Economie écologique et équitable : emplois verts, renouvellement du travail, partage du travail,....
Résumé
S’engager dans la voie d’une économie écologique et équitable c’est donner la priorité à la croissance de la productivité des ressources naturelles, devant celle de la productivité du travail, car le travail est abondant et les ressources naturelles limitées.
On l’a vu dans un précédent article, l’avènement d’une économie écologique et équitable devra s’accompagner de mutations de grande ampleur d’ordre technique et organisationnel.
Mais il s’agit, en même temps, de privilégier le capital humain : le haut degré des connaissances qui permet l’innovation technique et sociale, la cohésion des sociétés et des nations sont les garants d’une convergence de l’humanité vers un haut niveau de bien être dans les limites de la planète. Il s’agit en fait de donner la priorité à des politiques sociales ambitieuses et de dépasser les réponses technicistes.
Cet article est extrait du rapport de l’Association 4D, Pour une économie écologique et équitable, coordonnée et rédigée par Ana Hours et Catherine Lapierre, co-rédigée par Pierre Grison, Michel Mousel et Vaia Tuuhia. Cette publication a été commandée par la CFDT dans le cadre de l’Agence d’Objectifs de l’IRES.
Auteur·e·s
est chargée de mission à l’Association 4D, anime l’Encyclopédie du développement durable et est chargée d’études.
Ingénieur de l’école centrale des arts et manufactures, économiste, est membre du secrétariat d’édition de l’encyclopédie du développement durable.
« Nous pouvons créer jusqu’à 48 millions d’emplois verts et décents sur cinq ans, et ce rien que dans 12 pays. Imaginez ce que nous pourrions faire dans 24 pays, imaginez dans 50 pays, combien de centaines de millions d’emplois pourrions-nous créer. » Sharan Burrow, secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale.
La transformation de l’emploi dans une économie écologique et équitable sera profonde, accompagnant la transformation de la structure et de l’organisation de la production. Les créations d’emplois iront bien au-delà des « emplois verts » comptabilisés par la statistique nationale française et elles seront en partie contrebalancées par des pertes d’emplois dans les activités non durables.
La production d’énergie devra abandonner progressivement les combustibles fossiles, exploiter les énergies renouvelables et accroître les rendements de la transformation énergétique. Les secteurs fortement consommateurs d’énergie et de ressources non renouvelables devront investir massivement dans les économies d’énergie et de matières premières. Celles-ci rencontrent forcément une limite. Aussi, d’une manière générale, c’est toute l’organisation des filières menant à l’utilisateur final, qui devra être repensée en utilisant la méthode d’analyse du cycle de vie (ACV). Il faudra trouver d’autres sources d’économies dans la conception et l’usage des produits. Le recyclage, l’allongement de la durée de vie des produits, la lutte contre l’obsolescence artificielle, la standardisation des composants ou pièces détachées, le développement de services d’usage en lieu et place de la vente de biens, l’économie circulaire, la réorganisation de la logistique, les circuits courts,…, sont autant de pistes pour accentuer la baisse de l’intensité énergétique et de la consommation de ressources de la production.
L’impact de cette transition sur l’emploi est très prometteur. Au niveau mondial, l’Organisation Internationale du Travail dans son rapport du 31 mai 2012, Vers un développement durable : travail décent et intégration sociale dans une économie verte, pointe le fait que l’économie verte crée des emplois dans de nombreux secteurs, soit de 15 à 60 millions d’emploi à l’échelle mondiale, et que des gains nets sont possibles. Pour la Confédération Syndicale Internationale [1] l’investissement dans l’économie verte à travers 12 pays et sept industries est à même de créer 48 millions d’emplois sur cinq ans.
Emploi vert, la défense d’un périmètre large La définition d’un emploi vert répond selon l’approche retenue par l’observatoire national des emplois et métiers de l’économie verte à un périmètre restreint. En effet est comptabilisé comme emploi vert (Activités, emploi et métiers liés à la croissance verte, CGDD, juin 2011) les « métiers dont la finalité et les compétences mises en œuvre contribuent à mesurer, prévenir, maîtriser, corriger les impacts négatifs et les dommages sur l’environnement ». Par ailleurs sont identifiés des métiers verdissants, « métiers dont la finalité n’est pas environnementale, mais qui intègrent de nouvelles « briques de compétences » pour prendre en compte de façon significative et quantifiable la dimension environnementale dans le geste métier ». Cette approche répond à une définition bien bornée des activités dites vertes. Elle privilégie l’approche par finalité économique, c’est-à-dire les activités dont la finalité est la protection de l’environnement. L’approche par impact évalue l’activité en fonction de son impact sur l’environnement. En ce sens une activité sera considérée comme verte, en référence à une activité équivalente qui exerce une pression plus grande sur l’environnement (plus polluante ou plus consommatrice de ressources naturelles). Cette définition restrictive ne permet pas d’appréhender dans sa totalité la mutation qui devra être à l’œuvre dans la sphère économique. L’analyse des transitions professionnelles à opérer ne peut porter sur des secteurs identifiés comme faisant classiquement partie de l’économie verte, éco-industries par exemple, mais doit porter sur l’ensemble de l’économie y compris des secteurs traditionnels. Par ailleurs ces emplois doivent également garantir un travail sûr, des salaires équitables, le respect des droits des travailleurs et la protection sociale. Les emplois de cette économie écologique et équitable sont dès lors des emplois verts au sens de la Confédération Syndicale Internationale : « un emploi vert est un emploi qui réduit à des niveaux soutenables les impacts environnementaux des entreprises et des secteurs économiques, tout en garantissant à toutes les personnes intervenant dans la production des conditions décentes de vie et de travail ainsi que le plein respect de leurs droits ». |
L’évolution des différents secteurs sera très dépendante de l’intensité de la mutation engagée. Les voies croissance verte / économie écologique et équitable/ sobriété appellent des évolutions différenciées par secteur. Il s’agit ici de décrire, pour la France, les évolutions des secteurs prioritairement impactés par la transition vers une économie écologique.
Aperçu sur les évolutions des secteurs prioritairement concernés par la mutation
Evolution du domaine énergétique
Le secteur de l’énergie en général et celui de la production d’électricité en particulier est celui qui devra évoluer le plus ces prochaines années sous l’effet de trois principales contraintes :
-* Le réchauffement climatique impose une diminution drastique des émissions de C02 dont le principal responsable est l’utilisation de combustibles fossiles que cela soit pour la production d’électricité, pour le transport, pour le chauffage ou pour l’industrie.
- Nous sommes entrés dans une période où les découvertes de nouveaux gisements sont inférieures à l’accroissement de consommation et donc les réserves sont en diminution, ce qui amène un renchérissement de ces combustibles.
- Du fait des problèmes des déchets à traiter et des nouveaux impératifs de sûreté dont l’absence a été dramatiquement mise en évidence dans les derniers accidents, le nucléaire ne peut en aucun cas représenter « la » solution à long terme.
Il est donc impératif que le secteur énergétique entame sa conversion d’industrie de stock (c’est-à-dire puisant dans les réserves et rejetant des déchets) vers une industrie de flux, c’est-à-dire n’utilisant que les flux d’énergie déjà présents et les captant à son profit. C’est bien le cas des énergies dites renouvelables (éolien, solaire, géothermie, biomasse,…) si on réussit à les rendre compatibles avec l’usage que l’on compte en faire.
Les changements qui vont être induits par cette transition sont considérables :
Tous ces flux sont par définition répartis sur le territoire, alors qu’aujourd’hui, au moins pour la production d’électricité, les centres de production sont concentrés sur une trentaine de lieux et le réseau électrique est conçu pour être exploité de ces centres vers les utilisateurs dispersés. La logique est donc inversée et demande un travail important de reconception.
Avec ces énergies de flux à caractère intermittent le problème du stockage change de facteur d’échelle et l’usage de bi-énergie est sans doute un passage obligé.
Cette mutation sera donc très profonde, elle sera aussi très lente (plusieurs décennies et sans doute un demi-siècle) car d’une part toutes les filières industrielles sont à reconstruire (certaines n’ayant pas encore atteint le niveau de maturité suffisant pour être exploitées). De plus les budgets sont considérables (plus de 1000 milliards d’euros rien que pour la France).
Cette transformation inéluctable a poussé de nombreux acteurs à étudier des scénarios pour les 50 prochaines années. Les résultats sont très ouverts même si on ne garde que les scénarios les plus crédibles. On peut citer à titre d’exemple le scénario de l’AIE qui continue à prédire une augmentation de la consommation d’énergie et conserve une bonne part de combustibles fossiles, alors que le scénario de NEGAWATT, décrit au niveau de la France et très volontariste mais en restant sur des bases technologiques très crédibles, propose une diminution de la consommation d’énergie et un usage quasi exclusif d’énergies renouvelables. Il ne s’agit pas ici de discuter de l’intérêt de tel ou tel scénario, mais plutôt de voir si certaines caractéristiques sont communes. Celles-ci existent bien et c’est ce que nous retiendrons :
-* Le coût de l’énergie va croître ce qui rendra la lutte contre la précarité énergétique indispensable. Pour l’électricité, que cela soit en prenant les chiffres de la Cour des Comptes ou d’autres sources, le MWh devrait passer de 40€ aujourd’hui à plus de 100€.
