Résumé
L’éducation se doit d’accompagner, d’expliquer et de cultiver les idées nouvelles que la société fait naître dans le monde : le « développement durable » en est un. Et, à charge de revanche, le développement durable qui est d’abord un changement culturel appelle un recours à l’éducation. Oh ! combien.
Mais,si maintenant tout le monde l’admet, le problème n’est pas de le répéter et de dire que l’éducation est le vecteur de choix des rapports entre culture et développement durable. Il faut regarder les choses en face, les mettre en pratique et d’abord mesurer les difficultés. C’est ce que nous ferons parce qu’il y a des obstacles et des handicaps à surmonter : nous en avons recensé quelques-uns surtout sensibles dans les pays francophones qui ont un parcours éducatif souvent plus allergique que d’autres à la prise de conscience et à la familiarisation de ce nouveau concept.
Origine du texte : Revue Liaison Énergie Francophonie N° 68 - 3e trimestre 2005
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La nouvelle classification de cet article est :
• 1.1- Principes du développement durable
• 6.3- Education et formation
Auteur·e
Serge Antoine, artisan des régions françaises et des parcs naturels régionaux, fut à l’origine de la
création de la DATAR en 1962, puis du Ministère de l’environnement en 1971. Il oeuvra pour la protection
de la mer à travers le lancement, en 1975, du plan d’action pour la Méditerranée, de la
Convention de Barcelone et du Plan bleu dont il fut le père fondateur. Serge Antoine nous a quittés
en mars 2006. Il restera l’un des pionniers du développement durable en France et dans le monde.
- Le sens du temps
- le risque
- L’apprentissage de la vie
- Le patrimoine : une dimension clé
- La « protection » et le changement
- La « systémique »
- Le jeu des acteurs
- Le « suivi »
- Le volontariat
- La multi-citoyenneté
- L’éducation des incertitudes
- Alternatives
- La voie « facile » de l’environnement
- L’enseignement cognitif et l’éducation à l’action
L’éducation au développement durable n’est pas chose facile. Elle se heurte aux racines mêmes du concept qui sont bien souvent étrangères à l’itinéraire pédagogique de l’enfant et du jeune et à contre-courant de ceux empruntés par l’éducation classique. J’ai pu identifier près d’une quinzaine de handicaps : même si,bien entendu,tout est surmontable et que rien n’est inévitable.
Car, contrairement à ce que l’on dit, le développement durable n’est pas né de l’« Occident », des nordiques ou du monde anglo-saxon. Beaucoup de religions ou de rites ont dans leurs vertus celle d’habituer les populations et même de les inciter, voire avec des interdictions, à transgresser des règles qui ont pour discipline la survie d’un groupe, d’un terroir, ou de la planète. L’Inde, mais surtout l’Afrique, en savent quelque chose. Nos sociétés paysannes ont souvent été les meilleures gardiennes des relais de générations à qui l’on confie les fruits des graines que l’on a semées ou de la terre que l’on a retournée. Et d’ailleurs, qui a essayé de traduire en anglais le mot « gaspillage », mot-clé du développement durable et dont l’origine est paysanne et francophone ?
Mais, revenons aux difficultés qui sont celles des éducateurs face à ce « développement durable » qui ne passe pas facilement dans les jeunes têtes encore insouciantes des générations à venir, même si aujourd’hui l’avenir de la planète commence à être le champ préféré d’un nouveau civisme.
Parce qu’il est d’abord relais de générations, le développement durable, effectivement, doit s’appuyer sur une pédagogie du temps, du temps long, du temps contenu. Or, c’est l’une des grandes difficultés pour les jeunes que de saisir la longueur et surtout la densité du temps. La durée n’est pas leur instinct ; ce n’est pas un sens que les jeunes cultivent aisément ; ils découvrent l’espace avec plus de facilité.
On peut avec les jeunes pousser le curseur de la prospective et les faire travailler ou parler de 2050, ou de 2100 puisque, dit-on, c’est leur avenir et non plus le nôtre. Mais l’avenir, quand il est entrevu, est, chez eux, de l’ordre de l’anticipation « synchronique » et de la futurologie. Que va-t-il se passer en 2050, en 2100 ? Or, le vrai support du raisonnement pour le développement durable n’est pas l’horizon mais la durée ; il est « diachronique » :l’évolution par effets d’entraînement en est un ressort. Que va-t-il se passer en chaîne si je modifie telle donnée ? Combien de temps après ? Quelle hystérésis ? Le jeune, quand il évoque l’avenir,le fait comme un saut,une page tournée. Il cherche à décrire les objets nouveaux qui peupleront l’univers. Le parcours n’est pas son fait. Pour lui, il est encore plus difficile de relier le futur et le passé ; la rétrospective n’est pas à sa portée et les références au monde, même s’il change de plus en plus vite, ne sont pas dans son univers familier. La « rétro prospective » est vraiment un art pédagogique difficile.
