Le mouvement antinucléaire en Europe

21 février 2010

Résumé

Depuis les années 1970, le mouvement antinucléaire en Europe lutte contre les centrales nucléaires et le nucléaire militaire autour de plusieurs thématiques : le respect de l’environnement, le respect de la démocratie et de la paix, et la recherche d’alternatives énergétiques. Une situation sensible en France, un des pays les plus nucléarisés au monde. Aujourd’hui, l’enjeu pour le mouvement antinucléaire est d’être capable de peser sur les enjeux du développement durable et du changement climatique.


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La nouvelle classification de cet article est :

6.2- Mouvements sociaux et luttes sociales
7.1- Energies

Auteur·e

Rivat Emmanuel

Doctorant en sciences politiques à Science Po Bordeaux et l’Université
d’Amsterdam.


 Introduction

Le mouvement antinucléaire s’est engagé depuis les années 1970 contre la construction de centrales nucléaires et le nucléaire militaire, en portant une réflexion politique sur les rapports de l’homme et de l’environnement, sur les
limites de la planète, et la manière de mettre en place une société plus juste. La situation en France est particulièrement spécifique, puisque l’atome se situe au centre de la politique énergétique et de la politique de défense. Qui
sont les antinucléaires ? Comment le mouvement dans son hétérogénéité depuis les années 1970 s’est-il attaché à défendre des principes et des solutions aujourd’hui toujours d’actualité dans les débats du développement durable et du changement climatique ? Les mots se font échos, mais des distinctions sont à apporter. Cet article vise à expliciter la naissance du mouvement antinucléaire en faveur de l’environnement et la démocratie dans les années 1970 (I), les positions de ses acteurs et les obstacles de l’époque (II), les enjeux des années 2000 (III).

 I - Les années 1970 : la lutte pourl’environnement et la démocratie

Dans les années 1970, de nombreux pays d’Europe, les États-Unis, le Japon se lancent dans le développement d’un programme sur l’énergie nucléaire, pour répondre au choc pétrolier de 1973. En France, les prévisions autour du
plan Messmer envisagent alors la construction de 175 réacteurs à eau légère (de 800 à 1300 MW) en vue d’assurer 85 % de sa production d’électricité en 2000. Ces prévisions, prévoyant une augmentation de la consommation d’électricité quatre fois supérieure à la réalité des années 2000, sont beaucoup trop importantes à l’égard des besoins de l’époque. Mais, l’énergie nucléaire est autant considérée comme un vecteur de la compétitivité économique, de l’indépendance énergétique, que de la grandeur technique et du rayonnement politique de la France [1].

La situation de la France est réellement spécifique, par opposition à la situation en Allemagne ou encore aux Pays-Bas :concentration du pouvoir entre des élites appartenant aux Grands Corps (Polytechnique,École des Mines), entre le gouvernement, le CEA, et enfin EDF, dont le monopole de
l’expertise influence le corps politique (Commission PEON), régime présidentiel autour de la Vieme République. De plus, l’énergie nucléaire et l’arme atomique sont en France intrinsèquement liées autant du point de vue des institutions, des chercheurs, que du processus : l’enrichissement de l’uranium,avec la filière des réacteurs à eau légère à partir de 1969, ou la production de plutonium, avec la filière des surgénérateurs à partir de 1971, fournissent des matériaux pour le développement de la bombe.

Au début des années 1970, le mouvement antinucléaire se présente comme une dynamique historique autour d’un ensemble de revendications, d’organisations, et de réseaux de contestation. Il rassemble, en France, à l’échelle locale, une population paysanne, artisanale, ou urbaine, engagée
contre la construction de centrales nucléaires sur des luttes de site pour défendre un lieu de vie, un environnement et un bien-être. Ces luttes reçoivent dans le même temps le soutien de nombreux réseaux de scientifiques, d’ingénieurs, de journalistes, à l’image de Pierre Fournier, créateur de la Gueule Ouverte, André Görtz journaliste à l’Observateur,
des Amis de la Terre, qui organisent de manière plus politique la contestation à l’échelle nationale. Les revendications sont nombreuses et présentent plusieurs aspects.

