Responsabilité sociale des entreprises : un atout pour le développement durable ?

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18 mars 2024

Résumé

La démarche de Responsabilité sociale des entreprises (RSE) s’est progressivement construite à partir du cadre des informations extra financières fournies par les entreprises aux marchés financiers, puis a pris un sens plus large sous la pression des ONG après plusieurs accidents majeurs impliquant des entreprises et l’aggravation des impacts des activités humaines sur la biosphère. Cet article retrace le développement de la RSE. Il analyse le cadre actuel de cette responsabilité avec les évolutions récentes de la législation en France présente un éclairage sur différents concepts clefs tels que la double matérialité, le devoir de vigilance, les parties prenantes. Il replace la démarche de RSE comme un levier pour faire de l’entreprise un acteur de la société et un contributeur à son développement durable.

Auteur·e

Darras Marc

A participé notamment aux négociations de la Convention climat depuis le milieu des années 90, et aux travaux du GIEC, aux travaux français, européens et de l’OCDE sur la mise en place de taxes ou de permis pour le changement climatique, à la Commission du développement durable des nations unies, au Sommet pour le Développement durable, de Johannesburg, 2002, et à la préparation de la conférence « Rio + 20 », 2012, puis au Sommet de l’Agenda 2030, New York, 2015.

  • Président du Groupement professionnel « Ingénieur et Développement Durable » de CentraleSupelec Alumni ; a été membre de la Plateforme RSE, et membre du bureau au titre de 4D de 2014 à 2023.
  • Donne des cours sur les Politiques de l’énergie à l’UPEC,
  • Anime un séminaire sur la transition écologique et solidaire pour la formation Shift Year à Centralesupelec.


Un développement durable, au bénéfice de tous et intégrant pleinement le respect de l’environnement, ne peut être réalisé que dans le cadre d’une vision partagée d’un commun global dans lequel tous les acteurs agissent en partenariat. C’est ce que les Etats membres des Nations unies ont validé lors des Conférences de 2012 [1] , puis 2015 [2] . Dans l’acceptation large qui se développe au sein de l’Union Européenne, la Responsabilité Sociale [3] des Entreprises (RSE) peut et doit être pour le partenaire entreprise une approche pour évaluer, comprendre, et démontrer sa contribution à ce partenariat global dans un cadre défini avec les acteurs publics et la société civile. La RSE est alors le processus qui permet à l’entreprise de créer une dynamique interne pour contribuer aux objectifs définis collectivement tels que par exemple, les cibles des Objectifs de développement durable définies dans le cadre de l’Agenda 2030 des Nations Unies.

Depuis la réflexion sur les Agendas 21 qui engageait tous les acteurs dans une démarche de développement durable, le cadre de la Responsabilité Sociale des Entreprises s’est précisé progressivement. Il peut être aujourd’hui en Europe un outil au service du partenariat que nous venons d’évoquer. Cette approche se retrouve dans les directives de l’Union européenne « Responsabilité sociale des entreprises » et « Devoir de vigilance ». Il reste cependant à voir comment cette dernière approche sera utilisée et fera référence au niveau international.

On trouvera ci-dessous un questionnement sur la responsabilité sociale des entreprises, une rétrospective historique de sa définition progressive, une analyse du cadre actuel et de quelques concepts clefs, et enfin une interrogation sur son effectivité. Afin de donner un cadre à notre propos nous définirons l’entreprise et ses caractéristiques.

 1. S’interroger sur le sens des mots


Définir le sens des mots est un préalable nécessaire. Ici, nous essayons de cerner le contour de deux concepts qui seront utilisés dans l’ensemble du texte : « Responsabilité sociale des entreprises » et « Entreprise ». Une fois ce contour défini", il sera alors possible d’examiner les éléments y contribuant.

1.1 - Responsabilité sociale des entreprises

Doit-on définir la responsabilité sociale d’une entreprise ? L’entreprise est-elle irresponsable des conséquences de ses actions au sein de la société ? Y a-t-il une responsabilité morale de l’entreprise en tant que « personne morale » ou bien est-elle à responsabilité sociale limitée ? Les actions positives vis à vis de la société conduites par une entreprise relèvent-elles de la philanthropie des dirigeants ou bien d’un devoir de l’entreprise et de ses droits (licence to operate) ? Voilà des interrogations liminaires nécessaires pour pouvoir entreprendre une analyse de la RSE et de sa démarche.

La société civile attend de tous ses membres une contribution au projet commun qui la fonde. Cela implique donc pour l’entreprise une responsabilité fondée sur sa prise de connaissance du projet commun, responsabilité limitée seulement par les capacités d’action de l’entreprise. Cela doit être une responsabilité proactive car elle s’inscrit dans la vision d’un monde en transformation. Elle contribue ainsi positivement à cette transformation pour le bien de tous, dans un commun auquel participent également les personnes, les entreprises et les pouvoirs publics.

A contrario l’organisation des sociétés de droit entre personnes physiques ou morales, (ici le cadre du code civil dans la section traitant de la propriété art.1832-1844), valorise d’abord l’intérêt des actionnaires, c’est à dire de la propriété. Par ailleurs, la forme juridique des sociétés à responsabilité limitée ou par actions limite la responsabilité des propriétaires de l’entreprise, sans limiter celle de l’entreprise elle-même.

La responsabilité sociale de l’entreprise a cependant conduit les pouvoirs publics à limiter le droit d’entreprendre en définissant des répartitions entre usagers ou des limites pour l’exploitation des ressources ou l’usage de l’espace public.