- Ces mutations sont riches en emploi, celles à base de renouvelables et d’économies d’énergie l’étant davantage.
- L’importance du réseau électrique (transport et distribution, français et européen) est toujours prépondérante. Il y a une vraie notion de service public dans l’exploitation de ces réseaux et des nouveaux services devront se développer avec le transfert de la production au niveau local et pour assurer une fiabilité de la qualité de fourniture.
- Tous les scénarios font largement appel à l’innovation que cela soit au niveau de la production, de l’optimisation de la consommation, de la gestion du réseau, ou moyens de stockage ou amélioration de l’efficacité énergétique.
Toujours sans rentrer dans le détail de ces scénarios, il faut quand même souligner quelques conséquences spécifiques :
- Les scénarios à base d’énergies renouvelables donnent un large part de décisions au niveau du territoire, il permet l’utilisation de système très divers, avec possibilités d’innovation sociales fortes, y compris sur les types de propriétés des moyens de production. L’utilisateur devra sans doute être plus responsable et gérer une plus grande complexité. Cela suppose une évolution des comportements personnels qu’il ne faudrait pas sous-estimer.
- Le scénario du nucléaire est quant à lui obligatoirement très centralisé avec une organisation presque militaire compte tenu de l’importance des risques et fait appel à une rationalité très poussée. Certains choix, comme par exemple les centres d’enfouissement de déchets devront être imposés s’il n’y a pas de volontaires.
Enfin, il ne faut pas oublier que le choix ne se portera pas seulement sur le choix de la cible mais aussi sur la vitesse et les modalités de cette transition énergétique. En effet compte tenu du coût de cette transformation, il est clair qu’une optimisation financière poussée doit être conduite pour éviter de mettre trop tôt au rebut des installations encore en état satisfaisant, ou au contraire de développer trop tôt une technologie nouvelle mais pas encore mature et qui deviendrait rapidement obsolète. Le critère du coût devra être mis en balance avec la notion de risque acceptable. Cette démarche conduira à faire évoluer à des vitesses différentes certains domaines (le bâtiment avant les transports) ou certains clients (particuliers ou industriels électro-intensifs)
Fig. 1 - Exemples de scénarios à l’échelle de la France (source Energie 2050 Mandil - Percebois 2012)
Les transports
* Le transport des personnes
La situation du secteur des transports est paradoxale. Alors que c’est le secteur où le prix de l’énergie est le plus cher (utilisant du pétrole et fortement taxé), c’est le secteur qui a le moins réalisé d’effort d’économie et de substitution d’énergie depuis le premier choc pétrolier. Si des efforts importants ont été effectués par les constructeurs pour réduire la pollution de l’air, cela ne s’est guère étendu aux économies d’énergie et aux réductions des émissions de gaz à effet de serre.
Il s’achemine maintenant vers une profonde mutation du fait de l’augmentation des prix des carburants dont chacun peut désormais comprendre qu’il s’agit là d’une tendance de long terme.
Les composantes de cette mutation sont les suivantes :
-* Une inévitable redescente en gamme avec des constructeurs qui se positionnent sur ce segment et font perdre des parts de marchés aux constructeurs de grosses berlines européennes ;
- Le succès de l’hybride et les progrès lents mais réels dans la traction électrique ;
- Le développement du covoiturage et surtout de l’auto-partage qui permet un accès facilité à des véhicules en libre-service du fait de la souplesse permise par les nouvelles technologies de communication ;
- Le développement des modes doux urbains ;
- Le réinvestissement des pouvoirs publics en faveur de transports collectifs de qualité.
* La logistique et le transport de marchandises
La dépendance des transports de marchandises à la consommation d’énergie fossile, tandis que le prix relatif du pétrole augmentera, laisse présager une transformation profonde de l’organisation logistique actuelle basée sur un pétrole bon marché. Une rationalisation s’effectuera inéluctablement avec un rapprochement des plateformes des zones de desserte et une dé-spécialisation des territoires de production.
* Le transport aérien
Le secteur des transports dans son ensemble est à l’origine de 26% des émissions de gaz à effet de serre de la France (2009 - source Citepa). Les émissions totales de CO2 du transport aérien de France s’élèvent à 20,7 millions de tonnes (Mt) en 2009, en baisse de 6,9 % par rapport à l’année précédente. Le transport aérien intérieur a émis en 2009, 4,6 Mt de CO2 dont une part importante (47 %) est liée à la desserte de l’Outre-mer. Il représente 0,9% des émissions totales de la France et 3,5 % du secteur des transports. En incluant le trafic international, la part du transport aérien atteint 4,2 % des émissions de gaz à effet de serre. A ces nuisances globales, le trafic aérien génère des pollutions locales, atmosphériques et sonores. Par ailleurs il est directement impacté par la raréfaction des ressources pétrolières.
La maitrise du transport aérien et l’évolution de ce secteur est très dépendant de la radicalité de la conversion du modèle économique actuel à une économie verte.
* L’automobile
Le BIPE [2] classe l’industrie automobile parmi les secteurs à transition inévitable. La transition vers une mobilité durable suppose une modification en profondeur des pratiques de mobilité ainsi que de la production industrielle.
Le rapport BIPE se situe du côté de la demande et table sur une évolution considérable des pratiques de mobilité : « La hausse continue du coût de l’automobile et l’intolérance sociale dont-elle fait de plus en plus l’objet génèrent de nouvelles stratégies de la part des ménages. » Ainsi la part des mobilités automobiles malgré un accroissement continu de la mobilité globale décroit en Europe depuis les années 2000 et tout particulièrement en France. Pour le BIPE les tactiques de contournement de l’inflation des coûts d’utilisation de l’automobile passent par l’usage accru des modes doux de transport et des transports en commun. Ceci passe par un engagement fort des politiques publiques en faveur du développement de choix modaux ce qui soulève la question des infrastructures et de leurs financements de même que celle du financement de l’offre de service de transports. Par ailleurs le développement d’offre de mobilité à la demande (autopartage, covoiturage…) si il est soutenu par des prestataires de services d’automobilité ou des gestionnaires de mobilité permettra de faire évoluer durablement les usages de la voiture.
Sur le deuxième versant, celui de la production industrielle, même si l’industrie automobile comme les autres industries manufacturières nécessitant peu de procédés thermiques, n’est pas directement impactée par la raréfaction des énergies fossiles, les consommations de combustibles fossiles liées à l’usage du moteur thermique sont bien évidemment en première ligne. Il faut noter cependant que le véhicule thermique peut fonctionner avec du combustible non fossile. La méthanisation des déchets ou la production de biocarburants de 3e génération (à partir d’algues par exemple) pourraient à terme offrir des solutions valables, à condition que ces véhicules soient très peu émetteurs de gaz à effet de serre.
Le rapport Syndex/Alpha [3] pointe la nécessité pour l’industrie automobile française d’assumer des orientations stratégiques fortes, de nature technologique (motorisation alternative, éco-conception) et sociétale (insertion de l’automobile dans des systèmes multimodaux de transport). Ainsi même si des stratégies différenciées commencent à s’affirmer du côté des producteurs, Renault ayant opté pour le « tout électrique » tandis que PSA a plutôt privilégié le développement de l’hybride, la capacité de ces filières à s’engager résolument dans la mutation conditionne les perspectives de sortie de crise. En ce domaine l’industrie automobile française dispose de réels avantages avec des efforts d’innovations importants et l’élargissement de l’offre des « classes vertes », même si comme le souligne de façon paradoxale le rapport Syndex/Alpha les constructeurs français perdent des parts de marché aux niveaux français et européens sur les classes vertes et les moteurs diesel. Les chiffres de vente en Europe sur les cinq premiers mois de l’année sont très préoccupants. Sur un marché en baisse de 7,7 %, les ventes de Renault chutent de 19,4 % et PSA de 14,9 % et les usines européennes sont sous utilisées (75 % pour Renault et PSA).