  • Sur le plan politique, aucun vote démocratique n’est organisé et les enquêtes d’utilité publique sont menées sans concertation, quand elles ne s’amorcent pas après le début de la construction des travaux. L’absence de démocratie
    et d’information favorise l’apparition de luttes de sites à Fessenheim et Bugey en 1971, Erdeven, Le Pelerin, Flamanville, Golfech, ou encore Creys-Malville en 1975. [2]
  • Sur le plan scientifique, le manque de sûreté des réacteurs, les risques pour l’environnement et la santé en raison des retombées radioactives sont de plus en plus dénoncés par des scientifiques à partir de 1975, à l’image du GSIEN (Groupement des scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire), qui se fait le relais d’une expertise auprès des comités locaux.
  • Sur le plan économique, le programme nucléaire absorbe des financements énormes, à l’image à Creys-Malville du surgénérateur Superphénix [3], le plus souvent largement subventionnés par le gouvernement, au détriment de l’investissement et de la recherche autour des énergies renouvelables, comme en témoigne le slogan d’EDF jusqu’en 1975 :“Tout électricité, tout nucléaire’’.
  • Sur le plan philosophique, la critique de l’énergie nucléaire s’accompagne d’une réflexion sur le capitalisme, la société de consommation, le productivisme, l’émergence d’une société de police et de contrôle, et
    par opposition, la défense de grands principes – décentralisation, autonomie, autogestion, au fondement de ce que l’on appelle l’écologie politique [4]

Un mouvement social
Un mouvement se définit comme un cycle de manifestations, un ensemble de réseaux, et un ensemble de valeurs autour de buts en commun.

Le mouvement antinucléaire est donc une synergie de militants et d’organisations, proches des écologistes et des pacifistes, autour du combat
contre les centrales nucléaires


Le mouvement antinucléaire est tout d’abord proche du mouvement pacifiste. La contestation existe depuis les années 1950 sous l’impulsion de scientifiques, puis d’un mouvement dans les années 1960 autour de figures telles que Jean Rostand ou Théodore Monod. Malgré l’importance des liens entre le programme « énergie civile » et le programme « militaire », le mouvement pacifiste se divise pourtant sur la nature et l’évidence de ces liens. Le parti communiste, le syndicat CGT, et le mouvement de la Paix, en effet, adhèrent au programme de l’énergie du fait d’une adhésion au productivisme, au rayonnement de la France. Ainsi, tous les pacifistes ne se retrouvent pas
contre la dénonciation de l’énergie nucléaire, et ne sont pas tous antinucléaires.

Le mouvement antinucléaire est également proche du mouvement écologiste. Il est plus précisément divisé autour d’un « enjeu d’environnement », d’un « enjeu de société » et d’un « enjeu révolutionnaire ». Les associations de défense de la nature soulignent principalement les risques environnementaux ; le syndicat CFDT insiste sur le droit à l’information et l’absence de démocratie ; les Amis de la Terre, veulent lutter contre le productivisme, la
société de consommation ; enfin, l’extrême gauche rejoint le mouvement vers 1975 dans une opposition directe à l’État. De la sorte, tous les antinucléaires ne sont pas seulement concernées par les effets du programme sur l’environnement, et en ce sens, ne sont alors pas ou pas seulement
écologistes.

Dans le même temps, on observe à l’échelle mondiale les prémices d’une réflexion sur l’avenir de la planète : la première conférence des Nations unies sur la protection de l’environnement et sur la possibilité d’une gouvernance
mondiale se tient à Stockholm en 1972, et le Club de Rome publie la même année le rapport « Halte à la croissance ! ». Ce plan influence la réflexion sur les alternatives à l’énergie nucléaire pour le mouvement qui cherche
autant à être une force de contestation que de proposition. En 1978, le « groupe de Belleville » propose dans cette perspective un « plan alter » ou « un scénario énergétique », pour remplacer à terme, l’énergie nucléaire par
des énergies alternatives (notamment le solaire) et envisager « un avenir énergétique conduisant à un équilibre à très long terme basé sur des techniques et des besoins modestes » [5].