La recherche de la responsabilité, traduite en termes économiques, a aussi donné lieu à de nombreux travaux dans le domaine de la responsabilité environnementale : la taxation des externalités selon Pigou qui vise à socialiser la gestion des impacts et libérer la responsabilité de l’entreprise par une taxation, la négociation entre les parties pour Coase qui s’intéresse non à la causalité mais seulement à un optimum économique global entre les parties lésées et l’entreprise. Bien évidemment l’approche économique n’épuise pas le domaine de responsabilité de l’entreprise ce qui nous conduira à chercher à cerner celle-ci au delà d’une synthèse économique et financière.

L’analyse que nous proposons sera donc celle de la responsabilité de l’entreprise, actrice au sein de la société.

1.2 - L’entreprise

De nombreuses approches ont cherché à définir l’entreprise, la firme, pour comprendre et améliorer son efficacité économique.

Sous l’action de politiques libérales à partir des années 1990, l’entreprise a eu pour mission essentielle la valorisation des actifs des actionnaires. Le chef d’entreprise n’est plus alors ce stratège conciliant les conditions économiques, les techniques, les savoir-faire des employés et la juste rémunération des capitaux engagés. A fortiori, il n’est investi d’aucune mission envers l’environnement et la société toute entière.
Ainsi l’opinion la plus répandue ne voit dans l’entreprise qu’un lieu d’investissement pour dégager de la plus-value en réduisant au maximum les charges et les risques, ne retenant que l’approche financière.

Mais dans la réalité, une entreprise est beaucoup plus que cela :

  • c’est un collectif de personnes entreprenantes ;
  • c’est l’élaboration et la mise en œuvre de techniques ;
  • c’est la création de produits ou de services pour des tiers ;
  • c’est une activité qui s’insère dans un territoire contribuant à son développement et en tirant bénéfice de ses ressources ;
  • c’est un lieu de transformation de ressources naturelles et d’usage de ressources environnementales.

Une entreprise, c’est donc cet ensemble complexe de fonctions qui doivent intégrer l’économie des moyens et des ressources. Il est alors nécessaire qu’en retour l’entreprise ait une responsabilité vis à vis de chacune des composantes qui contribuent à son existence. En effet la responsabilité suppose une action et une communauté qui définit des règles vis à vis desquelles les conséquences de l’action seront jugées. La responsabilité sociale ne se limite pas à la responsabilité civile, mais s’intéresse à la contribution à un projet social.

 2. Une élaboration progressive du cadre de la Responsabilité Sociale des Entreprises


2.1 - XIXème siècle : Emergence d’une responsabilité de l’entreprise avec l’essor industriel

L’impact social de l’entreprise, et notamment de l’industrie, est clairement identifié dès le XIXe siècle [4]. Cependant la misère ouvrière induite par le développement industriel conduit à la critique radicale, notamment par Marx, Engels ou Proudhon, de l’organisation de la production et de la répartition de la valeur créée. Les visions « utopistes » autour du saint-simonisme ou du fouriérisme conduisent à réaliser des projets qui marient activité industrielle et bien-être ouvrier dans un urbanisme nouveau. Le Familistère mis en place par Godin et la création d’une coopérative industrielle en sont un exemple ; celui-ci créé en 1858 perdurera jusqu’en 1968 avec progressivement une place moins importante de la partie industrielle.

Ces réalisations utopistes restent néanmoins largement minoritaires dans le développement industriel du XIXème siècle et du XXème siècle, période qui verra s’organiser les luttes ouvrières pour la reconnaissance de droits. Ainsi l’Organisation Internationale du Travail est créée dès 1919, et progressivement des normes de protection des travailleurs seront mises en place au fil du XXème siècle. Néanmoins la relation entre l’entreprise et le développement social, qu’avaient soulignée les propositions des utopistes, n’était pas au cœur du développement de ces normes centrées d’abord sur la protection des ouvriers.

2.2 - Les lendemains de la seconde guerre mondiale

A la suite de la seconde guerre mondiale, le rôle des entreprises et plus largement de l’économie est questionné selon deux dimensions :

  • comment l’économie doit être un levier pour nous protéger de la guerre sur le continent européen, ce qui donnera naissance à la construction progressive de l’Union européenne
  • quelle place doit avoir l’économie pour le développement social, à l’instar de la déclaration des économies socialistes, ce qui donnera d’une part la Déclaration universelle des droits de l’homme qui définit un équilibre entre droit de la personne et modèle de développement, et d’autre part la synthèse originale du Conseil national de la résistance qui structurera la reconstruction de la France.

Dans ces périodes cependant la question de l’équilibre entre développement économique, social et environnemental n’apparaît que progressivement.

2.3 - Globalisation des enjeux aux Nations unies : le développement durable

Au niveau international, la préoccupation de l’impact sur l’environnement du développement industriel conduit à adopter à Stockholm en 1972 des lignes directrices pour assurer la protection de l’environnement. Cet accord, précédé et suivi de Conventions internationales sectorielles (zones humides, espèces migratrices, pollutions transfrontalières,…) implique avant tout les Etats. Des déclinaisons nationales pourront concerner les entreprises. Ainsi, par exemple en France en 1976 une loi définit les installations classées pour la protection de l’environnement, ICPE, qui met en cohérence diverses réglementations antérieures liées aux risques associés aux installations industrielles.

Il faut attendre 1992 la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, tenue à Rio de Janeiro, et le programme Agenda 21 [5] pour donner un rôle proactif à l’ensemble des acteurs de la société, dont les entreprises, pour un développement soutenable. Dans le texte du sommet de Rio, tant dans les principes que dans la partie consacrée à l’Agenda 21, la notion de responsabilité sociale des entreprises n’est pas explicite. On trouve cependant son fondement à travers l’ensemble des développements très riches de ce document, et notamment dans le chapitre 30 « renforcement du rôle du commerce et de l’industrie » ainsi que dans les chapitres sectoriels.

