Résumé
Un OGM est communément défini comme un micro-organisme ou un organisme vivant (animal ou végétal) dont le patrimoine génétique a été modifié par intervention humaine, dans le but d’y introduire un ou plusieurs gènes porteurs d’une propriété nouvelle et tirés d’un autre organisme. L’agriculture constitue le principal domaine d’application de cette biotechnologie, les OGM recouvrant principalement les plantes génétiquement modifiées (PGM) utilisées en vue de produire ou de tolérer des pesticides, de s’adapter à d’autres milieux naturels ou d’améliorer la qualité nutritive d’un aliment [1] . Ces variétés ont le plus souvent pour objectif d’accroître les rendements agricoles, mais soulèvent également de nombreuses questions et inquiétudes en matière de risques sanitaires et environnementaux, sur lesquels les incertitudes scientifiques demeurent. A cette question du risque s’est invité un élément nouveau dans le débat sur les OGM de ces dernières années, les données les plus récentes ayant mis en doute la rentabilité économique de ces organismes, et ainsi questionné leur intérêt réel.
Auteur·e
Diplômée en Études européennes avec une spécialité environnement, chargée de mission jusqu’en avril 2017 à La ’Fabrique Écologique’.
Cet article, déjà publié par la « Fabrique Ecologique » en avril 2017 en tant que note de décryptage ( www.lafabriqueecologique.fr/ ), fait le point sur les questions liées à l’utilisation et la mise au point des OGM (Organismes Génétiquement Modifiés) par les grandes firmes semencières.
Panorama des OGM dans le monde
[2]
Les plantes génétiquement modifiées constituent à l’heure actuelle l’essentiel des OGM commercialisés. Plus de 60 espèces végétales peuvent être génétiquement modifiées. Les plus utilisées sont le soja, le maïs, le coton et le colza, les deux premiers occupant à eux seuls plus de 80 % des surfaces OGM cultivées.
Les premières générations d’OGM ont eu pour objectif d’améliorer les caractéristiques agronomiques des plantes, et donc les capacités de production. Les modifications génétiques visent alors essentiellement à introduire dans les cultures deux propriétés : la tolérance à un ou plusieurs herbicides ou la résistance à certains insectes par la production d’une molécule insecticide, ou une combinaison de ces deux caractères. Commercialisées pour la première fois aux Etats-Unis en 1996, ces variétés génétiquement modifiées furent présentées comme une solution pour assurer l’alimentation de la population mondiale croissante. Les deuxièmes générations de cultures génétiquement modifiées ont ensuite cherché à augmenter la qualité nutritive des aliments.
Inexistantes au début des années 1990, les cultures OGM représentent en 2015 179,7 millions d’hectares, soit environ 12 % des surfaces cultivées à l’échelle planétaire. 18 millions d’agriculteurs (soit 1,4 % des agriculteurs), dans 28 pays, cultivent ces variétés. Après une croissance exponentielle depuis 1996, nous assistons ces dernières années à un ralentissement de l’augmentation des surfaces plantées en semences transgéniques, et pour la première fois à une diminution de 1 % en 2015 (par rapport aux 181,5 Mha de 2014), due principalement à l’effondrement du cours de certains produits agricoles.
Les Etats-Unis restent le premier pays producteur d’OGM avec 71 Mha de cultures transgéniques en 2015 (soit 39,5 % des terres cultivées dans ce pays [3] ), suivis du Brésil, de l’Argentine, de l’Inde et du Canada. Ces 5 pays concentrent 90 % des surfaces agricoles cultivées en OGM (85 % sur le seul continent américain).
En Europe en 2016, environ 136 000 ha sont plantés de plantes transgéniques, soit moins de 0,1% des surfaces cultivées européennes. Cinq pays en cultivent : l’Espagne et le Portugal abritent à eux seuls 95 % des cultures de PGM dans l’Union européenne (respectivement 129 000 et 7000 ha), suivis par la République tchèque, la Roumanie et la Slovaquie (surfaces anecdotiques de - de 100 ha). La France n’en cultive plus sur son sol depuis 2008.
Les risques liés aux OGM : où en est la connaissance scientifique ?
