrites dans l’article n° 299 : l’obstacle des inégalités, le fort besoin d’investissements dont une partie n’est pas rentable, des créations d’emplois anticipées avec une forte redistribution sectorielle, la nécessité de définir une stratégie d’adaptation au changement climatique. Pour l’heure les moyens de mise en œuvre du plan gouvernemental ne sont pas à la hauteur des ambitions affichées. Une véritable planification démocratique avec un pilotage centralisé dialoguant avec les acteurs économiques et les territoires, analogue à celui qui fut mis en œuvre par le Commissariat au plan dans les années 1946 à 1970, serait nécessaire pour susciter l’adhésion et atteindre les objectifs. Une telle bifurcation vers la neutralité carbone induira des transformations du panorama macroéconomique et appellera des politiques économiques fortes de rupture, notamment pour assurer la soutenabilité sociale d’une croissance ralentie. Au-delà de la France et de l’Europe ces changements nécessaires concernent tous les pays et appellent à une reconnexion de l’économie à la santé et aux limites de notre planète.
Auteur·e
Ingénieur de l’école centrale des arts et manufactures, économiste, est membre du secrétariat d’édition de l’encyclopédie du développement durable.
- 1- L’obstacle des inégalités
- 2- un fort besoin d’investissements qui se heurte à la réactivation des limites à l’endettement (…)
- 3- une création d’emplois et une forte redistribution sectorielle
- 4- Un chantier à mener sans tarder : l’adaptation
- 5- Quels moyens de mise en œuvre ?
- 6- La nécessité d’une réelle planification démocratique
- 7- Une mutation du panorama macroéconomique
- 8- Changer de paradigme, soumettre la marche de l’économie à la sauvegarde de la vie sur terre
Depuis la conférence de Paris de 2015 et les rapports successifs du GIEC nous savons que pour éviter un dérèglement incontrôlé du climat au-delà d’un réchauffement de 1,5°-2°C de l’atmosphère par rapport à 1990, il est nécessaire de diminuer fortement nos émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) responsables du réchauffement en cours afin de parvenir en 2050 à zéro émissions nettes, soit la « neutralité carbone ». Pour éclairer un avenir durable et rendre concrets les progrès à réaliser dans ce court laps de temps il est utile de décrire les évolutions prévues par les exercices exploratoires récents des diverses institutions qui simulent le chemin de la France vers une neutralité carbone en 2050 ou l’étape de baisse de 55% des émissions en 2030 définie par l’Europe. Les travaux de l’ADEME et de Négawatt sont issus d’approfondissements successifs de l’horizon 2050, ceux du Plan de Transformation de l’Economie Française (PTEF) accumulent depuis 2020 l’expertise des nombreux « Shifters » pour éclairer la voie vers un avenir décarboné en 2050, le rapport de Jean Pisani Ferry et Selma Mahfouz (PFSM) « les incidences économiques de l’action pour le climat » cumule également les acquis des travaux de France Stratégie dans ce domaine et retient l’horizon 2030. Ces quatre études ont précédé le plan gouvernemental « France nation verte mieux agir », également à horizon 2030, dont la première version a été publiée en septembre 2023.
Dans l’article précédent n° 299 , une première partie de l’étude décrivait les évolutions/transformations, secteur par secteur, proposées par ces explorations pour atteindre en 2030 une baisse des 55% des émissions de gaz à effet de serre du territoire français, et en 2050 zéro émissions nettes et observait le rôle essentiel du levier de la « sobriété ». Cette seconde partie se concentre sur les aspects de mise en œuvre de la transition écologique : problèmes d’inégalités, de financement, de pilotage, … Elle propose aussi une réflexion sur les changements qu’induit une transition écologique aussi rapide en termes d’évolution de l’ensemble de l’économie appelant des politiques économiques de rupture.
La transition écologique se fait pressante dans un contexte de vulnérabilité [1] des Français avec une concentration des salaires vers le bas , un pouvoir d’achat amputé par la hausse des prix de biens essentiels que sont l’alimentation et l’énergie, la dégradation des services publics, de santé et d’éducation notamment, une montée de la précarité [2] et des incertitudes sur l’avenir.
Au 1er janvier 2023 17,3% des salariés du secteur privé non agricole sont au SMIC contre 12% au 1er janvier 2021 [3] . L’écart entre le SMIC et le salaire médian [4] (2091€ nets mensuels) n’est plus que de 600€ [5]
.
C’est un contexte de très fortes inégalités qui ne se bornent pas aux inégalités de revenus. Sont observées aussi les inégalités entre les zones rurales et les métropoles, les inégalités entre grandes et petites exploitations agricoles, les inégalités entre les TPE-PME et les grandes entreprises multinationales. Ces fortes polarités sont un obstacle à une mobilisation commune en faveur du changement.
Comme l’indique le rapport PFSM la transition écologique est une transformation spontanément inégalitaire. « Les émissions des seuls déplacements en avion des ménages les plus aisés (dixième décile), sont en moyenne équivalentes aux émissions de l’ensemble des déplacements des ménages les plus modestes (premier décile). Quantitativement, ce qui peut sembler être le privilège des uns a donc les mêmes conséquences pour le climat que ce qui est l’essentiel des autres » [6] . Il ne craint pas d’affirmer : « La transition demandera à tous des efforts substantiels d’adaptation de leur mode de vie, dont il ne serait pas éthiquement admissible que les plus aisés s’exonèrent en se bornant à payer plus cher les mêmes consommations ».
Le PTEF, cite un sondage de l’Institut Montaigne de 2021 qui exprime les souhaits à l’égard de ces efforts : « Il est demandé que ces changements soient avant tout justes, partagés collectivement (58%), que les inconvénients soient compensés par des avantages (42%), qu’ils soient décidés collectivement (39%) ».
Une étude d’I4CE (Institut de l’Economie pour le Climat) de 2023 établit que le reste à charge pour l’achat d’une voiture citadine électrique standard varie d’1 année de revenu pour un ménage moyen (5ie décile) à 7 années pour un ménage modeste (1erdécile). Le reste à charge pour une rénovation performante de son logement, varie de deux à plus de 10 années. Ces deux investissements de décarbonation restent donc peu accessibles pour les ménages modestes et même ceux de la classe moyenne. Ce constat a entraîné la mise au point d’un leasing aidé par l’Etat permettant l’accès à un véhicule électrique pour les plus modestes et la concentration de l’aide à la rénovation du logement par ma PrimRénov sur les bas revenus. Mais ces correctifs utiles annoncés ont déjà été rognés par la conjoncture du budget de l’Etat [7] et ne sont probablement pas suffisants pour conduire à un changement généralisé.
Dans ces conditions l’acceptabilité des changements de mode de vie imposés par la lutte contre le réchauffement climatique appelle une vigoureuse politique de réduction des inégalités, avec une redistribution des revenus, une fiscalité plus progressive et une lutte contre le dumping fiscal et social qui règne en Europe et dans le monde.
Pour parvenir à une baisse des émissions de gaz à effet de serre de 55% en 2030 la France comme les autres pays européens devra fournir un effort d’investissement annuel supplémentaire considérable, représentant au moins 2,3% du PIB. Parallèlement des équipements non amortis devront être déclassés.
Des besoins additionnels d’investissements de 66Mds€ par an en France d’ici à 2030
L’objectif principal du rapport PFSM est de chiffrer le besoin additionnel d’investissements par rapport à un scenario tendanciel, secteur par secteur, avec les données les plus récentes, notamment élaborées par I4CE. Il souligne que ces investissements supplémentaires ne doivent pas être différés, étant donné l’urgence climatique.
Dans les transports routiers, premier secteur d’émissions territoriales de GES, les investissements dans les véhicules électriques plus chers que les thermiques [8] , les infrastructures de recharge, les aménagements cyclables et le ferroviaire sont évalués à 13Mds€ annuels entre 2023 et 2030, soit un supplément limité de de 3Mds€ annuels par rapport au scénario tendanciel. Mais ce besoin supplémentaire limité repose sur la forte hypothèse d’une baisse des immatriculations de véhicules individuels tablant sur la réussite des efforts de sobriété associés au report modal, au télétravail, au covoiturage. A nombre d’immatriculations inchangées dont 30% de véhicules électriques en 2030 il faudrait compter plutôt 23Mds€ supplémentaires de 2023 à 2030.
Dans le bâtiment résidentiel les investissements additionnels liés au remplacement des ¾ des chaudières au fuel, et d’un quart des chaudières au gaz - à partir de leur interdiction en 2026 - par des pompes à chaleur, à la rénovation des passoires thermiques (F et G), sont estimés à 21Mds d’€ par an à horizon 2030 (dont 15Mds€ pour les seules passoires thermiques). Dans le bâtiment tertiaire, la rénovation liée aux obligations du décret tertiaire conduirait à un investissement supplémentaire de 27Mds€ annuels d’ici 2030 dont environ 10Mds€ pour les bâtiments publics.
