Lettre n°13 ---- Automne 2020

21 décembre 2020

La covid 19, frein ou accélérateur de la transition vers un développement durable ?


Quel monde d’après ? La question se pose à tous. A ceux qui, comme nous, veulent avancer au plus vite vers un monde durable, vers un monde plus égalitaire, vers un mieux-être de tous. A ceux aussi pour qui cette année covid a été une année terrible avec les deuils des millions de morts, les vies au ralenti, les ruptures dans les apprentissages, les menaces de chômage, les projets interrompus brutalement. Mais la crise actuelle va-t-elle accélérer ou, au contraire freiner, le trop lent mouvement engagé vers un développement durable ?

A priori, l’épidémie du coronavirus semble avoir relégué en second plan les questions d’environnement et de développement durable. On est loin de l’effervescence des années 2018-2019, du sentiment d’extrême urgence face à la multiplication des canicules, incendies ou événements extrêmes, des marches sur le climat, de la mobilisation des jeunes autour de Greta Thunberg, des débats sur la collapsologie ou de la Convention citoyenne sur le climat. Mais même si l’écologie n’occupe plus les premières pages des journaux ou n’est plus au centre des réseaux sociaux, c’est l’épidémie elle-même qui en a rappelé à plusieurs reprises l’importance - avec la mise en évidence du rôle joué dans son apparition par l’effondrement de la biodiversité, ou la place majeure qui lui a été donnée dans les futures politiques de relance. Le succès des écologistes aux municipales, comme les sondages d’opinion réalisés entre les deux vagues de confinement semblent d’ailleurs avoir montré qu’elle restait – au moins au milieu de l’année 2020 - une forte préoccupation. Tous les débats qui se sont multipliés à la même époque autour « Du monde d’après » sont allés aussi dans ce sens.

En fait rien n’est encore joué sur la place future de l’écologie après le COVID 19. Il y a autant d’arguments pour penser que cette épidémie aura finalement des conséquences à moyen terme très dommageables sur la prise en compte de l’environnement en France (comme à l’échelle internationale) que d’imaginer qu’elle marquera, au contraire, un tournant, une bifurcation majeure, vers un développement plus durable.

Beaucoup de raisons incitent, d’abord, à un certain pessimisme. L’expérience historique a montré que la prise en compte de l’environnement était très dépendante du contexte économique. Or celui-ci risque d’être demain beaucoup plus difficile qu’actuellement – après la fin de la « mise sous perfusion » de l’économie par l’Etat – avec un taux de chômage dépassant durablement 10%, une explosion de la pauvreté, une multiplication des faillites …Endettés et avec des recettes fiscales fortement diminuées, les pouvoirs publics nationaux ou locaux vont devoir faire des choix. Il en est de même pour une part importante de la population ou pour les entreprises. Ces contraintes risquent d’hypothéquer fortement les espoirs d’une relance écologique qui mise beaucoup sur des investissements importants et met en œuvre des technologies peu éprouvées. On peut craindre que les difficultés économiques ne conduisent à un certain relâchement des contraintes environnementales – comme cela s’est d’ailleurs déjà produit en 2020 – et qu’elles accroissent encore les inégalités et les vulnérabilités à nouveau mises en évidence par l’épidémie. S’ajoutent à cela les conséquences possibles sur le mouvement associatif et les initiatives de la société civile – déjà considérablement ralenties. Enfin on ne peut complétement écarter l’hypothèse d’une incapacité beaucoup plus grave à maitriser à un niveau plus global les effets en chaine et les risques liés à la crise actuelle – y compris sur le remboursement des dettes et le système financier, la stabilité mondiale ou l’équilibre entre démocratie et autoritarisme.

L’omniprésence du numérique va – de son coté - engendrer des mutations dont les conséquences sont, elles aussi, ambiguës. La diffusion du télétravail apporte des avantages managériaux, fait économiser du temps, des fatigues et des pollutions dues aux transports pendulaires. Mais la transformation des métiers, le lien social distendu l’isolement psychologique, l’exacerbation des inégalités restent encore à évaluer. On peut craindre aussi la domination des plateformes commerciales mondiales aux dépens des commerces de proximité, la multiplication des fake news, et un accès aux données personnelles dont l’utilisation abusive pourrait engendrer des sociétés de surveillance généralisée et l’altération des libertés individuelles.