Des incertitudes qui subsistent
D’un point de vue sanitaire, la connaissance scientifique quant à la toxicité des OGM pour la santé reste globalement limitée. Aucun effet de l’ingestion de produits alimentaires génétiquement modifiés sur la santé de l’homme ou de l’animal n’a pour le moment pu être formellement mis en évidence. En 2012, l’Anses et le Haut Conseil des Biotechnologies ont souligné le manque de connaissance sur les effets et les risques à long terme des OGM [4] , et la nécessité de financer une recherche publique indépendante.
De premiers éléments permettent toutefois de douter d’une absence de risque à long terme des OGM sur la santé. A rebours de l’idée jusque-là affirmée d’une composition équivalente des maïs transgéniques et non-transgéniques, une étude de la revue Nature [5] vient par exemple de démontrer l’importante variation dans la composition moléculaire des deux maïs, et donc la potentialité d’effets non prévisibles sur la santé. Les évaluations scientifiques effectuées sur les OGM avant commercialisation seraient en outre insuffisantes. De nouvelles études sur les OGM sont indispensables pour évaluer leur éventuelle toxicité.
Surtout et nous y reviendrons, les OGM n’ayant pas nécessairement tenu leur promesse en matière de réduction des produits phytosanitaires, l’impact sanitaire, et environnemental, découlant de l’utilisation de ces produits à long terme reste difficile à appréhender.
D’un point de vue environnemental, le problème majeur vient de la dissémination des OGM, entraînant un risque de contamination de plants voisins issus de cultures conventionnelles ou de l’agriculture biologique. Si une espèce végétale porteuse d’un gène de tolérance à l’herbicide se dissémine, elle peut non seulement devenir envahissante du fait de l’inefficacité des herbicides, mais aussi se croiser avec d’autres espèces et leur transmettre cette résistance. Aux Etats-Unis certaines variétés génétiquement modifiées ont ainsi cannibalisé d’autres formes de culture [6] .
Fonctionnant en réseau et par interaction, les gènes peuvent également commander d’autres caractéristiques de la plante que celles pour lesquelles elle est modifiée. Un gène provenant d’une espèce et inséré dans une autre peut ainsi synthétiser la protéine sous une forme et avec des propriétés différentes de celles qu’elle avait dans l’organisme d’origine.
D’un point de vue socio-économique, l’introduction des cultures OGM dans l’agriculture a également un impact non négligeable. Des brevets sur les OGM ont été introduits afin de garantir une rémunération aux efforts de recherche supportés par les semenciers. Ce système, obligeant les agriculteurs à racheter chaque année les semences en leur interdisant d’utiliser une partie de leur récolte pour l’année suivante, en plus du coût important qu’il représente, les contraint à dépendre des compagnies semencières.
La généralisation des cultures OGM risque également d’accroître l’uniformisation des cultures et du modèle agricole, au détriment des cultures locales et de l’agriculture biologique. Plusieurs filières dites « sans OGM » ont été mises en place dans certains pays producteurs comme le Brésil. A cause du développement des cultures OGM et des difficultés rencontrées pour séparer les flux de production et de transport, ces filières ne fournissent toutefois aujourd’hui qu’une quantité très limitée des productions, exemple en est du soja.
Une expertise en proie aux conflits d’intérêts
Une étude de l’INRA publiée en décembre 2016 a fait état des nombreux conflits d’intérêts entourant la recherche consacrée aux OGM [7] . Des conflits d’intérêts sont recensés dans 40 % des 672 articles scientifiques étudiés, portant sur les OGM et publiés entre 1991 et 2015. Des conflits d’intérêts qui ont, selon ces chercheurs, une influence patente sur les résultats de ces publications, leurs conclusions étant plus fréquemment (+49 %) favorables aux intérêts des industries semencières. L’influence concerne précisément l’efficacité, notamment à long terme, de certains OGM Bt, et la question des risques sanitaires et environnementaux.
Ces conflits d’intérêts s’expliquent par deux types de relation avec les fabricants d’OGM : une affiliation directe (l’auteur est employé par ces groupes) ou un financement total ou partiel des travaux introduisant un « biais de financement ».
L’étude révèle enfin que près d’un tiers de la recherche sur les OGM serait à l’heure actuelle soutenue par les semenciers, et propose pour y remédier la création d’un fonds d’investissement indépendant, abondé par les industriels mais également les ONG et gouvernements, et de rendre obligatoires les déclarations d’intérêts.
