Résumé
Il a fallu attendre 1932 pour que soit décidé un plan d’aménagement de la région parisienne mais avec la guerre de 1939-1945, ce plan ne fut pas mis en œuvre.
Après la guerre, ce n’est qu’en 1958 que fut défini un Plan d’Aménagement et d’organisation Générale (le PADOG). Mais celui-ci, jugé trop étriqué, dut être remplacé, en 1965, après plusieurs années de travaux d’une équipe animée par Paul Delouvrier, par le Schéma d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU) de la région parisienne. Il était fondé sur l’idée d’axes préférentiels d’urbanisation et la création de centres urbains nouveaux et de villes nouvelles.
L’article se propose de porter aujourd’hui un regard sur le SDAU de 1965, à l’aune du développement durable, en mettant l’accent :
- 1 - Sur ses acquis : la préservations des espaces naturels (notamment les massifs forestiers, les paysages, les sites), la politique foncière, la gestion des eaux et l’assainissement, la qualité de la vie, l’accès aux transports…
- 2 - Mais aussi sur ses lacunes : une densification insuffisante, la non réutilisation des espaces libérés par l’industrie en mutation, la place insuffisante donnée aux transports en commun par rapport à celle réservée à la voiture... et une démarche restée encore technocratique.
Il faut cependant rappeler que le schéma de 1965 a été l’aboutissement d’un long cheminement vers la planification de l’ensemble de la région urbaine de Paris dans une perspective à long terme. En cela, on peut dire qu’il a apporté une contribution au développement durable.
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• 3.3- Politiques urbaines
Auteur·e
Architecte et urbaniste, membre de l’Académie d’Architecture, Grand Prix de l’Urbanisme et de l’Art Urbain en 1991, a participé à l’élaboration du Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU) de la Région parisienne de 1965 et aux études des villes nouvelles, dans l’équipe de Paul Delouvrier.
Il a animé de nombreux travaux d’urbanisme en France, notamment à l’Agence d’urbanisme de Toulouse, au Service Technique de l’Urbanisme du Ministère de l’Equipement (1976-1979), à l’Agence d’Urbanisme de Lyon, à la Mission d’études pour le projet de Boulogne-Billancourt en 1991-1992 ; et à l’étranger, à Beyrouth en 1969, au Sri-Lanka en1978, en Colombie en 1980, en Argentine en 1986, au Vietnam en 1988.
Il a enseigné à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de 1967 à 1972.
Avant-propos
En 1965, la sensibilité des citadins ne s’était pas aiguisée à la défense de l’environnement et s’éveillait aux exigences d’une qualité de vie encore vécue comme seconde par rapport à la nécessité de disposer d’un logement et du niveau premier de confort que procurait l’habitat des Grands Ensembles. Les « non-logés » des bidonvilles ou les « mal-logés » des quartiers pauvres ou insalubres étaient encore trop nombreux, à l’heure des trente glorieuses.
L’urbanisme, réduit à la production quantitative de logements, était délaissé dans ses objectifs de progrès humain, malgré ses adeptes et ses penseurs. Après de longs balbutiements où se mêlaient à la fois la crainte de la ville porteuse de tous les maux et la fuite en avant des utopistes du mouvement moderne, une prise de conscience de la réalité urbaine s’affirmait à la suite de la reconstruction d’après guerre. Les bases d’un nouvel urbanisme inscrit dans l’approche élargie de l’aménagement urbain et territorial naissaient et le « désordre urbain » était appréhendé dans sa réalité et ses conséquences sur la vie des citadins. La ville devait s’adapter aux transformations profondes de l’évolution sociale et économique qui s’annonçaient.
Le constat des difficultés de Paris et de sa région au début des années 1960 était unanimement partagé par la classe politique et par les habitants d’une agglomération de plus en plus étendue. La prise de conscience de l’effort à consentir pour éviter une crise grave se manifestait parmi les responsables publics comme au sein des corps professionnels. Malgré cela, sous la pression des besoins la construction des Grands Ensembles s’accélérait avec l’accueil des rapatriés d’Algérie. La nécessité de repenser les moyens et les méthodes de l’Urbanisme s’imposait. On ne parlait pas encore de développement durable.
Les bases historiques de l’aménagement urbain régional
Le désordre urbain constaté
Depuis le XIXe siècle, Paris, la « ville lumière » modernisée et agrandie par le Baron Haussmann, occupait le devant de la scène, sans que l’expansion territoriale qui s’effectuait au-delà de ses faubourgs, sur des territoires ruraux, parfois de longue tradition maraîchère, soit prise en compte dans sa dimension réelle. Déjà, le mitage du paysage était en marche.
Dès le début du siècle quelques personnalités comme Jules Siegfried, à l’origine du « Musée social » fondé en 1894, s’étaient émues de l’insalubrité des villes et du désordre des périphéries. D’autres comme Benoit-Levy, initiateur en France du mouvement des « cités-jardins » à l’image des exemples réalisés en Angleterre par les urbanistes et penseurs, Ebenezer Howard et Raymond Unwin, préconisaient la protection d’espaces de nature étroitement liés à l’habitat. Un projet de loi déposé par le même Siegfried en juillet 1907, prévoyait la création d’une commission qui établirait dans un rayon de 10 km autour de Paris, un plan d’extension pour les axes de communication, le maintien d’espaces verts, la protection des forêts et serait chargée de vérifier l’application des règles d’hygiène publique. Cette première tentative d’un plan d’urbanisme englobant Paris et sa périphérie jusqu’alors délaissée, n’eut hélas pas de suite.
Les grandes villes de province subissaient à la même époque, les mêmes débordements de leur centre historique, en l’absence de tout souci d’organisation et d’équipement, dans des conditions de précarité que mettaient en avant les penseurs du « Musée social ». Dans le fil de ces idées, le député Cornudet déposait un projet de loi en 1915 pour exiger un « plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension (PAEE) de chaque ville de plus de 10 000 habitants et de celles les plus exposées aux transformations rapides, notamment celles du département de la Seine » qui englobait alors Paris et la couronne des communes voisines. Cette loi, votée en 1919 n’eut que peu de succès, seules exceptions, l’édification de maisons familiales, impulsée par la « loi Loucheur » de 1924. Plus de 50 000 maisons ouvrières dans des « lotissements pavillonnaires » furent édifiées. L’Office public d’habitation à bon marché de la Seine, dirigé par Henri Sellier maire de Suresnes, fut l’instrument de la construction de 10 000 logements collectifs dans des « cités-jardins à la française » autour de Paris.
