L’Europe sur la voie du développement durable ?
Environnement et stratégie européenne de développement durable
Résumé
Partie d’à peu près rien – puisque ce n’était pas une compétence explicite – la politique européenne de l’environnement a atteint une dimension à la fois interne à l’Europe et externe, dans le monde, de premier plan. De nombreux signes montrent qu’elle ne peut poursuivre son trajet dans l’isolement par rapport aux autres politiques – changement climatique, santé environnementale, et maintenant répondre aux défis des crises accumulées. Mais l’ascension du développement durable n’est pas aussi irrésistible que celle, auparavant, de l’écologie. Il faut en comprendre les raisons et y remédier, vite.
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• 2.2- Stratégies européennes et nationales
Auteur·e·s
a exercé ses activités professionnelles dans les domaines de l’administration économique et financière et dans celui l’environnement – en dirigeant notamment la Mission Interministérielle de l’Effet de Serre (1997–2002) .
Il a également assumé des responsabilités syndicales, politiques et associatives, a fondé l’association 4 D en 1993 et en a été longtemps le président.
Président du Comité français pour le ’Sommet mondial du développement durable’ de Johannesburg en 2002.
Conseiller-Maître Honoraire à la Cour des comptes, est membre de la Commission Nationale du Débat Public. À ce titre, il a présidé le débat de la CNDP “Le Havre Port 2000” et le débat “Centrale électronucléaire EPR, tête de série, à Flamanville”. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont “La défense de l’environnement en France” , “La protection internationale de l’environnement” et “L’Union Européenne” (Que Sais-je, 2008).
La naissance de l’Europe en tant qu’institution a précédé de peu l’irruption dans le débat public et les politiques de la question de l’environnement. Cette circonstance a eu une double conséquence :d’abord, la Communauté économique européenne, toute polarisée comme son nom l’indiquait sur la construction d’un ensemble économique à l’échelle de ce qui allait devenir la mondialisation, n’avait ni la compétence ni l’intérêt qui aurait pu rapidement la mettre à l’écoute d’une demande naissante “d’écologie” en accompagnement de la fin du cycle d’après guerre ; ensuite, c’est dans une conflictualité aiguë avec les intérêts économiques que des questions d’ordre environnemental ont fini par remonter au niveau européen : ou bien les acteurs économiques deviennent progressivement transnationaux et les États nationaux perdent leur capacité d’arbitrage, ou bien, perdurant dans un cadre national, ce sont les questions d’égalité de concurrence qui les conduisent à faire des États membres leurs avocats à Bruxelles. Les deux configurations coexistent (et encore aujourd’hui).Elles ont en commun d’amener l’Europe à privilégier l’environnement “hard”, au détriment d’autres préoccupations écologiques, à faire du “management environnemental” [1] une sous-discipline du management tout court. Cela aurait cependant pu conduire l’institution européenne à être très attirée par ce que l’on allait appeler “éco-développement” puis développement durable. Cela la conduira plutôt à plaider progressivement pour l’introduction de doses (si possible croissantes) de préoccupations écologiques dans les autres politiques communautaires.
Le résultat n’en est pas moins cette omniprésence des catégories juridiques européennes dans les droits nationaux des États membres, comme il est convenu de le rappeler. Cela résulte moins d’une appropriation par l’Europe des domaines auparavant de responsabilité nationale (le principe de subsidiarité aurait été là pour y veiller),que de la construction pour une large part “sui generis” du domaine de l’environnement, souvent en réaction à des scandales, des accidents, des campagnes de presse, des mouvements de la société civile, tous dans une période où les “dégâts du progrès” deviennent visibles.
Le tableau ci-dessous s’efforce de retracer quelques actes importants des institutions européennes avec leurs dates. On voit :
1) que les sujets s’approfondissent à l’intérieur du champ économique,
2) que des domaines demeurent absents (écologie urbaine par exemple),
3) que certains secteurs sont, nommément ou de fait, les plus concernés (automobile, chimie).
