Le Bangladesh le pays le plus vulnérable au changement climatique
Les efforts d’une ONG locale en faveur des plus pauvres déjà touchés
Résumé
Au Bangladesh, les manifestations du dérèglement climatique (allongement des périodes de sécheresse, accroissement de la violence des cyclones, perturbations du calendrier et de l’intensité des moussons, fonte des glaciers, …) se multiplient.
Leurs conséquences rapides et dévastatrices (élévation du niveau de la mer, inondations, submersion, érosion, …) mettent en péril le maintien des écosystèmes, la vie des Bangladais et leur économie.
L’impact de l’action gouvernementale assise sur l’aide internationale au développement demeure très insuffisant au regard des besoins que la crise climatique accroit.
Dans ce contexte, l’intervention des ONG’s sur le terrain est cruciale.
Depuis des décennies, une association bangladaise, GK, relève le défi de porter un développement au bénéfice de populations parmi les plus déshéritées du Bangladesh, au plus près de ces populations. L’action de celles-ci, pleinement actrices de micro -projets, participent, pour une part certes modeste mais réelle à l’amélioration de leurs conditions de vie en conformité avec l’Agenda 30 de l’ONU.
Auteur·e

A travaillé, en France et à l’international, sur de nombreux projets d’approvisionnement en eau et de protection contre les inondations.
Président du Comité Français de Soutien à GK-Savar
Constitué d’une grande plaine alluviale à 80% en-dessous de 10 mètres d’altitude, le Bangladesh est en première ligne face au dérèglement climatique : allongement des sécheresses, aggravation des inondations et submersions, renforcement des cyclones, élévation du niveau de la mer, …. La salinité des eaux et de terres se traduit par un déclin de la fertilité des sols et de la production agricole et menace la sécurité alimentaire. Ces effets impactent fortement l’économie. Le changement climatique accroît la pauvreté et les maladies et force déjà entre 500 000 et un million d’hommes à migrer chaque année à la recherche de meilleures conditions de vie. En 2050, 20% du pays pourrait être sous les eaux forçant plus de 15 millions d’habitants à se déplacer.
En dépit d’une croissance remarquable (6%) et des efforts déployés par le gouvernement et les agences de l’ONU, le pays dispose de moyens limités pour faire face à ces défis qui s’ajoutent à ceux qu’il doit déjà relever : éducation, santé, énergie, infrastructures, …. L’aide internationale n’est pas à la hauteur pour contenir et s’adapter à une situation engendrée par les émissions massives de GES des pays développés.
L’article illustre, à travers différents exemples concrets, le rôle positif que les ONG locales comme GK peuvent jouer auprès des plus pauvres pour amenuiser les souffrances lors des situations d’urgence, anticiper les catastrophes et tenter de sédentariser les populations. Elles apportent leur contribution, modeste mais efficiente, au progrès des Objectifs du Développement Durable.
1.1 Portrait du Bangladesh
1.1.1 Géographie
Situé dans la Baie du Bengale et entouré par l’Inde sur plus de 3200 km et, sur sa partie Sud-Est, par le Myanmar, le Bangladesh présente une superficie totale de 147 630 km2 (Figure 1).

Figure 1 : Situation du Bangladesh [1]
Les deux tiers du pays se trouvent dans le plus grand delta du monde, constitué par le Jamuna (Brahmapoutre en Inde), le Padma (le Gange) et la Meghna, qui y finissent leur course dans l’océan Indien. C’est, de ce fait, une vaste zone d’altitude très basse. Ainsi, au moins 10% de sa surface est située à moins d’un mètre, 25 % environ à moins de 3 m et 80% en-dessous de 10 mètres au-dessus du niveau de la mer (Figure 2).

Figure 2 : Carte topographique [2]
La zone littorale comprend notamment la plus grande mangrove du monde, les Sundarbans.
1.1.2 Démographie
Sa population, d’environ 170 millions d’habitants, en fait l’un des pays les plus densément peuplés au monde, avec un ratio de 1 151 habitants par km2, 10 fois supérieur à celui de la France. Plus de la moitié de la population vit dans les zones rurales.
1.1.3 Économie
L’agriculture représente près de la moitié de l’activité économique et permet d’assurer une quasi-autosuffisance alimentaire. Les deux principales sources de devises sont le prêt à porter et les transferts des émigrés, essentiellement depuis les pays du Moyen Orient.