Dans l’industrie le besoin d’investissements supplémentaires par rapport au scénario tendanciel serait de 4Mds€ par an en 2030, incluant la contractualisation avec les 50 sites industriels les plus émetteurs. Dans la production et la distribution d’énergie l’investissement supplémentaire nécessaire atteindrait 8Mds€ par an jusqu’en 2030.
Dans l’agriculture, les besoins d’investissement liés à la réduction des intrants gros émetteurs de GES et du cheptel, à l’évolution des engins agricoles, n’ont pas fait l’objet d’études précises, chiffrés arbitrairement à 2Mds€ par an.
Au total les investissements supplémentaires nécessités par la décarbonation des principaux secteurs émetteurs représenteraient 66Mds€ [9] par an (€ constants) jusqu’en 2030 soit 2,3 points de PIB. Il s’agit d’un minimum car ce montant n’intègre que les effets des obligations réglementaires et contractuelles déjà annoncées. Il ne comprend pas les investissements nécessaires pour produire les biens « verts » (pompes à chaleur, batteries et véhicules électriques) et n’intègre pas les fonds nécessaires pour maintenir le puits de carbone des forêts (fonds UTCAF). Pour couvrir les besoins additionnels de financements publics associés, le rapport PFSM propose d’instaurer des recettes fiscales exceptionnelles (impôt sur la fortune mobilière, la taxation des superprofits des compagnies pétrolières, ... ) et de tolérer un endettement supplémentaire. Une réflexion est aussi en cours au niveau européen sur l’affectation des recettes du marché carbone et du nouveau mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF).
L’ADEME évalue plutôt le besoin supplémentaire à 100Mds€ par an en incluant les montants nécessaires à la préservation de la biodiversité.
L’Institut I4CE comptabilise des investissements consacrés à la transition écologique. Son rapport sur l’année 2022 les évalue à 100Mds€, montant en hausse par rapport à 2021. Mais il juge insuffisant ce montant pour atteindre les objectifs. Les investissements bas carbone progressent en 2022 par rapport à 2021 surtout dans les véhicules électriques, la production d’électricité renouvelable, les réseaux électriques ou encore la rénovation énergétique des logements. Les investissements publics représentent 34% de ce montant. Ces évaluations n’incluent pas l’aide aux plus modestes comme le leasing social pour l’acquisition d’une voiture électrique ou les fonds de MaPrimRenov pour la rénovation de l’habitat.
I4CE a aussi proposé un chiffrage des besoins en investissements des collectivités territoriales pour le climat à environ 12 milliards d’euros par an, soit un doublement du rythme d’investissement actuel. Et ceci, sans tenir compte des besoins liés à l’adaptation.
Des financements publics limités, loin d’être à la hauteur des besoins :
Isabelle Coupey Soubeyran de l’Institut Veblen distingue trois catégories d’investissements dans la transition. Ceux qui sont rentables peuvent être financés par le secteur privé, c’est le cas maintenant des installations d’énergies renouvelables. Mais il existe des investissements peu rentables à court terme, par exemple dans la rénovation thermique des bâtiments, qui demandent un mixte privé-public, et des investissements non rentables dans les infrastructures (exemple réseau ferré) ou dans la préservation de la biodiversité. Cette dernière catégorie dépend de financements publics. Sur les 66Mds d’investissements nets supplémentaires annuels nécessaires chiffrés par PFSM 34Mds de crédits publics seraient nécessaires.
La France est sous surveillance de son endettement. Après la suspension des règles de Maastricht du fait du COVID et de la guerre en Ukraine, l’Europe va adopter de nouvelles règles à l’été 2024. Les limites de ratios antérieures de 3% PIB de déficit public et de 60% PIB de dette publique seront reconduites, ouvrant pour la France la perspective d’une procédure pour déficits excessifs. Les Etats concernés seront astreint à une obligation de réduction annuelle de 0,5% de ceux-ci sauf charge trop importante liée aux taux d’intérêt et devront présenter leur trajectoire d’ajustement sur 4 ans, voire 7 ans en invoquant notamment leurs investissements dans la transition.
Les investissements publics en France sont dispersés dans diverses enveloppes et soumis à la conjoncture du budget de l’Etat [10]. Les engagements sur plusieurs années sont rares.
Dans le domaine des transports sont annoncés une prime de 100€ pour les nouveaux covoitureurs, 100Mds€ pour le réseau ferroviaire et 12 RER métropolitains, une aide à l’achat de véhicules électriques (en baisse), un dispositif de leasing pour l’usage d’une voiture électrique de 100€ mensuels pour les plus modestes, 90M€ sur 3 ans pour la mobilité rurale.
Pour le logement un soutien au développement de la filière pompe à chaleur et au raccordement aux réseaux de chaleur est mis en place, ainsi que pour le « pilier efficacité » dans le dispositif MaPrimeRenov’ (aides adaptées à l’ambition et au revenu des ménages). L’enveloppe prévue sur ce dispositif a été diminuée à l’occasion des coupes budgétaires du début de l’année 2024.
Le Plan France 2030 consacre 54Mds € à la décarbonation de l’économie. Les contrats avec les 50 sites les plus émetteurs sont assortis d’aides publiques, de même que la stratégie hydrogène vert et CCS (capture du carbone su site industriel).
Les plantations d’arbres sont également assorties de financements publics. Le Fonds vert de 2 Mds€ permet notamment de financer l’adaptation dans les territoires.
Le budget 2024 prévoit un effort de 10Mds d’€ pour la transition écologique répartis entre tous les leviers identifiés pour des montants en général inférieurs à 1Mds d’€ à l’exception de ceux alloués à la rénovation des bâtiments et à l’abondement de 1,5Md€ de France 2030 dédié à la « compétitivité » verte mais ces montants sont revus à la baisse à l’occasion de coupes budgétaires de début d’année.
La France peut aussi compter sur l’aide des fonds européens ad hoc. L’UE s’est engagée à consacrer au moins 30% de son budget 2021-2027 à l’action pour le climat, soit 87Mds€ par an. Ce montant représente toutefois moins de 10% du total des investissements nécessaires estimés à environ 1000Mds€/an et peut être révisé à la suite des élections européennes de 2024.
A environnement inchangé, et en espérant qu’il ne se dégrade pas encore [11] , Le financement public de la transition écologique n’est donc pas assuré à la hauteur des besoins et soumis aux aléas conjoncturels. Ce constat s’observe en France comme au niveau européen : le plan « NextGenerationEU » s’éteindra en 2026. I4CE propose dans un rapport de février 2024 [12] une méthodologie pour l’élaboration de la « stratégie pluriannuelle de financement de la transition énergétique » annoncée par le gouvernement.
Il serait aussi nécessaire de changer les règles du jeu pour y parvenir, ce que les institutions européennes ont su faire lors des crises financières et sanitaire récentes.
L’aléa des financements privés
Comment orienter l’épargne abondante en France vers la transition écologique ? Les critères à long terme, E environnemental, S social ou G gouvernance, déjà publiés par les grandes entreprises pourraient guider les investisseurs. Mais jusqu’à présent même les « fonds verts » ne garantissent pas une performance environnementale [13] . Toutefois la nouvelle réglementation européenne CSRD devrait permettre d’améliorer la transparence [14].
Les gestionnaires de fonds argumentent qu’il est nécessaire de garantir une certaine performance financière aux épargnants, en diversifiant avec une part investie, par exemple, dans des firmes pétrolières très rentables. Et, de fait, malgré les avancées récentes de la COP28 confirmant la nécessité d’une sortie des énergies fossiles, les projets d’exploration de nouveaux gisements sont encore nombreux [15]. Une prise de conscience et une régulation de la sphère financière plus favorables à la transition écologique sont indéniablement nécessaires.
Les explorations d’une France neutre en carbone montrent que la transformation s’accompagnera de créations nettes d’emplois et de réallocations d’emplois entre secteurs, qui nécessiteront des efforts de formation importants.
Le PTEF apporte une grande attention aux questions de politique industrielle et d’emploi. Il affirme que le Plan de Transformation de l’Economie Française doit non seulement répondre aux enjeux de décarbonation mais aussi de résilience et de souveraineté économique dans un contexte de montée des risques climatique, social et géopolitique. Dans ce contexte « la ressource humaine est un des facteurs clés de réussite [16] ».