 II - La dynamique du mouvement en France et dans le monde

Depuis ses débuts, le mouvement présente alors une forte dimension internationale : des alliances entre les mouvements écologistes et pacifistes et des luttes de sites se succèdent aux États-Unis, en Allemagne, en France, en Suède, aux Pays-Bas, et au Japon, rassemblant 100 000 personnes à
Gorleben en Allemagne en 1977, 100 000 personnes à Plogoff en 1980, autour de tactiques d’action directe non-violente et de désobéissance civile. Le logo du « Smiling Sun », provenant du Danemark, une explosion rouge et le point levé, sur un Soleil Jaune, devient le symbole de cette lutte
internationale. Les situations des mouvements (que l’on peut regrouper sous le concept de structure des opportunités politiques) sont cependant très différentes selon les pays.

La structure des opportunités politiques
Elle caractérise la fermeture ou l’ouverture d’un système politique en fonction de plusieurs facteurs : la centralisation des institutions et la concentration du pouvoir, la capacité d’imposer des politiques publiques, les alignements des élites autour d’un consensus, et l’usage de la répression. Dans les années 1970, le système en France est considérablement fermé.


  • En France, le mouvement se trouve fortement isolé sur la scène politique. Le Parti socialiste unifié (PSU) se montre un des alliés politiques les plus actifs. Mais il n’est pas soutenu par le Parti Communiste (PCF), pas plus que le
    parti socialiste (PSF) qui tente alors seulement de l’instrumentaliser pour des enjeux électoraux. Le mouvement comme force politique, et l’extrême gauche, inquiètent.
  • Les élites politiques et industrielles sont alors convaincues de la nécessité économique et militaire du programme pour réduire “la dépendance énergétique” de la France. La centralisation du pouvoir autour de l´Exécutif
    et des préfets, l´absence de moyens et d´opposition au Parlement, limitent, sur le long terme, le champ d´action de la contestation.
  • En Allemagne, le mouvement est plus efficace lorsque l’opposition locale est forte et lorsque les cours de Justice donnent aux revendications du mouvement une existence et une force légale. Le dynamisme des Burgerinitiativen (Comités de citoyens), les victoires de Whyl en 1975, de Kalkar en 1978, la mobilisation de Gorleben en 1978, expriment cette force populaire.
  • Le contexte est plus favorable dans d´autres pays. Aux États-Unis, les élites sont moins convaincues par le nucléaire civil, comme en témoigne le discours du Président Carter en 1977. En Autriche, le référendum national
    de 1978 se traduit par l’abandon de l’énergie nucléaire. Aux Pays-Bas, un grand débat national entre 1978 et 1984, donne une légitimité à la contestation.

En France, aux États-Unis, en Allemagne, la contestation parvient à une prise de conscience dans l´espace public des dangers des programmes, et allonge les délais de construction : le coût de production des centrales augmente et devient un obstacle pour de nouveaux projets. Ces hausses sont également liées à la conjoncture. Aux États-Unis, les entreprises, sont fragilisées par la hausse des coûts et la hausse des taux d´intérêts bancaires qui quadruple entre 1974 et1979. Aucun projet ne sera lancé après 1977. En France, la répression lors de la manifestation de Creys-Malville en 1977 (provoquant la mort d’un manifestant), accentue les divisions et le manque de coordination
du mouvement, condamne ses efforts, malgré des victoires significatives, comme à Plogoff en 1980.

La structure des opportunités fut donc plus fermée en France, qu’en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Autriche, et cela au-delà de la force du mouvement même qui n’est toujours que relative à un contexte politique. Plus tard même, les promesses de François Mitterrand entre 1978 et l’élection de 1981 – un moratoire de deux ans sur la construction de nouvelles centrales et l’arrêt du surgénérateur de Creys-Malville – représentent un espoir d’ouverture, mais ne sont pas tenues [6]. Le programme nucléaire dans son ensemble est freiné mais progresse, et le mouvement se scinde en plusieurs dynamiques : la lutte clandestine pour les uns, le développement des énergies renouvelables pour les autres, et entre 1978 et 1984, le mouvement contribue la naissance
des Verts pour porter le combat de l’environnement dans le
champ politique.