La deuxième difficulté est l’indispensable apprentissage du risque. Dans une société sécuritaire qui aspire de plus en plus à un modèle de « risque zéro », la pédagogie se heurte à cet appétit pour un monde sans bavure. Des guerres sans pertes humaines, des préventions impossibles de pollution zéro, des accidents à éviter, des épidémies conjurées par la vaccination. Voilà l’envie de nos sociétés ! La réintroduction du risque dans l’éducation ne peut se faire que si l’on donne plus de poids aux confrontations, aux contradictions, aux conflits et qu’on rejette l’angélisme d’un monde meilleur. Il n’y a pas, par exemple, d’énergie « douce » : elles sont toutes polluantes, d’une manière ou d’une autre. Il faut en préférer certaines plutôt que d’autres mais le dire. Il faut éviter d’enseigner le monde d’une manière pasteurisée.
Certes, il ne faut pas tout « darwiniser » par plaisir mais il faut faire comprendre qu’on peut avoir à choisir entre les risques. L’avènement mal digéré du « principe de précaution » n’est pas un bon auxiliaire alors qu’on devrait davantage cultiver le « principe de responsabilité » dont la Conférence de Rio en 1992 a pourtant souligné la vertu primordiale,se substituant au « principe de souveraineté » encore très présent, vingt ans avant, lors de la Conférence de Stockholm sur l’environnement en 1972.
Le concept du développement durable |
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Le concept du développement durable propulsé à Rio en 1992 avec le principe de responsabilité, est né sous le vocabulaire “d’écodéveloppement” lors de la réunion de Founex en 1971 organisée par Maurice Strong,responsable des Sommets de Stockholm (1972) et de Rio (1992), à laquelle participaient des économistes du Nord et du Sud ; par exemple Gammani Correa, Mabharb Hack, Samir Amin, Marc Nerfin , Ignacy Sachs, et moi-même.
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Un concept à la mode ? |
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Certains se demandent parfois si le développement durable n’est qu’un “concept à la mode”. Cela m’exaspère de l’entendre dire, car ce n’est pas le cas. Le développement durable n’est pas, je le répète, seulement un concept. Il est plus que nécessaire et il fera inévitablement son chemin au cours des prochaines années... et même se renforcera et se sévérisera, jusqu’à ce que la Terre disparaisse. En l’occurrence, je ne suis pas d’un optimisme certain en ce qui concerne la réponse que la société apporte en temps utile face aux problèmes planétaires. On assiste, avec une désespérante lenteur, à la mise en place des politiques en faveur du développement durable, et l’évolution de nos modèles de consommation est encore plus lente. |
Faut-il aussi rappeler que la place faite au vivant et à l’enseignement de la vie est un vecteur essentiel de l’éducation au développement durable et que ce n’est pas chose facile, avec ce qu’elle comporte de germiné, d’inattendu et, pour une part, de non-programmé. La place doit être faite à l’aléatoire, à la riche déperdition des graines et au renouvellement sans cesse ouvert.
« Développement viable », dit-on au Canada plutôt que « développement durable ». Développement de la vie portée par un humus à fertiliser,une fertilisation qui est la clé de la « soutenabilité » ; c’est l’essentiel. « Sustainable » est meilleur que « durable ». Que n’écoute-t-on, davantage, le bon vieux français si prémonitoire : l’édit royal de Brunoy de 1347 qui recommandait « qu’on limite l’exploitation des forêts à ce qu’elles puissent perpétuellement soutenir en bon état » ; l’économie paysanne s’est nourrie de cette gestion patrimoniale ; le mot « gaspillage » vient du gaulois « gaspilha ».
L’enseignement d’aujourd’hui fait trop peu de place à la vie. C’est pourtant une des conditions d’une vraie culture du développement durable.
Le patrimoine est, bien sûr,lui aussi,au coeur de la notion de développement durable. Or, lui non plus n’est pas dans les réflexes habituels des jeunes. Il est trop assimilé à l’avoir, possédé par l’aïeul quand il s’agit de transmission aux générations futures, ou de capital dormant : l’héritage.
