Lettre n°27 ---- Juin 2025
A PROPOS : de mers et d’océans.
MERS ET OCEANS : LE GRAND ÉCART ENTRE LES BONNES INTENTIONS ET LES RÉALITÉS
Il a fallu attendre le tournant des années 2020 pour que les mers et les océans émergent véritablement comme des thèmes de préoccupation planétaire à la fois sur le plan scientifique et politique. La conférence des Nations Unies sur les Océans organisée à Nice par la France et le Costa Rica n’est que la manifestation la plus récente de ce nouvel intérêt. Comme l’indique son titre – UNOC 3 – il s’agit de la troisième d’un cycle amorcé en 2017 à New York.
Sa relation au développement durable est évidente – puisqu’il convient « d’accélérer l’action et de mobiliser tous les acteurs pour conserver et utiliser durablement les océans », ce qui était aussi l’ambition de l’objectif de développement durable consacré à ce thème dans la stratégie à 15 ans définie en 2015, l’ODD14. Après la déception des deux précédentes manifestations, l’objectif sera d’aller au-delà de la mobilisation scientifique pour privilégier l’action et faire avancer les processus multilatéraux en cours, avec à la clé un « accord de Nice » qui devrait être constitué d’une déclaration politique négociée à l’ONU et d’engagements volontaires.
Pour juger du succès ou de l’échec de Nice il faudra replacer cet événement dans une histoire longue : celle d’un écart chronique entre les intentions et les réalités. De ce point de vue les annonces de la France portées par le président de la République ont fait l’objet d’avis controversés par les ONG .
En fait, on n’a pas attendu les années 2020 pour s’intéresser à la mer et aux océans. A la fin des années 60, on parlait déjà de la « mort de la Méditerranée » ou de celle de la Baltique – comme conséquences des pollutions ou des déversements des déchets en mer. Puis ce fut la succession des marées noires, et les alertes sur la surpêche et la disparition de certaines espèces - comme en méditerranée celle du thon rouge. Mais - avec en 2019, la publication par le GIEC d’un rapport sur les océans et le climat puis la décision prise par l’Unesco de consacrer la décennie 2020 aux océans. Le problème a complètement changé d’échelle, ce qui est en jeu désormais c’est leur rôle dans les grands équilibres écologiques de la planète, dans la régulation du climat et la biodiversité mondiale.
Recouvrant 70% de la surface terrestre, les océans absorbent en effet plus de 90% de l’énergie supplémentaire provenant de l’effet de serre et entre 20 % et 30 % du CO2 d’origine anthropique présent dans l’atmosphère, C’est aussi un réservoir essentiel de biodiversité -allant de celle des environnements côtiers jusqu’au plancton et aux grands fonds marins, encore largement inexplorés - estimés abriter entre 500000 et 10 millions d’espèces. Tout cet écosystème océanique est en état d’urgence du fait des phénomènes cumulatifs d’eutrophisation, d’acidification, de réchauffement, de désoxygénation, de pollution plastique, etc - une situation que vient exacerber le problème persistant de la surpêche - plus d’un tiers des stocks halieutiques mondiaux étant exploités à des niveaux biologiquement non durables (et 75% en méditerranée ! ).
Face à cette situation, la bonne nouvelle est que la communauté internationale a réagi - la conférence de Nice n’étant finalement qu’une nouvelle étape dans une succession d’événements qui a commencé à la fin des années 2010. De cet ensemble d’initiatives émerge l’accord historique qui a été signé en juin 2023, après 20 ans de négociation, sur « la gestion et la protection de la haute mer » – la partie des océans situé hors des zones économiques exclusives régies par les États. S’y ajoutent - entre autres - une résolution des Nations-Unies prise en 2022 sur « la fin de la pollution plastique « un accord de l’OMC signé la même année sur les subventions à la pêche, des discussions tenues au sein de l’autorité internationales des fonds marins sur l’exploitation des ressources minérales, celles menées au sein d’un comité intergouvernemental sur les plastiques, et naturellement la mise en place de l’ODD14 déjà évoquée.
Mais sans une mobilisation massive des sociétés civiles , on peut craindre que ces bonnes intentions ne soient pas suivies d’ effets ou que leur application demeure insuffisante pour enrayer la dégradation et la transformation structurelle des océans - destruction des récifs de corail et des mangroves, disparition d’espèces, acidification et désoxygénation des mers, élévation de leur niveau, augmentation des vagues de chaleur , envahissement par les microplastiques ou les algues vertes, accroissement des populations riveraines et des apports telluriques.
Sur un plan géopolitique on constate que la prise de conscience des limites liées aux ressources planétaires se traduit aujourd’hui beaucoup plus par des volontés « impérialistes » d’accaparement de celles exploitables que par une extension de la notion de bien commun mondial. Le recours massif à l’aquaculture – générateurs de pollutions et de cruauté dénoncée envers les animaux - ne suffira pas à enrayer une surpêche mal contrôlée – ni à assurer une alimentation de remplacement aux 500 millions d’habitants qui dépendent absolument de cette ressource. Les pratiques de rejets directs des eaux usées et pollutions dans la mer vont très probablement se poursuivre (y compris dans les pays du nord) et le contrôle des aires marines protégées continueront à poser problème.