Grandes dates de la politique européenne d’environnement | |||
Nature | 1979 | D | conservation oiseaux sauvages |
1992 | D | habitats | |
D | Natura 2000 (2004) | ||
Eau | 1975 | D | premières normes sur eau potable |
1991 | D | “Directive nitrates” | |
D | Directive “ERU” | ||
2000 | D | (directive cadre) toutes eaux | |
Pollution Atmosphérique |
1970 | D | premières normes/valeurs limites automobiles |
1980 puis 1984 |
D | “Directive SO" [2] (carburant + industrie) | |
1996 | D | air ambiant (directive cadre) | |
1999 | D + R | Polluants organiques persistants “POPs” | |
Déchets | 1991 | D | Déchets dangereux |
2008 | D | directive cadre sur l’ensemble déchets recyclage | |
Risques industriels | 1982 | D | “Seveso” I |
1996 | D | “Seveso” II | |
Produits chimiques / santé |
2001 / 3 | D+R | OGM/ [3] |
2006 | R | “REACH” | |
Climat | 2002 | Approbation du Protocole de Kyoto | |
D : directive R : règlement
◦
A cet égard la première directive d’envergure, en date de 1970, est symbolique : elle amorce la longue série de normes édictées sur les pollutions liées aux carburants, sujet sur lequel les États-Unis avaient pris de l’avance, matière à diatribes interindustrielles souvent relayées par les États membres, exemple précoce d’obstination technologique et d’autisme sociétal.
À ce tableau, il convient encore d’ajouter les quelques dates qui ont jalonné l’installation de l’environnement comme un domaine considéré à part entière dans les politiques européennes : le sommet européen de Paris, en 1972, alors qu’on est encore dans l’Europe à 6 et à la veille d’un élargissement géographique et thématique, qui définit les actions comme devant être menées dans le domaine des déchets, de la pollution de l’air et de la qualité de l’eau ; le traité d’Amsterdam (1997) pour qui “les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de la Communauté” ; Cette légalisation par le traité a été relayée par le Conseil de Cardiff (1998) qui était censé avoir lancé ce processus d’intégration, avec un résultat plus que mitigé . Alors l’invocation de cette nécessaire intégration revient, en particulier dans le “programme d’action pour l’environnement” (6e du nom, 2001- 2010) pour ses quatre priorités : climat, diversité biologique, santé, déchets. Avec pratiquement toujours les mêmes difficultés pour y parvenir.
En témoigne l’exemple de la politique européenne du climat. L’Union Européenne s’est montrée généralement exigeante dans les négociations internationales ; elle a réussi à ne pas se laisser paralyser par la politique Bush ; elle a plusieurs fois (mais insuffisamment) été assez habile pour se trouver aux côtés des pays “moins développés”. Elle se fixe même dans son “paquet climat” des objectifs qui visent clairement à jouer un rôle d’entraînement. Mais son bilan propre ne contribue pas à sa capacité de conviction, et il serait temps de percevoir que son challenge avec les États-Unis n’est pas éternellement à son avantage.
Que se passe-t-il donc ? Evidemment une majorité d’États membres traînent les pieds espérant comme toujours que d’autres porteront le fardeau. Mais personne n’ignore qu’il en sera toujours ainsi si l’Europe ne se dote pas de moyens d’impulsion des politiques sectorielles (logement et habitat, transports, alimentation, services urbains, etc.et aussi fiscalité).Les proclamations sont sans effet – à part un début de déblocage sur les soutes aériennes –, aucune extension cohérente avec les exigences du moment ne sont en vue :ainsi les questions relatives à la ville restent étrangères au champ d’action européen, sauf, et il faut s’en féliciter, vis-à-vis d’initiatives comme la Convention des Maires pour l’énergie et le climat . En fait, l’importance de la rupture nécessaire avec les cloisonnements hérités du passé (comme pour les autres niveaux de décision politique) ne s’accommode pas de timides pénétrations, à la marge, des questions environnementales dans la cour des “grandes” questions politiques ou supposées telles.
