Résumé
Si l’accès à l’eau est un besoin fondamental de l’être, la consécration d’un droit réellement effectif en la matière fait encore défaut. Les enseignements tirés de l’observation de la situation dans les pays en développement, comme dans les pays développés, soulignent la nécessité d’une généralisation des principes du développement
durable dans le domaine de la gestion de l’eau afin de concilier la mise en oeuvre d’un droit à l’accès à cette ressource avec l’intérêt des générations futures.
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La nouvelle classification de cet article est :
• 5.2- Milieux naturels et biodiversité
• 6.1- Droits humains
Auteur·e
Ingénieur Général honoraire des Ponts et des Eaux et Forêts, a consacré l’essentiel de sa carrière à la question de l’eau, au sein du Ministère de l’Environnement, puis à la Direction de l’Agence de l’Eau Adour-Garonne et enfin comme expert de nombreuses missions internationales dans le domaine de l’environnement, du développement durable et du climat.
Administrateur de 4D, Membre du secrétariat d’édition de l’EDD et de l’Académie de l’eau, il préside, aujourd’hui, le Groupe de travail « Eau & Climat » du Partenariat Français pour l’Eau.
- DANS LES PAYS EN DEVELOPPEMENT
- ET AUSSI DANS LES PAYS RICHES
- DANS LES PED, QUEL RÔLE POUR LA TARIFICATION, QUELLE PLACE RESPECTIVE POUR LES SECTEURS PRIVE (…)
- QUELQUES ENSEIGNEMENTS VENANT DES PAYS DEVELOPPES
- ASSURER UNE GESTION INTEGREE DE L’EAU GARANTISSANT LA DURABILITE DE CETTE RESSOURCE NATURELLE (…)
- PRINCIPAUX ENJEUX
Les préoccupations de l’homme sur la gestion des ressources en eau sont fort anciennes et les règles de vie communes pour partager l’eau ou lutter contre ces fléaux que sont les inondations ou les sécheresses ont porté leurs marques dans les plus vieilles civilisations et mythologies humaines.
Si chacun s’accorde pour convenir du caractère essentiel du droit à l’accès à l’eau, celui-ci est encore loin d’être effectif. Ainsi, une large part de l’humanité ne peut subvenir convenablement à ses besoins.
La situation est le plus souvent critique dans les pays en développement où les questions d’équipement, de tarification de l’eau et de la meilleure répartition de sa gestion entre secteurs privé et public méritent une attention particulière.
Aussi, faut-il tirer les enseignements des expériences – fructueuses ou non – menées dans les pays développés et souligner la nécessité d’une gestion intégrée de l’eau. Ce type de gestion qui inscrit au coeur de sa problématique l’exigence de durabilité est la seule susceptible de donner sa pleine mesure au droit à l’eau.
Jonathan Frerichs, LutheranWorld Relief
POUR UN VERITABLE DROIT A L’EAU
Le droit d’accès à l’eau a été reconnu par les instances internationales, notamment par le Conseil économique et
social des Nations Unies :“les Etats ont l’obligation de fournir l’eau et les installations suffisantes à ceux qui ne disposent pas de moyens suffisants” [1]. L’accessibilité aux installations doit être “physique”, “économique” (notion de coût abordable), “non discriminatoire” (populations vulnérables ou marginalisées) et faire l’objet d’une “information”adaptée.
Au plan européen, la Charte européenne de l’eau, dans sa révision d’octobre 2001, indique que “toute personne a le droit de disposer d’une quantité d’eau suffisante pour satisfaire
ses besoins essentiels”. Précisons que le droit d’accès à l’eau ne signifie pas “la gratuité de l’eau pour tous”, mais la mise en place par les pouvoirs publics de mesures administratives (contrôle des eaux distribuées, réglementation des coupures,…) ou économiques (dispositifs de solidarité,tarifications sociales, …) assurant aux plus démunis un accès à un service d’eau potable à “un coût abordable”.
L’article 1 de la Charte de l’environnement adoptée en France, le 28 février 2005, stipule que “chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé”.