Il a chiffré l’impact de la transformation en termes d’emplois dans les principaux secteurs concernés, y compris l’aval, à horizon 2050. L’agriculture-alimentation connaîtrait la plus forte création nette d’emplois (+300 000) du fait de la relocalisation de la production de fruits et légumes (+366 000), de la généralisation des pratiques agroécologiques intensives en main d’œuvre (+133 000) [17], et de l’intégration d’activités de transformation par les agriculteurs (+42000), compensée partiellement par des pertes d’emploi dans la transformation des produits animaux et la distribution (-79000). La construction de logements connaîtrait une perte nette d’emploi (-100 000) liée à une forte diminution de la construction neuve (-190 000) au profit d’une meilleure utilisation du parc existant, l’évolution des matériaux de construction connaissant une baisse du ciment et béton (-17000 emplois) et une hausse de la filère bois (+30000). L’industrie automobile perdrait 300 000 emplois liés à la baisse de l’usage de la voiture et à l’électrification du parc. Cette perte serait compensée par de forte créations dans les activités liées au vélo (+232000). Pour la mobilité longue distance, le report modal de l’aérien (-38000 emplois) vers le ferroviaire et le fluvial (+44000) aboutit à un faible solde de créations nettes (+6000). Au total, dans les secteurs étudiés, qui représentent 45% de la population active, la transformation de l’économie française permettrait de créer 300 000 emplois nets. L’évolution de l’emploi dans l’APV (recyclage, réparation) très probablement positive n’a pas été chiffrée. Les transferts entre secteurs d’activité nécessiteront une anticipation et une organisation des reconversions, avec des formations permettant une montée en compétences favorable à la compétitivité-qualité de la France.
Les projections pour 2030 du Gouvernement et de l’étude PFSM prévoient une création nette d’emplois plus modérée, liée à l’horizon plus court et, principalement, à l’absence prévue de transformation de l’agriculture vers l’agroécologie. Ces deux explorations souscrivent à la nécessité d’anticiper pour éviter les tensions sur certains métiers et qualifications.
Une « version préliminaire de la stratégie emplois-compétences pour la planification écologique » a été publiée en février 2024 par le gouvernement. Elle indique que la planification écologique pourrait créer, à horizon 2030, 150 000 emplois nets, solde entre 400 000 créations dans l’énergie, dans la rénovation des bâtiments, dans le ferroviaire, mais pas dans l’agriculture et 250 000 destructions dans certains secteurs industriels comme l’automobile.
Le dérèglement climatique est déjà perceptible : les évènements climatiques extrêmes prédits par le GIEC se manifestent dès maintenant : sécheresses et canicules plus intenses, plus longues et plus fréquentes, inondations plus dramatiques, grands feux, fortes tempêtes. Des irréversibilités sont déjà observables : fonte des glaces, dégradation des puits de carbone, élévation du niveau de la mer. L’adaptation est un chantier à mener d’urgence parallèlement à la lutte contre le réchauffement climatique.
Les explorations de l’ADEME et plus encore de Negawatt et du PTEF intègrent l’impératif de résilience face aux chocs du changement climatique.
Le rapport thématique PFSM sur les dommages et adaptations retient sept catégories de dommages liés au réchauffement climatique : pertes de récoltes agricoles, pertes d’actifs résidentiels liés aux inondations, sécheresses et submersions marines (le CEREMA indique une large fourchette de 5000 à 50 000 logements concernés), dommages aux infrastructures (routes, voies et tunnels ferroviaires), baisses de recettes touristiques dans les stations de montagne, incidences sur la santé humaine (impact des vagues de chaleur et vulnérabilité accrue aux maladies transmises par les moustiques), perte de productivité du travail liées aux vagues de chaleur, perte de rendement des cultures, perte de puits de carbone liée à la dégradation des forets (incendies, mortalité). Il souligne le manque de données sur les dommages liés au changement climatique en France et recommande de « construire des scénarios d’adaptation partagés et mis en cohérence et d’appuyer un processus de décision sur cette base ». Le rapport PFSM chiffre les besoins d’investissements pour éviter ces dommages à 3Mds€ supplémentaires par an d’ici à 2030. Ce montant considéré comme fragile par les auteurs, étant donné le manque d’études disponibles, devrait s’accroître au-delà de 2030 avec l’augmentation des températures [18] .
L’Institut de l’économie pour le climat I4CE a établi en juin 2022 une liste de 18 mesures pouvant être mises en œuvre immédiatement d’un montant cumulé additionnel de 2,3Mds€ par an pour engager l’adaptation [19] et lance un programme d’identification des investissements à prévoir. Ses premiers résultats publiés en avril 2024 soulignent l’incertitude [20] sur les montants et la nécessité de définir des priorités de gestion du patrimoine.
Dans la première version du plan gouvernemental l’adaptation n’est traitée qu’à la marge avec des tout petits pas, comme en témoignent les faibles « plan eau » et « programme de restauration de la biodiversité », l’occultation des problèmes posés par l’agriculture intensive ou par l’accélération de l’extension du domaine numérique avec l’IA. A la suite du rapport du sénateur Ronan Dantec « adapter la France au changement climatique à l’horizon 2050 », le prochain Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC3) se prépare avec les hypothèses suivantes de hausses de températures en France métropolitaine par rapport à l’ère préindustrielle : 2030 +1,5°C, 2050 +2,7°C, 2100 +4°C. C’est au niveau des territoires au plus près des besoins identifiés que les décisions doivent être prises mais la Cour des Comptes, dans son rapport 2024 appelle aussi l’Etat à mener une véritable planification afin de donner l’impulsion et pallier l’impréparation.
A trop différer la définition d’une stratégie d’adaptation on en vient à adopter dans l’urgence des solutions de mal-adaptation (grandes bassines, coupes rases de forêts, nouveaux OGM, climatisation des bâtiments, usines de désalinisation, …) et à négliger l’investissement dans les solutions basées sur la nature. C’est dans l’adaptation que se joue la résilience de nos sociétés, et la sobriété des modes de vie et de production y a une part importante.
Si la projection à l’horizon 2030 « France nation verte, la planification écologique mieux agir » expose clairement les objectifs poursuivis, la vue d’ensemble sur les moyens de mise en œuvre prévus par le gouvernement français fait encore défaut.
Un arsenal juridique dispersé
Comme le rappelle le rapport PFSM la transition écologique peut s’appuyer sur trois leviers : la réglementation, les aides publiques et le prix du carbone. Un arsenal de lois et de plans déjà promulgués ou simplement annoncés accompagne la transition écologique de la France.
Diverses lois ont été déjà publiées ou sont annoncées : Loi pour la croissance verte 2015, Loi AGEC Anti gaspillage pour une Econome Circulaire 2020, Loi Climat et résilience 2021, Loi de programmation énergie-climat, loi d’orientation des mobilités, projet de loi industrie verte, projet de loi d’orientation agricole. Les principales réglementations déjà édictées sont : nouvelle réglementation environnementale RE2020 pour la construction neuve, interdiction de l’installation de nouvelles chaudières au fioul depuis juillet 2022, des chaudières au gaz à partir de 2026, obligation de rénovation des passoires thermiques, fin des chaudières fossiles dans les bâtiments tertiaires, interdiction de mise sur le marché de voitures thermiques en 2035 et proportion minimale de véhicules électriques mis sur le marché d’ici là, proportion de véhicules électriques imposée dans les flottes d’entreprises, zéro artificialisation nette des sols en 2050 avec un objectif intermédiaire de réduction de moitié de l’artificialisation des terres en 2030 .
Divers plans en place ou annoncés prévoient des aides à la transition écologique. Le plan France Relance 2020-2022 était doté de 100Mds€ dont 30Mds pour le pilier écologie (rénovation thermique des bâtiments publics, ma Prim’Renov, prime pour l’achat de véhicules électriques, décarbonation de l’industrie, développement des cultures de protéines végétales [21] . Le volet écologique a été prolongé par le plan France Relance 2030 à l’automne 2021 doté de 54Mds€ pour stimuler la recherche (hydrogène vert, petits réacteurs nucléaires modulaires SMR, avion bas carbone, grands fonds marins) et la production bas carbone (notamment véhicules électriques et hybrides) en France. D’autres plans plus spécifiques ont été publiés (plan eau, forêts, fonds chaleur, plan et fonds vert pour les territoires, plan ecophyto 2030) ou sont annoncés (stratégie nationale pour l’alimentation la nutrition et le climat SNANC, plan industrie verte, feuille de route « numérique et données »). Dans le domaine des transports ont été élaborés un plan vélo et mobilités actives, un plan covoiturage, un plan infrastructures.
Le plan d’ensemble gouvernemental de 2023 « France nation verte, Mieux agir, la planification écologique », devenu la Stratégie Française pour l’Energie et le Climat (SFEC) devrait se traduire par une loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC) définissant les grandes orientations pour 5 ans avec 3 volets. Le Haut Conseil pour le Climat, dans sa lettre du 2 avril 2024, s’alarme des retards pris dans la publication de ces instruments structurants pour la politique climatique [22].
- La 3ie stratégie nationale bas carbone (SNBC3), feuille de route de la France pour l’atténuation du changement climatique qui fera suite à la SNBC2 adoptée en 2020
- La 3ie programmation pluriannuelle (5 ans) de l’énergie (PPE3 2024-2033) qui se fait attendre. Seul un projet de loi sur la souveraineté énergétique a été présenté en janvier 2024 sans l’aspect programmation. Il est annoncé que la PPE3 fasse l’objet d’un simple décret ce qui malheureusement priverait ces décisions structurantes d’un débat démocratique.