On est ici face à un véritable manque dans l’éventail des instruments dont nos sociétés se sont dotées pour percevoir la logique de leur destin. L’un de ces instruments est la « comptabilité patrimoniale ». Or, elle est encore embryonnaire. Et pourtant, c’est elle seule qui peut évaluer le qualitatif ; la comptabilité deniers du XVIIIe siècle s’est acharnée à affiner l’immédiateté des comptes d’exploitation. Or, elle ne nous permet pas d’appréhender toutes les dimensions du capital naturel et humain à transmettre. La comptabilité patrimoniale gagnerait à être apprise à l’école pour lui permettre,un jour, de pousser convenablement.
L’approche patrimoniale apporte aux générations présentes la perception du renouvelable et du non-renouvelable, de plus en plus essentielle dans la gestion des ressources et la mise en valeur de gisements que peuvent valoriser des politiques de maîtrise ou de recyclage. Elle fait comprendre aussi que l’attention portée à l’équipement ou l’investissement doit se doubler d’une plus grande attention à l’entretien et à la gestion tout court. Elle peut permettre d’identifier l’investissement inutile ou les suréquipements dans des sociétés trop enclines à chercher, par l’équipement nouveau, des réponses à leurs problèmes. Les politiques en abusent.
Serge Antoine.
Parce qu’il s’agit de transmettre un patrimoine (intact ?) aux générations futures, le développement en plus, maladroitement qualifié de « durable », apparaît sous un jour a priori conservationniste que renforce encore le poids du souci de la « protection » de l’environnement. Ce serait une grave erreur que d’accréditer l’idée que le développement durable est statique et qu’il a pour vocation de garder intact un capital ou même un équilibre. Bien sûr, il se doit de souscrire à la conservation au sens intelligent du terme lorsque, en particulier, l’irréversible est en jeu. Mais il doit aussi faire appel à l’innovation, aux modèles alternatifs, aux nouvelles technologies, au changement. N’ayons pas peur de le dire,le développement durable est changement. La pédagogie doit insister sur cette dimension, plutôt que décliner (ce qui est plus facile à expliquer) la protection ;elle doit faire appel à des décisions nouvelles, à des options à risques, à des références d’anticipation résolument tournées vers l’avenir.
Une autre dimension tout à fait indispensable à une bonne éducation au développement durable est la vertu du « systémique ». Or, elle est très exceptionnelle dans l’éducation,en tout cas dans nos pays cartésiens et analystes, où l’on caresse surtout le passage en revue secteur après secteur ; d’autre part, l’agrégation est parfois dessinée mais pas de la manière où on devrait l’entendre : le « global » est perçu comme une addition, une somme.
Le premier effort consiste à aller le plus loin possible dans la combinatoire au-delà d’une trop facile énumération ou d’une juxtaposition. Il n’est pas suffisant de dresser une « check-list » où l’on trouvera, successivement l’eau, l’air, les déchets,la pauvreté,l’emploi,etc. Il faut croiser davantage ce qui est plus que des « éléments ». C’est dire qu’on doit aller bien au-delà du réflexe analyste d’une bonne classification. L’analyse systémique, la globalisation qui relie les variables les unes aux autres sont des exercices absolument nécessaires en prospective et, en tout cas, en dynamique évolutive ; le développement durable n’est pas un état ; il est un devenir global.
A cette fin, on recherchera les enchaînements organiques, les interfaces, les filières, les « jointures » [1]. Il me plaît à rappeler le réflexe trop simple de ceux qui éduquent à l’initiation de la forêt où l’on se contente d’emmener les élèves dans les bois alors qu’il faudrait leur faire comprendre tout le cycle : celui de l’abattage, du sciage, de la transformation, du transport, de la consommation, du recyclage. C’est la pédagogie de la filière qui fait saisir des problèmes du développement durable au-delà de la seule pédagogie de la nature. Et, de surcroît, il faut faire percevoir que le développement n’est pas linéaire. On parle d’ailleurs, à juste titre, de développement « en boucle ».
Autre point à souligner : l’éducation traditionnelle n’a pas l’habitude quand elle parle de mécanismes, de s’encombrer du jeu des acteurs. Elle présente le plat cuisiné en occultant le cuisinier.