Emissions de gaz à effet de serre dans l’U.E à 15 et objectifs de Kyoto
Source : Agence européenne pour l’environnement, Greenhouse gas emission trends and projections in Europe 2008
En fait, les plus récentes positions favorables au renforcement de l’intégration des questions environnementales dans les divers secteurs des politiques européennes se sont accompagnées de références de plus en plus explicites au Développement Durable. Cela n’a pas été extrêmement rapide, après Rio… Il a fallu pour cela attendre le Traité d’Amsterdam (1997), qui énonce le principe du “développement durable” tant dans le traité sur l’Union européenne [4] que dans celui relatif à la Communauté européenne. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le même Traité rassemble des compétences nouvelles – l’égalité hommes/femmes, la garantie des droits sociaux, un niveau élevé de l’emploi, le rôle des services publics, le respect de l’environnement – qui désormais feront explicitement partie des principes de base de la construction européenne. Même si ce rapprochement n’est pas volontairement souligné, il y aurait bien là un parfum de soutenabilité. Et tout cela est effectivement couvert par l’affirmation selon laquelle l’Union européenne se doit “de promouvoir le progrès économique et social ainsi qu’un niveau d’emploi élevé et de parvenir à un développement équilibré et durable ». Rien de moins.
Un tel projet comporte à la fois du flou rhétorique et une certaine hardiesse de la part des États membres qui la contresignent, semblant ainsi accepter une gouvernance élargie de l’Union ; hardiesse également de la part de la Commission qui, d’une certaine façon, réédite mais en grand le “coup” de 1970/1972 pour l’environnement, alors qu’elle va ainsi s’intéresser à une multiplicité de sujets en partie inédits pour elle. C’est sur cette base que va s’élaborer une stratégie européenne en faveur du développement durable (SEDD), parallèlement au 6e plan d’action pour l’environnement qui entend “définir les objectifs et priorités environnementales qui seront partie intégrante de la stratégie européenne en faveur du développement durable”. Elle a été adoptée par le Conseil européen de Göteborg (2001), complétée par un volet “externe” pour être présentable à Johannesburg, et soumise à un processus de révision depuis 2006, sur lequel le nouveau Parlement européen élu en 2009 aura à se prononcer.
Les 10 “principes directeurs des politiques” |
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L’idée d’un passage de politiques environnementales enfermées dans leur spécialité au concept plus transversal de Développement Durable comme étant un moyen de les articuler aux autres domaines pouvait paraître pertinente, et d’ailleurs, les lignes directrices de la stratégie européenne rassemblent bien les actions préconisées autour de ses “fondamentaux”. Les 4 “objectifs-clés ”énoncés sont : la protection de l’environnement, l’équité et la cohésion sociales, la prospérité économique et “assumer nos responsabilités internationales”. C’est le “carré magique” du DD pour une partie de la planète. Quant aux principes directeurs, ils mixent les thèmes de la Déclaration de Rio avec des sujets plus proches, par exemple, de la Charte française :
La stratégie elle-même est structurée autour de sept “défis”, qui s’efforcent d’intégrer des préoccupations environnementales et socio-économiques – mais on voit que dans l’un des champs comme dans l’autre le gant n’est pas vraiment relevé [5].
