Recueillir, Retenir l’eau et Régénérer les sols. Problématique de l’eau au Maroc et Réponses à l’échelle locale
Résumé
Au Maroc, les causes climatiques se conjuguent avec l’action de l’homme pour rendre critique la situation hydrique : face à la rareté croissante de la ressource, les usages actuels sont considérés comme non-durables. La forte augmentation de la demande, tirée par un modèle agricole intensif tourné vers l’exportation et les enjeux de court terme, entraîne un déséquilibre par rapport à l’offre des eaux de surface. Il en résulte une forte pression sur les eaux souterraines qui n’arrivent pas, le plus souvent, à se renouveler. Face à ce déséquilibre, les politiques publiques peinent à prendre le virage nécessaire. Le modèle actuel de gestion de l’eau a atteint ses limites au niveau national.
Pourtant, le Maroc a une longue pratique de la rareté en milieu aride et semi-aride, notamment vis-à-vis de l’eau. C’est sur ces traditions que s’appuie une ONG, Migrations & Développement pour mettre en œuvre, avec les populations, une réponse locale dans le centre du pays.
La réponse englobe nécessairement de multiples dimensions au niveau du territoire. Sur l’exemple du Massif du Siroua situé à cheval entre les régions du Souss-Massa et Draâ-Tafilalet, et au croisement de l’Atlas et de l’Anti-Atlas, elle porte sur de nouveaux modes de gouvernance des territoires articulant les communautés traditionnelles et les Communes, et permettant la réalisation de petits équipements hydro-agroécologiques. Parmi ceux-ci, sont présentés plus en détail les aménagements de bassins versants, qui mobilisent les villageois sur des techniques simples, peu coûteuses et facilement reproductibles, pour recueillir et retenir l’eau et régénérer les sols, au terme d’un processus long et peu spectaculaire, mais durable.
Auteur·e
Vice-Président de “Migrations & Développement”.
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Le texte a été écrit par un collectif formé de :
Mohamed BAYEJJA, Ingénieur en Génie Rural, responsable du pôle Agriculture Durable et Environnement de M&D
El Hassane EL MAHDAD, enseignant-chercheur en géographie et gestion des ressources naturelles, Université Ibn Zohr, Agadir ;
Lakbir OUHAJOU, enseignant-chercheur en géographie et développement territorial, Université Ibn Zohr, Agadir
Françoise GIGLEUX, expérience dans le domaine de l’éducation artistique et culturelle, puis dans celui des politiques territoriales (environnement et développement) pour se consacrer ensuite à l’approche sensible de la question de l’eau. A fondé et animé pendant 20 ans l’association « L’eau EST le pont », soulignant le caractère liant et socialisant de cet élément essentiel à la vie
Olivier HEBRARD, Docteur ès Sciences. Agronome, hydrologue et hydrogéologue. Consultant en agroécologie, permaculture et gestion intégrée de la ressource en eau.
Abderrazak EL HAJRI, Master en Management du développement Social. Ancien responsable de la Division de Partenariat au Ministère du Développement Social, de la Famille et de la Solidarité. Directeur de M&D.
Jacques OULD AOUDIA, chercheur en économie politique du développement, vice-président de M&D,
Manon RICHEZ, diplômée en Sciences humaines et sociales (sociologie politique – géopolitique). Responsable du pôle Apprentissages, Communication pour le changement et Essaimage de M&D.
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La question de l’eau au Maroc est marquée essentiellement par la rareté croissante de la ressource, sous l’effet combiné de facteurs anthropiques (accroissement de la population et amélioration continue des conditions de vie ; extension des activités à forte consommation en eau comme l’irrigation de l’agriculture des grandes exploitations agricoles exportatrices, l’industrie et le tourisme) et de facteurs liés au dérèglement climatique. Globalement, les apports pluviométriques au Maroc, de plus en plus irréguliers, deviennent, comme dans bien d’autres régions du monde, plus rares et plus violents.
Cette situation et les enjeux qui en découlent sont largement documentés. Nous en présentons un bref résumé dans une première partie. En seconde partie, sont exposées les solutions apportées à la raréfaction de la ressource sur une zone du territoire : le Massif du Siroua, à l’articulation entre Atlas et Anti-Atlas, en amont des grandes plaines du Souss et du Draâ. avec l’action menée depuis 2017 par l’ONG « Migrations & Développement » [1] sur le flanc Sud du Massif visant à recueillir et retenir l’eau et regénérer les sols pour favoriser la réhabilitation de ce milieu montagneux. Un aperçu de la situation dans la Région du Souss-Massa dans laquelle se situe pour moitié le Siroua est également présentée. Enfin une troisième partie tire les leçons des réalisations d’aménagements de bassins versants sur le flanc sud du massif du Siroua.
La rareté de l’eau au niveau national comme au niveau local appelle des politiques et des pratiques plus durables.
Au niveau national une rareté croissante de la ressource et des usages non durables
La rareté de la ressource en eau constitue l’enjeu principal auquel le Maroc doit faire face. Selon les estimations actuelles, l’approvisionnement moyen par habitant et par an en eau douce n’excède pas 650 m3 en 2022, contre 1000 m3 au début des années 2000. Ce chiffre atteignait 2500 m3 en 1960.
Ce pays au climat généralement semi-aride, est particulièrement vulnérable au changement climatique. Le potentiel en ressources en eau naturelles renouvelables, actuellement en deçà du seuil critique de stress hydrique de 1 000 m³/hab/an, risque de chuter encore du fait du dérèglement climatique et de la croissance démographique.
En raison de sa situation géographique en zone sud-méditerranéenne, le Maroc subit fortement les effets négatifs du changement climatique. Ces derniers se traduisent par une fréquence des périodes de sécheresse de plus en plus intenses et de plus en plus longues, ainsi que par la baisse et l’irrégularité de la pluviométrie. Ces phénomènes entravent le renouvellement des ressources en eau et aggravent la vulnérabilité hydrique du pays.
Plus de 50 % de la ressource est concentrée dans les régions du Nord et du Centre, provoquant l’accroissement des disparités spatiales. Des impacts négatifs peuvent en résulter au plan des équilibres territoriaux en raison de la mobilité migration climatique intra et interrégionale vers des zones où la ressource est plus accessible.
Toutes les régions sont cependant concernées. Les chaînes de montagne considérées comme le « château d’eau » du pays, n’arrivent plus à assurer comme auparavant leur rôle d’alimentation des plaines en ressources en eau suffisantes en quantité et en qualité. La gestion des équilibres écologiques des bassins-versants en haute montagne nourricière en eau et en sol, semble être de plus en plus inadaptée.