Malgré les engagements ou prises de position dans d’autres
enceintes internationales, la proposition mise en débat en 2004 par le Président de la Commission du Développement Durable des Nations-Unies de passer “d’une approche fondée sur les besoins à une approche fondée sur les droits” fut retirée à la demande des USA et de nombreuses délégations des pays en développement. Ce refus de reconnaître une priorité au droit à l’accès à l’eau pour tous a suscité une profonde déception du groupe des ONGs (et, entre autres de la coalition des ONGs françaises qui avait demandé dans sa contribution préalable “la traduction dans les législations nationales des principes adoptés par le Conseil Economique et Social des Nations Unies de novembre 2002”) [2].
L’article 1er de la loi sur l’eau votée ce 30 décembre 2006 stipule
que “chacun,pour son alimentation et son hygiène a le
droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiques
acceptables pour tous”. C’est un progrès certain : les
campagnes des ONGs ont largement contribué à inciter le
législateur a reconnaître ce droit d’accès à l’eau pour tous,
même si l’article complémentaire souhaité qui aurait permis
aux syndicats d’eau potable d’instaurer des dispositifs de tarification sociale, n’a pas pu être inscrit dans cette loi.
Dans les PED, cette priorité concerne des populations souvent
nombreuses, pauvres, sans capacité de contributions
financières significatives. Sa réalisation suppose donc des
mécanismes de soutiens publics. L’importance de ces derniers
conduit les Etats à différer leur mise en place.Ceci est,
certes, compréhensible mais, n’est guère acceptable. A ces
difficultés d’ordre financier s’ajoutent des problèmes dans
l’organisation même de la distribution actuelle de l’eau lesquels
tiennent à la faiblesse du réseau des collectivités locales. Ceci se traduit, notamment, en ville comme en milieu rural, par l’existence de systèmes informels de solidarité des populations en lieu et place d’une gestion par les maîtres d’ouvrages traditionnels connus dans les pays
riches.
Mais ce problème du droit d’accès à l’eau concerne aussi
les pays riches. [3]
Des études mettent ainsi en évidence que,parmi les 2 millions
d’habitants les plus pauvres en France (moins de 15 e de revenu /jour disponible), 700 000 ont des difficultés permanentes à payer leur service d’eau ; la facture d’eau qui est considérée comme une dépense marginale du ménage moyen en France (moins de 1 % des dépenses
courantes) représente près de 3 % des dépenses des plus
pauvres.
Même si les coupures d’eau restent assez rares en France
(les budgets sociaux des collectivités locales étant chargés
de prendre le relais pour les habitants nécessiteux), on en
compte cependant près de 2 000 par an, alors qu’elles sont interdites en Grande-Bretagne, en Irlande, en Belgique, en Autriche et au Luxembourg.
Il y a par ailleurs de nombreuses personnes qui ne sont
plus prises en charge par les systèmes sociaux et pour lesquelles
l’accès à un service public de l’eau est devenu problématique,
avec la disparition des bornes fontaines et des bains publics en ville.
Si, en France les systèmes de tarification sont fondés sur
des critères d’équité (tarification unique au volume par syndicat) et non sur des critères de solidarité sociale, de nombreux pays ou villes d’Europe ont mis en place des systèmes de tarification sociale tenant compte de la pauvreté (Royaume-Uni, Portugal, …) ou de l’importance des familles (Barcelone, Bruxelles, Luxembourg, …). Des simulations simples montrent que réduire en France de moitié le prix de l’eau pour les 2 millions de personnes les plus pauvres créerait une perte de recettes de l’ordre de 41 millions d’euros,à comparer aux 100 000 millions du chiffre d’affaires du secteur.
Si, pour les PED, le principal problème à résoudre est celui du développement des équipements, ce n’est plus le cas des pays riches et on peut penser que le seul respect de la dignité humaine devrait nous conduire à résoudre les trop nombreux cas signalés périodiquement par les associations d’aides aux démunis.
On sait que le système actuel fonctionne très imparfaitement.
Selon le dernier rapport du PNUD en 2005, les progrès vers les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) (depuis 2000) sont faibles sur le continent africain qui est le plus en retard.