“Changement climatique et énergie propre”. C’est le domaine le plus analysé par la stratégie, celui aussi où l’Europe tient le cap pour ce qui est des objectifs poursuivis (“paquet climat” de décembre 2008), avec la volonté
Contradictions et convergence |
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On parle d’Europe-marché versus Europe-projet. Marché, c’était le modèle anglo-saxon, celui de la soi-disant autorégulation qu’on voit maintenant sur la défensive. Projet, c’est un peu trop vague, on doit le concrétiser. (...) “Business as usual” n’est pas une solution, il faut des politiques qui cadrent avec la crise structurelle, les défis long terme, celle du climat, de la biodiversité et de la pauvreté dans le monde – et considérer la crise immédiate comme une opportunité. La politique de relance ne doit pas recommencer ce qu’on a fait dans le passé, prendre des mesures qui sont intéressantes d’un point de vue économique mais qui vont par exemple nous conduire à consommer plus d’énergie – alors on va payer l’addition plus tard, puisqu’il faut de toutes façons réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit non pas de rendre l’énergie meilleur marché, mais prendre les mesures pour isoler les maisons, à bon marché. La convergence entre stratégie européenne de développement durable et la stratégie de Lisbonne, c’est vraiment stratégique. On voit que ces dernières années les responsables politiques n’ont pris au sérieux que la stratégie de Lisbonne et pas du tout celle du développement durable. On sait où ça mène : il faut donc intégrer les deux stratégies. On voit aujourd’hui que les prix des ressources naturelles vont augmenter, surtout quand on va internaliser les coûts externes. Les gens modestes vont penser : le développement durable, ce n’est pas pour nous, on va être exclus de la société… Raison de plus pour trouver un système, comme on l’a fait avec la sécurité sociale, de “solidarité mutuelle” face aux risques écologiques (…). La question du “travail décent” est aussi un point important. Ian Smedt |
de maintenir le réchauffement global en dessous de 2 °C et de répondre à la crise annoncée des ressources énergétiques. Mais la modestie des résultats n’est pas à la hauteur. Le paradoxe tient sans doute à ce que c’est celui où les carences institutionnelles (U.E. et États membres) et fonctionnelles (au sein de la Commission) sont les plus pénalisantes.
“Transport durable”. L’objectif est de veiller à ce que les systèmes de transport répondent aux besoins environnementaux et socioéconomiques de la société tout en minimisant leurs incidences dommageables sur l’économie, la société et l’environnement. Le résultat n’est pas satisfaisant : les émissions de CO2 liées aux transports ont continué à augmenter sur l’ensemble du territoire européen. Lorsqu’elle appelle au développement des voies fluviales et des transports par chemin de fer, la Commission est peu entendue – ou le Commissaire à l’environnement l’est peu de ses collègues. Quant au secteur maritime, le “Paquet Erika III”, visant à renforcer les mesures de protection contre les pollutions en provenance de navires “sous normes”, a été rejeté par le Conseil des ministres.
“Consommation et production durables”. L’objectif est de promouvoir des modes de production et de consommation durables. Mais les moyens d’action restent faibles et, pour reprendre un euphémisme de la Commission, “ce potentiel reste inexploité”.
“Conservation et gestion des ressources naturelles”. L’objectif général est d’améliorer la gestion et d’éviter la surexploitation des ressources naturelles, en reconnaissant la valeur des services éco systémiques. L’utilisation globale des ressources non renouvelables par unité de produit augmente. Des progrès ont été enregistrés dans la qualité de l’air, mais la situation des eaux de surface reste souvent préoccupante de même que celle des populations de poissons.
La Commission n’a cessé de rappeler que l’activité de la plupart des flottes de pêche européennes est trop intensive pour assurer la durabilité de la pêche. Mais, constamment, la fixation des quotas et la poursuite de diverses pratiques, ainsi que le refus de contrôler et de surveiller efficacement le respect des règles adoptées, donc d’en sanctionner les violations, tournent encore le dos à une pêche durable, respectueuse des écosystèmes.
Dans la PAC réformée, en 2003, a été introduit un “deuxième pilier” devant corriger les effets de l’agriculture intensive sur l’environnement et promouvoir l’amélioration de la qualité de la vie en milieu rural. Mais c’est très insuffisant et cela devra être remis en chantier pour la nouvelle révision de 2013.
Au total, l’empreinte écologique européenne montre que l’Union consomme des ressources qui dépassent de beaucoup les possibilités de reconstitution des écosystèmes.
“Santé publique”. L’objectif général est de promouvoir une santé publique de qualité sans discriminations et d’améliorer la protection contre les menaces pour la santé. “Il n’existe pas beaucoup d’exemples de bonne coopération interministérielle et intersectorielle sur la santé publique”. Or il est à craindre qu’en l’absence de redressement des politiques visant souvent à réduire les dépenses publiques de santé et de sécurité sociale, l’une des conséquences de la crise soit une augmentation des pathologies des personnes les plus vulnérables.