Cependant, en part de PIB, le secteur industriel est le second, un peu plus d’un tiers, derrière les services, un peu plus de la moitié, essentiellement bancaires, l’agriculture et la pêche se partageant le reliquat du PIB.
Le Bangladesh connait une croissance soutenue sur les dernières années, avec un taux de croissance moyen de l’ordre de 7% sur la dernière décennie. Les prévisions du FMI tablent sur une croissance du même ordre de grandeur dans les prochaines années. Avec un PIB/habitant de 2734 $, le Bangladesh a obtenu en 2021, année de célébration du cinquantenaire de son indépendance, la confirmation par le PNUD [3]
de sa sortie de la catégorie des pays les moins avancés. Ce reclassement sera formalisé en 2026, après une transition étendue pour cause de COVID-1 [4]. Cependant, ces progrès priveront le Bangladesh du régime TSA (Tout Sauf les Armes), qui a pour effet d’exonérer de droits de douane ses exportations entrant dans l’Union Européenne.
Le taux de chômage dépasse 5 % depuis 2020. L’économie bangladaise demeure informelle pour une part importante, le taux de participation de la population à la population active se situant entre 55 % et 59%°sur la période 1991-2023.
Ces avancées masquent toutefois une pauvreté persistante, quoiqu’en recul : les taux respectifs de la pauvreté et de l’extrême pauvreté en 2022 sont de 18,7%et 5 %, contre 41,5% et 25,1% en 2006.
La progression de l’IDH, la plus spectaculaire dans la région Asie du Sud, qui bénéficie du dynamisme de la croissance est toutefois entravée par les très mauvaises conditions d’accès des femmes aux systèmes de soin et d’éducation.
Confronté à la réponse aux besoins de sa très nombreuse population en croissance, le Bangladesh développe un modèle économique qui se heurte parfois aux contraintes écologiques. Ainsi, en est-il du développement particulièrement intensif du secteur textile - il devrait représenter en 2025 10 % du marché international - à l’origine d’atteintes graves à l’environnement se surajoutant aux effets du dérèglement climatique. Ou encore de l’usage du charbon dans le secteur énergétique !
1.2 Manifestations du dérèglement climatique et ses conséquences physiques
1.2.1 Inondations et submersions
- 1.2.1.1 Mousson
Au moment de la mousson estivale, une grande partie du territoire est inondée. La population résidente a appris à s’adapter à ce phénomène climatique, mais le réchauffement global de la planète semble avoir brisé ce modèle de manière très sensible. Ainsi constate-t-on des épisodes de mousson anticipés sur la période « normale » de juin à octobre. Selon la classification de Köppen-Geiger, basée sur les précipitations et les températures, les projections à l’horizon de la fin du 21ème siècle des évolutions du climat du Bangladesh montrent, par rapport à la situation récente, un doublement des zones tropicales de mousson qui englobent toute la partie orientale du territoire [5].
- 1.2.1.2 Fonte des glaciers
La fonte de plus en plus importante des glaciers de l’Himalaya, augmente considérablement la quantité d’eau de crue des fleuves arrosant le Bangladesh. Selon une étude publiée en juin 2023 du Centre International de Développement Intégré de la Montagne, basé à Katmandou, au Népal, jusqu’à 80 % du « troisième pôle » que constituent les glaciers de l’Himalaya et du Kouch Indien pourraient fondre d’ici la fin du siècle [6].
- 1.2.1.3 Elévation du niveau de la mer
En quarante-cinq ans, entre 1968 et 2012, le niveau des eaux a augmenté de 3 mm par an en moyenne dans le delta, soit 13,5 centimètres. Cette augmentation est due, d’une part, à la hausse globale du niveau des océans (2 mm par an durant la période), et d’autre part à l’affaissement du sol. Celui-ci est un phénomène commun à tous les deltas ; il est dû à différents processus physiques naturels, notamment la consolidation progressive des milliers de mètres d’épaisseur de sédiments meubles accumulés, mais aussi à des actions humaines, comme le pompage des nappes phréatiques [7].
Selon les études les plus récentes, notamment celle menée par des laboratoires de recherche français, bangladais et américains, la montée des eaux dans le delta pourrait atteindre en 2100, selon les zones, 85 à 140 centimètres de plus que la hauteur constatée en 2005, soit le double des dernières projections du GIEC . L’augmentation d’un mètre du niveau de la mer pourrait entraîner une perte de plus de 20% des terres et concernerait 15 millions de personnes.