Dans le même temps, de nombreuses activités notamment de production, en se modernisant, quittaient le centre ville pour la proche banlieue. Ces mouvements s’effectuaient sans ordre ni vision d’ensemble, et prirent toute leur ampleur pendant et après la grande guerre, donnant naissance à la « ceinture rouge de Paris » fief des communes ouvrières de « gauche » dont les votes « menaçaient les bourgeois de Paris ». Parallèlement le mur d’enceinte construit par Thiers en 1845 et dont la démolition ne s’achève qu’en 1932, libérait sur 34 km et 350 m de large un vaste espace sur lequel la « commission d’extension de Paris » créée en 1919 préconisait la réalisation d’une vaste ceinture verte constituée de parcs, de jardins et de promenades sur plus de 4000 hectares. Ce projet grandiose apportait aux parisiens et aux habitants de la banlieue proche une qualité de vie inégalable. Sous la pression des besoins, la menace des « zoniers » qui occupaient illégalement les terrains et l’indifférence générale, une loi de 1926 les rendit constructibles, ce qui fera dire à Le Corbusier que « ce fut une aventure gâchée ». Quelques années plus tard, la ville dut dépenser beaucoup pour les racheter et construire la ceinture des HBM, quelques squares et terrains de sports, puis dans les années soixante l’autoroute périphérique de Paris.
Les premiers pas d’un urbanisme d’agglomération
Les bonnes volontés et les efforts en faveur de l’urbanisme ne manquaient cependant pas. La France, comme l’Angleterre, comptait de nombreux penseurs de la cause urbaine à l’image de Marcel Poète, fondateur de l’Institut d’Urbanisme de Paris. Des architectes urbanistes avaient acquis une reconnaissance mondiale comme Jacques Greber, Ernest Hébrard, Léon Jaussely, Henri Prost entre autres, mais restaient méconnus dans leur propre pays. Dans cette période post-haussmannienne, de nombreux projets se heurtaient à l’indifférence des institutions publiques. Paris et sa banlieue accumulaient des retards sur les grandes capitales des pays voisins, retards qui ne firent que s’accentuer avec la crise des années trente. Les causes principales tenaient à l’insuffisance du cadre légal et au manque de fermeté des lois, ainsi qu’à l’opposition déjà très vive, entre Paris, accusée d’accaparer la richesse nationale et les territoires de province défendus avec acharnement par l’assemblée des Sénateurs. Les attitudes négatives face à la nécessité d’imposer plus de rigueur dans l’utilisation des sols n’étaient pas dénuées « d’incurie et de corruption », comme le souligne Bernard Marchand dans son histoire de Paris aux XIXe et XXe siècles.
Il fallut attendre 1932 pour que la loi du 14 Mai décrète la préparation d’un « projet d’aménagement de la région parisienne », dans un cercle de 35 km autour de Paris, soit une heure de déplacement avec les moyens de l’époque. La superficie couverte de 3 800 kilomètres carrés englobait 657 communes, ce qui était considérable et novateur pour l’époque. La loi manifestait également la prise en main de l’État sur l’aménagement de la Région Parisienne. Elle mettait en place des plans intercommunaux et un projet régional chargé de les coordonner. Des consultations diverses jalonnaient la procédure, suivies d’une enquête publique, et point d’orgue solennel, son approbation par la loi. L’élaboration du plan fut confiée à une équipe animée par Henri Prost, architecte Grand Prix de Rome en 1902, qui en présenta le résultat le 14 mai 1934. Le plan comportait une carte au 1/50 000, un mémoire descriptif de sept pages seulement et un programme de servitudes de trente pages. Il prit l’appellation de « PLAN PROST ». Paris restait en blanc, rien n’était dit sur les difficultés de la ville-centre ni sur la paupérisation de ses vieux quartiers.
Le Plan Prost préconisait le contrôle de 75 000 hectares de zones non bâties pour préserver des espaces libres et conserver les sites remarquables. Il proposait, des règles de construction et des principes d’utilisation du sol très détaillés. Il s’attachait principalement à développer les transports routiers. Les transports en commun n’apparaissaient pas comme une préoccupation majeure. Seuls les prolongements du métro vers Saint Germain-en-Laye et vers Boissy-Saint-Leger sur des voies ferrées existantes étaient envisagés, préfigurant la future ligne A du RER. La ligne de Sceaux quant à elle, plusieurs fois modifiée et prolongée, existait depuis la fin du XIXe siècle. En 1938, les nombreuses lignes de tramway qui joignaient la proche banlieue, d’abord supprimées dans Paris au profit du métro, lequel ne sortait pas de la ville centre, avaient totalement disparu, au profit des bus. Les temps étaient voués à l’automobile, la nouvelle conquête de l’homme.
Les protestations furent nombreuses de la part de maires de banlieue et de propriétaires fonciers qui voyaient leurs terrains bloqués, car le Plan Prost limitait considérablement les possibilités de construction en protégeant les paysages et les espaces ruraux. Il fut finalement approuvé par décret le 22 Juin 1939 confirmé par une loi de Vichy du 24 août 1941. Rendu opposable aux tiers par la loi, il le restera jusqu’en 1976.
Vichy décida d’étendre le plan Prost aux trois départements de la Seine, de la Seine-et-Oise et de la Seine-et-Marne, créant conjointement un Service d’Aménagement de la Région Parisienne, le SARP appuyé par un Comité Consultatif, le CARP. Le plan d’aménagement, le PARP, que devaient établir ces deux institutions, retardé par la guerre ne vit jamais le jour. Il ne fut qu’une transition éphémère entre le plan Prost et le futur plan d’aménagement et d’organisation Générale, le PADOG suivi du SDAU de 1965.