Le triptyque institutionnel et l’environnement |
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On a d’abord la Commission qui a le monopole de la proposition, selon un processus collégial, complexe, souvent après consultation de la société civile. Ensuite, on a le Conseil réunissant les États membres, qui en matière d’environnement statue à la majorité qualifiée et qui souvent affaiblit (il ne faut pas généraliser) les textes préparés par la Commission. Enfin, le Parlement européen, qui dans le domaine de l’environnement a un pouvoir de codécision avec le Conseil, c’est-à-dire qu’il est aussi important que les États membres. C’est au Parlement européen que remontent le mieux les débats qui ont lieu dans l’opinion publique. Les parlementaires peuvent s’affranchir de leurs appartenances nationales ou politiques pour dégager une certaine rationalité, et souvent le Parlement est plus progressiste (il y a toutefois des exceptions) en matière environnementale que le Conseil. Il est regrettable que la France n’ait pas très bien compris le poids et le rôle de ce Parlement avec le peu de considération qu’elle porte aux parlementaires européens en général. |
Isabelle Laudon, Mardi de 4 D,7/4/2009 |
[L’oratrice démontre à travers les grands sujets récents (REACH, OGM, paquet climat…), comment le rôle du Parlement européen a pu être déterminant pour le résultat selon qu’il s’engageait fortement ou lâchait prise ; le rôle des bases juridiques issues des traités actuels est également souligné, en ce qu’il constitue parfois un obstacle à l’intégration des politiques,(PAC, pêches) ;ces domaines pourraient évoluer avec le traité de Lisbonne en cours de ratification]. |
“Inclusion sociale, démographie et migrations”. L’objectif général est de créer une société fondée sur l’inclusion sociale en tenant compte de la solidarité entre les générations et au sein de celles-ci, de garantir et d’accroître la qualité de vie des citoyens en tant que condition préalable au bien-être individuel durable. La SEDD aborde ainsi les problèmes démographiques et les multiples conséquences du vieillissement des Européens, sur lesquels les analyses et suggestions de la Commission ont reçu peu d’échos de la part de la plupart des États membres. L’équité sociale tend plutôt à régresser dans l’UE et les outils économiques n’ont souvent pas la performance qui serait nécessaire pour faire régresser le chômage. Les jeunes sont de plus en plus frappés, non seulement par le chômage mais aussi par la pauvreté. Les États membres, dit la Commission, doivent “persévérer dans l’élaboration de stratégies d’apprentissage exhaustives tout au long de la vie, de politiques de marché du travail efficaces et de régimes de sécurité sociale modernes”.
“Pauvreté dans le monde et défi en matière de Développement Durable”. L’objectif général est de promouvoir activement le Développement Durable à travers le monde et de veiller à ce que les politiques internes et externes de l’UE soient compatibles avec le Développement Durable mondial et avec les engagements internationaux qu’elle a souscrits. “Des progrès encourageants ont été accomplis dans la réalisation des objectifs de développement fixés lors du sommet du Millénaire… toutefois les pressions sur la durabilité environnementale restent élevées…” Et, cinq ans après le sommet mondial sur le développement durable, les progrès accomplis dans la réalisation de certains objectifs du sommet sont très modestes.
Derrière une quantité non négligeable de bonnes intentions, les résultats ne sont donc pas au rendez-vous. Il faut reconnaître qu’il y a là la conséquence d’une sorte de quiproquo sur les relations entre l’environnement et l’économie, d’une certaine immaturité de place des préoccupations sociales dans les politiques européennes, et de sérieux handicaps institutionnels.
Les rapports avec l’économie : la coexistence inégale entre
deux stratégies
Peu avant le Conseil de Göteborg et l’adoption de la SEDD – qui a d’ailleurs un temps porté le nom de cette ville, le Conseil Européen de Lisbonne avait adopté en 2000 une autre Stratégie, “pour la croissance et l’emploi”. Celle-ci ne manque bien sûr pas d’envoyer son coup de chapeau au développement durable – en fait c’est l’insistance sur l’emploi qui se rapproche réellement de questions de cet ordre. Pour le reste la Stratégie de Lisbonne se concentre sur la compétitivité de l’économie européenne et ses résultats (notamment dans la comparaison jugée inquiétante avec les États-Unis en matière de richesse, de productivité et de croissance).