La Figure 3 montre qu’une grande partie des zones littorales et urbaines, en particulier les deux plus grandes agglomérations Dhaka et Chittagong, sont menacées de submersions.
Figure 3 : En rouge, les parties inondées si le niveau de la mer monte d’un mètre. [8]
Figure 4 : Zone qui risque d’être recouverte par la mer d’ici 2050 [9]
- 1.2.1.4 Cyclones tropicaux
Ces dernières années, les côtes du Bangladesh ont été touchées par davantage de cyclones, accompagnés de vents très violents et d’une montée rapide des eaux, et les îles estuariennes, ainsi que la région des Sundarbans ont été exposées à chacun d’entre eux. La fréquence des cyclones de grande intensité s’est accrue. Au Bangladesh, l’inondation due à l’onde de tempête est la conséquence la plus néfaste d’un cyclone et l’estuaire de la Meghna est la principale zone d’amplification de ce phénomène [10]. Les populations sont beaucoup plus vulnérables qu’auparavant aux cyclones plus sévères et aux dangers qui en découlent. (Photo 1) : Cyclone Sidr en 2007 [11]
- 1.2.1.5 Effets cumulés
25 % des terres se situent à moins de trois mètres au-dessus du niveau de la mer. Dans la mesure où la hauteur moyenne de la marée haute est de trois mètres, elles sont en permanence menacées d’inondation ou de submersion. Les inondations annuelles gagnent progressivement en volume et en durée. A l’horizon 2050, certaines régions du Bangladesh pourraient être submergées d’eau salée de manière permanente, et d’autres de manière temporaire, par exemple pendant la mousson (Figure 4). En général la mousson inonde chaque année 20 à 30 % du Bangladesh mais dans les cas extrêmes, comme en 1998, 75 % du pays était sous l’eau.
Plusieurs des effets néfastes identifiés sont listés ci-après.
-
- i) Les engorgements
Du fait de la faible altitude des terres et de l’élévation du niveau de la mer, les zones côtières, notamment les îles, font l’objet de sévères engorgements, l’eau des tempêtes ou des inondations dues à la marée haute ou aux crues ne pouvant s’écouler spontanément. Sur une très large portion des territoires, l’eau peut monter de 0,3 à 0,9 m pour atteindre parfois 1,8 m. Ce phénomène est localement aggravé par la déforestation.
-
- ii) La salinisation des terres et des eaux
L’intrusion de salinité dans les terres les rend, de ce fait, inadaptées aux cultures traditionnelles. Les efforts des agronomes bangladais et indiens pour mettre au point et faire adopter par les agriculteurs des variétés, notamment de riz, adaptées à la salinité font leur chemin mais se heurtent parfois à la question des coûts. La salinisation des points d’eau et des mares villageoises, rend l’eau impropre à l’alimentation et à l’irrigation et est aussi très préjudiciable pour l’écosystème.
-
- iii) L’érosion des berges
Les processus physiques majeurs dans l’estuaire du fleuve Meghna, mais aussi sur son cours supérieur, sont liés à la dynamique de l’eau et des sédiments. D’importants afflux d’eau érodent les berges et contribuent à inonder les terres non poldérisées. Durant la saison sèche, les sédiments se réarrangent et se déposent formant ainsi de nouvelles terres. Ces îles temporaires sont appelées des « chars ». La figure 5 illustre bien l’écheveau des chars dans le cours du fleuve Meghna, au Nord-Ouest.
Cependant, les terres des nouvelles îles ne remplacent pas immédiatement les terres fertiles perdues lors de l’érosion. Il faut attendre plusieurs années avant de pouvoir les cultiver. Les sols des « chars » ont une texture majoritairement limoneuse, qui renforce leur vulnérabilité aux érosions.
L’érosion des berges dans les « chars » du Nord, occupées par près de six millions de personnes, comme dans les îles littorales, touche énormément d’habitants (Photo 2). Chaque famille y a le souvenir d’une forme de migration au cours des deux dernières générations. Certaines se sont déplacées six ou sept fois à cause de l’érosion. En moyenne, chaque foyer s’est déplacé 5,3 fois au cours de sa vie. Les paysans de ces îles temporaires craignent cette érosion qui crée de nombreux dommages : « Il arrive souvent de s’endormir riche propriétaire terrien et de se réveiller sans-abri », souligne un habitant de char. Même si le phénomène existe depuis longtemps, sa fréquence a considérablement augmenté ces dernières années.