Dans les années 1980, le nucléaire demeure alors un problème « sans frontière », comme en témoignent les catastrophes de Three Mile Island aux États-Unis en 1979, de Tchernobyl en Ukraine en le 26 Avril 1986, et la succession de nombreux incidents. Tchernobyl devient pour le mouvement
antinucléaire, l’équivalent d’Hiroshima pour la bombe atomique : la preuve de la possibilité d’une catastrophe, l’absolu de la folie humaine, un avertissement
pour le futur. Ces catastrophes secouent dans le monde les opinions publiques, entraînent souvent la suspension des programmes nucléaires en Italie, aux Pays-Bas, en Suède, et favorisent progressivement l’avènement de
nouvelles procédures de sécurité, de transparence dans le
monde, notamment à l’échelle de l’Union européenne [7].

 III - Les enjeux des années 2000

Ces catastrophes influencent également aux Nations Unies le rapport Brundtland de 1987. Plusieurs problèmes sont évoqués : coût de l’énergie nucléaire sur l’ensemble de la filière et de sa compétitivité à l’égard du charbon ou des énergies renouvelables, sécurité des installations et du personnel, enfouissement des déchets nucléaires, risque de prolifération dans le monde, les obstacles pour considérer l’énergie nucléaire comme un élément du développement durable sont trop nombreux et le rapport constate alors : « La production d’énergie d’origine nucléaire n’est justifiée qu’à la seule condition que nous puissions résoudre de manière satisfaisante les problèmes qu’elle pose et qui, à ce jour, sont sans réponse » [8]. La plupart se posent encore aujourd’hui de façon criante :

  • La sûreté des centrales nucléaires, les risques des fuites et des radiations restent fortement d’actualité, malgré l’harmonisation des réglementations, en raison du vieillissement des installations (40 ans, date limite) et l’absence de risque zéro.

Les émissions en CO2 du nucléaire
En tenant compte de l’ensemble de la chaîne de production, l’énergie nucléaire produit en moyenne 66 g/kWh, contre de 9 à 38 g/kWh pour les énergies renouvelables, de 200 à 400 g/kWh pour les centrales à gaz, mais le nucléaire doit également s’appréhender en termes d’efficacitéénergétique (58 % contre 90 % contre la cogénération) et de consommation énergétique (les pays les plus dotés en énergie nucléaire sont aussi les plus consommateurs en électricité).


  • Le retraitement, le transport, et l’enfouissement des déchets (durée de vie de la radioactivité du plutonium est de 24 000 ans) restent un problème dont la responsabilité est laissée, d’une manière ou d’une autre, aux générations futures.
  • Le nucléaire crée un « chemin de dépendance » qui oriente l’économie dans des choix bloqués, à l’image des coûts de démantèlement des centrales nucléaires et de gestion des déchets en France estimés à 64 milliards d’euros [9].
  • L’exportation de l’énergie nucléaire et des technologies favorisent la prolifération nucléaire, notamment auprès des dictatures sans que le TNP (Traité de Non-Prolifération) depuis 1968 se soit révélé efficace (Inde, Pakistan, Iran).

Dans les années 1980, le mouvement s’est adapté face aux enjeux d’expertise. Depuis la catastrophe de Tchernobyl, l’ACRO (l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest) et la CRIIRAD (Commission de recherche et
d’information indépendante sur la radioactivité) depuis 1986 jouent en France un rôle de vigilance et de lanceur d’alerte sur les risques de radiation. De même, WISE Paris ou Global Chance jouent le rôle d’une expertise indépendante et citoyenne. Ces organisations accompagnent le mouvement antinucléaire regroupé notamment autour du Réseau « Sortir du Nucléaire » depuis 1997, mais aussi les élus ou les ONG telles que Greenpeace et les Amis de la Terre, et permettent de poser avec acuité les bonnes questions.
Comment sont prises les décisions politiques ? Selon quels critères ? Avec quelle transparence ?