De son côté, Göteborg ne manque pas non plus son salut à Lisbonne. : “La SEDD porte essentiellement sur la qualité de la vie, l’équité intra et intergénérationnelle et la cohérence entre tous les domaines politiques, y compris les aspects extérieurs. Elle reconnaît le rôle du développement économique, qui facilite la transition vers une société plus durable. La stratégie de Lisbonne apporte une contribution essentielle à l’objectif fondamental de développement durable, en privilégiant les actions et les mesures visant à augmenter la compétitivité et la croissance économique et à favoriser la création d’emploi”. Dans cet esprit, la SEDD. intègre, en plus des 7 défis, des “Mesures intersectorielles contribuant à la société de la connaissance” qui en portent la trace en deux sous-ensembles : éducation et formation, d‘une part, recherche et développement, d’autre part.
L’une comme l’autre de ces deux Stratégies ont une caractéristique voisine. : elles concernent un grand nombre de politiques à combiner et donc “surplombent” chacune des ensembles aux contenus complémentaires et voisins dont la réalisation exige une combinaison de politiques publiques qui ne relèvent pas toutes, d’ailleurs, des compétences de l’UE. Mais entre ces deux Stratégies “englobantes”, les synergies sont plus affirmées que démontrées dans la mesure où, selon les politiques menées, compétitivité économique,
Le crible de la durabilité |
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On demande que tous les budgets, toutes les politiques soient passés au crible de la “durabilité”, de l’impact sur le climat, la biodiversité etc. La crainte c’est que l’argent (de la relance) soit injecté avec une sorte de retour en arrière, sans tenir compte de ces impacts. On a mené au WWF une étude sur les plans de relance européens où on a vu qu’il y avait une incapacité des États à s’éloigner des investissements lourds en carbone – par exemple pour le plan français, 6 % seulement est favorable pour les questions climatiques… Isabelle Laudon, Mardi de 4 D, 07/04/2009 |
cohésion sociale et protection de l’environnement peuvent se renforcer l’une l’autre ou, au contraire, s’opposer. Et enfin, de fait sinon de droit, la primauté de l’économie sur tout le reste demeure au centre de la culture de tout l’appareil européen – même en un temps où les anciennes certitudes idéologiques sont quelque peu bousculées. Cette “dualité inégale” de Stratégies est si peu satisfaisante que des discussions ont lieu, au sein de l’Union européenne, pour les fusionner afin de parvenir à une seule, qui constitue une enveloppe unique à l’ensemble des politiques. [6]
L’immaturité des politiques sociales européennes.
Même si le terme de “cohésion sociale” (et son ambivalence) renvoie à l’époque Delors, emblématique de la construction européenne, d’une certaine manière le “social” s’est moins implanté dans les politiques européennes que “l’environnemental”, à l’exclusion de tous les mécanismes financiers chargés d’atténuer les crises de l’emploi à tous niveaux territoriaux. Ainsi les objectifs de cohésion sociale de la SEDD ne font pas vraiment partie du fond politique commun des États membres. On peut même s’étonner de ce que l’unanimité des chefs d’État et de gouvernement, en adoptant ce texte, se soit faite sur des objectifs qui sont éminemment politiques, dont la réalisation est loin d’être faite entre les différentes forces politiques [7].Aussi y a-t-il loin “de la coupe aux lèvres” : même les mesures adoptées sont souvent timides par rapport à “l’urgence” soulignée dans la SEDD, qui réussit finalement mieux dans les domaines environnementaux qui se heurtent relativement le moins aux antagonismes sociaux que cette stratégie, irénique, feint d’ignorer. Mais s’en contenter est un mauvais calcul, y compris pour la réponse aux questions d’ordre écologique. Les plus lourdes d’entre elles ne trouveront pas vraiment de solution si elles ne sont pas accompagnées de leurs contreparties sociales, que ce soit en termes d’accompagnement des transitions nécessaires ou de partage des bénéfices (y compris immatériels) d’une société moins gaspilleuse et plus épanouissante.