La pénurie des eaux de surfaces conduit en effet à la surexploitation des nappes phréatiques impactant négativement le volume et la qualité des ressources en eaux souterraines. Le potentiel des ressources en eau naturelles, déjà faible, est estimé en 2020, à 22 milliards de m3 par an dont 18 milliards de réserves en eaux superficielles et environ 4 milliards en eaux souterraines. Le déficit en eaux superficielles accentue la pression sur les ressources souterraines. Cette situation est aggravée par la baisse de la qualité des eaux en raison de la pollution générée par les intrants agricoles et la salinité, ainsi que par les déchets solides et liquides urbains lorsqu’ils ne sont pas pris en charge.
La consommation d’eau au Maroc est en augmentation constante en raison, notamment, des besoins croissants de l’agriculture. Sur les 16,3 milliards de m3 d’eau consommée, 89% sont destinés à l’irrigation et 11% à l’approvisionnement en eau domestique, touristique et industrielle.
Ainsi, ce sont les usages dans le secteur agricole, qui absorbent une très forte part de l’eau disponible. En outre, l’extension des cultures irriguées, dont la production est principalement destinée à l’exportation, entraînerait une pollution croissante des eaux par l’infiltration des engrais chimiques et des pesticides utilisés.
D’autres facteurs interviennent dans l’augmentation de la demande en eau à savoir l’accroissement démographique, l’évolution des modes de vie liée à l’élévation du niveau de vie moyen des populations.
Le Maroc a une longue culture de l’accès et de l’usage de l’eau. Il dispose d’acquis importants en matière de gestion hydrique grâce aux politiques publiques vigoureuses poursuivies depuis des décennies. Il en va ainsi de la politique des grands barrages, des infrastructures hydro-agricoles mises en place depuis l’indépendance et des politiques volontaristes de généralisation de l’accès à l’eau potable.
Il peut aussi compter sur les savoir-faire traditionnels : les ruraux ont accumulé des connaissances au long des siècles pour forger des capacités de résistance à la rareté. Rareté en terre arable, en énergie, en eau. Le Maroc est ainsi cité en exemple pour la sauvegarde d’un patrimoine de « savoirs ancestraux » de gestion de l’eau, mis en application dans certaines zones rurales, spécialement en montagne.
L’ensemble de ces acquis a permis de mobiliser des ressources qui assurent des taux d’approvisionnement en eau potable de 100% de la population urbaine et de 98% de la population rurale, ainsi que l’irrigation de 2 millions d’hectares. En revanche, l’assainissement en zones rurales accuse encore un retard important. Selon la Stratégie de l’eau (2011), l’objectif est d’attendre en 2030 un taux global d’accès à l’assainissement de 90%.
Ce modèle de gestion de l’eau a atteint ses limites. En privilégiant une politique de l’offre au prix de ponctions sur les eaux souterraines dont le renouvellement nécessite des dizaines, voire des centaines d’années, le modèle a déséquilibré la relation entre offre et demande. Aussi, les réserves souterraines ne peuvent plus être reconstituées même en année de forte pluviosité. Leur épuisement risque d’être irréversible.
En matière de politiques publiques, les multiples acteurs intervenant dans le secteur de l’eau ne parviennent pas à avoir des relations de coordination fiables.
Les réponses sont à différencier selon les types d’agriculture. Pour les grands acteurs du secteur agricole (environ 2000 exploitations orientées vers l’exportation d’agrumes et de tomates et fraises à contre saison) le rapport de l’IRES [2] dresse un constat très documenté et présente une série de propositions en matière de régulations. Ces propositions combinent les outils législatifs, fiscaux, économiques, techniques, avec la nécessité d’une mobilisation citoyenne faisant de l’eau un « bien commun » pour faire face à l’ampleur des défis que la société marocaine va affronter dans les années à venir.
Un autre champ de réponses, s’adresse plutôt à la grande masse (environ un million et demi) des paysans qui œuvrent, sur les territoires, dans « l’agriculture familiale ». Une approche que ni l’Etat, ni le marché, ne peuvent promouvoir seuls pour résoudre les problèmes posés. C’est l’approche par les « communs » où une communauté liée à un territoire participe à l’élaboration et à la mise en œuvre des règles qui gèrent les ressources locales et leur rareté. C’est dans ce cadre que s’envisagent les solutions de la petite hydraulique décentralisée mobilisant de nouveaux acteurs des territoires sur le mode de la démocratie participative, et notamment les Communautés Agraires. L’aménagement des bassins versants illustre ce type de réponse qui sera présentée en deuxième partie de cet article.
Globalement, les autorités s’orientent vers la prise en considération de l’importance de nouvelles échelles pour répondre aux défis actuels. La petite hydraulique décentralisée s’emboîte ainsi dans le champ des politiques publiques.
Dans la région du Souss Massa, la gestion de de l’eau n’est pas durable
Le Souss-Massa est une région où le secteur agricole moderne, développé grâce à l’initiative d’opérateurs privés, tient une place prépondérante à côté du secteur irrigué public développé par l’Etat. Elle est connue à l’échelle du pays par son climat favorable au développement agricole, le dynamisme de ses habitants et leur esprit d’initiative. La production agricole dans cette région occupe une place importante à l’échelle nationale avec en particulier la production d’agrumes et de cultures maraîchères. La région est caractérisée par le poids prépondérant du secteur agricole exportateur. Cette activité a connu une vive extension depuis une trentaine d’années. Elle porte principalement sur l’agrumiculture dans le bassin du Souss et le maraichage-primeur dans la plaine du Massa. Au total, on assiste à une forte et régulière augmentation du volume de la demande en eau d’irrigation.
La demande extérieure soutenue de ces produits agricoles, à de bonnes conditions de marché, pousse à l’accroissement constant des surfaces cultivées et de la productivité des cultures à l’hectare [3]. Cette forte croissance entraîne celle de la demande en eau qui dépasse de loin les potentialités de l’offre. Cela se traduit par un prélèvement annuel dans les nappes profondes.
Ce déséquilibre génère une baisse du niveau des nappes, un accroissement du risque de dégradation de la qualité de l’eau sous l’effet de l’invasion par l’eau de mer des nappes d’eau de la frange littorale. S’ajoute une pression sur les exploitations d’agriculture familiale qui sont de plus en plus assemblées dans le cadre de grandes exploitations à haute valeur ajoutée par des exploitants absentéistes.