Dans de nombreuses villes en expansion, le nombre de personnes vivant dans des quartiers périphériques sans accès à un service public de l’eau s’est accru et les retards accumulés en milieu rural restent persistants.
En ville, l’eau publique, peu chère, est distribuée au profit
prioritairement des centres urbains alors que les populations des banlieues défavorisées sont condamnées souvent à l’eau chère du porteur d’eau faute de service
Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) |
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public ; en milieu rural, “la corvée d’eau” est encore le lot de beaucoup de femmes dans les villages. Les maladies hydriques liées à l’eau demeurent le premier fléau de l’Afrique à cause de l’absence de systèmes d’assainissement. Les extensions de services nécessitent des crédits lourds qui ne peuvent venir que de budgets publics, or ces
budgets restent trop maigres dans les pays les moins
avancés. En effet,l’Aide Publique au Développement (APD)
des pays OCDE est en réduction et va plutôt aux pays ayant la capacité de dégager des profits (les pays émergents) qu’aux pays les plus pauvres.Par ailleurs,la possibilité de mobiliser des acteurs locaux (communes, usagers, artisans...) est souvent faible.
La situation des pays du Sud est complexe et loin d’être
homogène. L’époque où le Fonds Monétaire International
et la Banque Mondiale plaidaient pour la libéralisation
des services et les politiques de recouvrement total des
coûts par la tarification, comme voie de l’avenir, semble
révolue, après avoir fait la preuve de son impuissance à
résoudre les problèmes de pauvreté.
Dans les pays riches, les investissements de base n’ont pu être réalisés que par des stratégies publiques lourdes de subventions. La voie du financement par la tarification n’est venue qu’ensuite, afin de gérer ou conforter le dispositif, et l’on voit mal comment les pays en développement pourraient faire autrement.
Plus de 90 % de l’eau distribuée dans le monde provient des services en régie. Il existe des régies performantes, grandes ou petites. Mais sauf exceptions, les régies ne dégagent pas de capacité de financement pour engager de nouveaux investissements. Les prix de l’eau fixés en
général à un niveau très bas, ne permettent pas d’assurer
une exploitation et un entretien corrects des équipements. Les défauts d’équipement, sources de contaminations, de gaspillages,de coupures dans l’alimentation sont courants dans ces services. C’est bien la gestion, parfois catastrophique, de la régie publique qui a fait le lit du
privé, tant dans nos pays (voir lois Galli en 1992 et 1994 en
Italie), que dans les pays du Sud. Dans de nombreux contextes, notamment en milieu rural, une prise en main par les populations locales de l’exploitation des ouvrages, via des régies locales,constitue une alternative de progrès par rapport aux systèmes informels ou dépendant de sociétés nationales d’eaux.La régie reste sûrement un système qui garde un grand avenir, encore faut-il réussir à le
“professionnaliser”… faute de quoi, le recours aux compétences
du secteur privé pourra continuer à être une alternative
au manque de capacités locales.
Beaucoup de pays en développement ont encore des services
publics de l’eau peu développés, et, faute de capacités
techniques locales,les décideurs politiques choisissent
d’importer ces services.C’est clairement la stratégie adoptée
par plusieurs pays émergents. Il y a sûrement un partenariat
public/privé à développer sous réserve que la puissance publique exerce pleinement ses prérogatives de contrôle de la qualité du service rendu (service réel et non service apprécié en fonction du statut du distributeur), de sa tarification (éventuellement aménagée pour
la prise en compte des populations démunies) et des
investissements.
Rappel des principes défendus par les ONGs françaises à la CDD13 des Nations Unies |
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• Affirmation du droit d’accès à l’eau pour tous et mise en oeuvre de ce droit. |
Aujourd’hui, on constate des stratégies de recentrage des
grandes entreprises privées de service :
• retrait, là où les risques étaient jugés trop importants (Manille, Djakarta, Lima...),
• abandon de multiples filiales dans les branches périphériques
et des financements concessionnels qui impliquent de hasarder des capitaux dans des investissements à rentabilité faible et parfois incertaine.