La prise de conscience du poids de l’urbanisation
Les années d’après guerre furent particulièrement confuses. Après la reconstruction, des politiques peu cohérentes furent conduites, balançant entre l’aménagement du territoire national et la région parisienne, qui s’accroissait massivement et dont la pénurie de logements n’était plus supportable. Le surpeuplement et l’inconfort étaient le propre d’une grande proportion de logements. L’hiver 1953-1954 particulièrement rude, fut avec l’action de l’abbé Pierre le révélateur criant de ces insuffisances. Depuis le début des années 1950, autour de Paris, partout où les terrains restaient peu occupés, s’étaient installés des « bidonvilles » où s’entassaient des populations pauvres mais pas misérables, souvent des travailleurs étrangers, qui ne trouvaient pas à se loger décemment, bien qu’ayant un emploi. Ce n’est qu’en 1953 avec le « Plan Courant » destiné à améliorer le financement de la construction et à engager les entreprises du bâtiment à se moderniser et se réorganiser que débuta la production massive de logements neufs. Une loi institua les « logécos », logements économiques qui se répandirent dans toutes les banlieues. En 1963, on en avait construit plus de 200 000 autour de Paris. On construisit beaucoup et vite, sur des terres agricoles souvent à l’écart des villes, dans un vide conceptuel et juridique sans trop se soucier de la qualité des bâtiments ni de la présence des équipements.
Ce fut l’origine des « Grands Ensembles ». l’État apportait une aide considérable au financement, mobilisant des promoteurs variés, publics ou semi-publics comme les OPHLM ou la SCIC. Cette dernière, filiale de la Caisse des Dépôts, édifia à partir de 1954, d’une seule une opération, 13 000 logements à Sarcelles. Ce grand ensemble devint le plus connu de ceux construits autour de Paris. Malheureusement les équipements ne suivaient pas et dès 1955 des protestations éclatèrent, ce fut le début de la « sarcellite », signe annonciateur du mal des grands ensembles.
A la suite de ces opérations gigantesques et mal conçues, la loi cadre du 7 août 1957 et le décret de décembre 1958 créaient les ZUP, zones à urbaniser en priorité, délimitées par un arrêté ministériel. La loi contraignait les opérateurs à prendre en compte les équipements sur la base d’une programmation sommaire et mécanique édictée par la « grille Dupont », du nom de son auteur, un fonctionnaire du ministère de la construction. En 1969, on en comptera une douzaine en Région Parisienne, trop souvent localisées en fonction d’opportunités foncières, en marge des tissus urbains existants, sur des plateaux agricoles mal desservis par les transports en communs, en dérogation bien souvent aux plans d’urbanisme.
Claudius-Petit, ministre de la construction et de l’urbanisme de 1948 à 1953, soucieux de combattre les inégalités de peuplement et d’activités, avait développé une politique visant à limiter la croissance de la Région Parisienne. Allant dans le même sens, le gouvernement Mendès-France en 1955 imposa l’agrément ministériel et le paiement d’une redevance pour la construction de bâtiments industriels de plus de 500 mètres carrés, politique encore amplifiée par Pierre Sudreau devenu ministre de la construction du Général de Gaulle en 1958, qui doubla le montant de la redevance.
Trois ans auparavant, Pierre Sudreau, nommé par le Gouvernement Commissaire à la Construction et à l’Urbanisme pour la Région Parisienne, avait été chargé de préparer le nouveau plan d’aménagement et d’organisation, le PADOG mis en chantier par le SARP sous l’autorité de son directeur Mr Gibel. Ce document, véritable plan d’urbanisme, constitué d’une carte générale au 1/50 000e destinée à assurer la cohérence générale de l’aménagement, s’accompagnait de plans détaillés, les PDUI (Plan Directeur d’Urbanisme Intercommunal), associant autoritairement plusieurs communes dans des entités territoriales fondées sur des bases géographiques ou morphologiques. Le PADOG fut approuvé par un décret du 6 août 1960 ce qui lui donnait, comme prolongement du Plan Prost, la valeur juridique qu’il ne perdra qu’en 1976.
Pendant la période de 1958 à 1961 les prémisses d’un renouveau de la politique à l’égard de la Région Parisienne s’esquissaient. Le Premier Ministre Michel Debré faisait établir par le Commissariat au Plan un programme triennal d’équipement qui permit de doubler en trois ans le financement des grands travaux et d’amorcer la réalisation du boulevard périphérique et de la première ligne du métro express régional. Conjointement furent entrepris le transfert des Halles à Rungis et le démarrage des nouveaux quartiers d’affaires de la Défense et de Maine-Montparnasse.
Vers un nouveau Schéma pour la Région Parisienne
La création du District de la région de Paris
C’est l’époque enfin où les instances de l’État préparent pendant deux années entières de tergiversations, la réforme d’où allait sortir la loi du 2 août 1961, portant création d’une entité de gouvernance générale, le District de la Région de Paris, Établissement Public avec mission « d’étudier tous les problèmes d’équipement et d’aménagement des trois départements et des 1 305 communes de la région et de contribuer au financement des travaux et opérations d’intérêt régional ». Le District percevait un impôt régional fixé par son organe délibératif à hauteur de 170 millions de francs au départ, porté à 700 millions sept ans plus tard. Ces moyens lui permirent, non seulement de participer au financement des grands travaux, mais également de mener une ambitieuse politique d’acquisitions foncières.
A l’instigation du Premier Ministre et avec l’assentiment du Général de Gaulle, Paul Delouvrier fut nommé Délégué Général du Gouvernement auprès du District avec pour mission « d’exécuter le PADOG ». Il obtint la possibilité de convoquer tous les fonctionnaires et les experts et requit sa présence à tous les Conseils Interministériels relatifs à la Région Parisienne. Il obtint également que lui soient soumis tous les permis de construire de plus de 500 logements. L’époque était aux Grands Ensembles et ce qui n’était qu’un droit de regard qui pouvait paraître secondaire fut crucial pour son action.
Très vite et sous l’impulsion du District et de Paul Delouvrier, se manifesta l’idée de rapprocher l’administration des administrés par un nouveau découpage des départements existants. C’est la loi du 10 juillet 1964 qui substitua aux deux départements de la Seine et de la Seine-et-Oise, six nouveaux départements : Paris ville-département, Seine-Saint-Denis, Hauts-de-Seine, Yvelines, Val-d’Oise, Essonne et Seine-et-Marne inchangée.