Pour faire face aux besoins en croissance des surfaces irriguées et des espaces urbains, la stratégie adoptée pendant longtemps, considérant l’eau comme une ressource non épuisable, fut fondée sur la gestion de l’offre, et ce, par le stockage des eaux de surface et le relevage des eaux souterraines en tant ressource d’appoint. Cette orientation aboutit actuellement à une saturation des potentialités hydriques renouvelables, ce qui justifie la nécessité de changer d’options.
Ainsi, le diagnostic établi au niveau national se vérifie dans la Région du Souss-Massa. Les outils réglementaires et législatifs existant vont dans le sens d’une régulation durable. Mais c’est leur application sur le terrain qui a pris un grand retard.
Les solutions sont à différencier selon les types d’exploitation. Pour les grandes exploitations agricoles des plaines, le retour à un équilibre durable passe par une limitation de la demande. Celle-ci peut être obtenue par une régulation sur la base de taxations adaptées et un contrôle de leur application effective. Pour l’agriculture familiale, des solutions passent par la gestion collective des bassins versants à une échelle du village exposée ci-dessous.
Le Massif du Siroua ne joue plus son rôle de château d’eau
C’est un territoire de 5000 Km² composé de six Communes regroupant 50.000 habitants en 220 douars (villages). Situé au centre du Maroc, ce massif d’origine volcanique culmine à 3305 mètres et relie l’Anti-Atlas au Haut-Atlas. Il domine et alimente les vallées du Souss (vers l’Ouest) et du Draâ vers le Sud-Est. Il présente une situation d’interférences entre les milieux méditerranéens et sahariens, avec un climat très contrasté présentant de fortes irrégularités. Des hivers froids et enneigés (-4°C) et des étés chauds et secs (+46°C).
Il présente un potentiel hydrique rayonnant, étagé et fractionné. Le Massif constitue un « château d’eau » local, capteur d’humidité grâce à une pluviométrie à très forte variabilité, entre 200 et 500 mm par an. Une eau renouvelable, de bonne qualité. Au-dessus de 2500 m, la rétention neigeuse alimente des nappes perchées et de petits étangs. Entre 1500 et 2500 m, des nappes superposées alimentent des inféroflux [4] , des sources et des oueds. En dessous de 1500 m, on retrouve des ruissellements, inféroflux, sources et oueds. Ce système alimente des oueds segmentés en sous-bassins qui partent en étoile depuis la zone du sommet. Chaque portion correspond à une entité ethno-socioéconomique que l’on appelle les « Communautés Agraires » (voir Partie 2).
Le milieu naturel et ses potentialités hydriques ont connu au cours des dernières décennies de fortes pressions anthropiques. Le système d’exploitation agro-sylvo-pastoral traditionnel extensif a été remplacé progressivement par un nouveau système agro-pastoral intensif visant la production de masse pour les marchés intérieur et extérieur. En parallèle, de nouvelles activités comme l’exploitation minière et le tourisme ont été introduites, et l’alimentation des populations rurales en eau potable est en progression continue. Cette tendance a mené la zone vers un bilan d’eau (ressources/besoins) déficitaire qui ne cesse de s’aggraver avec les effets du dérèglement climatiques.
La réduction du décalage entre les ressources et les besoins en eau ne peut passer que par la multiplication à petite échelle de programmes de développement de la ressource, adoptant des approches territoriales. Cela suppose d’impliquer toutes les parties prenantes, notamment les Communautés Agraires, un encouragement des dynamiques de collaboration, des tissus associatifs en lien avec des ONGs, et du soutien des collectivités territoriales.
Au total, au Maroc comme dans bien d’autres territoires, le stress hydrique croissant relance deux grands questionnements :
• Offre ou demande ? Le premier questionnement porte sur l’opposition entre pompage des eaux profondes et mobilisation des eaux de surface. Derrière ce questionnement, c’est une autre opposition qui est interrogée : entre une politique qui privilégie l’offre en eau, au prix de prélèvements des eaux profondes, versus une politique de la demande qui adapte celle-ci aux capacités de recueil et de rétention des eaux de surface. Ou, plus largement encore, ce questionnement porte sur la nature de l’eau : bien public ou marchandise comme une autre ? Ces questionnements commencent à émerger dans le débat public.
• Montagnes et/ou plaines ? Le second questionnement, en lien avec le premier, est plus général et commence à être posé sur la scène publique. Il comporte une dimension politique d’une autre nature. Avec la raréfaction de la ressource, il met en évidence le fait que les importantes zones de montagne du Maroc détiennent la clé de l’irrigation des zones aval et l’approvisionnement des grandes villes côtières. Prendre réellement en compte cette évidence topographique renverse la vision politique des relations entre riches plaines et montagnes pauvres : les petits éleveurs des montagnes peuvent voir leur rôle accru dans les équilibres politiques des territoires.
La régulation des écoulements, par le maintien du couvert végétal dans les montagnes, terrain des Communautés Agraires des zones amont, devient ainsi un enjeu majeur pour la survie même d’une partie importante de l’agriculture et des villes en plaine et sur le littoral, et donc de la capacité agricole et de la dynamique urbaine du pays.
Nous présentons dans cette seconde partie les réponses qui ont été apportées sur le Massif du Siroua par l’ONG « Migrations & Développement » (M&D). Des réponses élaborées et mises en œuvre avec les populations et les institutions de ce territoire et l’apport de son partenaire « Terre & Humanisme - Pratiques Écologiques et Solidarité Internationale » (T&H PESI) [5] .
Le processus a pris la forme d’une Recherche-Action [6] , intitulée « Articuler Communautés Agraires et Communes Rurales comme actrices d’une gouvernance foncière innovante pour une Transition AgroEcologique » (ACACTAE) qui s’est déroulée de 2017 à 2022. Il faisait suite à plus de 20 ans d’intervention de M&D sur des villages du Massif. A noter que l’action a été accompagnée au quotidien par des salariés de M&D majoritairement issus des villages de la région : Khaoula AÏT KHOUYA, Youssef EL HYANI, Omar GUINANI, Maryam OULAMMOU.
L’objectif de la recherche-action ACACTAE
L’objectif était de valoriser les potentiels du territoire en préservant l’agroécosystème par une intensification écologique de l’agriculture et de l’élevage. Décliné en 4 objectifs spécifiques, le projet s’est engagé à :
• Impliquer les populations dans les processus de changements fonciers et agropastoraux
• Adapter les systèmes de gouvernance aux enjeux fonciers et agropastoraux
• Valoriser le potentiel économique des territoires par les pratiques agroécologiques
• Produire de la connaissance et diffuser les innovations du projet « Retenir l’eau pour retenir les populations locales » sur le Massif du Siroua, telle est la visée du projet, pour les élus locaux, pour une part importante des populations et pour M&D [7]
Un diagnostic partagé
La recherche-action est partie d’une analyse commune des caractéristiques du territoire, en ligne avec celles exposées par les professeurs El Mahdad et Ouhajou résumées en première partie.