Figure 5 « Chars » de la région de Gaibandha [12] - - Photo 2 : Fragilité des « Chars » [ cf renvoi 11]
-
- iv) La dégradation de la mangrove
La barrière naturelle que constitue la mangrove des Sundarbans est endommagée par la conjonction de plusieurs facteurs : les cyclones, l’élévation du niveau de la mer et la pollution liée à la combustion du charbon dans les centrales électriques [13].
1.2.2 Sécheresses

Comme sur l’ensemble de la planète, le changement climatique se manifeste au Bangladesh par des températures extrêmes. D’ores et déjà, les températures estivales sont plus élevées et se traduisent par des sécheresses très sévères qui restreignent l’accès à l’eau pour les populations et les surfaces cultivables (Photo 3).
D’ores et déjà, à cause de cela, il n’est plus possible de faire une troisième récolte dans certaines régions.
Photo 3 : Accès à l’eau rendu difficile [14]
1.3 Manifestations du dérèglement climatique et ses conséquences socio-économiques
1.3.1 Impacts sur l’économie
Dans l’estuaire de la Meghna, les deux besoins primordiaux des êtres humains, le logement et l’emploi, sont affectés par les catastrophes naturelles. Les pêcheurs et les personnes tributaires de la pêche sont exposés à la plupart de ces dangers, ainsi que les journaliers et les paysans.
La plupart du temps, les catastrophes naturelles entraînent une baisse de revenus pour les populations concernées. Hormis l’élevage, le taux de production a diminué dans tous les secteurs ces vingt dernières années. Au cours des dernières décennies, la fertilité des sols et la productivité agricole ont décliné dans des proportions alarmantes, perturbant les modes de cultures traditionnels [15]. Les projections tablent sur une perte globale de la production agricole d’un tiers à l’horizon 2050. D’ores et déjà, les paysans ne font souvent plus qu’une seule récolte par an et cela crée de l’insécurité alimentaire. Cette situation débouche souvent sur la décision d’émigrer à la recherche de meilleures conditions de vie.
Le changement climatique augmente aussi la pauvreté. Dans le nord par exemple, les différences de température entre l’été – extrêmement chaud – et l’hiver ne sont pas supportables pour des populations ne disposant pas des protections adéquates (vêtements, habitations), en particulier les personnes âgées dont la mortalité augmente [16].
Ces changements affectent la santé des populations par une incidence accrue des maladies transmissibles.
Plus de 5 millions de Bangladais vivent dans les zones côtières très vulnérables. Avec deux événements météorologiques extrêmes, l’année 2007 a été unique dans l’histoire des catastrophes du Bangladesh : alors que la reconstruction par suite des inondations inégalées de juillet à août était en cours, la partie côtière du pays a été de nouveau frappée par le cyclone Sidr, avec des vents d’une vitesse de 240 km/h. Il a touché 30 districts (sur 64) et très fortement endommagé les maisons, les terres agricoles et a conduit à la perte de vies humaines (3363 victimes) et de très nombreux animaux. Il a occasionné des pertes économiques énormes et engendré des dégâts considérables aux infrastructures de transport et de communication. Le coût moyen annuel de ces catastrophes est supérieur à un milliard d’euros.
1.3.2 La migration est souvent la seule solution
Pour survivre, il va falloir s’adapter. C’est en effet l’un des pays au monde le plus fortement – et surtout le plus rapidement – affecté par les effets du réchauffement de l’atmosphère [17].
En moyenne, chaque année, 90 millions de Bangladais sont impactés par la montée des eaux, 20 millions sont même complètement inondés. 15 millions d’entre eux émigrent temporairement et 5 millions survivent dans les zones inondées. La migration, temporaire ou permanente, a toujours été l’une des principales stratégies de survie adoptées par les individus face aux catastrophes, qu’elles soient naturelles ou anthropiques. Mais les dérèglements climatiques aggravent énormément les risques et modifient les enjeux.
Comment les habitants se préparent-ils à voir le niveau de l’eau monter, les inondations, la réduction du territoire ? Comment peut-on mesurer cette montée ? De quelle manière les pouvoirs publics anticipent-ils ces modifications ? Dans une région du monde déjà habituée aux périodes de moussons, apprend-t-on réellement à vivre au milieu des inondations ? Les habitants du Bangladesh seront-ils les premiers « réfugiés » climatiques du monde ? [18]
Les migrations sont, pour le moment, essentiellement internes. Les populations quittent alors les campagnes pour les villes, afin d’essayer de gagner quelques takas [19] qu’ils envoient à leur famille. Ces paysans se retrouvent dans des bidonvilles où ils vivent dans des conditions sanitaires misérables (Photos 4 et 5).