Le recentrage des sociétés se fait sur l’exploitation de services
délégués par les collectivités.Le secteur de l’eau est de fait un
secteur dont la rentabilité est sûre (car le client est captif)
mais très faible, comparée à d’autres secteurs de services
publics [*], comme l’énergie,le transport public ou les télécommunications.
A l’étranger,le risque pour un distributeur d’eau peut être très
élevé lorsque l’usager paye en monnaie locale alors que les
emprunts courent en monnaie forte (cas de l’Argentine), et la
rentabilité longue à trouver à cause de la nécessité de mettre
en place des solutions adaptées au cas des populations très
défavorisées (1ère tranche gratuite,tarification sociale...).
L’idée, chère aux libéraux, que la privatisation des services
serait le remède aux retards accumulés est très sûrement
erronée :ce ne peut être ni un nouveau facteur de mobilisation
de capitaux en substitution à de maigres ressources publiques financières locales, ni un substitut à la mobilisation des populations locales dans les grands zones de pauvreté en milieu urbain comme en milieu rural… mais, inversement croire que la régie est “naturellement vertueuse”, c’est oublier, comme le font trop souvent les contempteurs
de la privatisation que la gestion doit être professionnalisée
quel que soit le mode de délégation de service.
Plus que des anathèmes contre le secteur privé qui ne résoudront
pas le sort des populations défavorisées, on a besoin de développer des campagnes lourdes de formation professionnelle et d’éducation ainsi que des outils de gouvernance, transparents et efficaces, permettant une réelle prise en main locale de la gestion des services publics d’eau. Il faudrait aussi remonter le sujet de l’eau “en tête” dans l’ordre
des priorités d’action publique des décideurs, comme la
santé et l’éducation,qui sont,trop souvent,les premiers secteurs
sacrifiés quand le FMI impose à un pays de remettre de
l’ordre dans ses finances publiques.
La conférence de Mexico, en 2006 a été marquée par le retour au pragmatisme sur les politiques de l’eau, alors que la conférence précédente de Kyoto avait été marquée par une violente opposition entre ONGs et entreprises sur le thème du partenariat Public-Privé. Un consensus semble s’établir désormais pour considérer que c’est aux pouvoirs publics,et non aux entreprises,de jouer le rôle principal pour
améliorer le niveau des services, en laissant ouvert le choix
entre gestion directe ou déléguée.
Aujourd’hui,le retard est particulièrement fort dans les banlieues
des grandes villes défavorisées et en milieu rural où la
demande d’équipements publics génère de nouvelles formes
de solidarités locales qui peuvent mobiliser des techniques
alternatives moins coûteuses que les systèmes classiques
d’alimentation en eau par réseau ou par le tout-à -
l’égout.
Pour faire face à l’ampleur des déficits d’équipement, de nombreuses expériences en Afrique ont montré que de nombreux chemins pouvaient être trouvés pour améliorer la situation des populations démunies passant par des techniques intermédiaires (système de gestion collective de fourniture d’eau à partir de puits protégés ou de points de fourniture “en gros”, fosses septiques en milieu rural,…).
A ce titre, la participation des populations locales aux charges
de service peut prendre de multiples autres formes que
les formes monétaires habituelles : fourniture de petits travaux
en régie,distribution d’eau à partir de points de fourniture
collectifs, création de systèmes d’épargne locales pour
l’entretien des ouvrages,… De nombreuses ONGs ont investi
ce champ d’action entre communes et communautés locales
pour faire progresser le sort des populations.La synthèse
des acquis du programme de gestion durable de l’assainissement
mené par PS-Eau et le PDM en est une illustration.
La loi du 27 janvier 2005 qui permet aux syndicats d’eau
potable de France d’engager des opérations de coopérations
décentralisées dans les domaines de l’eau potable et de l’assainissement
constitue,de ce point de vue,une opportunité
valorisée par de multiples communes et les ONGs.
