Lettre n°23 ---- Printemps 2024

8 juin 2024

Une vraie planification « écologique » pour répondre à l’urgence


Aussi bien au niveau français qu’européen les interrogations se multiplient sur l’avenir de la planification écologique. Pourtant, déjà , après le plan national pour l’environnement du début des années 1990, le Grenelle de l’environnement de 2007-2008 prévoyait 450 milliards de dépenses pour financer ses 250 mesures mais il n’a été que très partiellement mis en œuvre. Il en a été de même pour les propositions de l’assemblée citoyenne pour le climat de 2020.
En 2024 l’impératif n’en est que plus pressant, la bifurcation se joue dans la décennie 2020-2030.

Le Haut Conseil pour le Climat, la communauté scientifique, la Cour des comptes soulignent l’urgence d’une véritable planification écologique pour endiguer les menaces que les multiples dégradations de l’environnement font peser sur la vie sur terre. C’est indispensable pour obtenir l’arrêt d’ici 2050 des émissions de gaz à effet de serre responsables d’un réchauffement climatique bientôt hors de contrôle, mais aussi l’arrêt des atteintes aux milieux, océans et sols nourriciers, de l’effondrement de la biodiversité.

On ne peut que saluer le fait que le Gouvernement français se soit doté d’un secrétariat à la planification écologique placé auprès du premier ministre. Il a publié en septembre 2023 un document « France nation verte, Mieux agir, la planification écologique », définissant le chemin à parcourir d’ici 2030 pour parvenir à une baisse de 55% des émissions de gaz à effet de serre du territoire français, objectif européen. Ce document a été précédé de quatre explorations d’institutions ou de collectifs français (ADEME, NegaWatt, le Plan de Transformation de l’économie Française ou Shift Project, France Stratégie avec le rapport Pisani Ferry-Sonia Mahfouz) documentant le chemin vers la neutralité carbone 2050. Ces cinq explorations montrent que, pour atteindre l’objectif, décarboner la production d’énergie ne suffira pas, un changement des modes de vie et de production vers la sobriété et l’efficacité énergétique est nécessaire. Leur description concrète, leurs implications font l’objet des deux articles sur la planification écologique française de Catherine Lapierre.

Cependant on peut s’interroger sur la mise en œuvre du plan gouvernemental. L’abandon des obligations vertes des agriculteurs les éloignant à nouveau de leur nécessaire conversion à l’agroécologie, l’insuffisance des financement publics de la transition bas carbone, en France comme en Europe, sont inquiétants. Le retard de la présentation de la stratégie bas carbone (SNBC3) française qui inclut la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3 2024-2033) - celle-ci soustraite au débat public car faisant l’objet d’un simple décret - et le plan d’adaptation au changement climatique (PNACC3) est préoccupant. Malgré l’appellation, la France ne s’est dotée d’aucun dispositif centralisé de pilotage d’une véritable planification écologique démocratique. Pour mener un tel chantier il serait souhaitable de revenir aux méthodes de concertation du Commissariat général au plan qui ont prouvé leur efficacité grâce à un dialogue permanent entre le gouvernement, les acteurs économiques et les territoires. C’est en impliquant tous les acteurs dans un processus transparent que l’on peut espérer réussir ce chantier immense et urgent.

On peut aussi regretter que le plan gouvernemental « France nation verte, Mieux agir, la planification écologique », qui inclut la Stratégie Nationale pour la Biodiversité, porte essentiellement sur la baisse des émissions de gaz à effet de serre et ne retienne que de très faibles mesures pour la préservation des milieux naturels, en contradiction avec l’appellation planification « écologique ». De plus, la comparaison avec le Plan de Transformation de l’Economie Française, Negawatt et la plupart des scénarios de l’ADEME, fait ressortir un pari techno solutionniste risqué du projet gouvernemental. Il prévoit un plan massif de construction de nouvelles centrales nucléaires mêlant EPR et SMR, des technologies loin d’avoir fait leurs preuves, favorise l’expansion d’un secteur numérique très énergivore, et écarte une bifurcation de l’agriculture vers des méthodes plus respectueuses de l’environnement. La compétition avec la Chine et les USA sur les « technologies du futur », batteries, véhicules électriques, hydrogène vert, énergies renouvelables, numérique est un sujet de préoccupation montant des instances dirigeantes française et européenne, au risque de surproductions aggravant les dommages écologiques. Dans le même temps ces instances reculent sur la reconfiguration indispensable des modes de production et de consommation vers l’économie d’énergie et la préservation des milieux naturels au risque de ne pas atteindre les objectifs pourtant indispensables pour le bien être des générations futures.

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L’étude se poursuit dans l’article suivant n°300 avec une seconde partie consacrée aux enseignements tirés de l’examen des cinq explorations et aux questions de mise en œuvre

Catherine Lapierre : La planification écologique française : entre transformations et résistances. - mai 2024
Partie 2 : enseignements de 5 explorations d’une France en voie de décarbonation, questions de mise en œuvre.

  • Cette seconde partie de l’étude présente quelques aspects complémentaires de l’analyse des 5 explorations décrites dans l’article n°299 : l’obstacle des inégalités, le fort besoin d’investissements dont une partie n’est pas rentable, des créations d’emplois anticipées avec une forte redistribution sectorielle, la nécessité de définir une stratégie d’adaptation au changement climatique. Pour l’heure les moyens de mise en œuvre du plan gouvernemental ne sont pas à la hauteur des ambitions affichées. Une véritable planification démocratique avec un pilotage centralisé dialoguant avec les acteurs économiques et les territoires, analogue à celui qui fut mis en œuvre par le Commissariat au plan dans les années 1946 à 1970, serait nécessaire pour susciter l’adhésion et atteindre les objectifs. Une telle bifurcation vers la neutralité carbone induira des transformations du panorama macroéconomique et appellera des politiques économiques fortes de rupture, notamment pour assurer la soutenabilité sociale d’une croissance ralentie. Au-delà de la France et de l’Europe ces changements nécessaires concernent tous les pays et appellent à une reconnexion de l’économie à la santé et aux limites de notre planète.
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