Au fur et à mesure que les contraintes de stationnement et de circulation se durciront, notamment en matière de réduction de vitesse, l’avantage des petites cylindrées en termes de prix d’achat et de réduction des consommations de carburant sera de plus en plus patent. Le rapport BIPE pointe là encore les avantages dont peuvent se prémunir les constructeurs français : « Généralistes, et donc présents de longue date sur les petites cylindrées, spécialistes des solutions économes (injections directes) et dépolluantes (alterno-démarreurs et filtres à particules) et, même, pionniers dans les années 1990 des véhicules 100% électrique modernes, leur culture et leur savoir-faire devraient leur permettra de tirer leur épingle du jeu et de participer pleinement à cette nouvelle croissance verte. »
Cela dit la filière automobile française continuera de subir l’impact d’une organisation industrielle à l’échelle européenne. Pour le rapport Syndex / Alpha l’avenir de l’industrie automobile française repose sur la motorisation, l’assemblage final étant durablement pour des raisons de coût mais également de rattrapage de leurs marchés automobiles l’apanage des nouveaux Etats membres européens : « L’effort d’innovation et de production est à faire porter sur les techniques de motorisation et la formation de motoristes (et de réparateurs !). A terme, c’est une modification complète du marché des motorisations qui est attendue. La filière équipementière est partie prenante de ces mutations. Les contours de la filière se modifient en conséquence à travers l’intégration de nouveaux métiers. »
* Le bâtiment
Les grands objectifs de ce secteur sont de loger 10 millions de personne supplémentaires et de résorber la part du résidentiel tertiaire dans les émissions de GES.
La filière du bâtiment est en première ligne pour répondre au défi de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’optimisation énergétique des bâtiments doit entrainer une révolution industrielle pour l’ensemble de la filière. Les enjeux sont nombreux du développement des innovations technologiques permettant de développer une offre de bâtiment neuf à très basse consommation voire à énergie positive et de rénover le parc ancien, à l’appui essentiel des acteurs de la filière. Le rapport Syndex/Alpha détaille les innovations technologiques et techniques à mettre en place qui concernent toute la filière : matériaux de construction, conception/rénovation des bâtiments et mise en œuvre.
Sur les matériaux de construction des progrès ont été réalisés en matière d’efficacité énergétique au cours des dernières décennies. Si les technologies de rupture de type écociment n’apparaissent pas forcément selon les auteurs du rapport comme une piste de solution à privilégier, elles peuvent faire l’objet d’un soutien à la recherche et aux entreprises innovantes. Par ailleurs il y a un véritable enjeu à développer des filières locales à partir des ressources du territoire. Le rapport Puech (avril 2009) [4] souligne le fort potentiel d’exploitation de bois d’œuvre, la France disposant de ressources forestières importantes. Cela dit la demande croissante de bois d’œuvre doit être prioritairement tournée vers une offre locale ou nationale. Pour ce faire, l’augmentation de la productivité des scieries (en deçà de celle de nos pays voisins) via des investissements en direction des scieries « industrielles » est nécessaire. Là encore l’appui des collectivités territoriales est attendu pour leur rôle dans l’aménagement des territoires ruraux.
L’évolution de la conception des bâtiments et de la mise en œuvre passe par un effort accru de formation des acteurs du secteur. Il s’agit tout particulièrement de diffuser l’approche globale auprès des intervenants des chantiers afin qu’ils aient une appréhension transversale au-delà de leur corps d’état des contraintes qui pèsent sur le bâti pris comme un tout. La maîtrise énergétique ne peut s’appuyer sur les seules « meilleures technologies disponibles ». La qualité du « geste métier », comme la qualité de la pose par exemple, est incontournable pour éviter des problèmes d’étanchéité à l’air. Une mauvaise pose peut ainsi diminuer par 10 l’efficience énergétique.
Mais l’appui aux acteurs de la filière ne doit pas se limiter aux seuls opérateurs. La sensibilisation des usagers est également un enjeu central pour parvenir à une utilisation optimale des bâtiments.
* L’agriculture
Le modèle agro-industriel, gros consommateur d’intrants et d’énergie, atteint actuellement ses limites. L’environnement et les ressources naturelles ont payé un lourd tribut à la révolution « verte » : impacts de la chimie sur l’eau, les sols, l’air, la faune et la flore, appauvrissement des sols, perte de biodiversité, pression très forte sur les ressources en eau (pour l’irrigation), en minerais (potasse, phosphates), en énergie (dépendance aux hydrocarbures). Par ailleurs, famines et crises alimentaires n’ont toujours pas été endiguées dans le monde. Pour nourrir convenablement les 9 milliards d’habitants sur la planète à l’horizon 2050, ce modèle devra évoluer, de façon à concilier productivité, préservation des ressources, et l’avenir de paysanneries de plus en plus fragilisées, dans un contexte économique très inégalitaire. Une demande alimentaire augmentée de +70%, comme le prévoient certains scenarios, signifierait ainsi une pression encore plus forte sur les terres disponibles, les ressources en eau, la déforestation, alors même que la demande en agrocarburants, en écomatériaux végétaux, ou en chimie « verte » s’accroît également. Cette pression accrue ne serait pas soutenable pour l’équilibre de la planète.
La conversion du modèle agricole français implique un retournement des techniques de production actuelles au profit de l’agro-écologie. Celle-ci n’est d’ailleurs pas synonyme d’un retour en arrière dans les techniques de production, bien au contraire elle suppose une modernisation afin de se tourner vers une agriculture intensivement écologique et/ou l’agriculture biologique. En effet, comme le soutien Marc Dufumier, « du point de vue strictement technique, force est pourtant de reconnaître qu’il existe d’ores et déjà des systèmes de production agricole capables d’accroître les productions à l’hectare, tant dans les pays du “Sud” que ceux du “Nord”, sans coût majeur en énergie fossile ni recours exagéré aux engrais de synthèse et produits phytosanitaires (…) Ces systèmes de production inspirés des principes de l’agro-écologie reposent sur la gestion en circuit court des cycles de l’eau, du carbone, de l’azote et des éléments minéraux (…) Ils ne doivent surtout pas être qualifiés d’“extensifs” dans la mesure où ils font souvent un usage intensif des ressources naturelles renouvelables (l’énergie lumineuse, le carbone et l’azote de l’air, les eaux pluviales, etc.) et n’excluent pas l’obtention de rendements élevés à l’hectare. Mais ils font par contre un usage très limité des ressources naturelles non renouvelables (énergie fossile, eaux souterraines, mines de phosphate, etc.) et des intrants chimiques (engrais de synthèse, produits phytosanitaires, antibiotiques, etc.). [5] »
AGRIMONDE 1 : Un scénario pour des agricultures et des alimentations durables dans le monde à l’horizon 2050 La prospective INRA-CIRAD « Agrimonde » s’interroge sur le devenir des systèmes agricoles et alimentaires mondiaux au travers de deux scénarios pour 2050. Le premier, Agrimonde 1, explore le sens d’un système alimentaire plus durable en envisageant une réduction de la sous-alimentation et des excès d’apports caloriques dans le monde. Dans son volet agricole, il reprend l’idée d’une intensification écologique telle que décrite par Michel Griffon dans « Nourrir la Planète ». Ce scénario est mis en regard d’un scénario tendanciel en termes d’évolution des régimes alimentaires et des pratiques d’intensification agricoles, le scénario Agrimonde Go, qui reprend les hypothèses de Global Orchestration du MEA [6]. Malgré le choix de deux stratégies contrastées d’intensification agricole en termes d’équilibre entre élévation des rendements et extension des surfaces cultivées, les deux scénarios parviennent à répondre à la demande mondiale croissante en calories. Leurs implications économiques, sociales et environnementales aux niveaux local et global sont en revanche clairement distinctes. |
Agrimonde GO- Nourrir la planète en privilégiant la croissance économique mondiale |
Agrimonde 1- Nourrir la planète en préservant les é-cosystèmes | |
Croissance, Développement Migrations |
Décollage agricole des PED, qui tire la croissance mondiale | |
Accélération de l’exode rural, Migrations Sud - Nord | Stabilisation de l’exode rural, Régime ‘normal’ de migration (ONU) | |
Régulations Gouvernance |
Transferts Nord-Sud massifs | |
Libéralisation poussée et coopération internationale forte pour améliorer le bien-être social, protéger les biens et services publics | UNOFS (1) : réduction des distorsions et de la volatilité des prix, exceptions temporaires, protection de l’environnement | |
Recherche Formation et développement agricole |
Investissements massifs publics et privés | |
Poursuite de la trajectoire technologique actuelle, avec d’importants progrès technologiques | Intensification écologique : avancée et diffusion des savoirs spécifiques et génériques, mode interactif pour les capitaliser et les mutualiser | |
Energie |
Investissements massifs | |
Hausse rapide de la demande mais amélioration de l’efficacité énergétique et développement des agrocarburants | Inflexion de la demande Renouvellement de l’offre : énergies renouvelables, pile à combustible… Production décentralisée en partie sur les exploitations agricoles | |
Environnement |
Détérioration | Réduction des impacts de l’agriculture |
Mais biodiversité sauvage protègée par la limitation des surfaces cultivées | Amélioration de la biodiversité domestique Détérioration de la biodiversité sauvage | |
Alimentation |
Réduction des inégalités d’accès | |
Croissance de la consommation calorique induite par la hausse des revenus et l’urbanisation. Progression de l’obésité | Convergence vers 3000 kcal/hab./j du fait de la diminution des pertes, maintien de la diversité.Politiques nutritionnelles efficaces | |
Industries et filières agro- alimentaires |
Hybridation du modèle agro-industriel | |
Internationalisation, spécialisation et concentration des filières | Montée en puissance de la RSE (2) (alimentation durable, réduction de la malnutrition, lutte contre l’obésité) |
(1) Organisation des Nations-Unies pour la sécurité alimentaire.