Heureusement, les raisons d’envisager l’après covid avec optimisme ne manquent pas. Il n’est pas indifférent que le plan de relance français mais surtout européen - avec le Green Deal - aient choisi de donner à l’économie verte une priorité. Après la crise financière de 2008, il y avait eu aussi des velléités d’en faire de même - sans que les promesses soient tenues. On peut penser que cette fois ci les engagements seront suivis d’effet, car il y a, semble-t-il, un assez large consensus, y compris dans les milieux économiques, pour en faire un des axes majeurs du modèle de développement futur de l’Europe. Beaucoup critiqueront, avec juste raison, ce choix de mettre l’accent sur le versant technologique de la transition. Mais si l’on est optimiste, on peut aussi espérer que cela facilitera les avancées dans d’autres directions alternatives du développement durable.

Et c’est là où intervient une seconde raison - encore plus essentielle – de voir sous un angle positif les conséquences de l’épidémie. Plusieurs signes laissent en effet penser que le choc produit par celle-ci aura des effets durables et que cela pourrait changer en profondeur notre manière de concevoir nos relations à la nature, aux risques, à l’espace de vie, à la consommation, à la mobilité, mais aussi aux institutions, à la science et finalement aux « autres ». D’ores et déjà l’adaptation à l’épidémie a conduit à des infléchissements notables dans les comportements de mobilité – avec une explosion de l’usage du vélo ; dans les pratiques alimentaires - avec une hausse de plus de 100% des achats de produits locaux ; dans les préférences en matière d’habitat – avec une amorce d’exode hors des grandes villes ; et même dans les attitudes par rapport à la consommation – avec un français sur deux qui affirme qu’il s’en tiendra à l’avenir à une consommation plus frugale. Au-delà de ces changements dans les pratiques on ne peut écarter l’hypothèse que le coronavirus aura aussi des impacts profonds sur les valeurs et les représentations du monde : sur le rapport au risque (avec une conscience beaucoup plus forte de notre vulnérabilité et une réhabilitation du principe de précaution), sur la perception de ce qui est essentiel ou superflu, sur la hiérarchie des métiers (« les premières et secondes lignes » ) et les nécessaires solidarités, sur les rapports entre générations et la place de la planification, sur l’équilibre entre les biens individuels et les biens communs ou services publics ou encore sur la place de la nature ou des relations humaines directes par rapport au virtuel. S’ils étaient confirmés, ces changements pourraient renforcer sensiblement les chances futures d’une transition vers un développement durable plus acceptée, solidaire et démocratique. Tout doit donc être fait pour tirer parti de ce « capital » tiré de l’expérience du virus - en n’oubliant pas le risque que l’aggravation de la situation sociale et économique vienne demain tout remettre en cause. Car entre les optimistes et les pessimistes, rien ne permet encore de trancher ….

°O°

 Pour aller plus loin

Voir l’analyse et les scénarios sur les conséquences de la COVID 19 publiés par la Société Française de Prospective en Juin et Octobre 2020 sous la direction de Jean Eric Aubert, Christine Afriat et Jacques Theys – accessibles sur le site de cette association (https://www.societefrancaisedeprosp...). Les titres des quatre scénarios produits au début de l’automne 2020 illustrent la très grande incertitude sur les conséquences de la crise actuelle : « Rebond », « Darwin » « Effondrement » et « Bifurcation ».

Créée en 2013, La Société Française de Prospective a vocation d’être un lieu de rassemblement des acteurs de la prospective française et de dialogue avec la société civile et les acteurs publics ou privés – dans une perspective pluraliste et interdisciplinaire. Son but est également de faire progresser la pensée et les usages de la prospective en France et de la porter au niveau international. Les réflexions sur l’environnement et le développement durable y occupent une place importante – avec une de sa commission spécifiquement consacrée à ce thème.