Ce fut un grand mérite du Sommet de Rio en 1992, alors qu’il s’agissait d’une Conférence mondiale des nations, d’avoir mis en plein jour ceux que l’on appelle les « acteurs et décideurs », qui forment ce que nous qualifions de « société civile ». Cette reconnaissance n’est pas seulement un geste de politesse ;elle est essentielle pour comprendre le rôle des différents partenaires que sont les entreprises, les associations, les collectivités, les consommateurs, les agriculteurs. Tous sont à la table du développement durable : il faut voir comment les mettre davantage dans la course et penser à ceux qui sont trop souvent hors jeu. C’est le cas, par exemple, des consommateurs et de leurs associations.
Sans expliquer le rôle moteur des acteurs, comment démontrerait-on l’utilité de la participation ou de la transparence ? Ce sont pourtant des points de passage obligés du développement durable ; ce sont aussi des déclinaisons de la vertu démocratique. La société civile a besoin de la transparence et de la participation pour que le développement durable prenne la route. Les acteurs doivent être au coeur de cette éducation ; il faut bien décrire leur pouvoir d’intervention dans la préparation des choix, dans la formulation du consensus. Ce consensus était d’ailleurs bien présent à Rio [2] qui soulignait qu’il est au coeur de l’Agenda 21 local.
Sans un jeu nourri d’acteurs, le développement durable n’est qu’un jeu d’ombres.
Mais le jeu ne s’arrête pas au consensus. Le « suivi » est souvent aussi important que le coup d’envoi. Le développement durable est fait d’une continuité que l’éducation classique a trop tendance à occulter ou à sub-découper. L’après-vente doit être une attention aussi décisive que la vente. On ne l’enseigne pas assez. Il faut donc tout faire pour identifier le rôle des acteurs et leur intervention le plus en amont possible mais aussi en aval dans un réel « suivi ». C’est dire l’importance des « indicateurs » du développement durable qui ne sont pas là pour la beauté des statistiques, pour l’enregistrement des bilans ou pour la mesure du passé. Ce sont des outils indispensables des étapes, des « réponses ».
La leçon sur les indicateurs est indispensable. A leur sujet, on regrettera que les officiels renâclent à admettre la validité de l’indicateur très préhensible de l’« empreinte écologique », c’est-à-dire des ressources que nous usons pour notre niveau de vie. Et que ne soient pas plus développés les indicateurs de « proximité » qui nous permettent de mesurer notre environnement très proche : les emplois locaux, la rivière, l’air de la région. On devrait trouver tout cela en clair dans sa mairie.
Si le jeunes sont perdus dans la multiplicité des acteurs (et il faut partout faire saisir leur complexité), ils ont tendance, comme la société, à simplifier le pouvoir, à l’ordonner en pyramide et à le schématiser avec ses lois, ses normes et sa police. Le volontariat, les initiatives publiques et privées de tous ordres n’entrent pas dans le registre de ce que l’on apprend. Or précisément, le développement durable ne se décrète pourtant pas ; il est le fruit d’un nombre plus ou moins grand d’initiatives de tous horizons. Il joue le « win-win », autre notion peu familière ; on a appris que soit on gagne, soit on perd.
Tout dans un pays n’est pas ordonné en pyramide et la décentralisation, quand elle est apprise,ne se décline pas emboîtée à la manière d’une poupée russe avec un modèle unique. Il y a dans le développement durable un peu d’anarchie.
Pauvre éducateur d’avoir à expliquer l’humus !
Un autre « pont-aux-ânes » de l’apprentissage du développement durable est celui de la compréhension de la pluralité des mondes et des échelles. L’échelle est, bien souvent, celle du petit pays, celle de la proximité dans laquelle on vit. Et c’est bien ainsi car l’environnement ne se comprend d’abord qu’à l’échelle de perception directe. C’est indispensable à l’âge d’une communication instantanée qui met chacun en relation avec les antipodes, d’une manière apatride à en perdre ses racines. Mais il est nécessaire aussi de se référer à d’autres échelles : celle des continents, celle des institutions continentales comme l’Europe ou celles, plus transversales, des « éco-régions » comme la Méditerranée.