Après une période d’appropriation les entreprises comme les collectivités territoriales se dotent d’Agendas 21 propres à leur activité et à leur contexte. Elles font souvent intervenir des « parties prenantes » dont le rôle avait été « institutionnalisé » par les Nations Unies dans les conclusions de la conférence [6] . A partir de cette période les entreprises vont compléter leurs informations économiques de référence pour les actionnaires par un rapport environnemental, puis à partir des années 2000 par un rapport de développement durable en regard de leur Agenda 21. Le format de ces rapports reste libre et est souvent en interaction avec un « comité des parties prenantes ».

2.4 - 2002 : la reconnaissance de la responsabilité sociale des entreprises

En 2002, au moment du Sommet mondial pour le développement durable tenu à Johannesburg, le contexte a largement changé. Après la chute de l’URSS les débats au niveau international ne se font plus entre blocs. Les pays en développement prennent une part plus importante aux discussions. En termes de développement, les inégalités persistent largement. Bien qu’identifiés et documentés antérieurement, les impacts environnementaux sont de plus en plus évidents. Par ailleurs, les idées développées en 1992 se sont largement diffusées. L’idée d’une action conjointe sociale, environnementale, et économique est acquise. Le partenaire « entreprises » est bien identifié, et a participé aux débats de la Commission du développement durable des Nations Unies, avec les autres parties prenantes, défini comme l’un des Groupes majeurs en 1992 [7] .
L’article 18 de la déclaration de Johannesburg demande le renforcement de la responsabilité environnementale et sociale des entreprises, et leur redevabilité. Cet article n’avait conduit à aucune contestation, d’autant que l’Union Européenne avait publié en 2001 un livre vert sur la responsabilité sociale des entreprises, la décrivant comme « l’intégration volontaire par l’entreprise de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leur relation avec leurs parties prenantes  ». La RSE reste alors une démarche volontaire.

Dans cette période l’ensemble des parties prenantes, et notamment les organisations non gouvernementales travaillant sur l’environnement ou le développement, ont analysé les processus de production. Elles ont aussi évalué l’impact des entreprises sur le développement, et précisé leurs demandes concernant la redevabilité des entreprises. Ces organisations renouvellent leurs demandes en termes d’engagement des entreprises et des gouvernements.

Concernant la redevabilité, un cadre international s’était progressivement mis en place après le sommet de Rio : Principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales dès 1976 [8] ; Global Reporting Initiative, 1997 ; Pacte Mondial des Nations Unies / UN Global Compact, 2000. En parallèle, la norme ISO 14001, 1996, propose un dispositif de mise en place d’une gestion des questions d’environnement au sein de l’entreprise, et l’Union Européenne développe la reconnaissance d’un système volontaire de management environnemental avec le programme EMAS 1993, qui sera progressivement mis à jour. Enfin, en 2010, l’ISO 26000 propose un cadre général pour évaluer la contribution au développement durable, en intégrant toutes ses composantes, cadre applicable à toutes les organisations.

Dans le domaine de l’environnement, en 1998, la Commission Economique pour l’Europe des Nations Unies traduit les principes de Rio dans la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement. Cette convention concerne les activités des entreprises dès lors qu’elles ont des conséquences sur l’environnement, et permet d’examiner leurs responsabilités devant la justice.

2.5 - Droits de l’homme et entreprises

Une mention particulière doit être faite pour les Principes directeurs des Nations unies pour les droits de l’homme et l’entreprise. Ces principes adoptés en juin 2011 par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies font suite aux travaux du Rapporteur spécial John Ruggie. Ces principes définissent un rôle pour les Etats et les entreprises et demandent enfin la mise en place d’un dispositif de recours. Si le cadre des Droits de l’homme est clairement défini depuis la Déclaration de 1948 et les Protocoles associés, le Principe 16 demande un engagement explicite de l’entreprise et une « diligence raisonnable » pour le suivi de cet engagement. Actuellement un traité juridiquement contraignant pour réglementer, dans le cadre du droit international des droits de l’homme, les activités des sociétés transnationales et autres entreprises est en cours de négociation [9] .

En 2012, lors de la Conférence sur le développement durable des Nations Unies, Rio+20, le contexte s’est de nouveau transformé à la suite de la crise économique de 2008-2009. Il s’agit donc aussi de contraindre la finance, qui a pris une place prépondérante dans la gouvernance des entreprises, à contribuer à un développement soutenable.

2.6 - Les cadres nationaux de la RSE et les dynamiques d’intégration par les Nations unies

Dans ce contexte, il apparaît nécessaire que les gouvernements mettent « en place des cadres nationaux, notamment dans le domaine réglementaire, qui permettent aux entreprises commerciales et industrielles d’adopter des initiatives en matière de développement durable, en tenant compte de leur responsabilité sociale.  » art.46. Ce qui conduit « le secteur industriel, les gouvernements intéressés ainsi que les parties prenantes concernées à élaborer, avec l’appui du système des Nations Unies s’il y a lieu, des modèles de meilleures pratiques et à faciliter la publication d’informations sur le caractère durable de leurs activités  » Art. 47. Ces deux articles reconnaissent donc formellement la responsabilité sociale des entreprises, et la nécessité d’une transparence des informations pour contribuer au partenariat global avec les autres acteurs de la société. Cette position est en cohérence avec la position de l’Union Européenne qui, dépassant la définition de 2001, propose que la RSE soit définie comme « la responsabilité des entreprises vis à vis des effets qu’elles exercent sur la société » [10].