Les problèmes à résoudre dans les pays en développement ne
dispensent pas d’examiner les enseignements tirés des difficultés
rencontrées dans les pays riches et, en particulier, en Europe.Les pays de l’Union Européenne disposentd’un ensemble de textes de référence communs, ambitieux avec, d’une part, les directives sur les usages (eau potable, eaux usées urbaines, déchets toxiques, pollutions d’origine agricole), et, d’autre part, la directive de septembre 2000 qui fournit un
cadre d’action pour une gestion intégrée des eaux par bassin
versant.Il est certain que ces directives ont concouru à bâtir un
socle solide de protection commune des eaux de l’Union européenne.
Même si l’application de ces textes reste inégale entres les divers pays de l’Union européenne, la Commission, en tant que gardienne des traités, est un des rares lieux où se bâtit une effectivité des droits environnementaux transnationaux. Cela n’empêche pas que de graves problèmes de gestion des milieux naturels persistent : dégradation généralisée des zones humides,faible contrôle de l’occupation des zones inondables, problèmes générés par de vieux sites industriels contaminés,
assèchements ou contaminations des eaux venant du développement de l’agriculture intensive.
En ce qui concerne le service de l’eau potable et de l’assainissement,
on peut considérer que l’essentiel des populations ayant vocation à bénéficier d’un accès par un service collectif sont maintenant desservies en Europe.Le développement des services s’est appuyé sur un réseau de collectivités locales soutenu par les Etats (seule la Grande-
Bretagne a appliqué au secteur de l’eau une stratégie de
privatisation des services publics). Quelques grandes compagnies
privées, soit dans le cadre du modèle anglais, soit dans le cadre du modèle français d’une délégation de service public plus ou moins complète, ont acquis des positions très fortes dans la gestion des services publics d’eaux :plus de 80% de la population en France est alimentée en eau par un service délégué au secteur privé.Les positions
des compagnies privées souvent excessivement dominantes face aux élus locaux ont conduit, en France, le législateur à redéfinir le cadre de travail entre autorité publique délégante et délégataire afin d’assurer une véritable transparence de l’organisation et des résultats des
services tant vis-à-vis de la commune que des associations
d’usagers locaux.
Progressivement, on voit ainsi se développer en Europe
une culture de jugement des services sur des critère de performances
des services à l’usager en complément des critères de performance techniques classiques (la norme ISO 224, en préparation, complémentaire des normes ISO 9000 et ISO 14 000 en est un exemple).
Globalement, même si de nombreux problèmes restent
mal résolus en Europe,il est certain que l’Union Européenne
constitue, au plan mondial, un des cadres de références les
plus avancés en termes de protection sociale et environnementale.
L’Europe, à partir de son expérience, peut montrer que la défense d’un service public à vocation universelle à partir du cas du service domestique de l’eau n’exclut pas le recours aux compétences du secteur privé… sans devoir succomber aux règles du libéralisme. Encore faudra-t-il rappeler que la création de services publics de l’eau pour tous tels que nous les connaissons aujourd’hui dans les pays riches,en particulier
au profit des populations éparses ou des populations les
plus pauvres, a reposé d’abord sur des choix sociaux et
d’aménagement du territoire et n’est qu’accessoirement le résultat d’un bon usage d’outils économiques.
Nombre d’exemples internationaux illustrent les méfaits quasi-irréversibles sur les milieux aquatiques, auxquels peuvent conduire des usages inconsidérés de l’eau : mer d’Aral, rivières Murray ou Colorado aux USA, nappes souterraines en Inde, en Libye ou à Gaza en Palestine… Mais il n’est malheureusement pas besoin d’aller très loin
pour voir de tels exemples :il suffit de constater, en France, la profonde dégradation de notre environnement, des eaux côtières, ou des rivières, conséquence du développement incontrôlé des élevages hors-sol en Bretagne,ou celle de la qualité des nappes souterraines soumises à l’agriculture céréalière intensive pratiquée dans la Beauce ou le
Sud-Ouest (nitrates, pesticides)…
Ce sont des milieux de vie précieux,mais aussi de véritables
infrastructures naturelles que l’homme a détruites, épuisant
des nappes souterraines ou encore s’acharnant à drainer
des zones humides,sans se préoccuper de leur recharge.