Le but du PADOG était de limiter la croissance urbaine de la région, à cette fin, il dessinait une frontière soulignée par un trait noir continu sur la carte au 1/50 000e, le Périmètre d’Agglomération, au-delà duquel la construction était interdite. La « densification » à l’intérieur de ce périmètre devait suffire à satisfaire les besoins en terrain à bâtir. Malgré cette frontière légale, des dérogations furent accordées hors de la limite, notamment pour les grandes cités qui demandaient de vastes terrains libres. Le PADOG était en cela l’expression de la politique nationale considérant que Paris, accusé « d’assécher » la province, ne devait pas se développer ni étendre son territoire. Un ouvrage du géographe Jean-François Gravier publié en 1947 « Paris et le désert français » développait abondamment des arguments, opposant Paris à la province et l’urbain au rural. Ce document connut à sa publication un grand retentissement. Paul Delouvrier avouera lui-même avoir été séduit par les arguments de J.F. Gravier. Le débat autour d’un Paris asséchant la province caricaturait la réalité plutôt qu’il ne l’expliquait.
Au 1er janvier 1962, l’Agglomération comptait une population de 8 450 millions d’habitants. Le PADOG tablait sur un accroissement de 1 million en 10 ans. Dans le même temps, les agglomérations de province connaissaient des taux d’accroissement similaires, supérieurs même par endroits. La France des villes vivait une période d’intense urbanisation au détriment de la France rurale en perte de sa population. La France « est entrée dans l’urbanisation à reculons » comme le dira Jacques Levy, professeur à l’IEP de Paris.
Un changement d’échelle et de méthode
Dès avant sa publication, le PADOG fut comme le Plan Prost l’objet de nombreuses oppositions. C’est dans un contexte d’incertitude, que Pierre Sudreau alors Commissaire du Gouvernement à la construction et à l’urbanisme, obtint lors d’un comité interministériel le 18 novembre 1959, la création d’une cellule de réflexion composée de huit personnes, présidée par Robert Bordaz, l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Parisienne, l’IAURP, avec un statut de fondation reconnue d’utilité publique.
La loi de création du District avait mis à la disposition du Délégué Général, le SARP et l’IAURP. Paul Delouvrier fut nommé Président de l’IAURP en février 1962 et Jean Millier, Ingénieur des Ponts et Chaussées, Directeur Général. Initialement alimenté par le ministère de la construction, le budget de l’IAURP sera pris en charge par le District et pourvu de 2 millions de francs dès 1962, porté progressivement à 7 millions en 1966, financement d’études exceptionnel pour l’époque.
Une grande politique foncière se mettait en place avec la création de l’Agence Foncière et Technique de la Région Parisienne (AFTRP), établissement public à caractère industriel et commercial, objet d’un décret du 14 avril 1962, disposant d’un financement accordé par l’État et abondé par le District. La création des Zones d’Aménagement Différé (ZAD) la même année, avait pour objet de lutter efficacement contre la spéculation foncière en maintenant pendant 14 ans l’exercice d’un droit de préemption. De 1962 à 1967, plus de 14 000 hectares ont été mis en ZAD facilitant l’acquisition publique des terrains des villes nouvelles et de nombreux autres projets.
Dès sa création, le District entreprit de dresser un bilan de l’évolution passée et de préciser les perspectives essentielles pour l’avenir, en s’appuyant sur des groupes de réflexion et la première équipe de l’Institut d’Urbanisme. Après un an de travail, les conclusions furent assemblées dans un « avant-projet de programme duodécennal », dénommé « Livre Blanc » et soumises au Premier Ministre, au conseil d’administration et rendues publiques le 23 février 1963. Le constat révélait des retards flagrants dans de nombreux domaines, tels que la voirie urbaine, les réseaux de transport, l’habitat et les équipements administratifs.
- Sur le plan de l’urbanisme, le seul document ayant force de loi avant 1960 datait de 1939, en outre, la raréfaction des terrains disponibles imposée par le PADOG conduisait à la spéculation foncière et aux dérogations arbitraires.
- Sur le plan de la démographie, la sous-évaluation artificielle de la croissance cachait mal la réalité des flux migratoires et de l’augmentation naturelle de la population.
Il en résultait que le PADOG, bien qu’approuvé récemment, ne pouvait servir de base à la réalisation des objectifs de l’aménagement et de la création des grandes infrastructures nécessaires aux besoins présents et futurs de l’agglomération.
Il fallait penser et projeter autrement l’avenir.
A la recherche d’un nouveau Plan Régional
L’IAURP, composé de huit personnes à sa création, atteignit très vite l’effectif d’une trentaine de spécialistes représentant de nombreuses disciplines dans un esprit de réelle pluridisciplinarité, comme l’avait voulu Paul Delouvrier. Ils seront 200 en 1967 et plus de 300 par la suite.
Au sein de l’Institut les deux équipes, celle de Serge Goldberg composée de démographes, d’économistes, de sociologues, de géographes et d’ingénieurs de trafic et celle de Jacques Michel composée d’architectes-urbanistes, de paysagistes et de graphistes, conseillées par leurs experts Michel Picard et Guy Lagneau, architecte réputé, furent très vite en mesure de mener une réflexion prospective et d’élaborer des méthodes adaptées à une démarche de planification innovante.
Trois années furent nécessaires pour qu’un nouveau projet, dont les fondements renouvelaient la pensée sur le développement urbain de la Région Parisienne, trouve sa cohérence dans la formulation d’un nouveau Plan, rendu public en juin 1965 après une présentation au Général de Gaulle par Paul Delouvrier lui-même.
La démarche conduite au sein de l’IAURP associait de nombreux élus de la région via le Conseil d’Administration du District. Le Conseil Économique et Social était régulièrement consulté. De nombreuses réunions des urbanistes dans les communes, sous l’égide du SARP avaient pour but d’analyser en commun les adaptations à apporter à l’urbanisme local et de convaincre les élus locaux d’adhérer à la vision prospective du futur schéma. Des représentants d’institutions diverses, des personnalités, des universitaires de renom ou des experts furent également consultés. Plusieurs voyages d’études, en Angleterre, en Suède, en Finlande, permirent aux équipes d’études de confronter leurs idées à l’expérience déjà bien connue des pays voisins.
Les exemples étrangers n’apportaient pas de réponses directes aux problèmes d’aménagement de l’agglomération parisienne, mais permettaient de confronter à différents niveaux les pratiques et les méthodes des urbanistes, tout en renforçant la conviction des responsables de l’Institut de l’obligation d’une planification rationnelle et pragmatique, ancrée sur la réalité des besoins sociaux.