De manière pratique, il est décidé d’appuyer les conclusions de ce sommet par des actions concrètes quantifiées et planifiées si possible, à l’initiative de la Colombie qui propose de s’appuyer sur les éléments de l’Agenda 21. Un processus de collecte participative pour définir ces actions concrètes sera mis en place, et débouchera en 2015 sur « Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030 » [11] . Ce programme répartit 144 cibles en 17 “Objectifs de Développement Durable”. Depuis, ces objectifs de développement durable ont été adoptés tant par les Etats que par les collectivités territoriales et les entreprises comme référentiel de la soutenabilité de leurs actions, mais la nécessaire transversalité de cette approche est parfois exagérément simplifiée. Pour les entreprises cet engagement sur le référentiel des ODD prolonge la dynamique créée par UN Global Compact [12], lancé par Kofi Anan, Secrétaire général des Nations unies lors de la réunion de Davos en 1999. Cet engagement de l’entreprise est défini en dix points qui couvrent les droits de l’homme, les droits du travail, l’environnement et la lutte contre la corruption.

2.7 - L’influence de l’approche systémique scientifique

Par ailleurs, les travaux d’évaluation sur le climat par le GIEC ainsi que l’Accord de Paris dans le cadre de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique soulignent le besoin d’une approche systémique du modèle de développement et le besoin d’un engagement des acteurs pour répondre aux défis climatiques. Une réflexion similaire se développe pour les questions de biodiversité au sein de l’IPBES. Cette réflexion intégrative renforce la responsabilité des entreprises, non seulement dans leurs procédés de fabrication, mais également sur les produits et services qu’elles commercialisent. Cette réflexion reconnait aussi la nécessaire implication des entreprises et des acteurs économiques dans l’élaboration de ces politiques générales. Ainsi, l’Accord de Paris sur le climat, 2015, vise à rendre les flux financiers compatibles avec un profil d ’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques, art. 2.c. Cet accord donne ainsi un cadre général pour le financement au-delà de la création du Fonds vert pour le climat, Copenhague, 2009, dont le montant attendu de 100 Md$ n’a été finalement atteint qu’en 2023, pour une part sous forme de prêt.

Dans le cadre du processus progressif d’engagement des Etats donc de leurs entreprises dans le cadre de l’Accord de Paris, le bilan quinquennal a été évalué en regard des trajectoires de décarbonation de l’économie mondiale proposée par le GIEC. De même, le GIEC vient de définir en janvier 2024 ses travaux pour le nouveau cycle d’évaluation en regard des besoins de la Convention.

2.8 - La responsabilité dans la chaine de valeur

En 2013, l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh fait plus de mille morts dans des ateliers de confection. Cet évènement dramatique aura une répercussion internationale et entrainera une réflexion sur la responsabilité des entreprises à l’égard de leurs chaines de valeur, conduisant en France à la Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre qui introduit un devoir de vigilance avec des mesures correctives si nécessaire, 2017. Il s’agit là d’une responsabilité extraterritoriale, qui dépasse le rapportage, l’évaluation des risques, ou la démarche volontaire dans le domaine de la responsabilité sociale et environnementale. L’Union Européenne a préparé une directive pour élargir sur son périmètre le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, 2022 [13].

En France, les premières dispositions relatives aux obligations d’information des sociétés sur les conséquences sociales et environnementales de leurs activités ont été introduites par la Loi relative aux nouvelles régulations économiques (NRE), 2001. En 2010, le Grenelle II a étendu le champ des sociétés tenues de présenter une liste d’indicateurs sur leurs impacts environnementaux. Puis, en 2015 la Loi transition écologique pour la croissance verte (TECV) a complété ce dispositif en créant de nouvelles exigences en matière de rapportage climatique, d’économie circulaire, et de lutte contre les discriminations. Enfin, la loi Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) 2019, réaménage ces obligations de reporting dans un sens plus flexible pour plus de pertinence avec l’activité de l’entreprise. Ces cadres nationaux devront être revus après la publication des Directives européennes en cours de finalisation (cf. ci-dessous).

 3. Les évolutions récentes du droit français


Pour les sociétés [14] de droit entre personnes physiques ou morales, le code civil dans la section traitant de la propriété art.1832-1844, retient d’abord l’intérêt des actionnaires. Par ailleurs, la forme juridique des sociétés à responsabilité limitée ou par actions limite la responsabilité des propriétaires de l’entreprise.

Avec la préparation de la loi PACTE de 2019 le législateur a souhaité poser le cadre de la responsabilité de l’entreprise, plus spécifiquement de la « société  » [15] , l’entreprise n’ayant pas de définition dans le droit français malgré des propositions lors de ces discussions. La mission préparatoire confiée à Nicole Notat et Jean Dominique Senart [16] était motivée ainsi :

  • Cette démarche part du constat, largement partagé, que la société exprime à l’égard des entreprises des attentes croissantes, sous la contrainte de nouveaux défis environnementaux, sociaux et sociétaux. Il est aujourd’hui demandé à l’entreprise d’assumer une responsabilité à l’égard de ses parties prenantes, aux intérêts parfois contradictoires, mais aussi à l’égard de la société dans son ensemble.

Si la version antérieure, issue directement du code de 1804, définit la responsabilité de la société ainsi, art 1833 :

  • Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés.

La loi PACTE a élargi cet article pour refléter sa responsabilité sociale. Le nouvel art. 1833 est ainsi libellé :

  • Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés.
  • La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité.

La deuxième partie de cet article, introduit une limite à l’intérêt des associés en demandant à la société de considérer les enjeux sociaux et environnementaux et donc établit une responsabilité sociale de l’entreprise. Mais la formulation reste faible, et même réduite par rapport à la rédaction initiale qui mentionnait aussi les enjeux économiques pour la société. Des propositions de la société civile souhaitaient que soient mentionnés l’intérêt des parties prenantes et la préservation des biens communs.