Le Massif de Siroua est caractérisé par une forte pression sur le foncier et sur les ressources naturelles. Ces facteurs favorisent le départ des villageois vers les villes, notamment des jeunes. Ces dernières années, l’impact de la sécheresse a aggravé le stress hydrique dans cette région. Ainsi, les milieux naturels du massif du Siroua sont particulièrement dégradés.
Cette dégradation est la résultante des effets combinés des pratiques anthropiques locales, (défrichement, surpâturage, surexploitation des plantes aromatiques et médicinales, oubli des règles de gestion ancestrales), mais aussi des effets du réchauffement climatique. Elle se traduit par de multiples conséquences, en particulier, la baisse de l’offre en eau, la réduction de la végétation et la dominance de sols nus, rendant ces derniers particulièrement vulnérables à l’érosion.
Un villageois âgé du Siroua nous a rapporté qu’étant jeune, il craignait de perdre ses moutons dans la végétation dense qui couvrait la montagne. Aujourd’hui, le sol de cette montagne est nu, sans herbe, sans arbustes... [8]
M&D et T&H ont initié des réponses au niveau de chaque territoire à travers un ensemble d’actions coordonnées avec les habitants et leurs institutions.
Le projet a combiné trois types d’actions indissociables :
- 1/ l’articulation de la gouvernance, par la mise en place d’Espaces de concertation locale, entre les institutions modernes (les Communes) et les institutions traditionnelles (les Communautés Agraires ou tribus) ;
- 2/ des formations à l’agroécologie à destination des villageois et villageoises ;
- 3/ des aménagements de petite hydraulique rurale réalisés avec la participation des habitants.
Des Espaces de concertation locale
La plupart des zones de montagne au Maroc connaissent un triple maillage institutionnel [9] D’une part, les Communautés Agraires (ou tribus) qui, depuis des siècles, vivent sur ces territoires et y ont accumulé des savoirs pour maintenir la vie face aux rudes conditions climatiques et topographiques (rareté structurelle des terres, de l’énergie, de l’eau). D’autre part, les Communes ou Collectivités territoriales, institutions modernes mises en place après l’Indépendance, prenant en charge l’état civil, l’éducation élémentaire, la santé, les routes locales et le souk hebdomadaire. Enfin, les douars (villages), regroupement géographique de base des habitants sur le territoire [10] .
La préservation de l’environnement, à commencer par la capacité de ces espaces montagneux de retenir l’eau, ne peut se faire qu’avec l’appui des Communautés Agraires qui ont la légitimité et le savoir pour cela. Nous sommes dans une logique de « communs » où se trouvent réunies une ressource (la végétation des espaces amont) et une communauté qui établit et met en œuvre des règles pour gérer cette ressource.
L’action menée s’apparente à une réponse à la « tragédie des communs », phénomène de surexploitation de ressources communes. Elle rejoint l’idée d’Elinor Ostrom [11] qui a démontré qu’une gestion par les acteurs locaux de la ressource est une solution viable, capable de préserver et d’entretenir la ressource, alternative à la privatisation ou la nationalisation. Cette gestion en « commun » repose sur l’implication et la fixation de règles élaborées et mises en pratique par toutes les parties prenantes au premier chef desquelles les communautés d’habitants présentes sur les territoires.
Sur le Massif du Siroua, les Communautés Agraires conservent (inégalement) des capacités de décision et d’action, même si leur légitimité a été érodée par la nouvelle organisation administrative (les Communes) instaurée depuis l’Indépendance. De son côté, la Commune n’a pas les moyens humains, financiers, de prendre en charge l’environnement sur la partie amont de son territoire.
Le travail de la recherche-action a donc consisté à articuler les trois niveaux d’organisation : les Communautés Agraires (CA), les Communes (collectivités territoriales, CT) et les douars (villages). Cette démarche a contribué à revaloriser les Communautés Agraires affaiblies par l’exode rural, et à restaurer en leur sein l’importance de la préservation de l’environnement.
La démarche a été menée sur deux Communes limitrophes : Assaisse [12] et Siroua [13] , au sein desquelles sont présentes 5 Communautés Agraires qui se définissent au travers des 5 groupes ethniques ou structures tribales qui sont reconnues comme telles par la population : Aït Athmane et Aït Oubyal dans la Commune d’Assaisse. Aït Ouargharda, Aït Semgan et Tammassine dans celle de Siroua.
Auparavant régie par une organisation patriarcale structurée, la gestion communautaire s’appuie aujourd’hui sur de nouvelles organisations notamment les Associations Villageoises et s’engage sur de nouvelles thématiques d’intérêt général (scolarisation, eau potable, assainissement…). Les deux Communes comportent au total 54 villages. La gouvernance au niveau villageois est assurée traditionnellement par les Jmaâ, assemblées des hommes âgés du village. Parallèlement à ces assemblées, la plupart des villages ont formé des Associations Villageoises (AV) ouvertes aux jeunes et aux émigrés, en un mouvement « d’incorporation citoyenne » universel.
Une innovation en matière de gouvernance et de reconnaissance mutuelle des complémentarités de chacun dans le développement local
Au cours de la période du projet, les 5 Communautés Agraires de la zone ont été amenées à collaborer avec leurs Communes sur la gestion de l’agroécosystème. Cette collaboration s’est prolongée par la création d’un cadre d’échange dans chacune des deux Communes : un Espace de concertation multi-acteurs conçu pour trouver collectivement des réponses aux enjeux fonciers et agropastoraux et accompagner les acteurs dans la prise en compte des changements climatiques et la préservation de l’environnement. La dynamique initiée s’est inscrite dans la logique de la Constitution marocaine encourageant la participation citoyenne « Les pouvoirs publics œuvrent à la création d’instances de concertation, en vue d’associer les différents acteurs sociaux à l’élaboration, la mise en œuvre, l’exécution et l’évaluation des politiques publiques » (Article 13).
Au total, les nouvelles modalités de gouvernance adaptées à ces enjeux, articulant Communautés Agraires et Collectivités Territoriales, ont débouché sur
1/ la création d’Espaces de Concertation locale entre Communautés Agraires et Collectivités Territoriales pour une adoption collective de l’approche écosystémique ;
2/ l’élaboration d’un Plan d’Actions Participatif de gestion des ressources naturelles conçu comme complémentaire avec le Plan d’Actions Communal ;
3/ l’identification et la validation des aménagements de parcours pastoraux et des ouvrages hydro-agroécologiques ainsi que la mise en place de points d’eau pour l’abreuvement du cheptel.