Aujourd’hui la France dispose désormais d’un parc nucléaire de 58 réacteurs qui produisent 79 % de son électricité. Elle cherche à imposer le choix de l’énergie nucléaire sur le long terme, autour d’une filière Mox [10] face au problème d’épuisement de l’uranium, mais également autour des projets de l’EPR [11] et ITER [12].



Les différents plans de sortie du nucléaire
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Le Réseau Sortir du Nucléaire propose trois scénarios :

  • sortie en 5 ans,
  • sortie en 10 ans
  • et une sortie en 20-30 ans.



Mais les solutions sont plus ou moins coûteuses et acceptables politiquement, en raison du temps d’adaptation de l’économie, du temps de développement des énergies alternatives (éolien, solaire, etc ...), et donc du recours provisoire aux `énergies fossiles.
Un plan de sortie “régional” pour le Nord - Pas-de-Calais existe avec Virage Energie.

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Les énergies renouvelables au rang des priorités publiques sont encore loin derrière : sur 800 millions accordés à la recherche sur l’énergie, 447 millions sont accordés au nucléaire, et seulement 52 millions aux renouvelables [13]. Les procédures démocratiques, si elles se sont améliorées sur la forme à l’image du débat sur les déchets nucléaires, sont cependant très souvent évacuées sur le fond [14]. En 2004, lors du « débat public national » sur l’EPR, les principales décisions ont été prises en amont [15]. En 2007, la thématique du nucléaire est écartée sans
condition du Grenelle de l’environnement par le gouvernement.

Dans le cadre de la lutte contre le changement climatique et les gaz à effet de serre, le gouvernement en France, et les entreprises EDF et AREVA, cherchent à montrer que l’énergie nucléaire constitue une énergie propre « pauvre en émission de CO2 », bien que la réalité ne soit pas si simple. Comment expliquer cette évolution ? Le Protocole de Kyoto depuis 1997, les différentes Convention sur le Climat, et la mise en place par l’Union européenne
d’une politique énergétique à travers le paquet « énergie-climat », (20 % de réduction de CO2, 20 % d’économie d’énergie, 20 % d’énergie renouvelables) sont autant d’opportunités pour la France de rendre la relance du programme financièrement acceptable, par la reprise des exportations et la réalisation d’économies d’échelles. Le Brésil, la Chine ou encore l’Inde sont considérés
comme des marchés potentiels.

Dans l’autre camp, le mouvement nucléaire a évolué du point de vue des revendications politiques. Par rapport aux années 1970, la critique
de la société de consommation, du rôle du marché comme solution aux
problèmes environnementaux, est en retrait. Toujours impliquée contre la construction de centrale, la mobilisation s’adapte aux agendas politiques ou thématiques d’actualité : la lutte contre le changement climatique et les émissions de CO2 [16], le financement des centrales nucléaires par les banques, l’enfouissement des déchets nucléaires, l´exploitation des mines d´uranium.
Le mouvement anti-nucléaire continue de se diviser sur les plans
de sortie du nucléaire : comme dans toute négociation, l’urgence environnementale est difficilement traduisible en urgence
politique [17]. Comment rendre les énergies renouvelables compétitives et fiables ? Comment organiser la reconversion
des industries nucléaires et des compétences, pour sauver les emplois des salariés ?

Plusieurs campagnes antinucléaires internationales existent aujourd’hui : contre les relations entre l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et l’AIEA (Agence
Internationale de l’Energie Atomique), contre les mines d’uranium. Aujourd’hui, les Amis de la Terre, Greenpeace, le Réseau « Sortir du Nucléaire », dénoncent de même avec plus ou moins de visibilité ou de radicalité la présentation de l’énergie nucléaire comme une des solutions au changement climatique. Si l’augmentation des besoins en énergie est estimée à 60 % pour 2030 par l’AIEA (Agence internationale de l’énergie Atomique), le projet de renaissance du nucléaire doit faire face au vieillissement des centrales. Sur trois scénarios de base de l’AIEA, le scénario le plus ambitieux affirme qu’il faudrait la construction de 833 GW, soit 610 réacteurs, soit 25 par an, pour faire face efficacement à la demande mondiale [18]. Non seulement complètement irréalisable sur le plan financier, la réduction des émissions en 2030 ne serait alors que de 6 % par rapport au niveau des émissions de 1990.