En mai 2016 un rapport de l’Académie américaine des sciences [8] , qui avait passé en revue plus de 900 études et publications sur les PGM, concluait que les cultures génétiquement modifiées ne présentaient pas plus de risques pour la santé et l’environnement que les récoltes conventionnelles, et qu’aucune preuve du danger des OGM pour la consommation humaine ou animale ne pouvait être mise en évidence. Deux chercheurs ont cependant souligné [9] récemment les conflits d’intérêts entourant le comité d’experts chargé de coordonner l’étude [10] .
Au niveau européen, plusieurs compagnies sont inscrites au registre de transparence géré par le Parlement et la Commission [11] et représentées auprès de ces institutions.
Les OGM en Europe
Les OGM autorisés dans l’Union européenne
Le maïs MON810 de Monsanto est la seule semence OGM cultivée sur le sol européen à l’heure actuelle. Autorisée depuis 1998, cette variété est principalement cultivée en Espagne (129 000 ha sur les 136 000 cultivés en 2015 [12] ), plus marginalement dans quatre autres pays (Portugal, République Tchèque, Slovaquie, Roumanie), et représente moins de 0,1 % de la surface agricole utile de l’Union européenne. Une autre semence génétiquement modifiée est autorisée en Europe mais non cultivée : la pomme de terre Amflora [13].
Peu cultivées en Europe les plantes génétiquement modifiées y sont en revanche importées, certaines massivement. Les pays de l’Union européenne sont notamment très dépendants des pays producteurs de protéines végétales, la production européenne étant nettement insuffisante [14] . Plus de 70 plantes génétiquement modifiées sont ainsi autorisées à l’importation depuis les pays tiers et à la commercialisation dans l’Union européenne, à des fins d’alimentation animale essentiellement, mais aussi humaine [15] . Il s’agit principalement de variétés de soja, maïs, colza et coton.
La réglementation européenne
Avant d’être autorisée sur le marché européen, toute utilisation d’OGM, que ce soit pour leur culture ou leur commercialisation, fait l’objet d’une procédure d’évaluation scientifique de la sécurité alimentaire de l’OGM ou des denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés. Cette procédure est coordonnée au niveau européen par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), au vu d’un rapport réalisé par le producteur de l’OGM (fournissant les éléments nécessaires à une évaluation des risques et prouvant que le produit répond aux exigences de la réglementation européenne). L’EFSA donne la possibilité aux Etats membres d’évaluer les dossiers de demande d’autorisation en transmettant leurs commentaires, dont elle tient compte pour rendre son avis.
Bien que les Etats membres conservent une certaine marge de manœuvre pour interdire la culture et la commercialisation d’OGM sur leur territoire, et participent à la procédure d’autorisation, les décisions se prennent au niveau européen. Après évaluation et avis de l’EFSA, chaque OGM fait l’objet d’une décision de la Commission européenne, prise après un vote des représentants des 28 Etats membres. Les autorisations valent pour l’ensemble du territoire européen et doivent être renouvelées tous les dix ans.
La réglementation européenne diffère suivant qu’un OGM soit disséminé (culture), ou mis sur le marché (commercialisation) et destiné à l’alimentation humaine et animale. Deux principaux textes encadrent la législation européenne sur les OGM.
La culture des OGM est réglementée par la directive 2001/18/CE, modifiée par la directive 2015/412. La législation européenne (article 23 de la directive) introduisait avant mars 2015 une clause de sauvegarde. Elle permettait à un Etat membre d’interdire provisoirement sur son territoire un OGM bénéficiant d’une autorisation européenne, à condition de justifier cette mesure avec des données scientifiques inédites attestant d’un risque nouveau pour la santé ou l’environnement [16] . La France a activé cette clause à deux reprises (en 1998 pour deux variétés de colza et en 2008 pour le maïs MON810).
En mars 2015 la Commission européenne, par un amendement à la directive 2001/18 introduisant une clause d’exclusion nationale volontaire, a autorisé les Etats membres qui le souhaiteraient à restreindre ou à abandonner la culture sur leur territoire d’OGM ayant reçu une autorisation européenne. L’interdiction peut se faire à tout moment, pendant la procédure d’autorisation ou après que l’autorisation ait été accordée, et peut être justifiée par d’autres raisons (politique agricole, conséquences socio-économiques, aménagement du territoire), non plus seulement pour des questions de risques sanitaires et environnementaux. L’autorisation est donc accordée à l’échelle européenne, mais les Etats gardent le dernier mot. 18 pays européens ont interdit la culture d’OGM sur leur sol.