- Le 3ie plan d’adaptation au changement climatique (PNACC3) faisant suite au second plan (PNACC2) de 2013
- La Stratégie Nationale Biodiversité (SNB) s’ajoute à ces trois volets.
Quelle redevabilité ? Quels indicateurs de progrès ?
Il existe bien un Budget vert de la France qui comptabilise les dépenses en défaveur et en faveur de la transition écologique mais il comporte des imperfections. Ainsi la non-taxation du Kérosène n’est pas comptabilisée dans les dépenses fiscales brunes (6Mds€ en 2023), les dépenses inclassables des administrations sont considérées comme vertes.
La planification gouvernementale se dote d’un tableau de bord (baromètre) permettant de suivre les progrès année après année, ce qui devrait permettre d’ajuster les mesures prises sans attendre l’échéance. Mais les aides accordées aux acteurs économiques ne sont pas assorties de sanctions si les résultats ne sont pas atteints.
Jusqu’ici la communication des entreprises (RSE, étiquetage environnemental, ESG) manquait de clarté et de comparabilité. Les entreprises européennes, à partir de 2024, progressivement par taille décroissante, vont devoir faire un rapportage extra financier très détaillé, prenant en compte non seulement les risques pour l’entreprise des problèmes environnementaux, mais également les dégâts que l’entreprise provoque sur l’environnement et la société (principe de double matérialité), c’est la CSRD.
Indéniablement la mesure et donc la prise en compte des atteintes à la planète progresse. Mais la domination de la communication sur le PIB au niveau macroéconomique demeure tandis que la communication sur les budgets carbone et les atteintes à la nature ne prend pas encore la lumière.
L’empreinte d’une culture de la croissance par l’innovation
La rémanence des valeurs et des modes de faire dominants du paradigme néolibéral sous-tend encore le plan gouvernemental ancré dans une politique de l’offre dont les ingrédients sont : innovation et compétitivité, productivité, maximisation de la croissance potentielle, croissance du PIB permettant d’augmenter le « gâteau à partager », profits alimentant un hypothétique « ruissellement » [23] bénéfique à l’emploi.
La face de la transition vue comme opportunité de réindustrialisation, de compétitivité, de souveraineté économique, est privilégiée. Les moyens de France 2030 de 54Mds€ sont dévolus aux technologies « vertes ». Le plan d’action pour l’intelligence artificielles traduit cette priorité donnée à la course aux « technologies d’avenir ». Il prévoit de faciliter l’implantations des centres de données extrêmement énergivores qui la supportent [24].
L’innovation technique favorisée est celle qui ouvre de nouveaux marchés pour « créer de la valeur » [25] . Le plan gouvernemental a bien noté que « le dernier plan de la filière de génie écologique dotée d’un savoir-faire en matière de reconstitution des milieux naturels date de 2012 » mais on n’aperçoit pas de crédits nouveaux permettant une montée en puissance de ces connaissances.
De mauvaises nouvelles s’accumulent, sacrifiant les engagements en faveur d’une transition écologique.
En France les économies budgétaires annoncées début 2024 portent sur les actions prévues dans la planification écologique (rénovation des bâtiments, limitation du nombre de bénéficiaires du leasing social de véhicules électriques, fond vert), les agriculteurs sont dispensés d’économiser l’eau et le carburant de leurs machines sera toujours dispensé de taxes.
En Europe les faibles mesures agroécologiques du premier pilier de la PAC de mise en jachère, de rotation des cultures, sont abandonnées. Le règlement sur les pesticides est reporté pour calmer la colère des agriculteurs. I4CE observe que les financements publics et privés de la transition écologique ont augmenté de 9% entre 2020 et 2021 atteignant 407Mds€, mais estime que pour espérer rester sur la voie de la neutralité carbone en 2050 les 27 devraient y consacrer annuellement au moins 813Mds (5,1% du PIB).
Le report au-delà de 2024 de la réforme du règlement Reach qui régit en Europe l’autorisation de mise sur le marché des substances chimiques n’est pas une bonne nouvelle, de même que l’édulcoration de la loi sur la restauration de la nature, la ré-autorisation pour une décennie du glyphosate, le vote d’un règlement sur les emballages fertile en exemptions et enfin le rejet du règlement SUR (règlement européen sur les pesticides) sont d’autant plus signifiants qu’ils surviennent au terme d’une législature dont le Green Deal devait être le pilier [26] .
I4CE souligne que, « Au niveau de l’UE, des signaux politiques ambitieux comme la réduction de 90 % des émissions d’ici à 2040 manquent de crédibilité, faute d’un soutien financier prévisible pour les cinq à dix prochaines années. Le plan NextGenerationEU, qui s’éteindra d’ici 2026, laisse un vide dans le financement climatique de l’UE. »
Quel pilotage ? le soupçon d’un engagement velléitaire
Malgré la priorité à la transition écologique annoncée pour le second mandat présidentiel, le gouvernement français donne l’impression d’être encore faiblement mobilisé. Les préoccupations de court terme semblent dominer. Alors qu’il y a une forte attente de transparence et de débat démocratique sur ce sujet, le budget 2024 se borne à un saupoudrage des aides sans priorisation ni programmation. Les reculs pour apaiser la colère des agriculteurs, les coupes budgétaires annoncées sous la contrainte de la conjoncture concernent paradoxalement les engagements pris pour la transition. La « citadelle » Bercy, jusqu’ici peu soucieuse de l’urgence climatique, récupère la compétence énergie et se dote d’une nouvelle sous-direction consacrée à la question climatique, mais les observateurs craignent que sa mission consiste davantage à appuyer les entreprises françaises de l’économie « verte » plutôt que d’aider l’ensemble du tissu économique à adapter son modèle. La programmation pluriannuelle de l’énergie est repoussée. Ce sont les symptômes d’un pilotage velléitaire soumis aux circonstances du moment qui expose au risque d’échec dans l’atteinte des objectifs ambitieux visés.
Imprimer dans un délai aussi court une transformation de l’économie aussi forte, avec un fort impact sur les modes de vie des populations ne peut reposer sur la seule bonne volonté des acteurs économiques qui sont mus par des routines. C’est pourquoi on use du vocable planification, une planification démocratique qui implique tous les acteurs économiques dans la réalisation des objectifs visés, assure une cohérence d’ensemble et un suivi régulier. La France peut s’inspirer de l’expérience du Commissariat au plan dans la reconstruction d’après-guerre et l’accompagnement de la croissance des 30 glorieuses au 20ie siècle. Cette structure légère en établissant un dialogue permanent entre les orientations politiques et les acteurs économiques, entreprises, salariés, territoires, société civile, a permis l’efficacité.
Le PTEF rappelle que la part de l’industrie dans le PIB a fortement chuté depuis 1980 de 25,5% à 13,4% en 2018, faisant de la France l’économie la plus désindustrialisée du G7 avec le Royaume Uni. Il constate que la stratégie de baisse des coûts (exonérations de charges sociales, baisses d’impôts avec le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi pour un montant de 100Mds€ cumulés depuis 2013), de soutien à la recherche et à l’innovation (crédit impôt recherche) et de soutiens divers (programme d’investissements d’avenir pour un total cumulé de 77 milliards €) a été largement inefficiente car elle a principalement bénéficié aux grandes entreprises qui ont multiplié les délocalisations et détruit 250 000 emplois entre 2008 et 2017 tandis que les TPE-PME très peu bénéficiaires en créaient 200 000 nets. Il dénonce une focalisation sur le coût du travail au lieu de parier sur une montée en gamme, des aides non conditionnées à des résultats, un manque de coopération entre unités de production de taille différente et une multiplicité de dispositifs inaccessibles à des petites entreprises dépourvues de services spécialisés.
Il constate que la politique pour le climat (taxe carbone, puis mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, France 2030) est grevée des mêmes manquements : « un manque de doctrine claire sur les objectifs et le rôle de l’Etat, un soutien inconditionnel au marché et aux grandes entreprises ; l’absence de pilotage systémique et de long terme » [27].
Il propose de s’appuyer sur les PME-TPE et les territoires pour combiner les objectifs climat avec ceux de résilience et d’emploi [28] à travers une planification efficiente et transparente apte à relever les nombreux défis de cette première moitié du 21ie siècle. Il propose un dispositif analogue à celui du Commissariat au Plan de 1946 à 1970, structure légère de coordination placée auprès du premier ministre, permettant d’entraîner toutes les parties prenantes vers des objectifs clairs, mesurés et suivis. Au niveau des territoires, le PTEF rappelle les bénéfices de telles démarches fédératrices impliquant plus de coopération et de solidarité pour améliorer la sécurité, réduire les pollutions, la précarité énergétique, en faveur d’une meilleure alimentation et d’une vie plus saine favorisant la marche et le vélo.
Les pays de l’Union Européenne sont engagés dans une transition écologique, en vertu d’un green deal à conforter et renforcer [29] . Ce mouvement coordonné est nécessaire car tout pays isolé dispose de moins de marges de manœuvre dans un monde de concurrence ouverte et de fortes interdépendances issues de la mondialisation à l’œuvre depuis les années 1990.