Cependant, des analyses juridiques doutent de la portée de cet ajout en regard du premier paragraphe. Par ailleurs, la Charte de l’Environnement, de valeur constitutionnelle, impose de manière générale le respect des enjeux environnementaux.

Si la loi PACTE a introduit une notion de responsabilité limitée propre à la société, elle n’établit pas une responsabilité plus générale de l’entreprise vis à vis de la communauté dans laquelle elle exerce son activité, ni vis-à-vis des biens communs. Elle n’induit pas une démarche proactive à l’égard des enjeux communs. Il n’y a pas de responsabilité morale de l’entreprise au sens du vocabulaire commun.

On notera cependant que la loi PACTE introduit la possibilité de définir une « raison d’être » de l’entreprise, ce qui élargit la notion d’objet social, et propose une démarche de « société à mission » [17] au-delà de cette raison d’être.

Il conviendra d’évaluer le bilan en termes d’impacts effectifs et de prise en compte à long terme de ces nouvelles approches. Pour le moment, si la notion de « raison d’être » conduit certaines entreprises à réfléchir à leur activité, le cadre de responsabilité juridique induit une grande frilosité dans l’appropriation de ces approches, a fortiori pour le statut d’ « entreprise à mission » qui impose un suivi par un tiers indépendant. Pour l’instant les entreprises à mission sont récentes, de petite taille, et la plupart dans le domaine des services.

La loi Devoir de vigilance de 2017 à la suite de la catastrophe du Rana Plaza, c’est-à-dire de l’incendie d’une entreprise indienne sous traitante du textile qui a fait plus de 1000 morts, a été une étape importante pour l’inscription juridique de la responsabilité sociale de l’entreprise. Cette loi implique la responsabilité des entreprises donneuses d’ordre sur l’ensemble de leur chaine de valeur, en France comme à l’étranger, concernant « les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement ». Elle s’applique aux entreprises de plus de 5000 salariés. Elle les oblige à connaitre les conditions de travail et de production de leurs fournisseurs ou sous-traitants et à prévoir, si nécessaire, un plan d’action pour remédier à des défaillances.

Enfin, soulignons qu’au-delà des cadres contraignants de la loi, la responsabilité sociale peut et doit s’exercer de manière plus large, dans le cadre de la liberté d’entreprendre, plaçant ainsi l’entreprise comme un acteur positif de la société où elle exerce son activité.

 4. Eclairage sur quelques points régissant la Responsabilité Sociale des Entreprises


L’approfondissement du cadre de la responsabilité sociale des entreprises a conduit à définir de nouveaux concepts que nous nous proposons d’examiner ici.

4.1 - Les parties prenantes

À la suite de la conférence de Rio, 1992, les parties prenantes ont trouvé leur place dans les entreprises avec la création d’Agendas 21 spécifiques et la nomination de comités des parties prenantes. Les membres de ces comités, choisis par l’entreprise, sont des associations de défense des droits humains, de l’environnement, ou encore de protection des consommateurs. La difficulté est de s’assurer de la représentativité de ces parties prenantes par rapport aux impacts effectifs de l’entreprise, incluant éventuellement ceux de ses fournisseurs ou de ses filiales étrangères. Il s’agit aussi de savoir sur quels types de décision porte la mission de conseil de ces comités, et de savoir comment leurs avis sont pris en compte au niveau des conseils d’administration.

Par ailleurs, on peut parler de parties constituantes pour désigner les composantes internes de l’entreprise et notamment les représentants du personnel. Ces composantes ont un rôle différent selon leur place au sein de l’entreprise et notamment de son conseil d’administration. Ce rôle varie aussi selon la forme juridique de l’entreprise par exemple avec le cas particulier les coopératives ouvrières ou d’usagers, ou les entreprises du commerce équitable. Ces dernières structures mettent en évidence la question du partage de la décision, et plus encore du partage de la valeur entre les différentes composantes de l’entreprise.

Dans le cadre des travaux préparatoire à la loi Pacte, des propositions ont été faites pour élargir la place des représentants du personnel au sein des conseils d’administration, en se référant notamment à l’exemple allemand. Cette proposition n’a alors pas trouvé de concrétisation. On peut aussi ici attirer l’attention sur la transformation de la représentation du personnel dans les instances représentatives avec la création des CSE et la suppression des CHSCT, à la suite des ordonnances « Macron » de 2017.

4.2 - Rapportage, matrice de matérialité, matérialité simple, matérialité double

Le rapportage des entreprises a d’abord été conçu pour protéger les investisseurs et assurer la transparence des marchés financiers. Son extension à l’impact social de l’entreprise a progressivement nécessité une clarification et une certaine normalisation. Des normes volontaires ont été mises en place, ainsi que des réglementations. Concernant les réglementations, différents concepts doivent être éclairés.

La matrice de matérialité est un outil qui interroge la pertinence des différents critères d’impact social en fonction de l’activité de l’entreprise. Cela conduit à ne développer le rapport que sur ces éléments. Une autre approche consiste à privilégier un rapport sur tous les critères d’impact social, éventuellement en explicitant la raison de leur non pertinence.

Pour les investisseurs, il est important de comprendre quels sont les risques pour l’entreprise des différents contextes sociaux, environnementaux et économiques où elle opère. Une telle approche est celle de la simple matérialité. Cependant, pour l’ensemble de la société, il est important d’identifier les enjeux et les risques sociaux de l’activité de l’entreprise que cela soit pour l’économie locale, l’environnement ou le développement social : une approche qui traite des deux aspects, celui de l’évaluation des risques pour l’entreprise mais aussi de ceux qui résultent de son activité pour la société est dite en double matérialité.