(2) Responsabilité Sociale des Entreprises. Source : Paillard Sandrine, Ronzon Tévécia Agrimonde 1 : Un scénario pour des agricultures et des alimentations durables dans le monde à l’horizon 2050, Encyclopédie du développement durable ->http://encyclopedie-dd.org/encyclopedie/economie/agrimonde-1-un-scenario-pour-des.html ] |
Dans un contexte où l’emploi agricole n’a cessé de décroitre depuis la révolution industrielle, la part de l’emploi agricole représentant aujourd’hui 3 % [7] de l’emploi total en France, la plupart des études et des retours d’expériences montrent que cette agriculture durable est pourvoyeuse en emploi. Le bilan en emplois de cette nouvelle agriculture durable est certainement plus favorable car elle est moins capitalistique et repose sur les hommes et leur connaissance fine des milieux. Globalement, on peut dire sans trop de risque d’erreur, que l’agriculture biologique emploie sur les fermes environ 30% de main d’œuvre en plus que l’agriculture conventionnelle. Pour Jean Gadrey cette mutation conduirait à une forte baisse de la productivité mesurée selon les critères actuels : « Croissance zéro (dans ce secteur), emploi en hausse ? Cela semble difficile à croire. C’est pourtant possible si l’on tient compte des nécessaires gains de qualité et de durabilité, nouveaux grands gisements d’emplois du « développement durable ». En réalité, si l’on était capable d’intégrer les gains de qualité et de durabilité dans les mesures des variations de prix et de productivité, il est probable que l’on assisterait non pas à une baisse de la productivité, mais plutôt à des gains. [8] »
* Les activités tertiaires
Le secteur tertiaire n’est plus un secteur donc les consommations d’énergie doivent être jugées comme négligeables. C’est après les transports, le secteur où les comportements sont souvent négligés.
Les consommations correspondent aux besoins suivants :
- De chauffage ;
- D’éclairage ;
- De climatisation notamment dans des tours de bureaux et des magasins mal conçus ;
- De plus en plus d’équipements électroniques et de bureautique.
- Dans certaines branches, la chaîne du froid.
La situation varie selon les branches du tertiaire et leur structure d’organisation des acteurs :
-* De gros potentiels d’économie d’énergie existent dans le tertiaire public dont le parc bâti est vétuste et qui souffre d’une insuffisance chronique d’investissements ;
- Ce constat concerne également les bâtiments d’enseignement et le secteur de la santé ;
-* La gestion de l’énergie est particulièrement négligée dans les commerces et une grande partie des cafés, hôtels restaurants (éclairage surdimensionné, chauffage et climatisation excessifs) ; - Le secteur des bureaux présente un diagnostic équivalent (construction neuve de mauvaise qualité, forte pénétration du chauffage électrique notamment dans les petites entreprises, mauvaise isolation, manque de maîtrise des consommations d’électricité notamment éclairage et bureautique.
La « relation de service » semble intuitivement moins consommatrice de ressources naturelles, que les autres grands secteurs productifs, industriels et agriculture. Si l’on rapporte tout particulièrement le nombre d’emplois du secteur tertiaire (hors transports) aux émissions, la performance environnementale de ces activités apparait comme particulièrement remarquable.
Fig. 2-Répartition par source des émissions de CO2 en France en 2009 (DOM inclus)
(373 Mt CO2 hors Utilisation des Terres, leur Changement et la Forêt
Source : Agence européenne de l’environnement, d’après Citepa, juin 2011
Dans cette perspective le développement de l’emploi tertiaire apparait tout à fait souhaitable pour répondre aux contraintes environnementales. Mais ces données tendent à masquer la matérialité des services [9] : transport, espace de relations, outils technologiques, toutes choses qui vont subir de plein fouet la contrainte carbone. Par ailleurs la formidable progression du secteur service depuis 30 ans est notamment consécutive à l’augmentation de la consommation, les ménages consacrant une part de moins en moins importante de leur budget à la consommation de biens matériels de base. De ce point de vue l’évolution du secteur tertiaire et donc de son contenu en emploi est fortement dépendant du report de la consommation sur les autres secteurs, reports qui pourront être imputables à une augmentation des coûts due à l’internalisation des contraintes environnementales notamment.
* Les activités éducatives et de conseil, culturelles et de communication
L’intense mouvement d’innovation et d’expérimentation qui sera nécessaire pour anticiper et faire face aux menaces de dégradation du climat et d’épuisement des ressources naturelles que font peser les modes de productions non durables actuels appellera une augmentation considérable des emplois dans la recherche, l’évaluation, la conduite et la coordination de projets, et en amont, dans la formation à ces métiers.
Par ailleurs, on peut prévoir que les individus trouvent dans les activités créatives, culturelles, de communication et de connaissance une satisfaction se substituant au modèle consumériste lié à des modes de production non durables. L’emploi dans ces secteurs a un bel avenir.
Des tentatives de quantification des évolutions de l’emploi dans les secteurs prioritairement impactés par la transition vers une économie écologique.
Les principales études quantifiant l’impact de la transition vers une économie verte sur l’emploi en France le font en se focalisant sur la contrainte carbone. C’est le cas de l’étude Syndex / Alpha Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans les secteurs de l’industrie et de l’énergie dans le contexte d’une économie verte (avril 2011) qui analyse les évolutions de l’emploi impactées par le Grenelle de l’environnement et l’évolution du système européen ETS d’échange des droits d’émission des gaz à effet de serre. C’est également le cas du rapport du WWF France (2008) -30% de Co2 = + 684 000 emplois L’équation gagnante de la France, qui lui s’appuie sur le scenario Negawatt 2006 pour projeter les évolutions et donc sur les 2 objectifs de -30% d’émissions de Co2 d’ici 2020 et de sortie progressive du nucléaire. L’un et l’autre des scenarios tablent sur une progression du nombre d’emplois crées, mais avec des dynamiques fortement différenciées selon les secteurs.
Le scenario WWF distingue plusieurs types d’effets :
- les emplois directs crées dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique
- les emplois indirects crées dans les chaines de fournisseurs de ces secteurs
- les emplois directs détruits dans les secteurs dont l’activité serait amenée à décliner : activités relatives aux produits pétroliers charbon, gaz, électricité, construction et commerce automobile
- les emplois indirects détruits dans les chaines de fournisseurs de ces secteurs
- les emplois induits créés ou détruits dans le reste de l’économie.
Fig. 3 - Emplois créés et détruits
Le rapport Syndex/Alpha distingue les secteurs menacés par la contrainte carbone de ceux qui en tireraient un avantage.
Typologie de l’emploi par industrie [10]
Les dynamiques de l’emploi | Les industries |
Menace sur l’emploi dans les industries confrontées à la contrainte carbone |
Raffinage, sidérurgie, cimenterie, chimie (amoniac-acide nitrique-noir de carbone-chlorochimie-pétrochimie), tuiles et briques |
Croissance modérée de l’emploi dans le secteur énergétique |
Production d’électricité, transport de gaz, chauffage urbain |
Mutation des emplois dans les industries au cœur de la transition vers une économie bas-carbone |
Automobile |
Croissance de l’emploi dans les industries de biens d’équipements |
Industrie ferroviaire, industries des équipements mécaniques et électriques, industrie du verre et des matériaux d’isolation. |
Croissance/décroissance, un faux débat
Vers une décroissance ?
On le voit le débat sur la décroissance tel qu’il est généralement posé est très caricatural. Il faut distinguer :
* Ce qui va dans le sens d’une réduction de la croissance
- Les gains de productivité sur l’usage des ressources naturelles qui découlent d’une réduction des gaspillages et une optimisation des fonctions à travers les nouvelles technologies de communication ;
- Une amélioration de l’organisation logistique (relocalisation des activités, politique d’aménagement du territoire, urbanisme).
- Ce qui va dans le sens d’une relance économique
- Les politiques d’économie d’énergie qui se traduit par une réduction des importations d’énergie ;
- La relocalisation de l’économie induite par la valorisation des matières premières issues du recyclage.