La mise en œuvre d’une planification écologique réussissant à atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050, se traduira par une transformation du panorama macroéconomique et nécessitera une évolution profonde de la gouvernance.
Un freinage de la croissance
Dans une première période, sobriété oblige, la consommation finale en volume devrait baisser. Les investissements supplémentaires requis pour la transition auront un effet compensateur sur la demande, de même que les efforts de réindustrialisation, d’instauration de circuits courts d’approvisionnement et de baisse des importations de pétrole et gaz. Au total cependant il est probable, du moins d’ici 2030 et probablement 2050, pendant la transition, que la croissance du PIB en volume soit faible [30]. Tant que l’économie « brune » n’aura pas fait place à l’économie « verte » dont on espère qu’elle sera compatible avec zéro émissions nettes de gaz à effet de serre (mais aussi avec une baisse des pollutions et un arrêt des atteintes aux écosystèmes) se manifestera un effet de purge déflationniste entraîné par la sobriété.
Le rapport PFSM estime que la croissance pourra repartir à un rythme soutenu une fois l’économie « verte » établie, observant que les gains potentiels de productivité des secteurs « verts » ne sont pas moindres que ceux de l’économie « brune ». Il se base sur le fait que la « croissance potentielle », issue d’une fonction de production [31] faisant abstraction du rôle des ressources naturelles, dépend des gains de productivité. Il faudra cependant tenir compte des limites posées par la disponibilité des métaux (cuivre, lithium, terres rares) utilisés en grandes quantité par les technologies vertes, par le refus des pollutions occasionnées et par le changement des habitudes de consommation vers des produits plus durables, réparables et recyclables.
La « croissance verte » sera plus probablement également limitée, du moins pour les productions matérielles et dans les pays développés. Un léger découplage entre la croissance du PIB et les émissions de gaz à effet de serre territoriaux a bien été observé en France depuis 2017. Il s’accentue en 2022 et est particulièrement net en 2023 lorsque la croissance du PIB est faible. Mais est-on à l’abri d’effets rebonds si la croissance redémarre au-delà de 2050 ?
Tableau 4 : évolution annuelle du PIB en volume, des émissions de GES territoriales et en empreinte
France | 2018/2017 | 2019/2018 | 2020/2019 | 2021/2020 | 2022/2021 | 2023/2022* |
Evolution PIB volume |
1,86% | 1,84% | -7,54% | 6,44% | 2,45% | 0,6% |
Evolution GES territoire ** | -4,03% | 0,16% | -11,06% | 5,74% | -2,7% | -5,8% |
Evolution empreinte carbone *** | -2,16% | -1,26% | -8,80% | -0,88% | 8,35% |
*chiffre provisoire **source CITEPA *** source SDES
Avec raison le rapport PFSM propose d’adjoindre au PIB un indicateur de bien-être. Les propositions d’indicateurs ne manquent pas : PIB ajusté, indice de développement humain, …, encore faut-il les mettre en place et leur donner une visibilité égale à celle du PIB.
Un risque inflationniste
Comme l’indique le rapport PFSM « la transition climatique crée un risque significatif de configuration inflationniste ». Les frictions liées à la redistribution des emplois entre secteurs, la relocalisation de productions pour répondre aux aléas géopolitiques et à l’augmentation des coûts du transport, les pertes de chiffre d’affaires et de productivité dans certains secteurs sont toutes favorables à ce que, pour soutenir leur modèle d’affaire, les producteurs augmentent les prix. Le besoin de protection des habitants les plus fragiles persistera pour garantir l’accès aux biens essentiels.
Les banques centrales seront confrontées à l’impératif contradictoire de juguler l’inflation mais aussi de favoriser les investissements de décarbonation et de faire face aux besoins liés aux chocs de l’adaptation. Elles devront donc innover comme elles ont su le faire lors des crises du 21ie siècle : crise mondiale des subprimes en 2008, crise des dettes publiques européennes 2011-2012, crises sanitaire et géopolitique 2020-2022.
Une révision profonde des budgets publics
Jusqu’ici orienté principalement vers la politique de l’offre, visant la compétitivité des entreprises françaises de façon indiscriminée [32], la politique budgétaire devrait connaître une transformation profonde. Le soutien aux activités décarbonées, la préservation des biens communs essentiels que sont la santé et l’éducation, le réarmement lié à la menace russe vont peser sur les dépenses [33]. Pour faire face à toutes ces contraintes une solution efficace serait d’appliquer une politique budgétaire beaucoup plus sélective, discriminant au niveau des recettes [34] comme des dépenses entre les activités favorables et défavorables à la transition écologique et à la résilience de nos sociétés. De même, une plus grande progressivité des barèmes d’impôt sur le revenu, permettrait d’atténuer les inégalités défavorables à la transition. Mais, compte tenu des interdépendances et de la libre circulation des biens et des capitaux, de telles initiatives demandent à être coordonnées au niveau européen.
Le rapport PFSM fait aussi le constat que, malgré des recettes supplémentaires issues des règles plus strictes des marchés carbone européens et de la taxe carbone aux frontières, évaluées à 10 Mds€ annuels, les pertes de recettes sur les carburants fossiles et dues au ralentissement de la croissance ajoutées aux dépenses de soutien à la transition écologique, créeront d’ici 2040 un fort besoin de financement public évalués en cumul sur la période à 25 points de PIB. Des ressources partielles peuvent être trouvées dans la suppression progressive des dépenses brunes de l’Etat [35] . Le recours à un endettement additionnel n’étant valable que si les taux d’intérêt sont inférieurs à la croissance nominale, ce qui n’est plus le cas, le rapport PFSM propose des recettes fiscales additionnelles et temporaires assises sur le patrimoine financier des ménages.
Pour atteindre les objectifs de décarbonation l’Union Européenne devra tôt ou tard accorder les règles budgétaires des Etats avec l’ambition d’un green deal conforté.
Un ralentissement de la productivité du travail
On constate effectivement un ralentissement de la productivité du travail depuis quelques années. Tirant les leçons de ce constat, l’ADEME a construit ses scénarios sur une croissance potentielle faible de 1,5% par an jusqu’en 2050. Mais peut-on souhaiter que la productivité retrouve une croissance forte dans l’avenir contraint par l’impératif de décarbonation et les limites de la planète ?
Le PTEF note une corrélation entre les gains de productivité et la consommation énergétique dans le passé [36] . De 1950 à 2016 la productivité horaire de la main d’œuvre a été multipliée par 10 quand la consommation énergétique a été multipliée par 2 en France, ce qui s’explique (partiellement) par le développement des machines et automatismes fortement consommateurs d’énergie. Cet accroissement de l’intensité capitalistique de la production trouve sa fin lorsque l’implantation des nouvelles machines est généralisée, par exemple lorsque la robotisation s’est imposée partout. Cela pourrait expliquer aussi le ralentissement de la productivité [37] . Un nouveau cycle s’amorce peut-être avec l’intelligence artificielle mais les effets des innovations numériques sur la productivité sont mis en doute jusqu’ici.
Il est en effet probable que les contraintes sur le coût et la disponibilité de l’énergie et des matériaux, comme l’impératif de sobriété liés à l’arrêt des émissions de GES nous imposent dans les prochaines décennies un autre régime de croissance matérielle plus faible, avec une faible augmentation de la productivité et de l’intensité capitalistique.
C’est clairement ce qu’affirme le PTEF en prenant l’exemple de l’agriculture dont le degré de machinisme lui confère le qualificatif d’agriculture industrielle [38], laquelle est nuisible à la fertilité des sols, à la santé et à la biodiversité et émet beaucoup de GES, ou celui de l’industrie dont l’allongement des chaines de valeur a bénéficié d’un bas coût de transport qui ne peut être maintenu au regard des contraintes climatiques et géopolitiques.
Un ralentissement de la productivité est-il dommageable à l’emploi ? Il est permis de contester ce qu’affirment nombre d’économistes qui lient croissance de la productivité du travail et croissance de l’emploi. Au point de vue mathématique la croissance de l’emploi n’accompagne la croissance de la productivité que si celle de la production est supérieure à celle de la productivité [39] . Mais en période de croissance faible les gains de productivité détruisent les emplois. Il faut donc plutôt accueillir comme une bonne nouvelle le ralentissement de la productivité du travail.
En revanche il est certain que la croissance de la productivité augmente la valeur ajoutée à emplois et salaires constants et donc la part des profits, et que, réciproquement, le ralentissement de la productivité, menace les profits si les salaires réels ne baissent pas. Mais est-il raisonnable de maintenir une exigence de rendement de 15% l’an pour des apports de capitaux quand le sort de l’humanité est en jeu [40] ?