La dissémination d’OGM dans l’environnement à des fins expérimentales (essais en champ) relève également de la directive 2001/18/CE. L’entreprise qui souhaite réaliser un essai fait une demande à l’Etat sur le territoire duquel la culture aura lieu. Les risques pour l’environnement et la santé sont évalués par l’autorité compétente de l’Etat (en France le ministère de l’Agriculture) qui décide d’autoriser ou de rejeter la demande. La décision, purement nationale, ne vaut alors que pour l’Etat concerné. Les autres Etats membres peuvent toutefois demander à la Commission européenne d’émettre des observations. L’autorisation vaut pour une durée de dix ans et peut être renouvelée. Entre 2008 et 2013, le nombre d’essais en champ dans l’Union européenne est passé de 84 à 25. L’utilisation d’OGM en milieu confiné est règlementée par la directive 98/81.
La mise sur le marché de denrées alimentaires et aliments pour animaux contenant des OGM, qu’ils soient cultivés sur le sol européen ou importés, est de son côté régie par le règlement 1829/2003/CE. Après l’avis de l’EFSA sur un produit, la Commission européenne demande aux 28 Etats membres leur accord pour sa mise sur le marché ou son interdiction. Si aucune majorité qualifiée ne se dégage, c’est à la Commission de trancher et de décider de l’autorisation de mise sur le marché du produit génétiquement modifié, qui s’applique alors à l’ensemble du territoire européen. La seule possibilité pour un Etat d’interdire la commercialisation d’un produit est d’attester de sa dangerosité pour la santé par de nouvelles preuves scientifiques. Une clause de sauvegarde existe, qui reste temporaire (moratoire), le temps que les preuves soient étudiées. Si elles sont rejetées le pays doit à nouveau autoriser la commercialisation du produit.
Le 28 octobre 2015 le Parlement européen a rejeté à 577 voix une proposition de la Commission européenne qui visait à donner la possibilité aux Etats, comme en matière de culture, d’avoir le dernier mot pour la commercialisation sur leur territoire d’un OGM. Cela aurait permis à chaque Etat de restreindre ou d’interdire sur son sol la vente ou l’utilisation de denrées contenant des OGM autorisées par l’UE. Les députés ont jugé la proposition irréalisable, ces interdictions nationales pouvant conduire à la réintroduction de contrôles aux frontières entre les pays, affectant ainsi le marché intérieur. Les Etats membres ont demandé à la Commission de présenter une nouvelle proposition.
L’information du public (prévue par le règlement 1830/2003/CE)
L’étiquetage des semences OGM est obligatoire quel que soit le niveau de présence.
Pour ce qui est des denrées alimentaires, la législation européenne impose que les produits contenant des OGM et destinés à l’alimentation humaine soient étiquetés dès lors que la présence d’OGM dépasse le seuil de 0,9 % de la denrée. Environ trente plats seraient concernés en Europe. Des documents doivent également être établis afin de contrôler la traçabilité du produit.
En revanche les produits alimentaires issus d’animaux nourris aux OGM (laitages, viande, œufs, etc.) ne font pas l’objet d’une obligation d’étiquetage. Les OGM étant principalement destinés à l’alimentation des animaux d’élevage en Europe, cette carence ne permet donc pas au consommateur un choix éclairé. L’étiquetage du « sans OGM » reste également à définir à l’échelle européenne.
Les OGM en France
Des OGM autorisés ?
La France a interdit depuis 2008 la culture sur son territoire du seul OGM cultivé en Europe, le maïs MON810. Suite à des faits scientifiques nouveaux attestant de risques pour l’environnement (résistance chez certains insectes, effets sur la faune et la flore) [17] , le gouvernement avait décidé, en application du principe de précaution et de la clause de sauvegarde prévue par la législation européenne, de suspendre en France la culture de ce maïs. Ce moratoire a fait l’objet d’un recours de la part des industries semencières, avant d’être annulé par le Conseil d’Etat en 2011, estimant que le gouvernement n’avait pas démontré l’urgence à prendre de telles mesures ni « l’existence d’un niveau de risque particulièrement élevé pour la santé et l’environnement » [18] . Le gouvernement a adopté deux nouveaux moratoires en 2012 (invalidé en 2013) et 2014, et en avril 2016 le Conseil d’Etat a de nouveau annulé cette interdiction. Cette annulation est toutefois restée sans effet puisque la législation européenne autorise désormais un Etat membre à interdire la culture d’un OGM sur son territoire.