Photos 4 et 5 : Bidonvilles de Mirpur et de Tejgaon [20]
Ils rencontrent des difficultés à trouver du travail et tombent facilement dans des réseaux marginaux pour pouvoir survivre. On constate d’ailleurs une augmentation des maladies.
Selon le Bureau de gestion des catastrophes bangladais (Disaster Management Bureau), entre 500 000 et un million de personnes quittent les régions rurales et côtières du Bangladesh pour Dhaka la capitale. 70 % de ces gens partent en raison du changement climatique et du fait qu’ils ne peuvent plus cultiver leurs champs.
On s’attend à une augmentation du nombre de migrants environnementaux ou de déplacés climatiques par suite de la dégradation du milieu et des phénomènes météorologiques extrêmes, en particulier la montée des eaux [21]. Le HCR [3] estime qu’au Bangladesh, environ 26 millions de personnes seraient menacées par les effets du réchauffement global d’ici 2050.
1.3.3 Importance et limites de la stratégie nationale et de l’aide internationale
Tandis qu’un Bangladais émet en moyenne 500 kg de Gaz à Effet de Serre (GES), un européen en émet environ 8 t, et un étatsunien 16 t, soit, respectivement 16 et 32 fois plus ! Ainsi, les États-Unis produisent 22 % des émissions de GES et pourtant c’est le Bangladesh qui va le plus souffrir de l’effet de serre et des changements climatiques. Sachant que ce pays a la plus forte densité démographique de la planète, il se trouverait alors dans une situation extrêmement critique [22].
En 2009, le gouvernement a mis en place une stratégie nationale de lutte contre le changement climatique ambitieuse intégrant les enjeux d’adaptation à ceux de développement et de réduction de la pauvreté, qui sert de modèle à un grand nombre de pays en voie de développement (PVD).
L’ONU intervient au Bangladesh, au travers de ses différentes agences, en particulier UNICEF, PNUD, OMS, FNUP, OIT, PAM et FAO [cf renvoi 3], afin d’aider le pays à atteindre les Objectifs du Développement Durable, selon cinq priorités stratégiques [23], notamment en faveur des groupes sociaux et de genre les plus vulnérables ou marginalisés :
- i) Développement économique inclusif et durable ;
- ii) Développement humain équitable et bien-être ;
- iii)Environnement durable, sain et résilient ;
- iv)Gouvernance transformatrice, participative et inclusive ;
- v) Egalité des sexes et élimination de la violence fondée sur le genre.
A ces efforts s’ajoute, depuis 2017, un besoin de près d’un milliard de dollars pour subvenir aux besoins de subsistance du million de réfugiés Rohingyas victimes d’un génocide au Myanmar et accueillis sur le sol bangladais, montant que le HCR et l’OIM [3] ont beaucoup de difficulté à rassembler, année après année.
Le pays est très pauvre et ses moyens limités pour faire face à ces défis qui s’ajoutent à ceux qu’il doit déjà relever : éducation, santé, énergie, infrastructures, ….
La demande, non satisfaite, par les pays concernés et notamment les plus pauvres, d’un financement de moyens d’alerte et de prévention face aux désordres climatiques ainsi que celui de la réparation des dégâts et dommages par ces désordres générés constitue en vérité un dossier majeur au sein de la Convention Climat [24] .
De ce fait, ce sont surtout les ONG qui prennent à bras le corps, au quotidien, les questions de prévention, de remédiation et d’adaptation, mais cela, en toute transparence vis-à-vis du gouvernement et des autorités locales. Le chapitre suivant montre le rôle moteur d’une ONG 100% bangladaise dans son travail auprès des populations les plus déshéritées du pays.
2.1 Présentation
Gonoshasthaya Kendra (GK) qui signifie « Centre de Santé Populaire » est une ONG bangladaise historique basée à Savar, dans la banlieue de Dhaka, dont l’objectif est un modèle original de développement global et durable fondé sur la promotion des communautés pauvres et en particulier des femmes : « Le développement se fera avec les plus démunis et passe prioritairement par les femmes ».