En France certains s’alarment de la baisse de la productivité du travail entre 2019 et mi 2023, le PIB a augmenté de 2% mais les effectifs salariés ont progressé de 6,5%. Mais on ne peut qu’être d’accord avec Jezabel Couppey Soubeyran qui remarque « A-t-on besoin de rechercher à tout prix un modèle productiviste ? Je n’en suis pas si sûre. Si la cause de la baisse de la productivité est que l’on a davantage de personnes employées et que l’on produit moins, est-ce grave si, en contrepartie, on produit dans de bonnes conditions, que l’on rémunère bien les gens et que l’on respecte les limites planétaires » [41] . C’est le régime soutenable que décrivait le rapport « Prosperity without growth » coordonné par Tim Jackson, préfigurant un futur compatible avec les limites de la planète. Cela suppose tout de même d’accepter une baisse du rendement des investissements.
Le besoin de politiques économiques fortes pour bifurquer
Pour rendre supportables les conséquences d’une croissance lente, des inflexions fortes des politiques économiques seront nécessaires en France comme au niveau européen en abandonnant les réflexes de la période néolibérale.
Elles devront répondre à un fort besoin de redistribution des revenus [42], créer les infrastructures d’une économie décarbonée et réorienter les financements vers les objectifs de survie de l’humanité que sont la fin des émissions de gaz à effet de serre et la régénération des écosystèmes.
Du fait de tensions exacerbées sur le partage de la valeur ajoutée en période de croissance lente de la production, Il y a un risque de spirale déflationniste « chômage-> baisse de la demande et du PIB-> accroissement du chômage » particulièrement en France où c’est la consommation qui soutient la croissance. Pour le conjurer la réactivation précautionneuse des méthodes keynésiennes sera utile. La dépense publique est un levier puissant d’action sur l’économie. L’objectif affiché par le plan gouvernemental est de passer de 18,7% en 2021 des contrats de commande publique intégrant une considération environnementale à 100% en 2025, et de 13,2% en 2021 à 30% en 2025 pour la proportion intégrant une considération sociale.
Protéger les populations, garantir la fourniture des services essentiels, orienter l’épargne vers les investissements « verts » et la détourner des investissements « bruns » seront les nouveaux objectifs.
L’architecture financière devra accompagner ces orientations [43] . Les objectifs des banques centrales et des banques commerciales, les modalités de financement des dettes publiques, la régulation des fonds d’investissements doivent être alignés sur la réussite de la transition écologique et sociale. Les indicateurs d’impact que sont les performances extra-financières ESG des entreprises doivent être en premier rang pour attirer l’épargne, les investissements de décarbonation doivent être priorisés.
Le 21ie siècle est face à ce défi majeur : éliminer la prédation des activités économiques sur la planète, restaurer les équilibres naturels, ceci dans un laps de temps très court et dans un contexte de fortes inégalités entre pays et au sein de chaque pays.
Pour la plupart des décideurs la « sobriété=croissance ralentie-pour-respecter-les-limites-de-la- planète » est un repoussoir, ils préfèrent se référer au projet d’une « croissance verte », même différée comme le suggère le rapport PFSM, alimentée par une nouvelle vague d’innovations technologiques vertes. « Le décalage est complet entre les valeurs qui ont façonné les politiques, ce qu’ils ont appris et celles qui deviennent nécessité au vu de l’urgence climatique [44] » .
Nous changeons de monde avec l’anthropocène, nous devons affronter collectivement les menaces que font peser les atteintes de notre fonctionnement économique à la planète : réchauffement climatique rendant certaines régions inhabitables avec les migrations induites, pollutions généralisées, raréfaction de l’eau douce et des ressources minérales, atteintes parfois irréversibles aux écosystèmes naturels garants de la vie sur terre.
Capitalisme vert, restauration de la nature et solutions du vivant, quelle articulation ?
Plusieurs visions se côtoient : un capitalisme vert tablant sur un remplacement rapide des technologies brunes par des technologies vertes, non (ou peu) destructrices des équilibres naturels, devenues rentables, et un redémarrage d’une croissance verte ; un freinage prolongé privilégiant la sobriété, prudent sur les solutions techniques pour éviter tout effet rebond ou mal-adaptation, soucieux de restauration de la nature et investissant dans les solutions du vivant ; une synthèse bricolée entre ces deux pôles, dessinant une économie duale protégeant le second pôle en lui assurant les moyens de vivre grâce aux performances du premier [45]. Faire converger ces trois visions nécessite un pilotage fort et inventif de la transition par les Etats s’appuyant sur un consensus démocratique.
Pour Jean Pisani Ferry « Les engagements de réductions des émissions (des Etats suite à la COP15 de Paris) ont atteint une crédibilité suffisante pour qu’une fraction significative des entreprises mondiales investissent dans une économie décarbonée. S’est ainsi engagée une guerre entre un capitalisme brun et un nouveau capitalisme vert qui parie sur le développement des technologies propres… Le progrès technique a changé de direction. Alors qu’au début du 21ie siècle éoliennes, fermes solaires et voitures électriques apparaissaient comme des utopies sans avenir, ces technologies sont devenues compétitives ou sur le point de le devenir. … Mais il faut avoir conscience des limites de l’évolution en cours. Rien n’indique qu’elle (l’évolution technologique) puisse changer la donne en matière de rénovation des bâtiments ou avoir un impact sensible sur les émissions des élevages bovins… Quant à l’adoption des technologies décarbonées dans les pays du Sud, elle bute aujourd’hui sur le financement des investissements nécessaires » [46].
La sobriété, la recherche d’économies d’énergie, mais aussi des ressources naturelles que sont les matériaux, l’eau, les sols, la biodiversité - au moyen d’une transformation des modes de vie et de production reste la solution prudente à privilégier.
Pour Negawatt : le triptyque « Sobriété-Efficacité-Renouvelables » implique de manière sous-jacente la nécessité de repenser les besoins et les usages avant d’envisager la mobilisation de ressources »… « les solutions choisies sont intrinsèquement celles coûtant le moins cher : les options de sobriété, individuelle ou collective, sont souvent liées soit à des choix comportementaux au coût nul ou marginal soit à des investissements globalement moins coûteux pour la collectivité dans son ensemble ; la rapide baisse des coûts de production des énergies renouvelables ces dernières années en font des solutions de premier choix ».
Trouver les méthodes adéquates en s’inspirant de réussites antérieures et actuelles
Pourtant c’est possible : la purge de l’hubris capitaliste aux USA après la grande crise des années 1920, le retour vers le commun et la montée du rôle de la puissance publique comme garante du bien commun, avec l’invention de nouveaux outils de politique économique, montrent que le tournant peut advenir.
Il s’agit de réencastrer le fonctionnement économique dans les limites planétaires [47] . Il faudra réorienter l’objectif de toutes les productions et consommations en priorisant l’économie de ressources en s’inspirant de l’esprit des « low tech » [48] . Il existe déjà des expériences de modèles d’affaires vertueux, par exemple ceux de l’économie de la fonctionnalité, de l’écologie industrielle, … Mais leur généralisation correspond à une véritable bifurcation : « La bifurcation … désigne le projet de mettre fin à ce qu’il décrit comme une entropie généralisée conduisant la civilisation industrielle à sa perte » [49].
La moitié des investissements nécessaires n’offre pas de rentabilité à court terme ? Alors faisons un rêve, que les entreprises qui orientent leur activité au service de la planète et changent leur modèle d’affaires connaissent la même « success story » que les pionniers numériques Amazon, Google, …, qui pendant de longues années ne gagnaient pas d’argent mais ont reçu un soutien constant des investisseurs car ils représentaient l’avenir.
Il faudra aussi contourner l’impécuniosité des Etats en faisant preuve de créativité. « Pourtant avec 6 des 9 limites planétaires déjà franchies, se trouve radicalement mise en cause l’idée même d’accumulation illimitée, dont la poursuite caractérise le capitalisme. La mutation est urgente et possible. Car les leviers par lesquels le système assure sa survie sont aussi ceux qui permettraient de le dépasser. C’est par la transformation de l’Etat et de la monnaie que l’on pourrait non plus sauver le capitalisme (ce qui est advenu lors de la crise de 2008 par exemple) mais se sauver du capitalisme et de sa logique mortifère d’accumulation sans limites. L’Etat peut (re)devenir un Etat social, protecteur, redistributeur et producteur de services publics, meilleur rempart contre la précarité et les inégalités. L’institution monétaire peut être remodelée, réencastrée dans la société pour servir un projet de société qui ne soit plus celui de l’accumulation, mais d’une bifurcation sociale-écologique garante du respect des limites planétaires et de la dignité humaine » [50].
La Sécurité Sociale pourrait être repensée en incluant l’énergie citoyenne pour répondre aux besoins de cet nouvelle époque : prévention en matière de santé, de sécurité civile, transmission des connaissances écologiques et savoirs vernaculaires, … On pourrait favoriser la contribution de collectifs de base s’organisant en communs de proximité pour rendre service [51].