Irrigation, agriculture intensive, paysannerie et sécurité alimentaire
L’irrigation est de loin l’activité la plus consommatrice d’eau
dans le monde.Nombre de villes ont dû abandonner leurs captages
proches, épuisés par les irrigations et pollutions agricoles,
pour devoir aller chercher l’eau à plusieurs centaines de
kilomètres.
Sur la base de ces pratiques dont les conséquences sont encore
aggravées, dans certaines régions subsahariennes notamment,
par le réchauffement climatique, l’impossibilité de s’alimenter
librement à la source ou à la fontaine apparaît comme inéluctable dans un très proche avenir.
La tendance à l’acharnement technologique (barrages,
canaux, polluer-dépolluer) reste malheureusement répandue
même si,dans le discours,chacun s’accorde sur la nécessité de
privilégier les attitudes préventives (économiser l’eau,restreindre
l’utilisation des produits chimiques ou toxiques, promouvoir
l’agri-environnement,préserver les zones humides,etc.).
Face aux désordres importants générés par les programmes de
grande hydraulique,certaines ONGs préconisent ainsi de favoriser
l’agriculture pluviale. Cette dernière orientation est très
contestée par les représentants des PED, qui font observer
qu’en terme de sécurité alimentaire,les surfaces irriguées sont
une voie efficace de production agricole (17 % des surfaces irriguées
concourent à 40 % de la production alimentaire mondiale).
Face à la croissance démographique,il est certain que la
petite hydraulique est une voie sensiblement plus efficace que
l’extension des cultures sur des terres peu productives car elle
est souvent moins agressive pour l’environnement [4].
La survie de nombreuses paysanneries traditionnelles ne sera
possible que par un accroissement sensible de la productivité
de leur activité. De ce point de vue, il est bien hasardeux de
juger des évolutions souhaitables des paysanneries des pays
du Sud à l’aune de nos pratiques quand on mesure les écarts
phénoménaux et croissants de productivité au cours du 20 e
siècle, entre les systèmes de production traditionnels et ceux
de nos pays riches.
La concurrence déloyale entretenue par les agricultures subventionnées
des pays du Nord empêche malheureusement les agricultures des pays du Sud de trouver les chemins d’une modernisation indispensable pour assurer une amélioration de la situation de populations paysannes qui restent dans beaucoup de pays encore le principal secteur d’activité.
Gestion intégrée
Progresser vers une gestion durable des ressources suppose
d’organiser une gestion intégrée des eaux, c’est- à- dire de veiller
à une gestion équilibrée par bassin versant des besoins
domestiques,industriels ou agricoles,dans le respect des équilibres
hydro-écologiques. Il est vrai, hélas, que les capacités
scientifiques et techniques,comme les dispositifs de concertation
publique (coordination interministérielle, concertation avec la société civile) restent embryonnaires dans la plupart des pays du Sud. Il est vrai, aussi, que le milieu naturel reste souvent le “parent pauvre”de cette gestion intégrée.
L’eau, produit pondéreux à faible valeur ajoutée, a vocation à
être gérée localement ; son cadre naturel de gestion est l’unité
hydrographique. L’absence de vision intégrée a conduit à
l’émergence de nombreux projets qui se sont révélés concurrents
: il en est ainsi, notamment, de nombreux programmes d’irrigations qui ont épuisé des ressources locales utiles aux populations pour l’eau potable, obligeant certaines villes à recourir à des solutions de substitution onéreuses (transferts à longue distance, dessalement,...).
L’accord des Etats sur la promotion de structures de coordination
ou de gestion par bassin versant, y compris au niveau international, comme outil de la gestion intégrée des eaux, constitue une avancée intéressante.