L’ONG GK est née à l’initiative d’un jeune médecin bangladais, le Docteur Zafrullah Chowdhury (Voir encadré) qui, pendant la guerre d’indépendance en 1971, avait établi un hôpital de brousse pour soigner maquisards et réfugiés. A la recherche de financements pour la construction d’un hôpital en dur, il obtint le soutien en France des Communautés d’Emmaüs et de ce qui allait devenir le Comité Français de Soutien (CFS) à GK.
Biographie succincte du Dr Zafrullah Chowdhury . En 1971, tandis que la répression pakistanaise contre la population bengalie du Pakistan Oriental déclenche la guerre d’indépendance, le docteur Chowdhury abandonne sa spécialisation en chirurgie cardio-vasculaire à Londres et rentre au Bangladesh. Il se bat comme volontaire, puis organise un hôpital de campagne en bambous et initie des jeunes filles du camp de réfugiés voisin au métier d’infirmière. Il opère les blessés le jour, et forme ces dernières le soir. Après la guerre, en 1972, le Dr Chowdhury fonde une ONG Gonoshastaya Kendra dite GK (Centre de santé populaire). Le pays est exsangue et la population réside à 90% en milieu rural. Les besoins sont immenses. Avec une dizaine de médecins, Zafrullah Chowdhury commence à prodiguer des soins médico-chirurgicaux de base et à diffuser des notions d’éducation sanitaire. Il se bat déjà pour l’émancipation des femmes en envoyant les jeunes femmes paramédics à bicyclette dans les villages les plus reculés. La loi sur les médicaments essentiels de 1982 dont il a été le principal artisan était une tentative d’établir sa vision véritablement utopique à l’échelle nationale. Elle a, dès sa promulgation, provoqué le départ des multinationales pharmaceutiques du pays. Sa vie a été mise plusieurs fois en danger, sa première usine de médicaments a été attaquée et ses génériques boudés par les médecins du privé. Le docteur Chowdhury n’a pas été seulement un innovateur bangladais profondément enraciné et attaché à son pays. Il a aussi été un internationaliste promouvant à travers le monde entier les soins de santé primaire. Le travail de GK a été présenté comme un modèle lors de la conférence internationale de l’OMS [3] d’Alma-Ata en 1977, qui a abouti à l’adoption de la charte des soins de santé primaire par les délégués de 134 nationalités. Zafrullah s’est personnellement impliqué jusqu’à ses derniers jours, en avril 2023, dans la défense des faibles et des personnes injustement poursuivies pour leurs opinions. Il s’est dressé contre les injustices, la corruption, les viols impunis et s’est battu sans relâche pour la démocratie et la liberté d’expression. |
GK est historiquement une ONG de santé qui a diversifié ses programmes d’aide aux plus démunis. Au fil des années, GK est devenue une importante ONG bangladaise de plus de 1500 salariés intervenant dans de multiples domaines. Les choix de la microéconomie et de l’engagement des bénéficiaires au niveau local sont mis en œuvre en vue de favoriser l’accès à l’autonomie de développement. Ses activités concernent aujourd’hui principalement la santé, la formation, le développement rural et l’aide d’urgence.
2.2 Situations d’urgence
Née dans l’urgence de la guerre d’indépendance, GK fait preuve d’un savoir-faire exemplaire pour porter secours aux populations frappées par les catastrophes naturelles (inondations, cyclones, …) et les situations d’urgence :

Incendie du Rana Plaza en 2015, afflux des réfugiés Rohingyas fuyant le génocide au Myanmar en 1992, en 2012 et en 2017, épidémie de COVID, etc…
Dans toutes ces situations d’urgence, elle intervient pour porter secours aux victimes, en termes de soins bien évidemment mais pas seulement :
- Approvisionnement en eau potable et nourriture aux populations (Photo 6),
- Préparation de galettes de mélasse pour la sauvegarde des bestiaux privés de pacage, mais qui constituent bien souvent le seul patrimoine des familles.
GK assure également son engagement dans la durée. Trois exemples l’illustrent parfaitement :- i) Après les cyclones Sidr (2007) et Aïla (2009), GK a financé des barques pour les pêcheurs qui avaient tout perdu et apporté des motoculteurs conduits par des femmes formées par elle-même, afin de pouvoir rapidement produire des légumes pour survivre (Photo 7).