L’enseignement doit faire comprendre ce que sont les échelles multiples. On entend souvent les maires dire : « nous pouvons localement nous occuper des déchets : c’est à l’ONU de s’occuper des climats ». Non ! Il faut ouvrir les fenêtres ! C’est pourquoi l’apprentissage de la multicitoyenneté est vital. Trois fois plutôt qu’une, il faut être en même temps citoyen de son pays et citoyen de la planète. En ce sens, comment, par exemple, ne pas mesurer l’intérêt de démarches qui mobilisent plusieurs échelles : par exemple, promouvoir des programmes municipaux de lutte contre l’effet de serre [3], ou cultiver davantage pour le développement durable les partenariats et les « contrats de pays ».
L’éducation au développement durable doit permettre d’amener les élèves à réfléchir par eux-mêmes aux conséquences durables de leurs actions aux différentes échelles emboîtées que sont l’école, la ville, le monde, etc. Car, nous ne sommes pas seulement citoyens de notre commune, mais aussi citoyens de la planète ; et cela en même temps. Et il nous faut constamment soupeser nos actes ; « en faisant ceci ou cela, est-ce que je satisfais à une exigence mondiale et locale ? » Il n’y a pas forcement coïncidence. L’élève doit donc apprendre très tôt à devenir « multi-citoyen ». La responsabilité planétaire est fondamentale. Il est nécessaire de faire le va-et-vient entre ces échelles locales, régionales et mondiales.
Ne faudrait-il pas mettre l’incertain en tête de tout enseignement ? Le développement durable appelle à la modestie ; son éducation aussi. Il doit faire apparaître autant les incertitudes que les certitudes. C’est d’ailleurs la meilleure manière de faire participer les jeunes que celle de bien montrer que les équations ont beaucoup d’inconnues et que les non-connaissances doivent prendre leur place dans l’enseignement. Si l’on veut mettre en route un vrai développement durable qui est de l’ordre de l’alternatif, ne faut-il pas arrêter de privilégier le tendanciel ? Et le certain ? L’enseignement doit, bien entendu, s’appuyer d’abord sur le savoir et l’évidence. Il faut les faire apparaître en priorité : alerter ; « ne pas consommer au delà des ressources sans se poser des problèmes de remplacement » ; ou encore « se préoccuper de ce qui est irréversible et de ce qui ne l’est pas »….L’enseignant peut ainsi étayer un développement durable en s’appuyant sur quelques réflexes de bon sens … qui vont dans le bon sens ! L’élève peut, par exemple tout à fait comprendre que l’ « on ne peut pas manger son capital à perpétuité ».
Mais il a aussi des réponses à faire lorsqu’il y a incertitude ; l’enseignant doit alors dire : « Je ne sais pas, cherchons ensemble ». En ce sens, l’inquiétude affichée et partagée fait partie de l’enseignement.
La démarche est d’autant plus ardue que l’actualité renouvelle les inconnues et que tout bouge vite. Par exemple, en Europe, 40% des hirondelles ont disparu en l’espace seulement de 10 ans et le héron, lui, est revenu. Les choses changent plus vite qu’autrefois ; les phénomènes de détérioration sont très rapides. C’est pourquoi l’enseignant doit – on l’a déjà dit – chasser toute notion conservatrice de son enseignement. Qu’il se méfie de la formule trop facile « le patrimoine que l’on transmet à ses enfants ». Le patrimoine de demain sera différent de celui d’aujourd’hui.
Ainsi l’éducation vers un développement durable est faite de non-connaissances, d’inconnues, de prospective à déchiffrer, etc. Le pédagogue ne doit jamais oublier qu’il n’a pas la science infuse, qu’il n’y a ni vérité à révéler, ni théorème valable partout. Cela peut déstabiliser l’éducateur, car il est davantage habitué à transmettre « un savoir et des certitudes ». Mais cela se surmonte.
Notre société vit de manière irréfléchie : les gens mal consomment, surconsomment, et ils sont même encouragés à le faire. On ne leur dit pas qu’« au bout de la rue, il y a un cul-de-sac ». Mais si l’on veut aller au-delà d’une pédagogie des impasses, il faut les amener progressivement à devenir acteurs du développement durable. Mais on ne devient pas acteur par décret : faire une action pour participer au développement durable, c’est un choix. Tout se pèse et avec une balance parfois très fine ; tout se travaille, s’analyse avant de prendre une voie et de choisir la bonne. Et,il peut y avoir contradiction entre ce qui est bon ici et ce qui est bon pour la planète ou entre ce qui répond à l’environnement ou à l’emploi ou ce qui est utile pour l’équité sociale. Rien n’est fixé a priori. Le bilan de l’énergie éolienne, par exemple ; il y a les « intrants » pour les matériaux et un rendement à discuter selon les lieux. Le rôle de l’éducation est donc fondamental s’il est stimulant et fait apparaître les contradictions, les problèmes et les voies possibles ; il ne s’agit pas de diffuser des recettes « apatrides », de dicter la vérité ou une nouvelle morale universelle, mais de faire prendre conscience des conséquences alternatives de nos différents actes à l’endroit où l’on se trouve. Cette pédagogie doit s’exercer à tous les âges de la vie. Il vaut mieux commencer tôt.