Les essais sur les OGM restent autorisés en France. Entre 1991 et 2013, 593 demandes d’autorisation d’essais en champ ont été déposées. Les derniers essais en champ français, sur des peupliers par l’Inra, se sont terminés fin 2012. Depuis, aucune autre demande n’a été déposée auprès du ministère de l’Agriculture. Il n’y a donc plus à ce jour en France de cultures commerciales et expérimentales de plantes transgéniques.
Les importations et la commercialisation de denrées alimentaires ou d’aliments pour animaux génétiquement modifiés sont possibles en France dans la mesure où ces produits ont été préalablement autorisés au niveau européen, et doivent être étiquetés selon la réglementation européenne.
La réglementation française
La France s’est dotée en 2008 d’un texte encadrant les OGM. La loi n°2008-595 relative aux OGM [19] a ainsi complété la législation française sur les OGM présente dans le Code de l’environnement, et mis en œuvre les engagements pris au Grenelle de l’environnement par une série de mesures :
- La création du Haut Conseil des biotechnologies, chargé d’éclairer le gouvernement sur toutes les questions intéressant les OGM [20] . Il se prononce à la fois sur les risques et sur les bénéfices des OGM pour l’environnement et la santé, et peut être saisi par des associations ou n’importe quel citoyen [21] ;
- L’obligation de déclaration pour toute personne cultivant des OGM par la création d’un registre national public (accessible sur internet) recensant toutes les cultures OGM en France ;
- L’instauration d’un régime de responsabilité pour les cultivateurs de semences OGM en cas de préjudice causé par la contamination d’une culture conventionnelle (indemnités), et de mesures plus contraignantes dans les parcs naturels et pour les AOC. Ce volet coexistence des cultures est assorti de réglementations autour de la récolte [22] , du stockage et du transport des productions pour éviter les risques de contamination ;
- La liberté de produire et de consommer avec ou sans OGM est garantie, la réglementation nationale permettant de valoriser les denrées alimentaires « sans OGM » et celles provenant d’animaux « nourris sans OGM » [23] ;
- La création d’un délit relatif à la destruction de parcelles (dit « délit de fauchage ») ;
- Une surveillance territoriale par la création d’un Comité de surveillance biologique du territoire (mis en place en 2010), afin de contrôler et prévenir l’apparition d’effets indésirables des OGM sur l’environnement.
En 2014 une loi interdisant la culture de maïs génétiquement modifiés en France est adoptée [24] .
Avec le HCB, l’Anses est l’autre instance publique indépendante qui participe à l’évaluation des OGM [25] . Elle se prononce sur la sécurité alimentaire des OGM et de leurs produits dérivés destinés à l’alimentation humaine ou animale. Ses avis, transmis à l’EFSA, permettent d’éclairer le gouvernement français sur chaque dossier et lors du vote des Etats-membres pour autoriser ou non la mise sur le marché européen d’un OGM [26] .
La France s’est donc dotée d’une réglementation stricte sur les OGM, et l’absence de leur généralisation en Europe montre plus globalement une frilosité des Etats sur le sujet, reflétant la forte appréhension voire le rejet des OGM d’une partie de la population. Selon une étude commandée par la Commission européenne, fin 2010 61 % des Européens refusent les OGM et sont opposés à leur développement, à cause des risques qui leur sont liés [27] .
La rentabilité : nouvelle donnée du débat sur les OGM
Plusieurs études se sont, depuis la fin des années 2000, emparées de ce qui constitue le principal argument de vente des semenciers : la rentabilité supérieure des cultures OGM sur les cultures conventionnelles, grâce à une moindre utilisation de produits phytosanitaires et de meilleurs rendements agricoles.