°O°

 A lire : les derniers articles mis en ligne

Jean-Luc Redaud : L’adaptation aux changements climatiques, un processus international institutionnel chaotique.

  • La convention de lutte contre les changements climatiques des Nations-Unies a été adoptée en 1992. Les règles d’application de cette Convention ont été profondément révisées en 2015 lors de la COP21, baptisée accord de Paris qui a fixé un objectif partagé par tous les Etats de prendre des mesures en vue de limiter a moins de 2°C le réchauffement global de notre planète d’ici la fin de ce siècle. La mise en œuvre des accords de Paris reste très laborieuse pour l’atténuation et encore plus difficile pour l’adaptation où les oppositions Nord-Sud s’affrontent plus directement. Les enseignements des rapports du GIEC montrent que la situation continue de s’aggraver et ne nous met pas sur le chemin des 2°C arrêté à Paris. Cet écart entre les constats des scientifiques et l’incapacité de nos sociétés à apporter des réponses adaptées aux menaces qui se profilent est inquiétant.

Yann Laurens, Aleksander Rankovitch (- IDDRI -) : Où en est la biodiversité mondiale et comment enrayer son érosion ?
Observations issues d’une lecture de l’ « Evaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystèmiques  » de l’IPBES.

  • Sept ans après son lancement officiel, la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), parfois surnommée « Giec de la biodiversité », a rendu publique le 6 mai 2019 son Évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques. La gouvernance mondiale de la biodiversité arrive au bout des deux décennies d’engagements très ambitieux pris au niveau de la Convention sur la diversité biologique (CDB). Le rapport de l’IPBES souligne, une nouvelle fois, que les tendances mondiales restent alarmantes ou s’aggravent. Alors que se négocie le futur cadre mondial post-2020 sur la biodiversité, qui devra être adopté fin 2020 à la COP 15 de la CDB à Kunming, en Chine, l’Iddri propose ici d’identifier et de faire ressortir quelques points qui lui paraissent particulièrement marquants dans l’Évaluation mondiale, et de pointer ce que ces résultats peuvent indiquer en termes d’action.

Ina Ranson : fiche de lecture de « La paix oubliée  » Karlheinz Koppe, 2001.

  • L’approche des recherches de Karlheinz Koppe, éminent représentant européen de la recherche sur la paix et les conflits, nous a semblé particulièrement actuelle, en ce temps de crise suscitée par un virus qui ne connaît pas de frontières. Cette fiche de lecture fait une brève présentation de son livre « La paix oubliée  » (Der vergessene Frieden), livre qui retrace l’histoire de la recherche sur la paix depuis ses origines, en particulier en Allemagne. Il importe à K. Koppe de "compléter la recherche classique sur les causes des guerres, toujours nécessaire, avec une recherche systématique sur les causes de la paix, dimension tout à fait négligée ». Et il insiste sur l’impératif « si vis pacem, para pacem : si tu veux la paix, prépare la paix  » s’opposant à l’affirmation couramment admise : « si vis pacem, para bellum : si tu veux la paix, prépare la guerre  ». Sans nier le poids de certains arguments en faveur de cette croyance, il soutient que la priorité doit être accordée au premier impératif.

°O°

 A lire sur le site de 4 D :

Le « Rapport d’évaluation des ODD par ses bénéficiaires. »

  • 17 solutions sont proposées ainsi que des exemples concrets de politiques progressistes, d’initiatives innovantes et de modèles économiques véritablement durables. 4D a participé à la conception et la relecture de ce rapport Ces aperçus d’une Europe durable nourrissent l’espoir et incitent les gens à agir dans un tel cadre politique progressiste nécessaire pour les soutenir et les amplifier.
    Pour découvrir plus en détail le rapport, l’évaluation des ODD et les solutions proposées à ces adresses :

°O°

L’Encyclopédie du développement durable (www.encyclopedie-dd.org) est intéressée à la proposition de contributions sous forme d’articles ou de remarques.


 Outils

Recommander cet article

Version imprimable de cet article Imprimer l'article
 Documents joints