Les ébranlements liés aux transformations de notre environnement, évènements climatiques extrêmes, tempêtes et submersions, extension des zones arides, disparition des pollinisateurs, …, vont changer les mentalités. Nous allons éprouver notre impuissance à maîtriser nos conditions de vie. Un autre rapport au monde, moins mercantile s’imposera. Il faudra faire avec la planète, réparer ce qui a été abimé, conquérir patiemment l’intelligence de son fonctionnement pour collaborer à sa santé dans une position d’humilité. Documenter ce chemin deviendra un objectif prioritaire de la recherche scientifique.
C’est ce que pressentent les opposants aux bassines. « Tôt ou tard ce modèle agricole inadapté au changement climatique sera abandonné …Ce sera grâce aux décisions de justice mais aussi grâce aux nombreuses manifestations populaires…L’histoire retiendra ces gestes de résistance » [52].
L’accumulation capitaliste, dans son antagonisme avec la force de travail humain, avait trouvé une forme d’adaptation dans les pays développés, avec la mondialisation [53] - délocaliser dans les pays à bas coût de main-d’œuvre pour offrir à leur population des produits à bas coût lui permettant de ne pas augmenter les rémunérations -, et une échappatoire avec la finance spéculative [54]. Elle doit désormais composer avec une seconde vague d’antagonismes, ceux que lui opposent les limites de la planète.
Une bifurcation qui doit être mondiale
Ce besoin de bifurcation ne se limite pas à la France, ni même à l’Europe, mais concerne l’ensemble de l’humanité. Les enjeux sont mondiaux tandis que les inégalités se creusent.
Le rapport du Laboratoire sur les inégalités mondiales indique [55] . « Les pays les plus opulents sont historiquement responsables de l’essentiel des émissions de dioxyde de carbone. Et, au sein de chaque pays, les ménages aisés sont les plus gros pollueurs. Les principaux émetteurs de la planète sont ainsi les 10% les plus riches aux USA avec 73 tonnes de CO2 par an contre 9,7 tonnes pour les 50% les plus pauvres. Suivent les pays d’Asie. Les écarts sont moindres en Europe (29,2 tonnes contre 5,1t) et l’Afrique subsaharienne reste la moins émettrice (7,3t contre 0,5t). La moitié la plus pauvre de la population des pays riches a déjà atteint les objectifs de réduction des émissions fixés pour 2030, exprimés par habitant observent les économistes ».
Au niveau mondial les inégalités entre pays développés responsables des émissions de GES et les pays du Sud global les plus vulnérables au changement climatique et ayant besoin d’un rattrapage économique est un véritable défi.
Plusieurs études montrent que le bien-être des populations plafonne au-delà d’un certain seuil de PIB/hb, largement atteint par les pays développés. C’est ce que traduit la courbe du schéma ci-dessous. Il s’agit donc que les pays riches et les pays pauvres parcourent deux mouvements inverses pour se retrouver dans une même « zone de sobriété », les uns réduisant leur consommation de ressources (et la partie matérielle de leur PIB) sans dégrader sensiblement leur bien-être, les autres augmentant considérablement leur bien-être avec une consommation de ressources en croissance limitée grâce aux technologies vertes largement disponibles et peu onéreuses.
Graphique élaboré par Thomas le Guenan à partir du site « Our world in data »
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Bien entendu pour que cette utopie se réalise, il serait nécessaire que les pratiques de compétition et de domination ancestrales fassent place à des gestes forts de solidarité. On peut espérer que ce changement radical advienne grâce à la conscience des dangers encourus par l’humanité. Faute de cette transformation on peut craindre un chaos généré par les conflits multiples entre les communautés humaines repliées sur un sauve-qui-peut.
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Liste des abréviations :
Explorations publiées :
ADEME : Agence de la transition énergétique
PFSM : rapport de Jean Pisani Ferry et Selma Mahfouz « les incidences économiques de l’action pour le climat »
NegaWatt : association
PTEF : Plan de Transformation de l’Economie Française
Termes fréquents :
GES : gaz à effet de serre
PIB : Produit Intérieur Brut, mesure monétaire de la production d’un pays
APV : secteur de l’Après Première Vie
Institutions :
ARCEP : Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse,
ASN : Autorité de Sureté Nucléaire
CITEPA : Centre Interprofessionel d’Etudes de la Pollution Atmosphérique
GIEC : Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat
HCC : Haut Conseil pour le Climat
I4CE : Institut de l’économie pour le climat
IRSN : Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire
SDES : Service des Données et Etudes Statistiques du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Plans du Gouvernement Français
SNANC : Stratégie Nationale pour l’Alimentation la Nutrition et le Climat
SNB : Stratégie Nationale pour la Diversité
SNBC : Stratégie Nationale Bas Carbone
PPE : Programmation Pluriannuelle de l’Energie
PNACC : Plan d’Adaptation au Changement Climatique
SFEC : Stratégie Française pour l’Energie et le Climat
LPEC : Loi de Programmation sur l’Energie et le Climat
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Résultat de 30 ans de domination de la théorie néoclassique en matière de politiques économiques : Effacement du rôle économique des Etats, attaques contre l’Etat providence, mondialisation généralisant la concurrence avec des pays à très bas coût de main d’oeuvre, financiarisation polarisant le rôle des dirigeants d’entreprise sur la valeur pour l’actionnaire au détriment de la stabilité et du projet industriel.
[2] La part des embauches en contrats courts (contrats à durée déterminée) n’a cessé d’augmenter depuis 2007, leur nombre est plus de 5 fois supérieur aux embauches en contrats à durée indéterminée en 2020 d’après l’INSEE.
[3] Source DARES.
[4] Définition du salaire médian : 50% des salariés sont au-dessous de ce salaire, 50% au dessus.
[5] Les économistes de l’OFCE pensent que les exonérations de charges patronales consenties jusqu’à 1,6 SMIC sont une incitation au tassement des salaires. Ces exonérations représentent un coût en forte croissance de 75,4Mds€, nettement supérieur au budget de l’éducation nationale de 59,7Mds€.
[6] Source : Rapport thématique Enjeux distributifs
[7] Cf. annonces février 2024 de limitation du nombre des élus au leasing et de baisse des crédits maPrimRenov
[8] Toutefois le remplacement des véhicules thermiques par des véhicules électriques n’a un effet de réduction des gaz à effet de serre que dans le cas de véhicules légers, dont il faudra attendre la mise sur le marché en nombre. Pour l’instant les véhicules électriques sont en grande partie des SUV qui n’apportent pas d’améliorations en termes de pollutions. Les constructeurs chinois sont les champions du véhicule électrique léger et leur irruption sur le marché européen est craint.
[9] Le chiffre de 66Mds de PFSM correspond au solde entre 100Mds de besoins bruts et les investissements dans des équipements utilisant les énergies fossiles de 34Mds€ en 2022.
[10] Ainsi, en février 2024, le ministre des finances a limité le nombre des élus au leasing social pour la voiture électrique nettement en deçà des candidatures, et abattu d’1Md€ le financement de MaPrimrenov’
[11] En ce début d’année 2024 des craintes se font jour, d’un affaiblissement du Green deal européen après les élections européennes et du fait de dépenses militaires en forte hausse pour l’aide à l’Ukraine
[12] Money, money, money, stratégies de financement de la transition climatique I4CE février 2024
[13] Il est en effet possible de compenser une mauvaise note E par de bonnes notes S en matière sociale ou G en matière de gouvernance.
[14] Les normes de rapportage extra-financier CSRD instituées pour les entreprises européennes, progressivement par taille décroissante à partir du 1er janvier 2024, devraient permettre une meilleure transparence et la comparaison des performances sur chaque domaine E, S ou G séparé .
[15] Plusieurs chercheurs ont dénombré les « bombes carbone » que sont les exploitations en cours (294) ou en projet (128) d’énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) actuelles. Les seules bombes actuellement en exploitation ont un potentiel d’émissions de 880 gigatonnes de CO2e, qui excède le budget carbone de 500 gigatonnes restant à l’humanité selon le GIEC pour contenir le réchauffement climatique sous les 1,5°C. Avec les 300gigatonnes CO2e des projets on excède le budget carbone de 1150gigatonnes de CO2e maximum autorisé pour ne pas dépasser un réchauffement de 2°C.
[16] PTEF « L’emploi moteur de la transformation bas carbone »
[17] Le PTEF est conscient des questions d’attractivité des emplois créés dans l’agriculture est appelle à des innovations ergonomiques.
[18] Tant que les émissions de gaz à effet de serre nettes de l’absorption des puits se poursuivent la température de la planète augmente.
[19] Rapport I4CE : se donner les moyens de s’adapter aux conséquences du changement climatique.
[20] .