Le schéma de 1965
Le nouveau plan fut dénommé Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme, (SDAU) dénomination devenue courante dans le langage technique et administratif de l’urbanisme, comme le sont devenus les contenus et les méthodes d’élaboration. Il reposait sur les préalables identifiés par le « livre blanc », développés et complétés par le large éventail d’investigations des équipes de l’IAURP.
- Parmi les préalables, la prévision démographique était une question récurrente. Les projections des démographes approchaient l’hypothèse d’un doublement de population en 20 ans, soit la perspective d’une métropole de 16 millions d’habitants. Ce chiffre effrayait tout en situant l’ampleur du problème. Il conduisait à un raisonnement logique qui renvoyait à l’aménagement du territoire national. Si l’on ne voulait pas que Paris atteigne une telle dimension, il fallait que les grandes agglomérations de province notamment les « métropoles d’équilibre », accélèrent leur développement et acceptent des accroissements de population plus rapides que ceux prévisibles en Région Parisienne. Le chiffre de 14 millions d’habitants avant la fin du siècle, fut retenu comme base pour l’élaboration du SDAU. Paul Delouvrier aimait à dire à ce sujet qu’on ne regrettait jamais d’avoir prévu trop grand.
- Il y avait aussi, parmi les préalables, celui de l’évolution des modes de vie, qui entraînaient à consommer toujours davantage d’espace. Les prévisionnistes alertaient en avançant quelques indicateurs significatifs. Le pouvoir d’achat serait multiplié par 2,5 vers 1985 et par 3,5 vers 2000. Le nombre des emplois tertiaires augmenterait deux fois plus vite que celui des emplois industriels. Le temps libre devrait gagner sur le temps de travail et la demande pour les activités de loisirs serait multipliée par quatre. Le nombre de voitures individuelles devrait passer de une pour cinq habitants à une pour trois. Enfin, les déplacements tous modes de transports, estimés à deux par jour passeraient à cinq, niveau atteint par les pays à haut pouvoir d’achat comme les Pays scandinaves ou les États-Unis.
- L’héritage historique des routes d’accès, puis des voies de chemins de fer construites pour l’essentiel au XIXe siècle, convergeant vers Paris, avait entraîné un développement de la ville en forme de « doigts de gants ». L’afflux des trafics vers la zone centrale posait déjà des problèmes insolubles de saturation et risquait de conduire à court terme à l’asphyxie générale. La difficulté paraissait insurmontable. Sortir du schéma radioconcentrique paraissait insurmontable et posait la difficulté d’infléchir un processus devenu cumulatif avec le temps.
- Le schéma directeur devait permettre d’accueillir les populations nouvelles sur un territoire suffisamment large pour éviter la rareté des terrains, dans une charpente organisationnelle assurant un meilleur fonctionnement du système urbain, dans une vision prospective et dynamique de l’aménagement.
Des débats avaient lieu hors de l’enceinte des spécialistes. Un groupe d’architectes proposait un « Paris parallèle » de 2 millions d’habitants, créé de toute pièce dans la vallée de la Seine. D’autres plaidaient ardemment pour une solution à l’anglaise de plusieurs villes nouvelles, au-delà de 50 km en discontinuité avec la ville existante. D’autres encore étaient partisans de grossir démesurément les villes du Bassin Parisien situées à une heure de Paris.
Tout choix extérieur, détaché de l’existant, paraissait irréaliste et conduisait à bloquer autoritairement l’expansion territoriale de l’agglomération. Ce blocage tenté par le PADOG n’avait pas résisté face à la pression des besoins à satisfaire. La ville de Moscou avait un temps interdit l’installation de jeunes ménages sur son territoire mais avait du céder devant l’afflux clandestin de nouveaux arrivants.
En 1965, les urbanistes de l’IAURP avaient acquis une connaissance approfondie de la structure urbaine de l’agglomération existante et mettaient en débat divers scénarios d’organisation spatiale. Chaque secteur géographique avait fait l’objet de vérification des disponibilités foncières pour l’accueil de nouveaux équipements. La géographie et la morphologie du site régional étaient appréhendées dans leur globalité. Les disparités et les déséquilibres structurels notamment le déséquilibre Est-Ouest, avaient fait l’objet de plusieurs travaux de géographes avec des équipes de l’Institut. Les infrastructures routières et de transports en commun avaient été longuement discutées avec les ingénieurs de l’État, de la SNCF ou de la RATP pour les adapter aux nouveaux objectifs et aux nouvelles dimensions de l’aménagement régional.
Parallèlement, le District s’était rendu acquéreur de plusieurs sites forestiers proches de Paris comme le Bois-Notre-Dame à l’est ou le Bois de Rougeau prés de Melun, et participé ailleurs à la constitution de réserves foncières supérieures à 30.000 hectares.
Le nouveau Schéma Directeur devait remédier aux maux constatés, changer l’échelle géographique des réponses et se mettre à la dimension des problèmes du futur :
- faire face à l’insuffisance clairement perçus des grands ensembles ;
- mettre fin à la pénurie des terrains à bâtir ;
- maintenir l’unité d’une grande agglomération. ;
- préserver l’essentiel des espaces verts et des sites naturels de qualité.
Trois principes se dégageaient de ces objectifs :
- 1 - Orienter le développement urbain sur des axes préférentiels d’urbanisation et de transport.
La structure radioconcentrique des réseaux de communication existants, conduisait à l’asphyxie de la zone centrale. L’urbanisation en tache d’huile autour de Paris rendait chaque jour plus difficile la vie des habitants et détruisait les sites naturels dans sa marche aveugle. Infléchir ces tendances, supposait des orientations radicales, permettant à la fois de diriger le développement sur des sites nouveaux hors du contexte de la banlieue existante, déjà trop encombrée et de mettre en place de nouveaux réseaux de transport sur des axes transversaux, hors du système radial existant. Il fallait dans la mesure du possible créer des parcours extérieurs liant des centralités nouvelles, en complément des traversées nord-sud et est-ouest nécessaires à l’irrigation du centre, constituant ainsi un vaste maillage du réseau régional.
Le principe d’axes préférentiels sur les plateaux nord et sud de la vallée de la Seine, mobilisant pour l’essentiel des terres agricoles où l’on pouvait, à des coûts acceptables, acquérir les réserves foncières nécessaires aux villes nouvelles, et autres équipements fut retenu. La vallée de la Marne constituait dans ce schéma général une exception, qui pouvait se lire comme un prolongement de l’axe nord, ou bien comme l’extension à l’est de l’axe central contribuant au rééquilibrage est-ouest.