 Conclusion

Dans les années 1970, les antinucléaires ont été parmi les premiers à développer une critique de l’énergie nucléaire sur la base du respect de l’environnement, de la démocratie – de l’information et de la transparence des décisions politiques pour les populations – et d’une économie respectueuse
de ces deux premiers principes,moins orientée vers la satisfaction de prévisions industrielles, que la satisfaction de besoins, une conscience des limites et une recherche de l’équilibre. Cette réflexion se trouve à la source du développement des énergies renouvelables, et de la naissance du Parti des Verts. Le mouvement, soutenu par la convergence des mouvances écologistes et pacifistes, prend la forme d’un mouvement populaire et d’une force politique. À l’époque, le contexte politique en France constitue cependant un obstacle trop important. La fermeture de la structure des opportunités politiques casse sur le long terme, la lutte d’un mouvement déjà divisé sur les grandes lignes de son engagement et fortement isolé sur la scène politique. Le mouvement ne pouvait donc que difficilement empêcher la mise en place du programme, et s’il parvint à le freiner, n’aurait probablement jamais pu totalement l’arrêter. Aujourd’hui, la France est un des pays les plus nucléarisé au monde. Les projets de reprise du programme nucléaire en France et dans le reste du monde sont toujours un enjeu de premier plan. Les problèmes sont nombreux. L’énergie nucléaire pose, notamment, le problème des conditions de sa « durabilité ». Elle se présente comme un schéma de développement industriel à grande échelle dont les coûts économiques, les risques pour l’environnement et pour la santé liés, les risques de prolifération sur le plan de l’arme atomique sont difficilement acceptables. Le mouvement dénonce le développement durable comme instrument de vente et de communication des grandes multinationales, comme un discours politique en faveur de la relance du programme de l’énergie nucléaire. Cette adaptation est une adaptation à reculons, car le changement climatique n’est pas exactement le même combat que celui des centrales nucléaires. Le mouvement craint d’y perdre sa cohérence, son identité, et donc son histoire. Comment proposer des solutions viables sur le long terme ? Le combat du mouvement antinucléaire continue, tant comme force de contestation que comme force de proposition.

Emmanuel Rivat

Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[1Gabrielle HECHT, Le rayonnement de la France. Energie nucléaire et identité nationale après la seconde guerre mondiale, Paris, La Découverte, 2004

[2Pour un exemple, Didier ANGER,Chronique d’une lutte. Le combat antinucléaire à Flamanville et dans La Hague, Jean-Claude Simoen, 1997, Renée CONAN et Annie LAURENT, Femmes de Plogoff, Éditions La Digitale, 1981.

[3Les coûts passés sous silence, Les Cahiers de Global Chance, n° 25, Septembre 2008.

[4Marc ABELES (dir), Le défi écologiste, L’Harmattan, 1993 et pour une critique, Jean Philippe FAIVRET, Jean Louis MISSIKA, Dominique WOLTON, L’illusion
écologique, Paris, Seuil, 1980

[5Projet ALTER. « Esquisse d’un régime à long terme tout solaire » (8 F) par le Groupe de Bellevue, voir aussi La Gazette nucléaire, n° 15-16, p.32, et n° 19.

[6Jan Willem DUYVENDAK, Le poids du politique. Les nouveaux mouvements sociaux en France, Paris, L’Harmattan, 1994.

[7Depuis 1994, IAEA Convention sur la sureté nucléaire, ou encore l’INES (International Nuclear Event Scale) pour recenser les incidents et les catastrophes
sur une échelle de 0 à 7. Au sein de l´Union européenne, voir Directive 69/1969 sur les normes de protection radiologique

[8Chapitre 7, Des choix pour l’environnement et le développement, Rapport Brundtland, 1987, disponible sur www.wikilivres.info/wiki/Rapport_Br...