L’approche en simple matérialité est favorisée par le monde anglo-saxon, alors que la double matérialité est la norme en Europe, et notamment depuis l’approbation le 10 novembre 2022 de la nouvelle directive sur le rapportage de l’impact social des entreprises, Directive CSRD qui vient remplacer la directive de 2014.

En France, la directive de 2014 avait été transposée en droit français sous le nom de Déclaration des Performances Extra-Financières, DPEF. Cette déclaration devait être accompagnée de mesures de diligence raisonnable, et de suivi. Cette obligation, basée sur un ensemble d’impacts à mesurer, concernait essentiellement les entreprises de plus de 500 employés ou de plus de 20M € au bilan.

Notons aussi que l’International Sustainability Standards Board, issu de l’institution de standard de comptabilité IFRS, vise à proposer des standards en simple matérialité sur les performances économiques, sociales et environnementales des entreprises afin de renseigner les investisseurs sur les risques portés par celles-ci. D’après Emmanuel Faber, Président de ISSB et ancien Président de Danone, une analyse en simple matérialité serait suffisante pour transformer les modes de production, par l’influence de la mise en évidence de risques globaux pour les investisseurs.

4.3 - Devoir de vigilance

Le devoir de vigilance pour les entreprises est défini dans une loi française de 2017. Cela sera étendu au niveau européen dans le cadre d’une directive en cours de finalisation pour 2024, et dans la réglementation de certains Etats européens.

Le devoir de vigilance impose aux entreprises d’examiner les conditions et l’impact de l’activité de leurs fournisseurs sur l’ensemble de leur chaîne de valeur. Cet examen doit conduire à un plan d’action. L’analyse comme le plan d’action sont présentés dans le rapport annuel de l’entreprise.

Le devoir de vigilance a donc un impact extraterritorial, et par ailleurs, si seules les plus grandes entreprises [18] sont concernées, des fournisseurs de taille inférieure sont inclus comme éléments de la chaine de valeur.

Au niveau européen, les débats portent sur la taille des entreprises soumises au devoir de vigilance, sur l’exclusion éventuelle des entreprises financières, ainsi que sur l’exercice de la vigilance sur l’aval, ce dernier point pouvant être complexe dans la pratique. L’accord de principe entre les instances législatives de l’Union Européenne a été trouvé fin 2023, ce qui devrait conduire à une promulgation rapide de cette directive. (cf. note 13)

4.4 - Affichage social et environnemental des produits

En France, la loi AGEC, 2020, puis la loi Climat Résilience, 2021, imposent un affichage sur les produits qualifiant leur impact social et/ou environnemental. Si la question des produits ne relève pas directement de la RSE, elle en découle. L’affichage environnemental est déjà opérationnel de manière volontaire pour certains produits et devrait être généralisé en 2023. L’affichage social n’a pas encore de cadre défini [19] .

Ces affichages posent des questions de mise en œuvre en raison de la démarche “multicritères” nécessaire : quels impacts choisir, comment les évaluer, et surtout comment fusionner les différents impacts en une note globale ? En effet, sur ce dernier point il ne s’agit pas de compenser une mauvaise note dans un secteur par une bonne note dans un autre : par exemple, un appui au travail des femmes ne peut pas compenser un usage du travail des enfants ; un bon bilan sur les polluants atmosphérique ne peut pas compenser un impact négatif sur la biodiversité.

Pour la conception des produits, l’évaluation environnementale par la méthode de l’Analyse du Cycle de Vie (ACV) est maintenant bien établie (ISO 14040). Cependant des débats restent en cours par exemple sur le mode d’affichage dans le domaine de la nutrition. L’ACV sociale est en cours de développement et pose de nombreuses questions sur le choix des critères à retenir. Au niveau international, le Programme des Nations unies pour l’environnement a proposé un cadre de réflexion.

4.5 - La taxonomie

La taxonomie est un règlement européen qui vise à caractériser les investissements en regard de leur contribution au Pacte Vert européen et à la transition écologique : les entreprises et le secteur financier devront indiquer dans leur rapport annuel de responsabilité sociale les investissements correspondant à cette contribution.

Les règles de la taxonomie couvrent six objectifs : l’atténuation du changement climatique, l’adaptation aux changements climatiques, l’utilisation durable des ressources, la transition vers une économie circulaire, la prévention et la réduction des pollutions, la protection et la restauration de la biodiversité. Dans l’usage de ces règles, un investissement noté positivement sur un critère ne peut en aucun cas avoir un impact négatif sur un autre.

En 2022, les règles concernant l’atténuation du changement climatique ont été publiées et considérées comme applicables. Certains investissements ne peuvent être considérés de manière positive que pendant une période de transition. Après de nombreux débats cela est le cas de la position prise pour les centrales électriques nucléaires ou au gaz naturel. Ce dernier point fait toujours l’objet d’un débat. La définition des investissements correspondant aux autres objectifs devrait être prochainement publiée.

4.6 - La directive Corporate social responsibility, CSRD 2022

Jusqu’en 2022 le contenu du rapportage extra financier des entreprises européennes restait lacunaire, plutôt indicatif, et ne concernait qu’un nombre limité d’entreprises. Avec la directive CRSD (Corporate Sustainability Reporting Directive) l’Europe met en place un processus normatif progressif de définition du rapportage en double matérialité plus complet, et une extension large de son champ d’application, dont la mise en œuvre sera achevée en 2029.