Photo 6 Approvisionnement en eau des sinistrés du cyclone Aïla [25] - ii) A la suite de la catastrophe du Rana Plaza, elle a assuré la rééducation motrice et professionnelle des jeunes filles blessées et recruté plusieurs d’entre elles en son sein.
iii) Sa présence auprès des réfugiés Rohingyas apatrides, parqués dans le camp de Kutapalong, le plus important au monde (près d’un million de personnes) se poursuit depuis plus de 7 ans, puisque GK y gère 13 centres de santé (Photo 8).
- i) Après les cyclones Sidr (2007) et Aïla (2009), GK a financé des barques pour les pêcheurs qui avaient tout perdu et apporté des motoculteurs conduits par des femmes formées par elle-même, afin de pouvoir rapidement produire des légumes pour survivre (Photo 7).

Photo 7 : Motoculteur piloté par une jeune fille formée par GK, près de Barguna [cf renvoi 11]
Photo 8 : Camp de réfugiés Rohingyas [cf renvoi 20]
2.3 Prévention des catastrophes
Dans les régions les plus déshéritées où elle intervient et dispose de centres de santé primaire, GK supplée les carences du gouvernement et mobilise les populations pour se protéger des effets dévastateurs des cyclones et des tempêtes.
Ainsi, dès les années 1990, elle a piloté la construction d’abris anticycloniques dans les zones littorales au Sud, où la population des villages peut se regrouper lorsque l’ouragan est annoncé. Grâce à ces abris et aux progrès importants des agences gouvernementales en matière de prévision météorologique et de communication, les bilans humains des cyclones les plus récents sont bien moins déplorables qu’ils ne l’étaient (Photo 9). Hors période cyclonique, ces constructions de 1 ou 2 étages servent parfois d’écoles élémentaires ou de centres de santé.
Dans les « chars » du Nord, GK a organisé plusieurs chantiers de surélévation de centres de santé et d’écoles, grâce à un système de travail contre nourriture des populations concernées (Photo 10).

Photo 9 Abri anticyclonique [cf renvoi 11] - - Photo 10 Surélévation des installations d’Austochir [cf renvoi 11]
2.4 Sédentarisation des populations
Dans les zones littorales, en particulier les Sundarbans, où GK intervient depuis la catastrophe du cyclone Sidr, les équipes de GK ont mis en œuvre plusieurs programmes visant à dissuader les populations de migrer :
- D’une part, l’alimentation en eau potable, grâce à la construction ou la réhabilitation de petites unités de filtration de l’eau de pluie collectée dans des mares pérennes, permettant de disposer d’une eau purifiée lors de la saison sèche, l’eau rencontrée à faible profondeur dans les puits ou les forages étant salée ou saumâtre (Photo 11). Chaque unité de filtration de l’eau des mares sert à alimenter en eau 40 à 50 familles, soit environ 200 personnes. Le préalable auquel GK est toujours extrêmement vigilant est de constituer des coopératives regroupant les futurs bénéficiaires et de former, au sein de chacune d’elles, une équipe de deux personnes, en général un homme et une femme, qui sera chargée de collecter les contributions des familles et d’entretenir les installations, en particulier le lavage des matériaux filtrants et la maintenance de la pompe manuelle.
- D’autre part, la mise en place de jardins familiaux destinés à diversifier l’alimentation et à éliminer les carences en vitamines A- et à générer un revenu complémentaire, notamment des femmes, tiré de la vente des légumes et fruits excédant les besoins familiaux (Photo 12).
Photo 11 Alimentation en eau à partir d’un filtre à sable à Mothbaria [cf renvoi 11] - Photo 12 : Jardin familial à Uttar Sonakhali [cf renvoi 11]
Dans les « chars » du Nord-Ouest, îles éphémères dans le lit de la Jamuna, à Jhanjahir (district de Gaibandah), Kalakata et Austochir (district de Kurigram), GK a créé des « Centres de développement intégré » associant plusieurs programmes d’aide aux communautés très pauvres et sans terre avec une école, un centre de santé primaire et une activité de crédit saisonnier. A la différence du micro-crédit adapté aux zones urbaines ou périurbaines, pour des activités artisanales ou commerciales, le crédit saisonnier convient bien au domaine agricole car il s’adapte aux cycles des cultures. Le principe est un prêt de 5 ou 8 mois dont le remboursement complet se fait en une fois en fin de période, avec l’argent de la vente de la récolte, des animaux ou des produits artisanaux. La mise en œuvre se fait également avec la constitution d’une coopérative favorisant la solidarité. Des prêts modiques sont attribués majoritairement aux femmes pour l’achat de semences, de volailles, de matériel agricole ou d’outils pour tisser des nattes ou des cloisons en bambou. En dépit de la fréquence des inondations qui submergent les « chars », et empêchent parfois les paysans, à la suite de la perte de leurs maisons, de leurs récoltes ou de leur bétail, de rembourser leur prêt, le taux de remboursement de ces crédits saisonniers est excellent, de l’ordre de 90 à 95 %.