Un retour sur investissement discutable
Les plantes transgéniques n’étant cultivées que depuis 1996 dans un nombre limité de pays, et les cultures d’OGM demeurant marginales en Europe (pour rappel moins de 0,1 % des surfaces cultivées), l’analyse économique manque encore globalement de recul pour juger de leur avantage. Des données récentes concernant l’exemple américain illustrent néanmoins le caractère discutable des rendements attribués aux OGM.
En avril 2009 un groupe d’experts a, dans une étude [28] , analysé les travaux scientifiques et les données sur les productions de soja et de maïs aux Etats Unis réalisés sur vingt ans, dont treize années durant lesquelles les plantes transgéniques ont été commercialisées. Le rapport conclut que l’utilisation d’OGM n’a pas augmenté sensiblement les rendements agricoles.
Concernant les maïs Bt comme le MON810 - capables de résister à certains nuisibles comme la pyrale et la sésamie par la production d’une toxine insecticide (après introduction d’un gène tiré de la bactérie Bacillus thuringiesis) -, si l’étude montre un gain de production de 7 à 12 % supérieur aux cultures conventionnelles sur les terres infestées d’insectes (environ un tiers des plantations américaines), sur l’ensemble des terres cultivées et les parcelles saines le gain ne serait en revanche que de 2,3 % en moyenne [29] . Et la contribution de ce maïs à l’accroissement des rendements depuis sa commercialisation en 1996 n’aurait été que de 0,2 à 0,3 % par an.
Le gain serait également marginal pour le soja tolérant aux herbicides, permettant la suppression plus efficace des plantes nuisibles. Si sa production moyenne s’est accrue de 16 % depuis sa commercialisation, les chercheurs estiment le gain attribuable aux OGM quasi inexistant. Pour preuve, le blé a vu ses rendements augmenter de 13 % alors qu’il n’existe aucune variété génétiquement modifiée.
L’accroissement des rendements pour le soja et le maïs ne serait donc pas attribuable aux OGM mais pour l’essentiel à l’amélioration des techniques agricoles selon l’étude, qui préconise de se concentrer sur les cultures conventionnelles.
En 2014 une étude [30] du ministère de l’Agriculture américain a également dressé un bilan contrasté de la culture des PGM, les rendements agricoles ayant connu des résultats mitigés [31] . Les semences de maïs Bt ont certes amélioré les rendements en limitant les pertes causées par certains ravageurs, mais les résultats pour des semences tolérantes aux herbicides sont plus nuancés. Surtout, sur le plan financier le retour sur investissement est mitigé voire inexistant pour les semences Bt, les revenus supplémentaires tirés des gains de rendement et les économies réalisées sur les produits phytosanitaires n’ayant pas compensé le surcoût des semences OGM.
Enfin la rentabilité s’avère plus discutable encore dans le contexte actuel de chute des prix céréaliers, les productions, de maïs ou de soja par exemple, étant nettement supérieures à la demande. Le prix du maïs a ainsi fondu de moitié depuis 2012 (de 8 à 4 dollars le boisseau), quand le prix du soja a chuté de 46 % sur trois ans [32] . Cette conjoncture rend les semences OGM moins intéressantes, leur coût étant jusqu’à deux fois plus cher que les semences conventionnelles. Les agriculteurs dépenseraient ainsi quatre fois plus pour l’achat de semences de maïs qu’il y a vingt ans, sans que le prix de vente de leur production n’ait pour autant augmenté [33] , et leurs revenus auraient chuté de 42 % entre 2013 et 2016 [34] .
Les Etats Unis n’auraient ainsi que très peu tiré avantage économiquement des OGM par rapport à l’Europe où leur culture reste largement interdite [35] . Enfin, si la plante conventionnelle était écoulée dans un circuit « garanti sans OGM », elle serait vendue plus chère et l’écart avec la plante génétiquement modifiée deviendrait alors négligeable.
Une rentabilité à long terme encore plus incertaine du fait de résistances aux modifications génétiques
Les principales PGM sont élaborées pour permettre aux productions agricoles de résister aux nuisibles par la production d’un insecticide, et/ou tolérer les herbicides utilisés pour empêcher le développement d’adventices. Or des phénomènes de résistance aux gènes modifiés sont apparus chez certains insectes, devenus insensibles à l’insecticide produit par l’OGM [36] . Concernant le maïs MON810, l’entreprise Monsanto admet elle-même qu’en l’absence de mesures de précaution un phénomène naturel de résistance pourrait apparaître chez les insectes. L’entreprise conseille de conserver une parcelle conventionnelle - représentant tout de même 20 % de la surface cultivée -, une zone refuge pour les parasites sains afin d’empêcher la prolifération d’insectes résistants. Le même phénomène est observé chez certaines mauvaises herbes devenues résistantes aux herbicides [37] , rendant de fait caduc l’intérêt de ces organismes.