Les deux Espaces de Concertation locale créés, un par Commune (Almougar n’Siroua [14] à Siroua et Assous n’Louz [15] à Assaisse) sont chacun composés d’une quinzaine de membres élus de la Commune pour une part et représentants de la Communauté Agraire pour une autre part. Ils intègrent un objectif de parité entre femmes et hommes [16] .
La création de ces Espaces de Concertation locale a été formalisée par délibération des Conseils Communaux. Ils amorcent un long processus qui doit permettre une appropriation progressive de nouvelles pratiques sur la base de reconnaissances mutuelles. Ils doivent être amenés à s’élargir pour améliorer leur représentativité et leur inclusivité (avec l’intégration des membres des Jmaâ et la consolidation de la représentativité des femmes et des jeunes).
Les formations en agroécologie
Les instances de dialogue et de prises de décisions collectives ont été des éléments indispensables mais les paysans du monde entier, et ceux du Siroua particulièrement, veulent aussi voir des réalisations concrètes et y être associés. C’est pourquoi ont été menées, en parallèle des actions mettant « la main à la pâte », ici, sous nos pieds.
Une de ces actions a porté sur un cycle de formations des villageois agriculteurs et agricultrices à l’agroécologie. Une formation adaptée au climat semi-aride du territoire. La question de l’eau est omniprésente dans cette démarche de formation.
- Près de 700 agriculteurs ont été formés aux pratiques agroécologiques.
- 75 femmes semencières ont été formées et 5 maisons des semences 75 femmes semencières formées et 5 maisons des semences ont été mises en place.
De ces formations est sorti un Guide méthodologique [17] élaboré directement à partir des enseignements tirés des pratiques mises en œuvre dans le projet ACACTAE. L’objet de ce guide est de proposer des solutions concrètes permettant d’aller vers une agriculture durable et plus écologique en zone semi-aride, en vue de favoriser le développement de fermes diversifiées faisant vivre les familles paysannes et leur territoire. Il concerne essentiellement les cultures maraîchères et les arbres fruitiers. Cette action de formation a mobilisé également les femmes qui se sont investies dans la production de plants, en tant que « femmes semencières » accompagnant une prise de conscience de la valeur des semences locales.
La création de petits équipements hydro-agroécologiques
D’autres actions de terrain ont porté sur des petits ouvrages d’hydraulique rurale : retenues collinaires et aménagements de bassins versants. Les retenues collinaires constituent une des réponses possibles à l’objectif de « retenir l’eau » [18] .
La Retenue collinaire sur les terres collectives du village de Hloukte
• Hauteur : 7 m
• Volume : 53.000 m3
• Permettant l’irrigation de 15ha de cultures intensives
• Conduite d’irrigation de la retenue à la zone cultivée : 1600 m, diamètre PN10
La conduite alimente un bassin de 320 m3
En amont des retenues collinaires les aménagements de bassins versants (ABV), dans chacune des Communes du projet ACACTAE, moins connus, mobilisent plus fortement les règles traditionnelles comme celle de la mise en défens (interdiction du pâturage) et est très économe en termes de financement et de temps administratif [19].
Focus sur Les Aménagements de Bassins Versants (ABV)
Les expérimentations pratiquées sur le Massif du Siroua ont porté principalement sur ce type d’aménagements. Ils constituent une réponse facilement appropriable par les villageois, mobilisant peu de moyens financiers et administratifs, et permettent de recueillir et retenir l’eau et d’amorcer la régénérescence des sols.
Olivier Hébrard consultant en agroécologie : “Pour une gestion optimale de la ressource, il faut qu’une goutte d’eau qui tombe sur le Massif du Siroua mette le plus de temps possible pour rejoindre l’Océan. C’est ainsi que l’on pourra régénérer les sols et faire du soleil un allié dans ce processus.”.
La condition première est la mise en défens [20] des espaces traités, qui passe par une forte concertation, au niveau des villages, entre les Communautés agraires et les Communes. Les premiers aménagements de bassins versants (ABV) mis en place dans le cadre de la recherche-action ACACTAE constituent des opérations-test sur la région. Ils ont été effectués sur les espaces de 2 douars : Tinider, sur la Commune d’Assaisse et Hloukte, sur celle de Siroua, avec pour objectif d’amorcer une restauration des sols et leur re-végétalisation. Les zones délimitées pour les tests ont le statut foncier de « terres collectives » [21] appartenant aux Communautés Agraires.
La logique d’intervention a reposé sur une approche participative avec les partenaires de terrain afin de favoriser la dynamique d’appropriation par les parties prenantes.
-a- Choix de la localisation du bassin versant par les villageois
Une consultation locale approfondie a permis une sélection des zones cibles du projet. Des études cartographiques ont ensuite été effectuées par T&H PESI, afin d’affiner les zones et de valider leur choix. L’aménagement d’un bassin versant a été ainsi soumise par M&D à la réflexion de l’Association Villageoise après un accord de principe. Puis, une mission a été programmée incluant une présentation du projet et de toutes ses composantes. Un temps de réflexion entre les villageois a ensuite été nécessaire et a débouché sur un engagement officiel dans le projet.
Cet engagement s’est formalisé par la signature d’un Procès-Verbal avec les parties prenantes, en faveur d’un accompagnement de l’aménagement des bassins versants. Les villageois ont ensuite été formés par T&H PESI, afin qu’ils soient autonomes pour la mise en œuvre des aménagements.
-b- Construction de cordons pierreux et baissières
À la suite de propositions techniques recommandées par T&H PESI, la mise en œuvre des travaux pour retenir les eaux de pluie a été effectuée.
Objectifs de l’aménagement : freiner les eaux de ruissellement de surface et retenir les produits de l’érosion. Favoriser l’infiltration des eaux de ruissellement dans les sols et dans le sous-sol.
Ces aménagements prennent deux formes : les « cordons pierreux » [22] et les « baissières » [23]. Ils permettent une installation plus rapide de la végétation, sur les sédiments bloqués par le cordon et sur la zone située juste en aval du cordon.
La philosophie de base a consisté à fournir aux villageois une autonomie maximale pour la réalisation de tels aménagements. D’où le recours à des méthodes et outils basiques (pelles, pioches, niveaux égyptiens). Et le non-recours aux matières exogènes (ciment, parpaing, métal, plastique ou autre), de manière à offrir un cadre de reproductibilité le plus large qui soit.