Pour la qualité du rapportage, la Directive CSRD s’appuie sur 13 normes [20] : 2 générales, 5 environnementales (changement climatique, pollution, ressources hydriques et marines, biodiversité et écosystèmes, utilisation des ressources et économie circulaire), 4 sociales (main d’œuvre propre à l’entreprise, employés de la chaîne de valeur, communautés concernées, consommateurs et utilisateurs), 2 de gouvernance (conduite commerciale). Ces normes assurent que l’ensemble de l’impact en double matérialité est couvert. Des normes spécifiques à certains secteurs seront définies.

Ce cadre de rapportage deviendra progressivement obligatoire pour toutes les sociétés d’une certaine taille et 50 000 entreprises européennes cotées ou non cotées devraient être concernées d’ici à 2029.

La normalisation du rapportage extra financier ainsi introduite par la nouvelle directive CSRD devrait progressivement assurer la transparence de l’impact social et environnemental des plus grandes entreprises et les conduire ainsi, même dans un environnement concurrentiel, à des programmes d’amélioration. Sous le regard vigilant des autres composantes de la société, la diffusion de ces informations devrait être un puissant moteur à la contribution du monde économique au bien être social et environnemental.

La directive a été transposée en droit français le 7 décembre 2023 pour mise en œuvre dès 2024.

 5. Quelle contribution de la Responsabilité Sociale des Entreprises à la transition vers un Développement durable ?


-************** Pour aider à la prise de conscience
-************** Pour ne pas cautionner le blabla RSE.

-****************** Gaspard Koenig. Humus. L’observatoire 2023.

La démarche de RSE est-elle effective et produit-elle une meilleure prise en compte des enjeux sociétaux par les entreprises ?

Depuis notamment la première norme du GRI (Global Reporting Initiative), mais aussi les normes ISO 14000 et EMAS (European Management Audit System) cf. §2.4, des certifications ont été mises en place, des labels valorisés, et des auto-évaluations ont été publiées. Ces déclarations ont souvent été considérées comme une part constitutive du ’green-washing’ des entreprises.

L’évolution dans les dernières décennies des impacts sur la biosphère, qu’il s’agisse de climat, biodiversité, ou déchets, ainsi que l’évolution des disparités de richesses, entre et au sein des Etats, ne permettent pas réellement de quantifier ni même d’identifier l’impact de la prise en compte progressive de normes de RSE. Si l’économie dans certains pays a su faire émerger des classes moyennes en les sortant de la pauvreté souvent au prix de disparités fortes, le modèle économique nécessitant une croissance continue des échanges marchands, partant de la production, a conduit à des impacts environnementaux et sociaux significatifs.

Cependant le cadre national et international de la RSE a progressivement amené les entreprises à accorder plus d’attention aux conditions d’exercice de leur activité car ce cadre légal permet d’exiger en justice des mesures effectives ou de condamner des allégations fausses sur les conditions de fabrication des produits. Les notions de devoir de vigilance et de double matérialité ont apporté deux points essentiels pour l’effectivité de la RSE en termes de développement durable : d’abord la responsabilité de l’entreprise sur l’ensemble de la chaine de valeur, y compris extraterritoriale, et ensuite l’impact de l’activité sur les tiers. Ce dernier point questionne ainsi l’apport de l’activité de l’entreprise au développement local. De plus, le cadre de transparence imposé et commun à travers le contenu du rapportage doit créer progressivement un double mouvement : une réflexion des entreprises sur leur rôle et leur responsabilité au delà des risques actionnaires, mais aussi une connaissance plus pertinente de l’activité des entreprises par la société en général.

Néanmoins, trois faiblesses générales des démarches RSE doivent être soulignées ici :

  • l’impact de l’entreprise à travers le bilan de l’année, qui ne rend pas compte de la dynamique nécessaire pour corriger et transformer l’activité de l’entreprise ; il n’exprime pas non plus un engagement de l’entreprise évaluable dans la durée ;
  • le classement entre pairs souvent pratiqué notamment par les labels, ne détermine pas la pertinence de la position de l’entreprise, mais ne signifie qu’une position moins mauvaise que celle d’autres entreprises de son secteur ;
  • les limites du domaine d’application de la RSE qui concerne essentiellement les modes de production de l’entreprise en incluant maintenant l’impact sur le voisinage avec la double matérialité, mais qui ne s’intéresse pas à l’impact de l’usage des produits et des services [21] qui auront une influence sur la trajectoire technique globale des sociétés.

Cependant la RSE est aussi un domaine de droit doux, qui permet une amélioration des pratiques grâce à une transparence sur les actions de l’entreprise, selon des critères définis non pas par l’entreprise mais par la loi, donc la société. Cet espace de liberté dans la transparence pour l’entreprise est aussi nécessaire pour innover face aux enjeux environnementaux et sociaux. Il rappelle à l’entreprise qu’elle est l’une des parties constitutives d’une société, elle même incluse dans la biosphère.

Il est important alors de rappeler que le cadre général du projet de la société est défini par la loi et les politiques associées, pris ici dans la plus grande généralité. Il n’appartient pas à un acteur particulier de définir le bien général. Bien sûr, en fonction de l’organisation des Etats on trouvera différents modes de définition de ce bien général !

Néanmoins, le niveau de faiblesse des Etats vis à vis d’une économie mondialisée, limite leur capacité à créer un cadre de responsabilité efficace. On peut le voir par exemple à propos de la mise en œuvre nationale ou internationale des politiques climatiques ou de développement dans des économies ouvertes et dérégulées. La dynamique réglementaire doit donc être poursuivie pour assujettir à un juste niveau l’économie, et notamment la finance, à l’atteinte nécessaire d’objectifs environnementaux et sociaux. Cela concerne en premier chef les entreprises qui sont par ailleurs les acteurs économiques essentiels pour définir des propositions techniques viables.