[9Constat de la Cour des Comptes en 1997, Rapport WISE Paris, Changement climatique et énergie nucléaire, pour WWF France, août 2000.

[10Un mélange de plutonium issu de l’étape du retraitement des combustibles et d’uranium appauvri issu de l’étape d’enrichissement pour recycler le plutonium
à des fins industriels, 22 centrales sont autorisées.

[11European Pressure Reactor, réacteur de plus grande puissance 1600 MW capable d’utiliser de l’uranium faiblement enrichi et du Mox.

[12International Thermonuclear Experimental Reactor, projet de recherche sur le développement de la fusion nucléaire controlée.

[13Christian BATAILLE et Claude BIRRAUX, Rapport sur l’Évaluation de la stratégie nationale de recherche en matière d’énergie, 2006.

[14Pour une présentation des débats sur les déchets nucléaires,Yannick BARTHE, Le pouvoir d’indécision, la mise en politique des déchets nucléaires, Paris,
Economica, 2006.

[15Cahiers de Global Chance, Débattre publiquement du nucléaire ? Un bilan des deux premiers débats EPR et déchets, organisés par la Commission Nationale du débat public’’, n°22, novembre 2006.

[16Benjamin SOVACOOL,‘’Valuing the Greenhouse gas emissions from nuclear power : a critical survey’’, Energy Policy, vol.36, 2008, p.2940-2953.

[17Le Réseau Sortir du nucléaire, Plans de sortie, et Virage Energie,‘’Energie d’avenir en Nord - Pas-de-Calais. Quelles solutions au dérèglement climatique ?" Rapport Complet, 2008.

[18Il existe actuellement dans le monde 436 réacteurs,produisant 325 GW, et par conséquent, 16 % de l’électricité dans le monde et 6 % de l’énergie primaire.

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 Bibliographie

Bibliographie

  • Marc ABELES (dir), Le défi écologiste, L’Harmattan, 1993
  • Didier ANGER, Chronique d’une lutte. Le combat anti-nucléaire à Flamanville et dans La Hague, Jean-Claude Simoen , 1997
  • Yannick BARTHE, Le pouvoir d’indécision, la mise en politique des déchets nucléaires, Paris, Economica, 2006
  • Jean-Luc BENNAHMIAS et Agnès ROCHE, Des Verts de toutes les couleurs, Histoire et sociologie d’un mouvement écolo, Paris, Albin Michel, 1993
  • Renée CONAN et Annie LAURENT, Femmes de Plogoff, Éditions La Digitale, Quimperlé, 1981
  • Jan Willem DUYVENDAK, Le poids du politique. Les nouveaux mouvements sociaux en France, Paris, L’Harmattan, 1994
  • Jean Philippe FAIVRET, Jean Louis MISSIKA, Dominique WOLTON, L’illusion écologique, Paris, Seuil, 1980.
  • Gabrielle HECHT, Le rayonnement de la France. Energie nucléaire et identité nationale après la seconde guerre mondiale, Paris, La Découverte, 2004.
  • Benjamin SOVACOOL, ‘’Valuing the Greenhouse gas emissions from nuclear power : a critical survey’’, Energy Policy, vol.36, 2008, p.2940-2953
  • Alain TOURAINE (dir), La prophétie anti-nucléaire, Seuil, 1980

Rapports

  • Projet ALTER. « Esquisse d’un régime à long terme tout solaire » par le Groupe de Bellevue
  • Rapports de Global Chance, http://www.global-chance.org/ dont Les Cahiers de Global Chance et Petit mémento énergétique de l’Union Européenne, hors-série n°4, Avril 2009
  • Cahiers de Global Chance, ‘’Débattre publiquement du nucléaire ? Un bilan des deux premiers débats EPR et déchets organisés par la Commission Nationale du débat public’’, n°22, Novembre 2006
  • Virage Energie, ‘’Energie d’avenir en Nord Pas de Calais. Quelles solutions au dérèglement climatique ? Rapport Complet, 2008

Revue

  • La Gazette nucléaire, n°15-16, p.32, et n°19
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