[21] A noter que les subsides alloués pour la plantation de légumineuses qui fertilisent les sols n’ont pas produit leur effet. Selon le rapport du comité d’évaluation du plan France Relance les surfaces semées ont baissé de 2% en 2021 et de 4% en 2022 alors que l’objectif pour 2023 est une hausse de 40% )
[22] A ce jour, le Haut conseil pour le climat constate qu’après plusieurs consultations et débats, ni la loi de programmation énergie et climat, ni la Stratégie française énergie et climat, ni la 3ème Stratégie nationale bas carbone, ni le 3ème Plan national d’adaptation au changement climatique, ni la 3ème Programmation pluriannuelle de l’énergie n’ont été formellement adoptés, en dépit des obligations législatives. Ces documents sont essentiels afin de guider l’action climatique à long terme. Ces documents doivent en outre fixer le niveau des budgets carbone de la France pour les périodes 2029-2033 et 2034-2038 en cohérence avec l’atteinte de la neutralité carbone en 2050, établir les priorités d’action pour la production et la gestion de l’énergie au-delà de 2028, et fixer les nouveaux plafonds indicatifs d’émissions pour les transports internationaux et l’empreinte carbone de la France. Le Haut conseil pour le climat ne peut que s’inquiéter du risque de recul de l’ambition de la politique climatique induit par les dérives de calendrier de ses instruments les plus structurants .
[23] Ce « ruissellement » ne s’observe plus depuis plus de quarante ans. Les entreprises multinationales dont les profits augmentent année après année dans de fortes proportions n’ont cessé de détruire de l’emploi en France. Le régime d’accumulation fordiste-tayloriste vertueux des 30 glorieuses qui cumulait une augmentation des profits et de la masse salariale s’est épuisé depuis les années 1980.
[24] Il serait plus compatible avec le souci des générations futures d’encadrer ses usages en priorisant le service des biens communs (santé, éducation, …).
[25] Comme le note Stéphane Foucart le Monde 3 et 4 mars 2024 dans sa tribune « vous avez dit transition énergétique » à propos du livre de Jean Baptiste Fressoz « Sans transition, Une nouvelle histoire de l’énergie » : « Le livre (de Jean Baptiste Fressoz) pose, en filigrane, la place de l’innovation technique dans un monde soumis à un système économique trop gourmand de matières et d’énergie pour être jamais rassasié, et qui n’échappe à l’écroulement de la récession que par l’escalade de la croissance. Est-il vraiment pensable que l’innovation technique puisse être mise à profit pour réduire, à grande échelle, l’empreinte matérielle des activités humaines sur l’environnement – c’est-à-dire pour tarir des relais de croissance et réduire la taille des économies ? C’est une vaste question ».
[26] Cette conjoncture défavorable aux efforts de transition écologique s’observe également aux Etats Unis. « Le nombre d’entreprises utilisant le sigle « ESG » dans la présentation de leurs résultats trimestriels a été divisé par 2,5 en deux ans, selon le Wall Street Journal. Le Monde 17 janvier 2024 « revirement conservateur à Wall Street » Arnaud Leparmentier
[27] PTEF « l’emploi moteur de la transformation bas carbone » rapport final décembre 2021
[28] Le PTEF rappelle à juste titre que l’emploi est une ressource économique pour les individus mais aussi un structurant social
[29] Voir ci-dessus les menaces de recul qui pèsent sur le green deal
[30] Il faut savoir que la mesure du volume peut avoir un coté arbitraire. Ainsi PFSM indique que l’INSEE attribue aux véhicules électriques un effet qualité (volume) positif par rapport aux véhicules thermiques, qui, par ricochet, diminue l’incidence de leur prix plus élevé.
[31] Fonction de production : croissance PIB potentiel= croissance(emploi*productivité du travail)+croissance (capital*productivité du capital)+ croissance (progrès technique)
[32] Comme le note le PTEF (ci-dessous) ces aides ont principalement bénéficié aux grandes entreprises qui n’ont pas créé d’emploi et ne sont pas à la pointe du tournant écologique
[33] Le basculement progressif des voitures thermiques vers l’électricité ferait perdre près de 13 Mds€ de recettes annuelles en 2030 et 30Mds en 2050 selon un rapport de la direction du Trésor.
[34] On peut penser par exemple à des taux de TVA différenciés, à la fin des soutiens publics aux activités brunes, à un conditionnement des aides aux entreprises, à un fort soutien aux activités basées sur des modèles alternatifs favorables à l’environnement.
[35] Evaluées à 10Mds€ dont 6Mds de dépenses fiscales brunes, essentiellement des détaxes de combustibles pour certaines professions, dans le budget vert de 2023
[36] PTEF rapport emploi p 24 25
[37] Comme ce fut le cas dans les années 1970 lorsque les gains de productivité liés à l’adoption des méthodes tayloristes de production de masse furent épuisés du fait de leur généralisation
[38] Moins de 10% des exploitations agricoles françaises sont demeurées en polyculture élevage
[39] Ce qui a été le cas pendant les « 30 glorieuses
[40] Les forts dividendes distribués par les entreprises du CAC40, peu vertueuses en matière environnementale et sociale, créent l’indignation, contrastant avec les difficultés financières rencontrées par les populations et les Etats.
[41] Le Monde 6 décembre 2023 « en France le grand décrochage de la productivité
[42] Chronique de Patrick Artus le Monde Comment passer du PIB au bien être ? « Si on passe d’un objectif de PIB à un objectif de bien-être, il faut empêcher que la croissance augmente les inégalités et il faut éviter la déformation du partage des revenus au détriment des revenus du travail et au profit du revenu du capital et limiter l’ouverture de l’éventail des salaires »il des salaires »
[43] Le livre récent « le pouvoir de la monnaie » de Jezabel Couppey-Soubeyran, Pierre Delandre et Augustin Sersiron montre la plasticité de la création monétaire en fonction des besoins de la société au cours du temps. Ils proposent la création d’une nouvelle « monnaie volontaire » consacrée au financement des projets nécessaires à la transition écologique mais non rentables
[44] Valérie Masson Delmotte citée par Rémi Barboux, chronique planète, scientifiques et politiques, le grand fossé le Monde 5-6 novembre 2023
[45] Proposition, notamment, de Christian Arnsperger dans son livre « l’existence écologique » seuil janvier 2023, et de l’expérimentation d’un revenu de transition écologique par l’association Zoein
[46] Tribune de Jean Pisani Ferry le Monde 24-25 décembre.
[47] Voir l’histoire du désencastrement de l’économie depuis John Stuart Mill par Christophe Bonneuil in « économie de l’après croissance » politiques de l’anthropocène II presses de Sciences Po
[48] Philippe Bihouix : l’âge des low tech : vers une civilisation techniquement soutenable
[49] Transition ou transformation/bifurcation ? « la bifurcation renvoie bien à une transformation d’ensemble plutôt qu’à un ensemble de transformations sectorielles ». « Le livre influent publié en 2020 sous la direction du philosophe Bernard Stiegler Bifurquer (les liens qui libèrent)…. » le Monde 18 janvier Julien Vincent.
[50] Tribune de Jesabel Couppey Soubeyran « Etat, monnaie et capitalisme : un ménage inconstant » le Monde 7 et 8 janvier 2024
[51] Les communs de proximité, origines, caractérisation et perspectives aux éditions québecoises Sciences et bien commun, en accès libre https://www.editionscienceetbiencom...
[52] Déclaration des prévenus des manifestations illégales contre les méga bassines devant le tribunal de Niort
[53] A son tour ce régime d’accumulation s’épuise avec la révolte populaire dans les pays riches et la montée des risques géopolitiques
[54] Citons dans cette catégorie le rachat d’actions par les grandes entreprises pour faire monter les cours, ou le « trading à haute intensité » qui engrange des gains sur des variations très brêves (de l’ordre de la seconde) des cours de bourse
[55] Cité par l’article du Monde du 8 décembre 2023 « le covid 19 a creusé un peu plus les inégalités mondiales »
Bibliographie
* Jackson T : ’Prospérité sans croissance. La transition vers une économie durable’ , De Boeck Etopia 2010 (édition originale Earthscan/ James&James 2009)
* Arnsperger C : L’existence écologique, critique existentielle de la croissance et anthropologie de l’après-croissance’, Editions du Seuil , Janvier 2023
* Alperovitz G, Costanza R, Daly H, Farley J, Franco C, Jackson T, Kubiszewski I, Schor J, Victor P : ’Vivement 2050 programme pour une économie soutenable et désirable’, Institut Veblen, avril 2013
* Dupré M, Couppey-Soubeyran J, Kalinowski W, Méda D : ’2030 c’est demain, un programme de transformation sociale-écologique]’, Institut Veblen, 2022
* Institut Momentum « Economie de l’après croissance » politiques de l’anthropocène II, Presses de Sciences Po
* Philippe Bihouix : ’l’âge des low tech : vers une civilisation techniquement soutenable’
* Benjamin Coriat, Nicole Alix, … : ’Les communs de proximité, origines, caractérisation et perspectives’ Aux éditions québécoises Sciences et bien commun, en accès libre https://www.editionscienceetbiencom...
* Jezabel Couppey-Soubeyran, Pierre Delandre et Augustin Sersiron : ’le pouvoir de la monnaie, transformons la monnaie pour transformer la société’, Les Liens qui Libèrent