UNE NOUVELLE EQUATION MACROECONOMIQUE PRENANT EN COMPTE LES EVOLUTIONS DIVERGENTES DE LA DEMANDE Jonathan Harris dans son article « ecological macroeconomics : consumption, investment, and climate change » propose une nouvelle équation macroéconomique où sont distinguées dans les composantes de la demande celles qui doivent croître et celles qui doivent décroître dans une économie écologique. [11] Y=C+I+G+(X-M) où Y est le niveau de revenu ou de production, C la dépense des ménages, I l’investissement des entreprises, G les dépenses publiques, X les exportations et M les importations. Il distingue :C=Cg+Cs+Cm où Cg est la consommation de biens et services non durables intensifs en énergie, Cs est la consommation de services intensifs en capital humain, Cm est l’investissement des ménages dans les biens durables. I=Ime+Imc+In+Ih où Ime est l’investissement dans le capital manufacturé intensif en énergie, Imc est l’investissement dans le capital manufacturé économe en énergie, In l’investissement dans le capital naturel, Ih l’investissement dans le capital humain. G=Gg+Gs+Gme+Gmc+Gn+Gh où Gg est la dépense publique en biens et services non durables et intensifs en énergie, Gs est la dépense publique en services intensifs en capital humain, Gme l’investissement public dans le capital manufacturé intensif en énergie, Gmc l’investissement public dans le capital manufacturé économe en énergie, Gn l’investissement public dans le capital naturel, Gh l’investissement public dans le capital humain. Alors la production se décompose en parties, la première, contrepartie de dépenses non durables qui doit décroître et la seconde, contrepartie de dépenses durables qui doivent croître. |
* La nécessité de disposer de nouveaux indicateurs
De ce qui précède, il découle que les indicateurs usuels comme la croissance du PIB ne sont pas adéquats. Cette question des indicateurs telle qu’elle est usuellement abordée n’est pas suffisamment adaptée au pilotage de la transition : réduction des gaspillages, réduction de la part contrainte du revenu des ménages, baisse de l’intensité énergétique de la production, ….
A l’évidence des batteries d’indicateurs sont nécessaires pour piloter la transition au niveau de l’entreprise, du secteur, de la filière, des consommateurs, des territoires, des pays, de l’Europe et du monde : émissions de gaz à effet de serre, impact sur les pollutions de divers ordres, prélèvements sur les ressources, action sur les milieux (sols, eau, air, …), prévalence de la pauvreté, de l’exclusion, de la précarité, du chômage, mesures des inégalités, de la cohésion sociale, indices de santé, bien être, …
La première étape d’une politique de développement durable conséquente est précisément la création, la tenue et la diffusion large, et l’utilisation de ces tableaux de bord. Cet enjeu est capital. Tant que l’indicateur exclusif de richesse et de bienêtre sera le PIB pour un pays, le chiffre d’affaire pour une entreprise, le revenu pour un ménage, la vision de l’avenir restera floue, la transition vers une économie écologique et équitable ne sera pas amorcée.
La crise du modèle de développement non soutenable actuel produit une détérioration du capital humain : menaces sur l’appareil éducatif et de formation, régression de la protection sociale, précarisation du travail qui empêche la capitalisation des savoirs pratiques, scientifiques et techniques, marginalisation des jeunes victimes du chômage, management par le stress destructeur des collectifs de travail, montée des inégalités destructrice des solidarités. L’objet d’une économie écologique et équitable est de s’attaquer à tous ces maux.
En effet, à rebours des évolutions récentes et des tendances spontanées de court terme, la construction d’une économie écologique et équitable suppose une attention extrême au capital humain. Il dépendra de l’inventivité des hommes, de leur capacité à agir collectivement que l’humanité puisse faire face aux risques environnementaux et sociaux qui s’annoncent et trouve la voie d’un mode de vie et de production en harmonie avec sa planète.
Une politique d’éducation : garantir l’accès au savoir, diffuser largement les connaissances, valoriser la coopération sur des projets
La priorité donnée à l’éducation, à la diffusion des savoirs et au développement des innovations collectives est à la base d’une transition vers une économie écologique et équitable. C’est par l’éducation et l’appropriation collective des enjeux que les hommes pourront au niveau des entreprises, des territoires et des peuples déterminer les voies de cette transition. Comme dans toute période de bouleversements profonds la créativité et la diffusion des expérimentations sociales sont des facteurs de réussite primordiaux.
L’éducation face aux défis d’un monde qui change [12]
A différents moments de l’histoire, l’éducation a porté un projet en vue de construire une société et de dépasser ses contradictions. Ainsi, après-guerre, l’école a porté un dessein collectif qui consistait à reconstruire les pays dans la paix. C’est particulièrement vrai en France. Reconstruction, industrialisation, paix ont formé le socle du projet scolaire français. Cependant, il y a aujourd’hui une critique à mener du projet éducatif, dans la mesure où ce projet parvient à ses limites en même temps que le modèle de développement économique parvient aux siennes dans les pays développés. Et l’on risque d’augmenter le mal si les pays émergents et en développement suivent les mêmes méthodes et reproduisent les mêmes enseignements que ceux qui ont vécu dans les pays développés et qui ont atteint leurs limites. Ceci est particulièrement vrai dans le supérieur. L’école trouve en outre difficilement sa place face au consumérisme de masse et à la concurrence des industries de programmes, qui relèguent au second plan les enseignements les plus en phase avec le développement durable.
Il faut être à l’écoute des critiques des systèmes d’éducation qui naissent dans l’ensemble du monde. Dans des pays de l’Amérique latine, il est intéressant de constater que les mouvements sociaux, l’éducation populaire et certaines OGN, cherchent à renforcer leurs liens avec l’université pour créer des filières qui correspondent aux défis d’une démocratie environnementale et participative (ainsi Cafolis, en Amérique du Sud, ou la Coordination des habitants, les participants au Forum social sciences et démocratie (FMSD), des associations d’éducation populaire…). Ces acteurs peuvent avoir une longueur d’avance ou une réactivité supérieure aux projets nationaux. D’autre part, la place de la nature dans l’éducation des sociétés urbaines ne peut être passée sous silence. La population réclame de façon explicite une plus grande prise en compte de la nature, de l’écologie, de l’environnement et du développement durable dans l’éducation et la formation tout au long de la vie [13].
L’éducation est considérée comme un droit dans le monde, mais comment garantir :
- qu’elle corresponde à des enjeux autant universels que locaux (échelle mondiale de l’éducation) ;
- qu’elle corresponde aux besoins d’une collectivité dans son ensemble et non pas seulement à ceux d’une élite ou d’une caste (échelle sociologique de l’éducation) ;
- et qu’elle distribue et répartisse les contenus à même d’affronter les enjeux que la science et les Etats doivent affronter, au lieu de répéter des formules d’un développement consumériste parvenu à ses limites ?
Répondre aux besoins et aux attentes sociales
Les besoins en formation initiale sont lourds pour une partie de la population salariale peu qualifiée. En France la question de l’élévation du niveau moyen de qualification reste un problème malgré l’allongement de la durée de scolarité des plus jeunes. La part des diplômés de l’enseignement supérieur est de 43% dans la génération 1976-1980 contre 21% dans la génération 1961-1965 (Dayan, 2009). Par ailleurs l’illettrisme reste un phénomène loin d’être marginal puisqu’il concerne 3 100 000 personnes en France dont 57% sont en emploi. Ces situations constituent un obstacle évident au maintien de l’emploi, notamment dans les cas où l’entreprise fait évoluer ses technologies. Sans aborder les questions d’anticipation à la mutation vers une économie écologique, les besoins de base en formation sont très importants.
L’apport des TIC
Les TIC offrent une opportunité inédite de diffusion des savoirs et de coopération. Ce potentiel doit être défendu et valorisé en préservant un espace coopératif et gratuit face à l’utilisation massivement commerciale d’Internet.
La pratique d’Internet pour accéder aux connaissances doit être abordée dès l’école. Jusqu’ici on peut déplorer que les possibilités pédagogiques des technologies de l’information soient peu explorées. La recherche pédagogique doit s’emparer de ce média et déboucher sur des programmes d’apprentissage renouvelés et plus individualisés à tous les âges de la vie.
L’utilisation d’Internet pour coopérer à des projets doit être également pratiquée dès l’école en réservant une place à ce type de réalisation dans les programmes d’enseignement et de formation des enseignants.
Une politique donnant la priorité à la santé : principe de précaution, prévention et travail décent.
La santé au cœur d’un autre modèle de développement
La santé des hommes est menacée par les nombreuses pollutions liées aux modes de production et de vie non durables, ainsi qu’à la priorité donnée dans certaines entreprises à la rentabilité immédiate aux dépens de principes de précaution. Pollution de l’air des villes par les émissions des véhicules, pollutions de l’eau, pollutions alimentaires liées à l’abus des produits chimiques, propagation de l’obésité, abus des médicaments et psychotropes, scandale de l’amiante… Une économie écologique et équitable veillera à l’éliminer ces risques.