Un enchevêtrement complexe de responsabilités.
Il y a deux catégories d’obstacles institutionnels à l’ambition d’une véritable stratégie de Développement Durable. La première est de l’ordre d’une adaptation progressive et empirique du jeu des acteurs ; la seconde nécessitera probablement une évolution plus organique.
- 1# La SEDD dit bien d’entrée de jeu que le Développement Durable est “un objectif fondamental de l’UE… déterminant toutes les activités et politiques de l’Union”. Or, selon les cas, les compétences sont soit exclusivement réservées à l’UE, soit partagées entre UE et États membres ; et, au sein de ceux-ci, selon leur propre génie organique, entre eux-mêmes et des entités décentralisées, et en relation avec des groupements citoyens, des syndicats, des entreprises – lesquels, par ailleurs, se sont largement engagés dans le “lobbyisme” bruxellois. En outre, les compétences de l’UE, rarement exclusives, ne servent souvent qu’à appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres, étant entendu que ces compétences s’exercent parfois et selon les cas à l’unanimité ou avec des majorités plus ou moins importantes. Ainsi, les États ne se sont actuellement pas engagés à faire plus que de coordonner politiques économiques et politiques de l’emploi, les politiques sociales étant presque exclusivement nationales. Cette complexité extrême, des actions à mener et des croisements entre instances décisionnelles constitue une difficulté majeure pour la réussite d’une Stratégie multiforme. Bien entendu l’Union européenne ne dispose pas de toute l’expérience et du savoir faire d’un vieil État rompu à ce genre de question – et on sait que malgré cela un vieil État peut avoir bien des soucis avec la mise en œuvre du Développement Durable. Il va lui falloir acquérir très vite des méthodes non bureaucratiques, appliquer les règles qu’elle a validées elle-même de la Convention d’Aarhus en pratiquant l’écoute, la consultation, l’information, et, pardessus tout cela, apprendre à négocier la recherche du bien commun.
Leadership et exemple européens |
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Il y a sur ces domaines un double leadership européen possible : celui sur les normes qui va petit à petit gagner un certain nombre d’autres pays ; et aussi un autre leadership, celui de l’exemplarité et de la crédibilité. De ce point de vue, la question des politiques extérieures de l’Union européenne est tout à fait décisive. Prenons l’exemple des politiques d’immigration : si l’on veut, pas seulement qu’un certain nombre de pays du Sud écoutent ou entendent un certain nombre de considérations en termes de développement durable, mais les considèrent aussi comme des opportunités, peut-être faut-il commencer par faire en sorte que l’Europe soit un peu plus ouverte, ne se comporte pas en Forteresse assiégée et ne donne pas cette impression au reste du monde. . Joël Roman, Mardi de 4 D, 07/04/2009 |
- 2#. Y a-t-il un pilote dans l’Union ? On retrouve ici une question déjà abordée au niveau des institutions françaises : comment coordonner des politiques sans coordinateur légitime [8] ? Il paraît difficile que celui-ci ne dispose pas d’une partie de l’autorité du Président de la Commission, ni qu’il ne puisse rendre compte devant le Parlement, au nom de la Commission, de l’ensemble du champ dont il a la responsabilité. De ce point de vue d’ailleurs, des progrès sont en cours puisqu’à l’occasion de la Révision de la SEDD de 2006 s’annonce un véritable processus de suivi : rapports d’exécution tous les 2 ans, articulés avec des rapports de chacun des États membres et revue entre eux, utilisation d’une vaste série d’indicateurs établis par Eurostat, utilisation de données scientifiques les plus récentes, et intégration, dans le processus de suivi, du Parlement européen (PE), du Conseil économique et social et du Comité des régions.