- 2 - Créer des centres urbains nouveaux en périphérie et en villes nouvelles.
Sans négliger l’extraordinaire diversité et la qualité de ses services Paris, ne saurait constituer le seul lieu d’attrait de toute l’agglomération, ni accaparer les emplois et la richesse économique au-delà d’une certaine mesure. C’est pourquoi le Schéma Directeur proposait la création de centres urbains nouveaux, sans en définir précisément le contenu, mais avec comme fondement l’enrichissement des quartiers de banlieue et des zones nouvelles d’extension, pour faire éclore la vie urbaine. Ces centralités nouvelles, ne se concevaient pas sans une desserte par de puissants moyens de transports publics, assurant l’accessibilité à la zone centrale et les accessibilités transversales aux autres quartiers de la périphérie, dans un maillage général qui mette à portée de chacun un éventail de choix en matière d’habitat et d’emploi.
En zone d’extension, il s’agissait d’agglomérations nouvelles de l’ordre de 300 000 à un million d’habitants, selon les prévisions ambitieuses de l’époque. Sept « Villes Nouvelles » étaient proposées, seules cinq furent crées.
Bâties sur les réserves foncières acquises par l’État avec l’aide du District, les Villes Nouvelles apportaient une solution volontaire à la maîtrise de l’expansion territoriale de l’agglomération. Hors des territoires déjà urbanisés des banlieues ou en voie d’urbanisation des périphéries, elles offraient à la promotion immobilière publique et privée des opportunités nouvelles dans la clarté d’un aménagement préalablement conçu. Les infrastructures techniques, les équipements, les sites d’emplois, procédaient d’une programmation en cohérence avec la construction de l’habitat.
- 3 - Faire de l’agglomération la Région Urbaine de Paris.
Le Schéma Directeur dans sa vision prospective et ses propositions d’organisation de la continuité, plaidait pour l’unité d’une grande région urbaine. Il répondait ainsi à ceux qui préconisaient un éclatement de la croissance sur des villes autonomes éloignées du centre. Ce pari aurait supposé que puissent être assurés à distance pour chacune de ces entités, un éventail de services et une diversité du marché de la main-d’œuvre comparables à ceux d’une grande agglomération.
Dans la ville métropole, le réseau des transports urbains procure à chacun la liberté de choix pour son habitat ou son travail, pour l’accès à la culture, à la formation ou aux loisirs. L’objectif des Centres Urbains Nouveaux et des Villes Nouvelles n’était pas d’éloigner mais de diversifier l’éventail de choix dans une région urbaine unifiée par les transports, sans amoindrir les solidarités locales. Le projet comportait un réseau autoroutier très développé, dont certaines parties furent abandonnées et un ambitieux réseau de RER, très notablement modifié dans ses principes à partir des années soixante-dix. Deux lignes nord-sud traversaient Paris, reliant l’une la gare Montparnasse à la gare Saint-Lazare, l’autre les gares d’Austerlitz et de Lyon aux gares de l’Est et du Nord. Ces deux lignes, échangeaient avec la ligne centrale en deux points, hors du site des Halles et dessinaient un puissant maillage de transports publics liant le centre de Paris aux principaux sites d’urbanisation nouvelle, ainsi qu’aux deux aéroports. Des liaisons tangentielles au nord et au sud, utilisant dans la majorité des cas des voies existantes, complétaient le maillage régional.
Ainsi, Paris restait le cœur vivant et attractif de la métropole et ne devait plus vivre sur lui-même, mais en symbiose avec l’ensemble de la Région Urbaine. Les centres urbains nouveaux devaient contribuer à « sauver Paris » d’une hyper concentration qui conduisait à son étouffement et à la destruction de sa beauté enviée du monde entier. Paris devait « épurer et alléger » ses fonctions, tout en maintenant les plus symboliques, notamment celles liées à sa vocation unique de ville capitale politique, culturelle et économique de la France.
Le Schéma directeur au regard du développement durable
Les acquis environnementaux du schéma de 1965
Si on ne parlait pas encore de développement durable au sens actuel, les préoccupations de l’environnement à l’échelle de la Région n’en étaient pas moins présentes dans les travaux de l’IAURP pilotés par Paul Delouvrier. Les termes utilisés n’étaient pas ceux d’aujourd’hui et les problématiques de l’aménagement n’avaient pas encore intégré toute la diversité des aspects pris en compte par le développement durable. Dès le début du siècle, les responsables politiques et les urbanistes s’accordaient à reconnaître la valeur patrimoniale des grands massifs forestiers de la Région Parisienne. Le projet de loi de Jules Siegfried de 1907 préconisait le « maintien des espaces verts et la protection des forêts ». Dès cette époque, ces espaces étaient menacés par l’urbanisation. L’exemple du Vésinet prouve qu’à la fin du XIXe siècle, on ne s’embarrassait pas de construire dans une forêt, avec certes un grand souci du paysage et de la nature considérée comme un décor. Moins flagrant était le grignotage progressif des grands massifs forestiers par les populations aisées, soucieuses d’un cadre de vie verdoyant, notamment à l’ouest de Paris.
Le Plan Prost et le PADOG s’attachaient à prendre en compte avec des délimitations géographiques rigoureuses la protection de zones non bâties et la conservation des sites remarquables. Dans les années soixante, on l’a vu, la rigueur du plan n’a pas résisté face à la demande des constructeurs. C’est ainsi qu’un célèbre promoteur privé n’hésitait pas à proposer une vaste opération immobilière de plusieurs centaines de logements sur une grande forêt de l’est parisien, arguant de l’attrait de l’environnement boisé pour sa clientèle. A la création du District, l’assentiment de ses membres fut unanime pour procéder à l’acquisition des forêts les plus menacées, les mettant ainsi à l’abri des spéculateurs.
Des recherches étaient également conduites par les paysagistes et les urbanistes pour explorer la notion de « site régional » et repérer les paysages les plus significatifs dont la protection ou la mise en valeur s’imposaient. C’est ainsi que les vallées furent inscrites, dans la mesure du possible en « zone d’espace vert et de loisirs ». C’est sur les plateaux hors des sites majeurs que furent projetées les urbanisations nouvelles. La structure urbaine proposée s’inscrivait ainsi dans la morphologie du grand site régional composé d’un ensemble de vallées et de plateaux d’orientation générale est-ouest.