La santé, 4ème crise écologique, 4ème pilier du développement durable. Trois crises servent habituellement à caractériser la crise écologique : le réchauffement climatique, l’épuisement des ressources naturelles et la chute de la biodiversité. Ces 3 crises découlent du constat de l’incapacité de la planète à faire face aux conséquences de l’activité humaine. Cette prise de conscience de la finitude de la planète fonde le paradigme écologique. Celui-ci prend ainsi le contre-pied du paradigme dominant depuis deux siècles qui considère la planète comme une réserve inépuisable de ressources, dotée d’une capacité d’absorption sans limite des conséquences de l’activité humaine. Ces trois crises ont en commun d’avoir un caractère irréversible ou, tout du moins, réversible seulement sur la longue durée. C’est ce qui a donné naissance au principe de précaution. Elles ont pour conséquence d’induire une rupture de la vision politique en appelant à travailler sur des objectifs à long terme et plus seulement sur ceux définis sur la constante de temps des mandats électifs et elles conduisent à un changement radical du mode de développement. La crise écologique ainsi définie doit aujourd’hui être complétée en adjoignant à ces 3 crises une 4ème, la crise sanitaire. La caractéristique majeure de cette dernière est la croissance des maladies chroniques constatée aujourd’hui non seulement dans les pays du Nord, mais sur l’ensemble de la planète. Dans son plan de lutte contre les maladies non transmissibles publié le 28 Mai 2008, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qualifie cette épidémie de « principal challenge auquel doit faire face l’humanité en ce début de 21ème siècle ». Maladies cardio-vasculaires (MCV), cancer, diabète et obésité, maladies respiratoires… ont en effet supplanté les maladies infectieuses au cours du siècle dernier, phénomène appelé également « transition épidémiologique » . Comme les 3 autres crises écologiques, la crise sanitaire est la conséquence de l’activité humaine, car toutes ces maladies chroniques trouvent majoritairement leur cause dans l’environnement moderne. Cette crise n’est pas seulement sanitaire. Elle impacte l’ensemble de l’économie et du champ social. En priorité, elle met en péril les systèmes de santé et d’assurance maladie qui se sont construits dans l’après-guerre dans les pays développés sur un paradigme biomédical reposant sur le rôle quasi-exclusif du soin dans une politique de santé. La diminution de l’espérance de vie en bonne santé constatée dans plusieurs pays européens est une autre conséquence également de cette épidémie de maladies chroniques, ce qui annonce une décroissance de l’espérance de vie tout court, comme semblent le montrer les dernières statistiques américaines. Au moment où tous les pays européens décident de reculer l’âge de la retraite, sans que curieusement cette donnée ait été mise dans le débat public, il s’agit là d’un fait majeur. La santé est un déterminant de l’état de bien-être et de la capacité de développement. A l’inverse la croissance des maladies chroniques pèse sur ce développement. Il est nécessaire de considérer la santé comme le 4ème pilier du développement durable. 2012, en amont de la conférence Rio+20 André CICOLELLA Président du Réseau Environnement Santé |
Une politique de santé donnant la priorité à la prévention et à la responsabilité sera partie intégrante d’une économie écologique et équitable, afin d’éviter les coûts prohibitifs d’une politique focalisée uniquement sur le traitement de la maladie.
Il s’agit également d’accorder à tous une protection sociale de base, telle qu’elle est défendue dans l’Agenda pour le travail décent, de l’Organisation Internationale du Travail.
Une protection sociale universelle pour la défense d’un travail décent
Une économie écologique et équitable ne peut se satisfaire de l’accroissement ininterrompu des inégalités et de la généralisation de conditions de travail dégradées. Sa mise en œuvre passe par l’application de l’Agenda pour le travail décent, de l’OIT et la poursuite de ces quatre objectifs stratégiques :
- Créer des emplois – l’économie doit générer des possibilités d’investir, d’entreprendre, de développer les compétences, de créer des emplois et des moyens de subsistance durables.
- Garantir les droits au travail – obtenir la reconnaissance et le respect des droits des travailleurs. Tous les travailleurs, et en particulier les travailleurs pauvres ou défavorisés, ont besoin d’être représentés, de participer, et que des lois justes soient appliquées et servent leurs intérêts.
- Etendre la protection sociale – promouvoir l’insertion et la productivité en garantissant à chaque homme et chaque femme des conditions de travail sures, la jouissance de temps libre et de repos, la prise en compte de la famille et des valeurs sociales, l’accès à une juste indemnisation en cas de perte ou de diminution de revenus et l’accès à des soins médicaux adaptés.
- Promouvoir le dialogue social – la participation d’organisations d’employeurs et de travailleurs fortes et indépendantes, est vitale pour améliorer la productivité, éviter les conflits au travail et construire des sociétés solidaires.
Dans cette perspective la mise en œuvre d’une protection sociale universelle apparait comme prioritaire pour répondre aux défis de la lutte contre la pauvreté, d’accès aux soins et à une couverture vieillesse. Le rapport de Michelle Bachelet pour l’OIT Socle pour une protection sociale pour une mondialisation juste et inclusive pointe les garanties apportées par la généralisation de ce dispositif :
- « une sécurité du revenu de base, sous la forme de divers transferts sociaux (en espèce ou en nature), comme les pensions pour les personnes âgées ou handicapées, les allocations familiales, les allocations de soutien au revenu et/ou les garanties d’emploi ainsi que les services pour les chômeurs et les travailleurs pauvres.
- un accès financièrement abordable aux services sociaux essentiels en matière de santé, d’eau potable et d’assainissement, d’éducation, de sécurité alimentaire, de logement et autres domaines définis en fonction des priorités nationales. »
La poursuite de l’agenda pour le travail décent ainsi que la mise en place d’une protection sociale universelle sont des préalables indispensables à l’avènement d’une économie attentive au capital humain.
Anticiper la mutation
Les transitions professionnelles que suscite la transition vers une économie écologique doivent faire l’objet d’un accompagnement spécifique. C’est le sens de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dont la conduite doit être généralisée afin de répondre aux besoins et attentes des salariés et d’anticiper la mutation vers une économie écologique.
La diffusion de la GPEC dans les entreprises reste à ce jour limitée. Or la GPEC est cruciale dans une perspective de transition vers une économie écologique car ce passage ne se fera pas sans qu’émergent de nouvelles compétences et de nouveaux métiers qui rendront possible la transition. Par ailleurs la GPEC permet d’anticiper la mutation aux nouveaux métiers et sécuriser les parcours professionnels. Il s’agit tout à la fois de repérer les « métiers d’avenir » et de structurer l’offre de formation initiale.
La GPEC doit permettre de faire remonter les compétences des salariés afin de mieux anticiper les besoins des salariés et d’adapter les formations. Dans une perspective de transition vers une économie écologique où les mutations organisationnelles et au sein même des métiers vont être très importantes, cette étape de diagnostic apparait comme indispensable. Il y a par ailleurs un véritable enjeu à éviter la perte de compétence qui pourrait survenir dans certaines filières telles que le nucléaire ou bien le charbon, si aucune GPEC efficace n’est mise en œuvre. En effet, maintenir à niveau les compétences des salariés actifs ou de ceux partant bientôt à la retraite est déterminant pour l’efficacité du parc énergétique et pour éviter un cloisonnement des filières [14]. Ainsi la GPEC doit être installée dans le temps. Il s’agit de passer d’une logique de captation de compétence de court terme à une logique de formation de moyen/long terme. Dans les entreprises soumises à une forte concurrence marchande la logique est celle du « right competence at the right moment » soit une gestion des compétences à un horizon de 2 ans. Mais dans les entreprises moins soumises à une forte contrainte marchande la définition de pratiques de GPEC plus offensives, mieux négociées, est possible. La prise en charge des enjeux de long terme du développement durable nécessite un apprentissage collectif et peut-être utile aux entreprises en élargissant leur horizon spécifique [15].
Mais ce diagnostic des ressources ne doit pas être menée en vase clos par l’entreprise, il doit être étendu au territoire tout entier. De même qu’une connaissance fine des ressources naturelles et des flux de matière sur le territoire est nécessaire, l’observation des compétences disponibles et des besoins est nécessaire pour favoriser un développement économique ancré dans les territoires et favoriser l’emploi sur le long terme. Une GPEC répondant aux enjeux de développement durable implique également de décloisonner la circulation des compétences qui reste encore cloisonnée branche par branche. Il s’agit de réintroduire une réflexion par filière plus compatible avec la prise en charge des interdépendances environnementales. L’inscription territoriale de ces filières implique là aussi que l’entreprise ancre sa réflexion sur les chaines de valeur, aujourd’hui tronçonnées et fortement flexibles géographiquement, sur le territoire.
Par ailleurs l’allongement à venir de la durée d’activité implique que l’entreprise s’adapte à cette nouvelle génération de travailleurs. La GPEC doit permettre dans les entreprises de développer une gestion de l’emploi accompagnant la coexistence de plusieurs générations de travailleurs au sein de l’entreprise et favorisant la mixité intergénérationnelle.