L’argument des semenciers d’un moindre recours aux pesticides devient alors tout aussi discutable. Après quelques années de culture OGM les producteurs sont parfois contraints d’augmenter les quantités d’insecticides, d’utiliser des herbicides plus anciens et plus puissants (comme le Dicamba) ou d’en augmenter les quantités nécessaires. Récemment une étude [38] a montré que les agriculteurs américains ont augmenté leur consommation d’herbicides de 20 % sur 20 ans pour contrer ces résistances, quand les agriculteurs français l’ont réduite de 35 % sur la même période, et s’ils ont bien réduit leur utilisation d’insecticides de 33 %, cette baisse reste deux fois moins importante que celle des agriculteurs français (-65 %). Actuellement 99 % des PGM cultivées contiendraient des pesticides dans leurs tissus, soit parce qu’elles produisent elles-mêmes le pesticide (cas du maïs Bt), soit parce qu’elles peuvent l’absorber sans en mourir (cas du soja transgénique).
L’avantage économique des cultures OGM par la suppression des nuisibles diminue alors voire s’annule, leur surcoût à l’achat étant augmenté d’un coût d’exploitation supérieur à celui des cultures conventionnelles puisqu’elles nécessitent davantage de produits phytosanitaires. Et si rien ne prouve formellement à l’heure actuelle la nocivité des OGM pour la santé et l’environnement, le risque cancérigène de certains pesticides, dont le coût à long terme demeure difficile à évaluer, ne fait lui plus débat.
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Au-delà des enjeux essentiels de santé publique et de protection de l’environnement, l’élément le plus nouveau dans le débat sur les OGM est la mise en évidence de vraies interrogations sur la réalité de l’intérêt économique de ces organismes, en particulier à moyen et long terme. L’analyse économique incite donc à la réflexion quant à l’intérêt réel des OGM, et de leur développement en France et en Europe, et renforce la nécessité d’une grande prudence dans ce domaine à une époque où le risque lié à ces organismes demeure toujours incertain.
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Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Les variétés OGM, issues de la transgénèse, sont à distinguer des variétés hybrides obtenues par le croisement, naturel ou par intervention humaine, de deux variétés afin d’obtenir une plante hybride.
[2] Chiffres du rapport annuel du Service international pour l’acquisition d’applications biotechnologiques (ISAAA) :
http://www.isaaa.org/resources/publ...
[3] Les plantes transgéniques y représentent la quasi intégralité des surfaces cultivées en maïs (88 %), en coton (93 %) et en soja (94 %).
[6] C’est le cas du colza transgénique. Cultivé sur deux millions d’hectares, il est devenu difficile à contrôler du fait de sa résistance au glyphosate ou au glufosinate et s’est propagé hors de son périmètre sur des cultures conventionnelles, là où ces herbicides tuent les plantes concurrentes. Certains plants se sont même révélés porteurs d’une double résistance à ces herbicides, alors qu’une telle variété hybride n’est pas commercialisée à ce jour. Les croisements naturels auraient ainsi inventé ce nouvel OGM. Plus préoccupant ce colza peut s’hybrider naturellement avec une dizaine de mauvaises herbes, leur conférant alors une protection contre les herbicides.
[12] Chiffres de l’ISAAA
[13] Génétiquement modifiée pour produire un amidon mieux adapté à l’industrie papetière, cette pomme de terre a reçu une autorisation européenne en 2010 pour une durée de 10 ans mais n’a été cultivée que sur des surfaces très réduites en Allemagne, en Suède et en République Tchèque (300 ha au total). En 2012 la société BASF annonce l’abandon de sa commercialisation sur le marché européen du fait de la réticence des Etats et consommateurs. Deux autres OGM avaient également été autorisés à la culture en 1998 avant d’être abandonnés : le maïs T25 pour lequel Bayer a retiré sa demande de renouvellement début 2013, et le maïs Bt176 dont Syngenta n’a pas demandé de renouvellement en 2008.