Le SDAU de 1965 s’exprimait également sur les thèmes de la qualité de la vie et préconisait la création de parcs et de jardins ainsi que la plantation d’une abondante végétation dans les quartiers nouveaux d’habitat, comme les Villes Nouvelles.
La qualité architecturale restait de l’ordre du souhait et n’était certes pas un enjeu comme on l’entendrait aujourd’hui. L’accent était mis davantage sur la programmation des équipements dont les méthodes avaient été perfectionnées par les spécialistes de l’IAURP. De nombreux jeunes architectes, dont certains issus des effectifs de l’Institut, ont trouvé dans les Villes Nouvelles un terrain d’exercice propice à leur créativité.
Sur le plan opérationnel, sans que l’on puisse parler de Développement Durable, les villes nouvelles, réalisées sur des terrains vierges ont appliqué les techniques les plus avancées en matière de réseaux d’assainissement, d’épuration et de gestion des eaux.
Des Villes Nouvelles comme Evry ont intégré dès la conception initiale du plan des ouvrages en « site propre », parfois en viaduc supportant un réseau de bus pour assurer les liaisons entre les quartiers et le centre ville ainsi que le rabattement sur la station centrale de la ligne du RER constituée dans un premier temps par un débranchement de la voie ferrée Paris-Melun. Marne la Vallée, traversée dans toute sa longueur par la ligne A du RER qui fut réalisée en moins de dix ans, s’organisait en une succession de quartiers et de centralités conçues en relation avec les stations du transport public. La ville nouvelle de Trappes fut conçue à partir d’une station existante sur la voie ferrée de Paris-Montparnasse. Cergy-Pontoise quelques années plus tard bénéficiât d’un prolongement de la ligne A du RER. Seule Sénart vit ses projets de desserte centrale abandonnés au profit d’aménagements de la gare de Lieusaint, relativement éloignée des quartiers d’habitat.
Les lacunes du Schéma de 1965
La programmation des équipements reposait sur les projections démographiques d’une croissance exponentielle, certes corrigée par des politiques volontaires de répartition territoriale. Le Schéma de 1965 ne pouvait à l’époque prendre en compte la chute rapide des naissances, consécutive à la crise pétrolière des années soixante dix. La prospective est un exercice incertain et bien que mobilisant les compétences les plus affirmées, la réalité diverge souvent de la spéculation et les impondérables surgissent à l’improviste. Malgré des acquis louables en matière d’aménagement régional et de projection à long terme, des décalages majeurs apparaissent au regard des enjeux de la société actuelle.
- En matière de mobilité régionale
Le Schéma de 1965 s’inscrivait dans les problématiques économiques et sociales des « trente glorieuses », caractérisées par l’abondance et le faible coût de l’énergie. Le réchauffement climatique n’était pas à l’ordre du jour. La mobilité à travers l’espace régional était considérée sans restriction comme un facteur positif du développement. La concentration excessive des emplois et des services dans les espaces centraux de la Région devait être contrebalancée par la création des centres urbains nouveaux. Les effets escomptés de la correction des distorsions entre l’habitat et l’emploi, particulièrement flagrantes entre l’Est et l’Ouest, obligeant de nombreux habitants à traverser Paris, ne furent pas atteints à la hauteur des prévisions et des souhaits.
Le Schéma ne faisait pas un choix très déterminant ni très affirmé en faveur des transports en commun. Un certain équilibre entre les deux modes était recherché, bien que dans Paris, de manière qui parait aujourd’hui totalement irréaliste, il était prévu des « voies rapides internes et des pénétrantes prolongeant les autoroutes périphériques », lesquelles donneront lieu à de vives oppositions jusqu’à leur abandon.
Par contre la balance en faveur des transports individuels s’est affirmée nettement dans les années qui suivirent et beaucoup de lignes de RER inscrites au Schéma furent abandonnées ou modifiées dans un sens éloigné des objectifs d’aménagement. En 1971, le Président Pompidou déclarait « il faut adapter la ville à la voiture ». On comprend dès lors que la plupart des investissements se soient portés sur le réseau routier et autoroutier. Celui-ci considéré alors comme très en retard, fut réalisé dans des délais courts au regard de la nature et du coût des ouvrages, sans parvenir à créer des conditions de fluidité acceptables. Le regard des responsables du trafic se portait à l’époque sur les villes américaines, dont les « autoroutes urbaines » faisaient référence. Nil les économies d’énergie ni le réchauffement climatique si présents aujourd’hui n’entraient en considération. Il faudra attendre la crise pétrolière consécutive à la guerre du Kippour pour que cet aspect entre peu à peu dans les enjeux de l’aménagement.
Dans le même temps, la Ville de Londres, bien plus proche de nous, menait sagement depuis de nombreuses années une politique de prolongement de ses lignes centrales de métro. Sa première autoroute périphérique urbaine ne fut réalisée que dans les années quatre-vingt quatre vingt-dix, à une distance de plus de vingt kilomètres du centre de l’agglomération, à l’extérieur des zones urbaines.
Hors des travaux sur la ligne centrale du RER, dont l’immense chantier de la station des Halles et de ses prolongements en direction de la Ville nouvelle de Cergy-Pontoise à l’ouest et de Marne-la-Vallée à l’est qui furent exécutés dans des délais exceptionnels, peu de lignes nouvelles furent mis en chantier.
Le vaste réseau de transport public rapide inscrit au Schéma ne couvrait cependant pas tous les besoins de la vaste agglomération. De nombreuses liaisons inter-quartiers au niveau d’une desserte plus fine n’étaient pas assurées. Ce n’était sans doute pas du niveau d’un tel schéma. Par contre aucun prolongement du métro parisien à l’exception de celui de Créteil-Préfecture n’était envisagé, la RATP s’y opposait pour des raisons techniques pas toujours justifiées.
- En matière de politique urbaine
Le Schéma de 1965 prenaient en considération le fait que la densification était un processus lent et aléatoire qui ne permettait pas de répondre à l’urgence des besoins. L’évaluation des disponibilités foncières faites par les urbanistes à l’échelle fine des communes montrait que les terrains libres suffiraient à peine à satisfaire le retard des équipements sans compter celui des activités et services de proximité. L’application du PADOG avait mis en évidence les contraintes fortes des tissus urbains existants et conduit à des opérations immobilières dispersées en zones rurales, de plus en plus éloignées et difficiles à desservir et à équiper. Les densifications des zones pavillonnaires, voire l’utilisation des « dents creuses » se heurtaient à la réticence des habitants fortement attachés à leur mode d’habitat, ce que confirmaient les études des sociologues Antoine et Nicole Haumont.