Redonner du sens au travail
La recherche du sens au travail est une attente largement partagée par les Français qui font d’ailleurs figure d’exception en Europe. Mais ces attentes très fortes sont déçues : relations à la hiérarchie problématiques, conditions de travail dégradées, faiblesse des salaires, débordement sur le reste de la vie.
Le travail compris comme un élément central de la vie, mais des attentes vis-à-vis du travail fortement déçues [16]
Les Français sont parmi les Européens ceux qui accordent le plus d’importante au travail, 65 % le déclare comme très important. Ils se classent au même niveau que les pays les plus pauvres de l’UE, Lettonie et Roumanie (European social survey). Par ailleurs les Français sont très nombreux à estimer que le développement de leurs capacités passe par le travail, avec le score le plus élevé d’Europe. L’importance du chômage en France peut en partie expliquer cet attachement au travail, mais il n’explique pas pourquoi les Français accordent une importante spécifique à l’intérêt de l’emploi. Selon Philippe d’Iribarne, la société française resterait structurée par une hiérarchie sociale, par des « rangs » dont l’accès est conditionné par la réussite au sein du système scolaire. C’est cette place centrale du diplôme dans la stratification sociale et, par conséquent, le fait que le travail soit un véritable statut social qui pourrait expliquer les investissements dont celui-ci est l’objet. La jeune génération investit particulièrement cette fonction expressive du travail, particulièrement les jeunes ayant fait des études qui ont des attentes élevées vis-à-vis de leur emploi.
Si les Français investissent autant dans le travail ils sont nombreux à considérer qu’il occupe trop de place. Si l’on peut y voir une contradiction avec les données précédentes, il y a là surtout l’expression d’un mal être au travail : stress, mauvaise qualité des relations sociales, salaire jugé insuffisant. Les études de l’International Social Survey Programme mettent en évidence le fait qu’en France les travailleurs se déclarent soumis à un stress plus important qu’ailleurs et sont ceux qui se sentent le plus souvent épuisés après le travail. Ce phénomène résulte de l’intensification du travail et sans doute de la productivité très importante des travailleurs français.
Par ailleurs ce mal être au travail est révélateur d’un sentiment de déclassement, particulièrement important en France. Les générations les plus jeunes, qui ont investi massivement dans la formation, sont plus exigeantes vis-à-vis du sens au travail et l’espoir d’obtenir un emploi à la hauteur de leurs intérêts, semblent aujourd’hui souvent déçues. Ainsi plus de 4 Français sur 10 estiment que leur qualification leur permettrait d’effectuer un travail plus exigeant (enquête européenne sur les conditions de travail). La surqualification d’une partie importante de la jeune population salariée est de ce point de vue très coûteuse dans la déception qu’elle génère et le désengagement qu’elle peut engendrer.
Le problème de la surqualification à l’embauche et de la déqualification des emplois si elle pose des problèmes évidents en termes de sens au travail, ou plutôt de malaise au travail, peut-être également analysé du point de vue du gaspillage très important d’intelligences et de compétences qu’il génère.
Une attention croissante portée à l’articulation des temps de vie.
Si les Français estiment que le travail prend trop de place c’est qu’il rentre en concurrence avec un autre espace jugé plus important que lui, la famille et les relations sociales. La difficulté de concilier ces deux temps est vécue comme un empiètement de la sphère du travail sur la sphère intime. « Le désir de voir le travail prendre moins de place ne peut en aucun cas être interprété comme le signe d’une aspiration aux loisirs ou d’une inappétence pour celui-là. Il s’agit bien plutôt de l’expression d’un dysfonctionnement de la sphère du travail assez spécifique à la France (en raison de la dégradation des conditions de travail et du sentiment d’insécurité de l’emploi), ainsi que d’une intention positive de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale. Cette inclination s’inscrit dans un contexte de montée ininterrompue de l’activité des femmes et d’insuffisance des politiques publiques et d’entreprise permettant aux individus de s’engager également dans les différentes sphères de vie auxquelles ils attachent de l’importance et qui constituent pour eux autant de modalités diverses de leur réalisation. [17] »
La jeune génération porte par ailleurs une conception plus polycentrique de l’existence qui tend à ne plus conférer au travail une place hégémonique. L’articulation des divers temps de vie (relations familiales, amoureuses, amicales, les loisirs, l’engagement, le bénévolat…) est alors considérée comme essentielle. La hausse du niveau de qualification ainsi que les désillusions qu’il provoque sont sans doute des facteurs importants de cette évolution. Mais l’évolution des modèles familiaux et l’aspiration croissante pour un certain nombre d’hommes de limiter l’impact du travail avec l’arrivée du premier enfant sont également des facteurs explicatifs à prendre en compte. Le genre est une variable pertinente pour expliquer les changements générationnels. En l’occurrence on assiste à un rapprochement des conceptions féminines et masculines dans le rapport au travail. Les jeunes hommes sont plus engagés dans la paternité que leurs aînés. Même si la répartition des rôles reste inégalitaire, les femmes ne considèrent plus le travail comme un instrument d’émancipation, qui leur est majoritairement garantie. Le travail devient de plus en plus un élément déterminant de leur identité sociale. [18]
Le travail libéré dans une économie écologique et équitable
Une économie écologique et équitable donne la priorité à la productivité des ressources naturelles rares sur la productivité du travail. Une économie écologique et équitable s’assigne pour but de réduire les inégalités. Une économie écologique et équitable est une économie de mobilisation pour faire face à la crise économique, environnementale et sociale, elle libère les énergies créatives. Une économie écologique et équitable recherche la satisfaction réelle des consommateurs et non la maximisation de leur consommation.
Il est aisé de constater que toutes ces caractéristiques redonnent un sens très fort au travail. Les principes de Taylor de division des tâches ne sont plus de mise ; au contraire c’est la collaboration des différentes fonctions de l’entreprise et de ses partenaires qui permet de trouver les solutions systémiques d’économie des ressources. Les collectifs de travail sont soudés par la réduction des inégalités et l’urgence des défis et non plus divisés et individualisés. Les salariés en contact avec le public ne se sentent pas en porte-à-faux éthique par rapport aux clients.
Mobilisés pour répondre à l’ampleur des enjeux les travailleurs pourront s’arracher à la fatalité et la routine du « gagner sa croute », à l’angoisse générée par l’exacerbation de la compétition interindividuelle et le chômage, ils pourront démontrer toutes leurs capacités créatives.
Réconcilier les personnes avec le travail c’est également prêter attention aux rapports sociaux au travail. Il s’agit en particulier d’explorer les opportunités de renversement du rapport de force actionnariat/communauté des travailleurs, qui impacte défavorablement l’économie réelle et crée des tensions considérables au sein des entreprises en privilégiant les impératifs de rentabilité à court terme, qui favorisent les phénomènes de souffrance au travail. Une économie écologique est étrangère aux activités spéculatives, ce qui impacte favorablement l’emploi et les conditions de travail. Au-delà de la nécessaire réduction des inégalités salariales par un resserrement de la grille des salaires, l’évolution des rapports hiérarchiques suppose une évolution de la gouvernance des entreprises, préalable à toute démocratisation de leur fonctionnement. Sur les modèles de gouvernance, il faut s’interroger sur la diffusion des modèles de type coopératif / associatifs ainsi que sur un autre versant, explorer les opportunités de généralisation de pratiques de RSE sincères.
Sur ce premier aspect, même si l’emploi associatif et coopératif, ferments de la transition écologique, est en forte hausse (7 % et 8 % du PIB et emploie un salarié sur dix) les freins à la généralisation de ce type d’activités sont nombreux. Ils tiennent tout d’abord aux limites endogènes au développement de l’ESS : sobriété entrepreneuriale, faible diversité des activités, limites liées aux sociétés de personnes, des modes de régulations salariales hétérogènes…
Partager le travail pour conjuguer croissance lente et emploi pour tous
Pour éviter que le ralentissement de la croissance promis aux vieux pays développés, ayant déjà atteint un niveau de vie non soutenable, ne dégénère en crise sociale majeure avec un taux de chômage insupportable, une seule solution : le partage du travail. Mais une baisse de la durée du travail, toutes choses égales par ailleurs, entame la compétitivité des productions soumises à la concurrence mondiale. Pour rétablir la compétitivité d’un pays (et donc sa résistance économique et sociale dans un contexte de libre échange) on peut imaginer de compenser par une hausse de compétitivité dans les domaines non soumis à la concurrence mondiale.
Une proposition serait de baisser le coût de l’Etat-providence et d’étendre la sphère de l’économie sociale et solidaire en tablant sur l’initiative citoyenne et le bénévolat. Des mesures telles que l’engagement d’y consacrer une partie de son temps libéré par la baisse de la durée du travail ou en contrepartie de prestations issues de la solidarité nationale pourraient permettre cette économie.