Plutôt que de mobiliser de lourds moyens techniques (pelle mécanique, tonne à eau, tracteur…) et des ressources exogènes (eau pour arrosage), on s’appuie sur l’eau qui tombe du ciel pour réenclencher les processus. L’eau de pluie est le moteur de la régénération du milieu.
Les villageois ont été rémunérés pour les travaux accomplis afin de permettre leur implication continue et l’appropriation des réalisations. Cette approche a permis des gains en termes de cohésion sociale et a été gage de confiance dans la mesure où les bénéfices ont été immédiats et visibles sur les ressources des ménages. Les paiements ont été effectués via les Associations villageoises, de manière à rémunérer l’ensemble des personnes ayant participé au projet, notamment les femmes à travers leur rôle dans la préparation des repas.
Sur les différents sites en moyenne, 700 jours de travail ont été comptés pour un groupe de 10 à 20 personnes mobilisées à 100 Dinars la journée (environ 10 euros).
-c- Une mise en défens pour 3 ans
C’est à ce point que la collaboration avec les Communautés Agraires prend tout son sens. Les travaux de créations de baissières et de cordons pierreux nécessitent que la zone délimitée soit mise hors pâturage pendant une certaine période, de façon que les ovins ne viennent pas brouter les jeunes pousses qui vont émerger le long de ces petits aménagements. La mobilisation des villageois pour réaliser ces petits aménagements facilite cette mise en défens, qui fait partie des règles ancestrales bien connues des villageois.
La mise en défens a nécessité un long processus de négociation et de médiation internes, notamment entre agriculteurs et éleveurs. Elle est un des facteurs clé de la réussite de la régénération.
-d- Des plantations adaptées
Dans de nombreuses situations, les sols étant trop pauvres et très peu épais. La plantation directe d’arbres n’aurait donné aucun résultat puisqu’il était exclu de pratiquer un arrosage conséquent et régulier, dans le cadre du projet.
La stratégie adaptée à ce contexte particulièrement contraint a été de semer une multitude de graines locales, sans aucune irrigation, en acceptant l’idée que seul un nombre très faible de ces graines germera et survivra. Une majorité des semences « rescapées » devrait alors être adaptée à ce contexte extrême. Ces semences-là nécessiteront un entretien minimal. Elles pourront ensuite être éventuellement greffées avec des variétés fruitières.
Les graines peuvent être semées soit directement dans la terre, soit dans des « bombes à graines ». Il s’agit-là de petites boules d’argiles dans lesquelles on intègre les semences. Grâce à l’argile, elles ne sont libérées qu’en présence d’une quantité suffisante d’eau, ce qui permet d’augmenter les chances de survie des plants après leur germination (car il est fréquent que les graines germent en présence d’un peu d’eau, mais qu’ensuite elles ne disposent pas de suffisamment d’eau pour poursuivre leur croissance).
Au total, ce mode de plantation a tenu compte des facteurs suivants :
- La nécessité d’avoir des semences locales bien adaptées aux conditions pédoclimatiques de la zone ;
- L’importance de minimiser le risque d’échec vu la faible couche de sol arable ;
- Les plantules qui ont réussi à germer développent une résilience au manque d’eau et dépendent seulement de la pluie ;
- Une technique facile à diffuser et reproduire par la population ;
Ce procédé devrait assurer une meilleure résistance aux plants. A ce stade, cela est démontré par les premiers noyaux d’amandier semés en 2019 à titre d’expérimentation, qui ont montré une bonne adaptation et ont poussé sans aucune irrigation.
Au terme de la période de mise en défens, le couvert végétal devrait avoir été restauré par des buissons bas offrant alors une ressource de pâturage. Pourra alors être envisagées des plantations d’arbres fruitiers adaptés au climat, comme des amandiers, les caroubiers.
-e- Premiers résultats
D’un point de vue environnemental, les premières traces de régénération du couvert végétal sont visibles.
Un autre signe de cette re-végétalisation : sur la zone de Hloukte, des apiculteurs des villages environnants ont demandé à l’Association Villageoise de Hloukte de pouvoir apporter leurs ruches sur le bassin versant aménagé.
Concernant les dynamiques sociales, moins respectée sur l’aménagement du village de Tinider, la mise en défens sur le site aménagé du village Hloukte est toujours respectée depuis fin 2019 entre les villageois mais aussi par les personnes des autres villages et même les nomades. Sur ce site, la mise en défens a été consignée dans une charte qui a été communiquée aux autorités qui l’ont approuvée. En 2022, à l’issue des premiers trois ans de mis en défens, celle-ci a été prolongée : le village continue de protéger le site aménagé.
Globalement, on peut parler d’une amorce de modification des mentalités concernant la gestion des espaces communs. Par exemple, dans l’exploitation des plantes aromatiques et médicinales. Celles-ci ne sont plus arrachés mais coupées. Elles peuvent ainsi bénéficier au couvert végétal et au parcours de pâturage. Quand la dynamique sociale est positive, les bassins versant aménagés deviennent, de fait, des « aires protégées ».
• Le choix du critère social est à privilégier pour la localisation de l’ABV. Ces expériences ont révélé la nécessité de prendre en considération les critères de sélection à la fois sociaux et techniques, afin d’établir la zone choisie. Il est essentiel de privilégier en premier lieu le critère social, la sélection selon des critères techniques doit s’effectuer dans un second temps. Concernant le critère social, les zones doivent être sélectionnés suites à des réunions de concertation au niveau du village et doivent être dûment justifiées. La conception participative et les instruments de cartographie sont essentiels pour impliquer les parties prenantes des aménagements des bassins versant, afin de rassembler les connaissances locales et garantir une appropriation de la démarche.
La construction d’une confiance est nécessaire pour lutter contre les réticences. En effet, certains villageois ont développé un sentiment de défiance vis-à-vis d’acteurs extérieurs, ce qui les a amenés à refuser l’intervention de M&D dans leurs villages. A l’inverse, dans les villages choisis, on observe une forte dynamique et une concertation initiée par des personnes influentes, sur lesquelles il est possible de s’appuyer. La relation partenariale de longue date avec les équipes de M&D favorise l’identification de ces acteurs clés.
Le choix du bassin versant devra répondre à une demande et un besoin émanant des communautés locales. Les bassins versants adéquats sont ceux où les communautés locales se montrent ouvertes au changement et clairement intéressées à participer à la planification et à la mise en œuvre des activités de projet. La participation des communautés locales est la clé de réussite de la pérennisation de l’action et du changement sociétal.
Le paiement des villageois travailleurs a été essentiel pour valoriser le travail des villageois, en proposant une démarche partenariale et collaborative, au-delà d’une approche participative.