De nombreux Etats restent réticents à une internationalisation
de ces principes, préférant les accords bilatéraux qui traduisent
plus fidèlement les rapports de forces “régionaux”. La “guerre des 6 jours” menée en 1967 par Israël contre la Syrie pour la conquête du plateau du Golan et le contrôle des sources du Jourdain, et la guerre Irak-Iran, en 1984, pour le partage des marais du Chatt El-Arab, montrent que l’eau constitue toujours un point de conflits inter-Etats. Il existe de nombreux autres points de conflits inter-Etats potentiels liés à la maîtrise
de l’eau : Euphrate (Syrie/Irak/Jordanie), Jourdain (Israël/Palestine), aquifères sahariens (Libye/Egypte/Soudan), Indus (Pakistan/Inde), Nil (Egypte/Soudan), delta de l’Okavongo (Namibie), Syr-Daria (Ouzbékistan/Kirghizistan). Heureusement, sur 215 cours d’eaux internationaux représentant 47% des terres émergées, les lieux de conflits liés à la maîtrise des eaux restent limités. La multiplication récente de conventions transfrontalières et plusieurs conventions internationales (Rhin, Danube, Mékong) montrent que l’eau peut
être un élément de coopération inter-Etats.
Sur ce point cependant, le rapport du Secrétariat de la
Commission du développement durable des Nations Unies
note que les engagements pris par les Etats, à Johannesburg,
d’établir des plans de gestion intégrée et des plans de développement
des équipements d’ici 2005, ont été mis en oeuvre de
manière “inégale” et, qu’aujourd’hui encore, la communauté
internationale ne dispose pas “d’outils de suivi” mondial et
régional pour définir des règles claires de priorité.
La France, sur ce secteur est très active, grâce à l’expérience de
la loi de 1964 (comités de bassin et agences de l’eau), et celle de
1992, qui créé les Schémas d’aménagement et de gestion des
eaux (SDAGE) à l’échelle des bassins hydrographiques et les
Schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE) à une
échelle plus locale.
Le modèle européen (directive cadre) et le modèle français
constituent, de ce point de vue, des références internationales
reconnues.La France anime, via l’Office International de l’Eau le
Réseau International des Organismes de Bassin (RIOB), qui
regroupe aujourd’hui plus de 40 Etats et 100 organismes de
bassin et permet de mesurer les progrès faits en ce domaine.
Au delà des objectifs du millénaire, on peut observer que la
prise en compte des problématiques du développement
durable a conduit à enrichir très sensiblement l’approche
du monde de l’eau depuis 10 ans, ce qui se traduit par une
pression renforcée pour intégrer, à côté des aspects économiques
classiques, des critères liés à des principes de solidarité
sociale (droit d’accès à l’eau pour tous), des principes
de démocratie et de transparence (convention d’Aarhus) et
des principes de respect de l’environnement (principes de
précaution, …).
La gestion intégrée des eaux a certes encore des progrès à
faire. Au-delà de la gestion des eaux, ce sont des principes
de gestion intégrée des milieux naturels qui apparaissent
devoir être pris en compte : gestion des territoires, protection
des sols, qu’il s’agisse de la lutte contre les érosions, en
milieux montagnard ou de leur contamination dans les
vallées agricoles, interactions entre pollution des eaux, pollutions
atmosphériques, déchets. La Directive Reach pour
les industries est un exemple d’application de ces nouvelles
stratégies.
Le changement climatique et son impact potentiel sur
l’évolution du régime des eaux est une autre préoccupation
centrale de notre avenir à moyen terme.
Les principes d’un Développement Durable bien compris
devraient nous conduire à mettre davantage en perspective
les aspects économiques avec les aspects sociaux ou
environnementaux.
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Note générale de commentaire n°15 du Conseil économique et social des Nations Unies (séance du 26 novembre 2002).
[2] Communiqué commun des Amis de la terre et de 4D :“Le droit de l’eau n’intéresse pas la communauté internationale.”
[3] Travaux de M. Henri Smets de l’Académie de l’eau.
[*] Voir “Pour en savoir plus”
[4] A cet égard, citons les désordres généralisés en Asie dus à la mise en valeur de terres en pente, souvent soumises à des phénomènes d’érosion généralisée.
Bibliographie
Pour en savoir plus
- Rapport mondial sur le développement humain, 2005, PNUD.
- Henri Smets : La solidarité pour l’eau potable, Académie de l’Eau - AESN, mars 2005.
- Henri Smets : Le droit à l’eau dans les législations nationales ; Académie de l’eau AESN octobre 2006
- Jean- Luc Redaud : Planète eau : Repères pour demain ; éditions Johanet-2001
Lire également dans l’encyclopédie