Le Schéma sous-estimait par contre l’évolution rapide des grands sites industriels. Les activités lourdes de fabrication, au nord de Paris, en Seine-Saint-Denis, dans les vallées, le long des voies de chemin de fer et partout où l’industrialisation avait au siècle dernier développé des installations parfois à fortes nuisances, allaient dans les années qui suivirent libérer d’importantes surfaces au profit du développement urbain. Nombre de ces sites rendus disponibles bénéficiaient en outre de conditions favorables par leur centralité et par la présence d’axes de transports existants. Le schéma confirmait en maints endroits la pérennité des sites industriels, maintenant un zonage des activités considérées comme incompatibles avec l’habitat.
La capacité d’accueil des villes nouvelles, largement dimensionnée, devait satisfaire à l’essentiel de la demande de terrains à bâtir, compenser à la fois les insuffisances de la densification et limiter la dispersion sur les territoires ruraux.
- En matière de participation et de communication
Les responsables de l’élaboration du Schéma de 1965 sont allés au contact des habitants très rarement et de manière très ponctuelle, limitant volontairement la communication aux niveaux politiques et institutionnels. Par contre le District et le Conseil Economique et Social, considérés comme des partenaires indispensables, furent régulièrement associés. Paul Delouvrier, haut fonctionnaire de l’État, était en prise directe avec le Premier Ministre et le Président de la République ainsi qu’avec de nombreux responsables de la sphère politique. Les grandes décisions étaient prises à ce niveau.
Bien que de nombreuses réunions de travail aient eu lieu en cours d’élaboration du Schéma et dans les premières années de sa mise en application, notamment dans la phase de lancement des Villes Nouvelles, la démarche est restée d’ordre technique et politique. La conférence des « Ambassadeurs », de Paul Delouvrier restée célèbre situe le niveau et les limites de ce que fut la communication hors de ces domaines. Dans ce sens, on peut la qualifier de démarche technocratique.
Au plan local, des rencontres avaient lieu avec les Communes et les conseil municipaux, au SARP et dans les Mairies avec les urbanistes de l’Institut, pour faire admettre les visions futuristes d’un plan à long terme éloigné des préoccupations locales et quotidiennes, sans jamais associer les habitants.
Il ne s’est jamais agi de débat public à proprement parler. Si des débats avaient lieu, ce n’était que dans des cadres limités à des organisations techniques, des experts ou universitaires de différentes disciplines, ainsi que des responsables politiques, sans s’ouvrir au-delà. Quelques affiches dans le métro parisien, deux numéros de Paris-Match montrant des images de « science- fiction » des grands projets et des villes nouvelles, une courte exposition confidentielle dans les locaux de l’Institut, furent les seules tentatives d’ouverture au public. Il y eut certes de nombreux articles dans la presse quotidienne et dans les revues spécialisées sans que s’amorce pour autant un grand débat sur l’avenir de la Région Parisienne.
En guise de conclusion
Le Schéma de 1965 était l’aboutissement d’un long cheminement vers une planification raisonnée de l’ensemble de l’agglomération parisienne qualifiée de région urbaine, aujourd’hui Région Ile-de-France. Pour la première fois, l’aménagement urbain était situé à sa véritable dimension et dans une perspective de temps à long terme. En cela, on pourrait dire qu’il apportait une contribution au développement durable. Depuis, plusieurs versions du schéma initial, ont modifié, adapté, tracé de nouvelles perspectives, précisé à juste titre les aspects environnementaux, sans remettre en cause la globalité du territoire. La Région Ile-de-France a pris la suite du District de la Région de Paris. L’IAURP est devenu l’IAURIF puis aujourd’hui l’IAUIF, sans perdre sa vocation d’étude et d’observation de la croissance urbaine. Le Schéma Directeur est un exercice permanent, objet de nombreux débats, de propositions, de contestations et d’enjeux à la fois techniques et juridiques, financiers et politiques.
Le Schéma de 1965 n’exprimait certes pas comme on le ferait aujourd’hui la démarche du Développement Durable. Certains aspects en témoignent cependant de manière implicite. On pourrait dire que le Développement Durable était en germe.
L’objet de cette note était moins d’en justifier les choix que de montrer dans quelle intelligence le Schéma avait été établi, quels étaient les buts recherchés et les moyens techniques et institutionnels mis en place, comment il avait amorcé des méthodes nouvelles qui se sont généralisées par la suite et qui sont aujourd’hui dépassées, notamment en matière de participation. La loi foncière (LOF) de 1967 a donné une forme juridique au schéma directeur (aujourd’hui SCOT) complété par le plan d’occupation des sols (aujourd’hui PLU) dont il assure la cohérence.
Le schéma directeur de 1965 n’a jamais eu de valeur juridique malgré son approbation formelle. Il a fallu attendre 1976 pour qu’une de ses versions ultérieures remplace juridiquement, le Plan Prost et sa version PADOG. Il avait une vertu essentielle que les versions ultérieures ont sensiblement dégradée, celle d’exprimer moins un zonage réglementaire qu’une vision stratégique de l’aménagement et de l’urbanisme qui s’attachait à fixer quelques objectifs sensés tenir dans la durée, laissant à d’autres exercices le soin de déterminer l’application des règles d’utilisation de l’espace constructible.
Jean Dellus
Bibliographie
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- Aménagement de la région parisienne (1961-1969), Le témoignage de Paul
Delouvrier, Presse de l’école nationale des Ponts et Chaussées, 2003.
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- Paul Delouvrier, L’aménagement de la région de Paris, Les conférences des Ambassadeurs, Grands discours français et internationaux, jeudi 6 février 1966.
- Roselyne Chenu - Paul Delouvrier ou la passion d’agir, Le Seuil, l’histoire immédiate, 1994
* Marc Wiel, Mobilités, planification et gouvernance urbaine, dans la perspective du développement durable, N° (71) , Novembre 2008.
* Jean Pierre Piéchaud, Villes et développement durable., N° (11) , Juin 2006.
* Laurent Comeliau, Nantes : attractivité et durabilité, deux destins liés, N° (52) , Décembre 2007.