L’analyse des systèmes fonciers existants est essentielle pour comprendre les dynamiques d’incitations ou de refus d’une intervention dans certains bassins versants. Les dispositifs de gouvernance des questions foncières au sein des Communautés Agraires influencent non seulement les investissements physiques et monétaires dans les bassins versants mais aussi l’acceptation des règlements concernant l’utilisation des terres, par exemple la mise en défens de la zone pour une période de l’ordre de 3 ans.
La volonté des populations d’investir en temps et en ressources est bien entendu plus grande pour les terres privées que pour les terres communales. Pour pallier cela, le fait de payer les villageois qui travaillent sur les ABV, comme ce qui a été pratiqué permet de mobiliser les populations cibles. Cette approche permet à court terme des retombées économiques immédiates, en attendant celles issues du cercle vertueux attendu par l’ABV.
• Adopter une approche globale à la recherche des complémentarités. La gestion de l’eau doit être pensée et menée globalement au niveau des bassins versants afin d’améliorer l’efficacité des actions menées localement. Ainsi, l’Aménagement des Bassins Versants est complémentaire aux retenues collinaires. C’est la première étape de protection des sols. Situé en amont des retenues collinaires, il favorise la régénération de la biodiversité à long terme et la lutte contre l’ensablement par la mise en place de « seuils biologiques ». Les retenues collinaires, en complément, visent à recharger la nappe phréatique, ce qui est bénéfique pour l’irrigation en aval.
Le bassin versant devra comprendre des zones en aval avec un potentiel agricole nécessitant d’être protégé. L’ABV est notamment préconisé lorsque leur mauvaise gestion en amont a des effets directs sur les communautés, les infrastructures économiques, les terres agricoles en aval. Une telle situation peut attirer l’attention au niveau décisionnel et politique et peut être l’occasion d’appliquer des mécanismes efficaces de compensation et d’incitation.
En l’absence actuelle d’un mécanisme de Compensation pour Mise en Défens (CMD), il est difficile de maintenir’ l’équilibre dans la relation entre agriculteurs et éleveurs. A titre exploratoire, on pourrait imaginer une taxation/redevance sur les eau’ d’irrigation dans les plaines en aval pour financer les projets en amont, dans les zones de montagne.
• Des ouvrages simples à réaliser, à faible coût, faciles à essaimer. Les techniques utilisées devront être reproductibles. Ce critère s’illustre par l’utilisation de techniques simples et par un recours limité aux ressources matérielles, financières et humaines. Il s’inscrit dans une logique de viabilité de l’action et de dissémination indépendante d’une aide extérieure.
Cette approche permet de démontrer que ces ouvrages de taille modeste, alliant implication communautaire, apports financiers raisonnables, techniques simples et démarches administratives légères sont des solutions concrètes s’inscrivant certes dans un processus long pour lutter contre le changement climatique, mais particulièrement adaptées au territoire.
L’aménagement du bassin versant doit être visible, accessible et représentatif de la zone de projet. Les réalisations doivent être utilisées comme levier pour sensibiliser aux problèmes environnementaux, pour démontrer la pertinence et la faisabilité des pratiques innovantes et pour former les parties prenantes à une application pratique de protection des sols. Une zone à haute visibilité située à proximité d’autres villages ou d’une route principale offre de bonnes chances de déclencher un effet d’essaimage, de s’étendre et d’être répliquée dans les villages avoisinants
Le choix des seuils biologiques et des plantations devra être effectué en amont. Il est nécessaire de prévoir des seuils biologiques et des plantations dès la conception des projets d’ABV, en y consacrant les ressources nécessaires. La prise en compte de ces questions peut s’illustrer par l’usage de la végétation existante dans les bassins versants ou par des semences de plantes endémiques (amandiers et caroubiers sur le Siroua).
• De l’agroécologie aux changements sociétaux. L’élargissement de l’approche permet de valoriser le lien entre l’aménagement des bassins versants et la mise en place de projets agroécologiques. En effet, ces aménagements favorisent à la fois la lutte contre l’érosion et la dégradation des sols, la régénération du couvert végétal et des parcours, et la biodiversité à travers la sauvegarde des insectes et des abeilles. La diffusion des pratiques agroécologiques est un outil de changement social. Il émane en premier lieu d’un renforcement des valeurs telles que la solidarité, l’échange et d’un équilibre entre pratiques agricoles et d’élevage.
Les changements affectant le climat se manifestent partout dans le monde à travers des pluies plus rares et plus violentes, des inondations, des feux de forêt et la perte de biodiversité. L’eau de qualité destinée à l’alimentation devient rare sur tous les continents et nous oblige à penser des usages adossés à de nouvelles formes de solidarité.
Ces phénomènes rendent impérative la modification de notre rapport à l’eau. Comment en faire une ressource durable qui préserve la vie et les écosystèmes de nos territoires respectifs pour les générations futures ?
Des réponses existent
Elles se situent principalement à l’échelle locale, dans une approche concertée qui combine des facteurs sociaux, humains et environnementaux. Cela suppose un fort investissement dans la gouvernance des territoires, par l’institution d’espaces de délibération qui devront réunir, sous des formes à adapter aux contextes locaux, des acteurs porteurs de légitimité.
Par leur statut de patrimoines transmis par les sociétés locales de génération en génération, l’eau et les systèmes de gestion associés, constituent ainsi un bien commun territorial. A l’heure de la transition écologique, sa gouvernance implique une transformation des relations entre les acteurs, combinant des formes traditionnelles de gestion et les institutions modernes, pour coconstruire des systèmes résilients, aptes à recueillir, retenir l’eau et régénérer les sols en mobilisant les éléments naturels tels que le soleil, la terre et les végétaux.
Du local au global : les APAC
Le travail mené avec les communautés sur le Massif du Siroua n’est pas isolé. A la fois au niveau national marocain, et international. L’articulation entre Communautés Agraires et Communes est soutenu par le projet de reconnaissance des espaces comme « Aire du Patrimoine Autochtone et Communautaire » (APAC). Une APAC, dispositif soutenu par le PNUD, est une zone protégé « un territoire de vie », reposant sur le lien étroit entre les habitants et leur territoire vivant, dont la gestion est assurée par des représentants d’une communauté qui habitent dans ou en bordure de l’aire protégée.
La recherche action menée par M&D de 2017 à 2022 se prolonge dans le projet AGIR sur le Massif. Avec une extension à une commune limitrophe. Désormais, M&D accompagne 8 Communautés Agraires (tribus) présentes sur 3 Communes (Siroua, Assaisse, Zagmouzen) dans la zone d’intervention sur le Massif du Siroua, dans cette démarche de reconnaissance des APAC du Siroua (avec d’autres APAC au Maroc, notamment dans les oasis) et en lien avec les APAC du monde entier (Amérique latine, Inde…)
L’Etat marocain manifeste un intérêt sur la question des APAC dans les échanges et le dialogue amorcé avec le réseau APAC Maroc.