[14] A titre d’exemple, alors que l’Europe produit chaque année 1,4 Mt de soja, elle en importe près de 40 Mt (la France 4,5 Mt) pour alimenter son bétail, dont plus de la moitié est génétiquement modifié. Des importations provenant principalement des Etats-Unis, du Brésil ou de l’Argentine.
[15] Registre des PGM autorisées dans l’Union européenne : http://ec.europa.eu/food/dyna/gm_re...
[16] Sept Etats avaient déposé avant 2015 un moratoire sur le mais MON810 : France, Hongrie, Autriche, Grèce, Luxembourg, Bulgarie et Allemagne.
[17] Après une réévaluation réalisée par le Comité de préfiguration du HCB (avis du 9 janvier 2008) à la demande du gouvernement.
[20] Suite à sa saisie par le gouvernement sur la présence dans la pomme de terre Amflora d’un gène marqueur de résistance à un antibiotique, le HCB a par exemple en 2010 préconisé la réalisation de rotations plus longues que celles habituellement pratiquées, une méthode fiable de détection et de quantification de cette variété dans les produits conventionnels, et la mise en place de mesures permettant de garantir l’absence de pomme de terre Amflora dans les produits destinés à l’alimentation humaine (dans la limite des taux requis de 0,9 %).
[22] Exemples : distance d’isolement de 25m entre le maïs OGM et conventionnel, une bande de 10m de maïs conventionnel autour du maïs transgénique pour servir de piège à pollen, etc.
[23] Dans l’attente d’une définition au niveau européen du « sans OGM », le seuil correspondant devait être fixé par le Gouvernement sur avis du Haut Conseil des biotechnologies. Rendu le 3 novembre 2009, cet avis préconise un étiquetage « sans OGM » pour les produits végétaux contenant au maximum 0,1 % d’ADN transgénique, et un étiquetage « nourri sans OGM » pour les produits alimentaires provenant d’animaux nourris sans OGM. Il préconise un étiquetage spécifique à déterminer par le gouvernement pour les produits alimentaires provenant d’animaux nourris avec des aliments contenant moins de 0,9 % d’ADN transgénique.
[26] Pour 55% des OGM étudiés, l’Anses estime dans son avis que les données fournies par l’industriel ne sont pas suffisantes pour conclure sur la sécurité sanitaire de l’OGM.
[27] Sondage Eurobaromètre : http://ec.europa.eu/public_opinion/...
[28] Le rapport « Failure to Yield » piloté par le biologiste Doug Gurion-Sherman et publié par l’Union of Concerned Scientists (UCS), une association de recherche scientifique crée au sein du MIT : http://www.ucsusa.org/sites/default...
[29] Soit des résultats nettement inférieurs à ceux annoncés : 20 % sur des parcelles infectées et 12 % sur l’ensemble des terres cultivées selon Monsanto.
[33] Alors que le rendement des cultures de maïs a progressé de 20 % en vingt ans, le prix des semences OGM a bondi de 400 % sur la même période.
[35] Récemment un rapport de l’Académie nationale des sciences a également conclu : « nous n’avons pas la preuve que les OGM introduits aux USA ont augmenté les rendements agricoles au-delà de ce qui a été constaté pour les cultures conventionnelles ».
https://www.nap.edu/catalog/23395/g...
[37] Dans certains Etats américains une variété de mauvaise herbe, l’amaranthe, résistante aux herbicides comme le Roundup et plus particulièrement le glyphosate, s’est ainsi propagée de manière significative.
[38] United States Geological Survey : https://water.usgs.gov/nawqa/pnsp/u...
dans l’encyclopédie
* Bourdel, Christian : Quelles politiques publiques pour les Plantes Génétiquement Modifiées ?, N° 140 , Avril 2011.
* Planchenault, Dominique : Evolution des biotechnologies végétales, N° 241 , Septembre 2017.
- Fabrique Ecologique : www.lafabriqueecologique.fr/
- ISAAA : http://www.isaaa.org/
- Revue Nature :http://www.nature.com/
- Actu Environnement :
https://www.actu-environnement.com/ - Haut Conseil des Biotechnologies :
http://www.hautconseildesbiotechnol...