Avant de terminer, encore deux points. Le premier, fait référence à ce qui est recommandé dans la circulaire française qui retient qu’, à partir du 1er janvier 2005, les programmes scolaires devaient partir de l’environnement qui, a déjà une expérience pédagogique de plus de 20 ans et dont les thèmes et les images sont plus préhensibles par les enfants et par les jeunes.
Il faut être très vigilant à cet égard sur la vertu de la commodité ; bien entendu, l’environnement est l’une des composantes essentielles du développement durable. Mais, autant que faire se peut, le développement durable doit être pris à bras le corps avec sa logique et toutes les caractéristiques que nous avons énumérées plus haut. Plonger dans le social et l’économique et n’avoir pas peur de l’eau froide est souvent salutaire, et les hommes politiques feraient bien de prendre ce chemin.
Convenons que l’une des difficultés vient de ce que le développement durable est souvent porté par ceux qui militent – ou ont milité – pour l’environnement. Ce n’est, bien entendu, pas une tare mais, ce peut être sans doute, pour l’éducation, un handicap. L’environnement est l’une des composantes fortes du développement durable, et c’est une belle et utile porte d’entrée ; il ne s’agit donc pas de tourner la page. Mais le vrai défi est de recomposer le livre entier. Nous l’avons déjà dit avec la Ligue de l’Enseignement au lendemain de la Conférence mondiale de Ri0 [4] : ce serait une erreur ou une facilité que de prolonger l’énorme acquis de la pédagogie de l’environnement par le simple ajout du volet social et du volet économique.
L’enseignement est d’abord celui du savoir.Il est bien évident que la première étape franchie pour le développement durable l’est lorsque le jeune se pose les bonnes questions et discerne les alternatives.
Mais dans l’école et hors l’école, la pédagogie gagne à se nourrir d’une incitation pour les jeunes à faire. On peut souhaiter qu’ils soient, et le plus vite possible, acteurs du développement durable et pas seulement élèves ; qu’ils se posent déjà la question : « Qu’est-ce que je peux faire, moi, pour changer ou améliorer les choses ? ». Encourageons les écoles à devenir des « bancs d’essai » de l’action ; par exemple, pourquoi chaque école ne rédigerait-elle pas son Agenda 21 et ne l’adopterait-elle pas avec l’engagement des jeunes, des éducateurs, des collectivités ?
Dès lors, on peut recommander que les établissements scolaires s’engagent dans ce que l’on appelle des « Agenda 21 » [5] c’est-à-dire de programmes d’action. Il s’agit, au niveau du Directeur, du Conseil d’établissement, des enseignants, des parents d’élèves, des collectivités locales et, bien entendu, des jeunes d’abord, de préparer des programmes dont le champ n’est pas seulement celui du programme éducatif. Obtenir des installations adaptées pour des actions de recyclage, une éolienne pour l’alimentation en énergie, se préoccuper de la réduction des consommations de papier ou de celle des transports des jeunes en automobile parentale sont autant de directions, à la fois utiles pour l’action et de démonstrations pour la pédagogie du faire.
Elles encouragent au plus tôt la responsabilisation des jeunes dans la vie de la cité.
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Prenons une expression de la vie courante : ne pas découper un poulet comme on le fait parfois en tranches avec un « gefluegel sheere ».
[2] Le chapitre 25 sur les Agendas 21 locaux tel que publié à Rio et le consensus des populations en tête de l’exercice.
[3] Ce vecteur a été proposé lors d’une réunion en septembre 2001 à Beyrouth à l’initiative d’une association libanaise.
[4] Serge Antoine, Martine Barrère, Geneviève Verbrugge : La planète Terre entre nos mains, Paris, La Documentation Française, 1994, 442 p., voir le chapitre sur l’enseignement p. 158 écrit par la Ligue de l’enseignement (M. Daniel Lebioda).
[5] Le Comité 21, qui travaille avec un collectif des initiateurs de l’éducation