Au total, un enjeu de démocratie participative
Une ressource, l’eau, dont on reconnait la nature limitée dans son accès, nécessite la création de nouvelles règles de gestion des ressources naturelles. Nous sommes, ici, là-bas, face à un enjeu démocratique, avec la participation possible des organisations de la société civile (ici les Communautés agraires).
Un enjeu, finalement, politique à l’heure où la gestion uniquement par l’Etat ou par le marché n’offre pas de réponse satisfaisante pour gérer des ressources limitées. Nous ne faisons qu’entrevoir le début d’un changement radical de paradigme qui bouleverse les fondements mêmes de notre vie sur terre et rebat les cartes de notre « être ensemble ».
°O°
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] « Migrations & Développement » (M&D), est une ONG franco-marocaine, créée par des migrants marocains et des militants français en 1986, pour développer la région/le pays d’origine, favoriser l’intégration des migrants en France, et rapprocher les sociétés des deux rives. Voir http://www.migdev.org/
[2] Institut Royal d’Etudes Stratégiques (IRES) « Quel avenir de l’eau au Maroc ? Rapport de synthèse des travaux de la journée scientifique du 17 mars 2022 » https://www.ires.ma/fr/publications...
[3] On est passé ainsi de 200 pieds d’oranger à l’hectare à 400 voire 800 actuellement.
[4] Écoulement souterrain, appelé aussi écoulement occulte, qui se manifeste dans les alluvions perméables accumulés le long des lits d’oueds.
[5] T&H PESI : https://terre-humanisme.org/
[6] La recherche-action du projet ACACTAE a été menée par M&D, en tant que chef de file, en étroite collaboration avec Terre & Humanisme PESI (T&H PESI). Avec le soutien financier de l’Agence Française de Développement, de la Fondation Léa Nature, du PMF-PNUD, et des Communes rurales concernées.
[7] Cette ONG conduit son action avec la vision suivante : la mobilité des hommes et des femmes (rester, partir, revenir) doit résulter d’un libre choix et non d’une contrainte.
[8] Une courte vidéo a été tirée de ce témoignage. https://www.youtube.com/watch?v=oas...
[9] Le mot « institutionnel » est ici employé dans un sens large qui regroupe les règles et organisations formelles et informelles qui structurent les sociétés .
[10] Une Commune regroupe entre 30 et 60 douars.
[11] Elinor Ostrom (1933 – 2012) est une économiste américaine. En octobre 2009, elle est la première femme à recevoir le prix Nobel d’économie, avec Oliver Williamson, « pour son analyse de la gouvernance économique, et en particulier, des biens communs ».
[12] Province de Taroudant, Région de Sous Massa.
[13] Province d’Ouarzazate, Région Drâa Tafilalet.
[14] Signifie « La rencontre de Siroua »
[15] Signifie « La saison de la récolte de l’amandier ».
[16] L’espace d’Assaisse se compose de 13 membres dont 6 femmes et jeunes filles et, l’espace de Siroua se compose de16 membre dont 5 femmes et jeunes filles.
[17] « Le Guide méthodologique sur l’agroécologie en région semi-aride » est accessible en ligne https://www.migdev.org/wp-content/u...
[19] Guide de M&D les aménagements de bassins versants. https://www.migdev.org/wp-content/u...
[20] Dans le cas présent, la mise en défens consiste à interdire l’accès aux troupeaux sur une surface et sur une période données de la zone ABV délimitée par des balises en pierres recouvertes de chaux.
[21] Au Maroc, la propriété foncière se répartit en « propriété collective », propriété privée, propriété publique, propriété religieuse.
[22] Les cordons pierreux, ou diguettes anti-érosion, sont des dispositifs antiérosifs composés de blocs de pierres disposées en une ou plusieurs rangées le long des courbes de niveaux, ou autour d’un champ.
[23] La baissière (ou swale en anglais) est un ouvrage utilisé en permaculture, afin de retenir les eaux de ruissellement et les nutriments sur un terrain présentant une pente.
Bibliographie
- Institut Royal d’Etudes Stratégiques (IRES) « Quel avenir de l’eau au Maroc ? » Rapport de synthèse des travaux de la journée scientifique du 17 mars 2022.
https://www.ires.ma/fr/publications... - Musée Mohamed VI de l’Eau à Marrakech. Textes des panneaux d’explication.
- « Fiche Maroc » de pS-Eau, septembre 2021. https://mediatheque.agencemicroproj...
- La stratégie de l’eau du Maroc STRATEGIE_EAU.pdf
https://www.environnement.gov.ma/fr... - « L’approche NEXUS « Agriculture-Eau-Energie-Ecosystemes » dans la gestion de l’eau au niveau d’un bassin versant : cas du bassin hydrographique Souss Massa. » Travaux d’un groupe d’étude animé et coordonné par l’IRES – Rabat, avril 2022. Accessible
https://ires.ma/wp-content/uploads/... - « Gestion de la demande en eau dans le bassin méditerranéen. Exemple du Maroc – Cas d’étude du Souss Massa » AFD, décembre 2012
- Exposé des professeurs El Hassan El Mahdad et Lakbir Ouhajou de l’Université Ibn Zhour (Agadir), lors de la rencontre du 9 février 2023 organisée par « Migrations & Développement » dans les locaux de l’AFD à Paris : « Recueillir, Retenir, Régénérer : les défis de l’eau et du sol en zone semi-aride. Enjeux globaux et réponses à taille humaine dans le Massif du Siroua (Maroc) et ailleurs. »
Documents de capitalisation de la recherche-action élaborés par M&D et T&H PESI. - « Les espaces de concertation, outils de coordination entre Communautés Agraires et Communes Rurales - Recherche-Action sur le Massif du Siroua », novembre 2022. https://www.migdev.org/actualites/e...
- « L’agroécologie en région semi-aride. Guide méthodologique », octobre 2022. https://www.migdev.org/wp-content/u...
- « Retenir l’eau pour retenir les hommes et les femmes du Massif du Siroua. Guide d’hydro-agroécologie pour l’Aménagement de Bassins Versants en zone de montagne semi-aride. Illustration sur le Massif Siroua (Maroc) », octobre 2022. http://www.abhatoo.net.ma/maalama-t...
- Le Guide méthodologique sur l’agroécologie en région semi-aride de M&D. https://www.migdev.org/wp-content/u...