L’enjeu est clair :ou l’institution européenne a conscience de ce nouveau défi global que lui lance l’accumulation des crises financière, économique et écologique, pour ne pas parler de leurs multiples effets collatéraux, perçoit au moins que les questions de compétitivité elles-mêmes, qui l’ont tant obsédée, incluent la qualité de la réponse apportée à l’ensemble, et elle se met en ordre de marche dans cette perspective ; ou elle se condamne à la régression et ce sont ses citoyens, sûrement, et la réponse aux problèmes planétaires, probablement, qui en pâtiront.
Jean-Luc Mathieu, Michel Mousel
Marché, régulation, négociation… |
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Tout discours sur l’environnement qui n’intègre pas le social est un discours inaudible, voire choquant en période de crise. Parce que le chômage de masse va s’accroître : ce qu’on voit aujourd’hui ce n’est rien, l’année 2009 va être catastrophique dans toute l’Europe, cela va être la gangrène de l’Europe. Les deux concepts de responsabilité sociale et de développement durable s’épaulent et l’un sans l’autre s’affaiblissent. Un monde où on ne s’occuperait pas du traitement des inégalités, c’est un monde de nantis. Or les deux domaines ont tendance à s’ignorer. Quant à l’Europe, elle s’est construite par un marché et c’est là tout le drame. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, à l’échelle mondiale et à l’échelle de l’Europe, on a fait des marchés avant de faire des régulations. Et maintenant, les marchés étant incapables de générer des équilibres humains, sociaux et environnementaux, on va courir derrière la régulation. Mais nous avons devant nous quelques dizaines d’années avant que la régulation rattrape le marché et ces années vont être douloureuses parce que le retard a été pris. La régulation ce n’est pas forcément des choses qui se décident au Parlement européen. Dans tous les domaines les acteurs, les syndicats, les entreprises, les associations ont un rôle au moins aussi important. (…) C’est par la négociation que des acteurs apparaissent, et l’acteur qui apparaît de manière significative c’est la Confédération Européenne des Syndicats.(…) Sur le mode de relation avec les organisations syndicales il pourrait y avoir à avancer [au niveau de l’encadrement juridique des politiques sociales] et ça ferait avancer la machine. Yves Barou, Mardi de 4 D, 07/04/2009 |
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Le terme, qu’il faudrait inventer s’il n’existait pas, est réellement employé, par exemple dans le nom du système d’évaluation promu par la Commission sous l’acronyme anglo-saxon d’EMAS, système de management et audit environnemental.
[2] Voir “L’Europe de l’Environnement”, Dossier de documentation 4 Diles,2004
[3] Convenant of Mayors http://www.eumayors.eu/
[4] Ce traité institue également la “codécision” en matière d’environnement, c’est-à-dire la décision partagée entre le Conseil et le Parlement européens.
[5] Les citations sont extraites d’une Communication de la Commission au Conseil sur l’état de la stratégie européenne (2007).
[6] Il est souhaitable que l’on ne s’en tire pas comme d’habitude par des mélimélos verbaux. Cf. le texte du Traité sur l’Union européenne adopté à Lisbonne en 2007,dont l’article 3.3 énonce que l’Union “œuvre pour le développement durable de l’Europe, fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de l’environnement.. Elle promeut le progrès scientifique et technique…”.
[7] Sur ce point cependant plusieurs signes indiquent que le Parlement européen pourrait jouer un rôle plus actif, de la même manière qu’il a pu le faire sur certains sujets environnementaux.
Bibliographie
- Actes du mardi de 4D du 7 avril 2009 “L’Europe sur la voie du développement durable ?”,disponibles prochainement.
- “Le concept du développement durable en Europe”,Commission européenne,
http://ec.europa.eu/sustainable/wel...
- “Nouvelle stratégie de l’UE en faveur du développement durable”, Conseil de l’Union Européenne, 26 juin 2006.
- “Rapport de situation sur la stratégie en faveur du développement durable”, Introduction, Commission des communautés européennes, 22 juin 2007, p.3.
- “Actions communes pour la croissance et l’emploi, Le programme communautaire de Lisbonne” Commission des communautés européennes, 20 juillet 2005
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ...
- “Statu quo sur la stratégie de Lisbonne”, Euractiv, 23 mars 2009
http://www.euractiv.fr/print-versio...
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