La démarche de RSE est donc nécessaire et utile dans sa composante contraignante comme dans sa composante incitative. C’est un instrument où se rencontre perspectives de l’entreprise et perspectives sociales. Elle doit permettre à l’entreprise de se reconnaitre ainsi comme un acteur responsable dans la société. La démarche de RSE doit cependant garantir une transparence pertinente, et assurer que la société dans son ensemble puisse l’utiliser effectivement comme un levier pour l’orientation de l’économie et des entreprises en faveur des objectifs décidés socialement.

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Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[1L’avenir que nous voulons. Document Nations unies A/CONF.216/L.1. 20-22 juin 2012. Rio de Janeiro.

[2Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030. Document Nations unies A/RES/70/1 21 octobre 2015

[3Nous utiliserons responsabilité sociale, en accord avec la terminologie internationale. En français, cependant cela peut prêter confusion avec le cadre de la politique sociale ne traitant que des conditions du personnel ; c’est pourquoi certains utilisent le néologisme « sociétale » apparu dans les années 1980.

[4Et bien avant, pour limiter les nuisances sur le voisinage d’activités artisanales.

[5Nous gardons ici la dénomination Agenda 21. Cependant, la version officielle française est Action 21, soulignant ainsi une dynamique au delà d’une simple planification, contenue dans l’anglais agenda directement dérivée du latin : les choses à faire.

[6La Conférence institue des groupes majeurs qui participent aux débats des instances des Nations unies : femmes, jeunes, populations autochtones, organisations non gouvernementales, collectivités territoriales, travailleurs et syndicats, industrie et commerce, scientifiques, agriculteurs.

[7Neuf secteurs de la société ont été reconnus comme devant contribuer au développement durable et participer à la mise en œuvre des politiques ; ils sont organisés en « Groupes majeurs » et ont une place dans le cadre des négociations des Nations Unies. Ce sont les groupes suivants : femmes, enfants et jeunes, peuples indigènes, organisations non gouvernementales, autorités locales, travailleurs et syndicats, affaires et industrie, communauté scientifiques et technologiques, paysans.

[8Les Principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales, sont un cadre précurseur. Deux mises à jour significatives ont eu lieu en 2000 et 2011. En France, un Point de Contact National a été institué en 2001 au sein de la Direction du Trésor au Ministère des Finances.

[9Les négociations sont en cours et la 9éme session a eu lieu du 23 au 27 Octobre 2023.

[10Responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie de l’UE 2011-2014. Commission européenne. COM (2011) 681.

[13L’accord sur la directive a été obtenu le 14/12/2023.
La législation s’appliquera aux entreprises de l’UE et aux sociétés mères de plus de 500 salariés et ayant un chiffre d’affaires mondial supérieur à 150 millions d’euros. Les obligations s’appliqueront également aux entreprises de plus de 250 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 40 millions d’euros si au moins 20 millions sont générés dans l’un des secteurs suivants : la fabrication et le commerce de gros de textiles, d’habillement et de chaussures, l’agriculture, y compris la sylviculture et la pêche, la fabrication de denrées alimentaires et le commerce de matières premières agricoles, l’extraction et le commerce de gros de ressources minérales ou la fabrication de produits connexes et la construction. Elle s’appliquera également aux sociétés de pays tiers et aux sociétés mères ayant un chiffre d’affaires équivalent dans l’UE. Les entreprises devront identifier, évaluer, prévenir, atténuer, mettre fin et remédier à l’impact négatif de leurs activités sur les personnes et sur la planète, ainsi que celui de leurs partenaires, notamment en terme de production, approvisionnement, transport, stockage, conception et distribution. Pour ce faire, ils seront tenus de faire des investissements, de demander des assurances contractuelles auprès des partenaires, d’améliorer leur business plan ou d’apporter un soutien à leurs partenaires des petites et moyennes entreprises.

[14En italique pour distinguer cette forme juridique d’entreprise de la société comme communauté humaine évoquée à plusieurs reprises.

[15Code Civil : art 1832. La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l’acte de volonté d’une seule personne. Les associés s’engagent à contribuer aux pertes.
Rappelons que les sociétés commerciales peuvent avoir des organisations variées qui conduisent à limiter la responsabilité des associés.

[16L’entreprise, objet d’intérêt collectif. Nicole Notat et Jean Dominique Senart. 9 mars 2018

[17Sur le modèle des B Corp, « benefit corporation », certification privée qui s’inscrit dans le droit américain de l’entreprise.

[18Notamment plus de 5000 salariés en France ou plus de 10000 salariés dans le monde

[19Voir synthèse, analyse et propositions dans : Affichage social sur les biens et services, Avis de la Plateforme RSE, décembre 2022.

[20Normes ESRS, European Sustainability Reporting Standards. En parallèle et en concurrence, une association de standardisation d’origine anglo-saxonne, ISSB, développe des standards visant à la simple matérialité.

[21Dans le cadre des émissions de gaz à effet de serre, cela est défini comme le scope 3 dans la partie aval de l’entreprise. Dans le cadre des discussions de la future directive sur le devoir de vigilance, cela est l’objet de débat associé à la responsabilité sur l’usage des produits et des services.

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 Bibliographie

Les références spécifiques aux différents thèmes ont été données en note de bas de page.
On pourra se reporter par ailleurs aux travaux de la Plateforme RSE qui couvre dans ses rapports de nombreux thèmes, et propose des références détaillées. La plateforme RSE est un organisme indépendant, multi-acteurs, placé auprès du Premier Ministre.
https://www.strategie.gouv.fr/resea...

 Lire dans l’encyclopédie

* Capron, Michel : La responsabilité sociale d’entreprise, N° 99 , 28/07/2009.

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