Le Comité français de soutien à GK SAVAR Depuis 1972, le Comité Français de Soutien (CFS), soutient humainement et matériellement les actions et les projets de l’ONG bangladaise Gonoshasthaya Kendra (GK). Ses missions :
|
2.5 Conclusions
Les ONG, comme GK, n’ont absolument pas la prétention ni la capacité de faire face à l’ensemble du désarroi et de la misère qui rendent la vie de millions de ruraux, souvent laissés pour compte. Elles ont cependant le mérite de montrer que des solutions de contention et d’adaptation sont possibles, même dans les situations les plus désespérées. Leur contribution au progrès des Objectifs du Développement Durable [26] , en particulier ceux relatifs à la sécurité alimentaire (ODD N°2), à la santé (ODD N°3), à l’autonomie des femmes et des filles (ODD N°5), à l’accès à l’eau et à l’assainissement (ODD N°6) est, en ce sens, indéniable. Il convient de souligner que l’action de GK porte également, à travers son volet spécifique d’assistance aux réfugiés Rohingyas, le poids de l’histoire.
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Google, Landsat/ Copernicus, SIO, NOAA, U.S. Navy, NGA, GEBCO, SK Telecom
[2] bdmaps.blogspot.com
[3] Agences de l’ONU :
- FAO Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture
- FNUP Fonds des Nations Unies pour la Population
- HCR Haut-Commissariat aux Réfugiés
- OIM Office International des Migrations
- OIT Organisation Internationale du Travail
- OMS Organisation Mondiale de la Santé
- PAM Programme Alimentaire Mondial
- PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement
- UNICEF Fonds des Nations Unies pour l’Enfance
[4] Indicateurs et conjectures Direction du Trésor Avril 2023
[5] Climatic zones of Bangladesh according to the Köppen-Geiger climate classification https://researchgate.net, Beck et al, 2018
[6] Hindu Kush Himalayan Monitoring and Assessment Programme 2021 https://icimod.org
[7] Defranoux L Au Bangladesh, le niveau de la mer monte et le sol s’affaisse Libération, 08/01/2020, https://liberation.fr
[8] IPCC Montée des eaux : ces lieux qui pourraient être rayés de la carte. 2021
[9] NASA
[10] COP 24 : au Bangladesh, les méfaits très concrets du changement climatique Secours Catholique, 2022.9 ex 10 cop 24
[11] Crédit photos Comité Français de Soutien à GK Savar www.comgksavar.org
[12] Google Map
[13] Le Bangladesh face aux risques climatiques Terre et Océan, 23/05/2017, https://terreetocean.fr
[14] Daily Star
[15] Il y a de plus en plus de pauvres au Bangladesh en raison du changement climatique. Entretien avec Sebastian Rozario, directeur adjoint de Caritas Bangladesh
[16] Bouissou J Au Bangladesh, survivre avec le changement climatique. https://www.lemonde.fr/asie-pacifiq...
[17] Alice Poncelet, « Bangladesh, un pays fait de catastrophes », Hommes & migrations, 1284 | 2010, 16-27. https://doi.org/10.4000/hommesmigra...
[18] Siddique R, Environnement et climat au Bangladesh : des facteurs croissants de migration., Alternatives Sud, 2015.
[19] Taka : monnaie du Bangladesh 1 taka correspond à 1 centime d’Euro environ
[20] Crédit photos : Jean-François Fort . http://jeanfrancoisfortphotographies.com
[21] Labranche S. « Fuir pour mieux s’ établir » : Étude sur la gouvernance des déplacés climatiques au Bangladesh dans le cadre de l’adaptation au changement climatique. 2013 - https://doi.org/1866/10233
[22] Climat : le Bangladesh dénonce la « tragédie » de l’inaction des pays riches. Par AFP, le 24.09.2022, Sciences et avenir
[24] Beigbeder E. Les changements climatiques au Bangladesh. UNICEF 7/05/2019, https://www.unicef.ca/fr
[25] Crédit photo Aquassistance, www.aquassistance.org
[26] ODD Objectif de Développement Durable