Sur un plan plus diplomatique, il est évident que le contexte actuel ne va pas favoriser la signature ou le respect de nouveaux arrangements politiques – bien au contraire. Pour que l’accord de 2023 sur la haute mer soit mis en œuvre il devrait être ratifié par au moins 60 États : on en est à peine la moitié ! Et les négociations sur les plastiques ou l’exploitation des fonds marins patinent. En matière scientifique les financements ne suivent pas les besoins et les bonnes nouvelles deviennent rares dans un contexte de restrictions budgétaires. Aux États -Unis le gouvernement de Trump vient d’amputer radicalement les crédits de la NOAA, l’agence qui finance la recherche océanographique et sur le climat ; en France, les budgets consacrés à la recherche sur les océans continuent à plafonner à 2%, ce qui est très peu par rapport aux enjeux.
De manière plus générale, l’évaluation faite en 2023 sur la mise en œuvre de l’ODD14 (extension des aires marines protégées, lutte contre la pêche illicite, soutien aux pêcheurs artisanaux .. ) montrent qu’on est encore très loin des objectifs fixés pour 2030 : l’ODD14 est le moins financé de tous ceux qui sont dans l’agenda onusien, avec à peine 10 milliards d’engagés par an au lieu des 1175 nécessaires. Exemple parmi d’autres - une étude prospective publiée récemment sur la Méditerranée à l’horizon 2050 montre que sans changement majeur c’est l’ensemble de cet écosystème tout à fait exceptionnel qui va changer de nature en se « tropicalisant », avec dès avant 2050 de graves problèmes liés à la montée du niveau de la mer et aux canicules marines.
En conclusion il est probable que le grand écart entre communication et réalité va se poursuivre sans que la réunion de Nice réussisse à réduire sensiblement ce gap. Sans une véritable culture de la mer et des changements radicaux dans une gouvernance de ces écosystèmes aujourd’hui beaucoup trop faible et éclatée, on peut craindre que les bonnes intentions affichées depuis quelques années restent ainsi virtuelles.
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L’Encyclopédie s’inscrit depuis plusieurs années dans cette perspective de développement d’une culture de la mer. Elle a en effet déjà abordé les thématiques de la mer et des océans sous plusieurs angles :
Jean-Pierre Bécue - Le Bangladesh, le pays le plus vulnérable au changement climatique - Janvier 2025 -
- les effets du réchauffement climatique sur les espaces insulaires et côtiers (submersion, recul du trait de côte, mise en danger de secteurs économique ….).
Voir cet article.
Guillaume Van Schueren
Les ressources des grands fonds marins : exploiter l’0céan pour soulager la Terre – Mars 2024 :
- Les ressources et les risques environnementaux à l’exploitation, parmi lesquels la remise en cause du rôle de puits de carbone et de celui de régulateur du climat de l’océan.
Voir cet article.
Anne Renault - L’océan face au changement climatique, la surpêche et les pollutions : comment les sciences marines peuvent nous aider à sauvegarder sa biodiversité - Février 2023 :
- La contribution des sciences marines à la préservation de l’océan et sa biodiversité, à la fois si méconnu encore et si indispensable à la survie des humains sur la planète.
Voir cet article.
Mickaël Klare - Bienvenue sur une nouvelle planète, les points de bascule du changement climatique et le destin de la Terre - Novembre 2015 :
- Les points de bascule du changement climatique de l’océan, la disparition des réservoirs de biodiversité que sont les massifs coralliens et le ralentissement de la circulation de l’AMOC, un régulateur du climat de l’hémisphère nord
Voir cet article.
Jacques Varet - La géo-ingénierie climatique - Juin 2014 :
- le recours à la géo-ingénierie climatique appliquée à l’océan à travers la « fertilisation » de ses eaux par du sulfate de fer pour accroître le développement des populations de phytoplancton, les stockages dans ses grands fonds du dioxyde de carbone.
Voir cet article.
Marie Chéron, Liliane Duport -Anticipation du changement climatique, enjeu phare pour le littoral du Languedoc-Roussillon - Février 2014 :
- La richesse des écosystèmes littoraux du littoral du Languedoc-Roussillon est reconnue et souvent protégée, mais comme ailleurs, la pression foncière entraine la pollution des eaux des fleuves côtiers comme de la mer.
Voir cet article.
Alain Le Sann - Les pêcheurs meilleurs garants des ressources halieutiques - Elinor Oström contre Maria Damanaki- Mars 2012 -
- Les conséquence de la surpêche et du réchauffement climatique, face à la raréfaction des ressources halieutiques, la nécessaire gestion des stocks halieutiques
Voir cet article.
Françoise- Gourio-Mousel, Catherine Lapierre - Le développement durable en Bretagne, un grand enjeu : la qualité de l’eau. - Février 2012 :
- impacts sur la mer de l’agriculture intensive depuis les années 1960, avec la multiplication des marées vertes le long des côtes bretonnes.
Voir cet article.
François Gémenne - Une analyse des déterminants des processus migratoires entre Tuvalu et la Nouvelle-Zélande- Octobre 2010 :
- Situation d’un minuscule pays dont l’existence est menacée par la hausse du niveau des mers. Cet article examine les principaux déterminants et caractéristiques des mouvements migratoires de Tuvalu vers la Nouvelle-Zélande, à partir d’entretiens menés avec les migrants eux-mêmes,
Voir cet article.
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