On pourrait imaginer que, en libérant l’auto-organisation sur une base locale de ce temps disponible, qui réunit forcément des compétences et des motivations diversifiées, des services issus de l’initiative locale et répondant mieux aux besoins se substituent aux services publics standardisés ou aux coûteux services privés, atteints souvent de dérive bureaucratique. En fonction de l’expérience, un encadrement souple de ces innovations sociales pourrait être édicté au niveau national. L’initiative locale citoyenne peut aussi aider à amorcer le changement des modes de production et de consommation vers un développement durable.
L’auto-organisation correspondrait en même temps à une forme d’autodéfense de la société face à la pénurie et à l’effritement des services publics : fermeture des bureaux de poste dans les zones rurales, fermeture des écoles maternelles, des crèches, baisse de l’aide aux personnes âgées… Elle serait facilitée par la reconnaissance du temps bénévole, elle permettrait d’entretenir et de développer des compétences laissées en friche par le chômage et l’exclusion sociale, de redonner sens au travail gratuit.
L’auto-organisation sera facilitée par une vie locale citoyenne et la communication avec les TIC. Cette auto-organisation sur une base locale peut aussi dessiner progressivement des formes d’alternatives durables aux filières économiques existantes. Nous avons déjà l’exemple des AMAP qui résolvent le problème du revenu des agriculteurs et de l’assurance sur la qualité des produits demandée par les consommateurs tout en réduisant grâce aux circuits courts, les émissions de gaz à effet de serre par rapport à la logistique de la grande distribution. Mais on peut aussi évoquer les monnaies complémentaires, …
Pour que ces voies d’initiative citoyenne prennent racine le terrain doit être préparé. Il faut éliminer les règlementations qui y font obstacle, observer, évaluer les initiatives et faciliter leur essaimage, permettre aux collectivités territoriales de les coordonner et de les encourager.
Donner un avenir à la jeunesse
La jeune génération qui est plus exposée aux emplois précaires est également celle qui semble considérer ces trajectoires instables comme normales. Entre intériorisation d’une conception libérale du marché du travail et évolution vers une conception « polycentrique » de l’existence, c’est-à-dire une conception de la vie et un système de valeurs organisés autour de plusieurs centres (le travail, la famille, les relations amoureuses, les loisirs, l’engagement…), comment sont vécus ces trajectoires heurtées ?
Il n’est pas certain que le CDI à vie soit l’idéal type du rapport à l’emploi pour les jeunes. La possibilité d’alterner des périodes d’emploi, de non emploi, de formation, cette souplesse dans le rapport à l’emploi est connotée très positivement. La question centrale est alors moins d’ordre statutaire que celle de la sécurisation des périodes de transition. La fondation internet nouvelle génération (FING) dans son scenario CDI, c’est fini [19] explore les mutations du rapport au travail à attendre de la « recherche constante de flexibilité de la part des entreprises, de l’individualisation et de la délinéarisation des parcours professionnels associée à l’aspiration à « travailler autrement pour vivre autrement », de l’évolution accélérée des métiers et des compétences. »
FING - Le scénario CDI, c’est fini : Qu’est qui change dans ce scénario ? Les cadres traditionnels du travail explosent Le contrat à durée indéterminée et à plein temps cesse d’être une référence, et même un objectif. Par choix, par obligation ou un peu des deux, une majorité d’individus travaille à temps partiel, sur des contrats courts, et cumule plusieurs emplois, missions et autres activités. La distinction entre travail salarié et indépendant, activités associatives, bénévolat, formation, etc., se brouille. Les rythmes de vie s’individualisent de plus en plus, chacun cherchant à articuler au mieux les activités rémunératrices, le temps consacré à des passions ou des engagements et le temps familial. On travaille toujours « à distance » de quelque chose et quelqu’un, même lorsqu’on est inséré dans une communauté de travail. Les individus multi-employés doivent disposer de leur propre équipement et pouvoir travailler où qu’ils se trouvent. Le réseau forme la base à partir de laquelle on construit son itinéraire, on trouve des contrats, on travaille. Avec le temps, cette base offre plus de stabilité et permet de prendre plus de risques. Les individus sont seuls responsables de leur développement professionnel. L’entraide y joue un rôle central : on forme pour être formé à son tour, on recommande quelqu’un pour être soi-même recommandé… Un effet domino sur… … Les espaces de travail, qu’il faut réinventer pour s’adapter à la multiactivité, au turnover et à la très forte variabilité des effectifs en fonction des projets. … La formation et la recherche d’emploi « tout au long de la vie », dont on attend plus de mobilité et de transversalité, pour pouvoir plus aisément changer de métier ou exercer plusieurs activités à la fois. … Les systèmes sociaux, qui doivent offrir un filet de sécurité à des itinéraires de vies de plus en plus complexes et différenciés. |
Ce scenario fait peser certaines menaces sur la stabilité des relations sociales et conforte une atomisation des individus, « toujours reliés mais toujours seuls ». Par ailleurs il est très fortement inégalitaire, la capacité à tirer parti d’un réseau étant dépendante de la qualification mais également du milieu dont sont issus les individus. Mais ce scenario tire le fil de la discontinuité des carrières et offre des pistes de réflexion pour insérer de la continuité, celle de la sécurisation des parcours dans ces trajectoires heurtées. Il pointe notamment plusieurs pistes en ce sens :
- En permettant l’exercice d’un réel choix en sécurisant les parcours professionnels discontinus, voire en assurant un revenu minimal de vie
- En créant de nouvelles formes de solidarité et d’investissement sur le capital humain : droit personnel à la formation tout au long de la vie, formation et coaching réciproques et intergénérationnels, reconnaissance de toutes les expériences y compris bénévoles et associatives…
- En favorisant le développement de nouvelles structures-supports : réseaux d’indépendants, portage salarial, espaces de coworking, lieux de travail repensés…
Une économie écologique et équitable doit être attentive aux personnes, à leur prise en compte comme un être global. Elle doit garantir les transitions de vie.
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] CSI (avril 2012), Vers une croissance de l’emploi vert et décent
[2] BIPE (2009). Visions à 30 ans d’une France engagée dans le développement durable.
[3] Syndex/Alpha (avril 2011) « Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans les secteurs de l’industrie et de l’énergie impactés par le Grenelle de l’environnement et l’évolution du système européen ETS d’échange des droits d’émission des gaz à effet de serre dans le contexte d’une économie verte »
[4] Puech J (avril 2009), Mise en valeur de la forêt française et développement de la filière bois
http://agriculture.gouv.fr/
[5] Dufumier M. (décembre 2010) Quelles agricultures « durables » pour nourrir correctement l’humanité ? , Encyclopédie du développement durable
http://encyclopedie-dd.org/encyclop...
[6] Inra- Cirad (2009) Agrimonde, agricultures et alimentation du monde en 2050 : Scenarios et défis pour un développement durable.
[7] Entre 2000 et 2009 il y a eu une baisse de 25% des emplois agricoles européens.
[8] Jean Gadrey, « La crise écologique exige une révolution de l’économie des services », Développement durable et territoires
http://developpementdurable.revues....
[9] Jean Gadrey, « La crise écologique exige une révolution de l’économie des services », Développement durable et territoires
http://developpementdurable.revues....
[10] Mestre A., Duchesne C, Croissance verte et transition sociale, Encyclopédie du développement durable
http://encyclopedie-dd.org/encyclop...
[11] Institut Veblen « refonder la macroéconomie pour intégrer les contraintes écologiques Aurore Lalucq mars 2012.
[12] Cette analyse s’appuie sur les réflexions du groupe de travail « Démocratie, Education, Concertation » du collectif Rio+20.
[13] En France la stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) se donne pour premier objectif de développer la culture de la nature et pour deuxième de favoriser l’initiative et la mobilisation citoyenne. Des plans d’éducation à la nature commence a apparaître dans les territoires (Haute-Normandie, CPN). La dynamique des assises nationales de l’EEDD en France amorcée en 1999-2000, puis relancée en 2008-2009 montre en mobilisant 6000 personnes lors de 65 assises en territoire que c’est une véritable réappropriation du fait éducatif par le corps social qui est vécu.
[14] Syndex/Alpha (avril 2011) « Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans les secteurs de l’industrie et de l’énergie impactés par le Grenelle de l’environnement et l’évolution du système européen ETS d’échange des droits d’émission des gaz à effet de serre dans le contexte d’une économie verte »
[15] Groupe Alpha, GPEC et développement durable
[16] Cette analyse se réfère à l’article de Davoine Lucie et Méda Dominique, « Quelle place le travail occupe-t-il dans la vie des Français par rapport aux Européens ? » Informations sociales, 2009/3 n° 153
[17] ibid
[18] Méda Dominique et Vendramin Patricia « Les générations entretiennent-elles un rapport différent au travail ? », SociologieS, 2010
{[->http://www.cfdt.fr/jcms/prod_128646/pour-une-economie-ecologique-et-equitable ]}
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