Les terres éléments clés pour l’avenir du climat et de l’alimentation humaine

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29 septembre 2016

Résumé

4 pour mille par an, c’est l’augmentation du stock de carbone des sols qui permettrait d’absorber la totalité des émissions de gaz carbonique émis chaque année par l’humanité à partir des combustibles fossiles. Avec de tels ordres de grandeurs, la gestion des terres n’est plus seulement, n’est peut-être plus principalement, une question d’agriculteurs et de propriétaires forestiers, cela devient un enjeu collectif. Les terres constituent l’un des éléments clés de l’avenir du climat et de l’alimentation humaine.
Réduire le gaspillage alimentaire, changer les pratiques agricoles et alimentaires, suspendre l’étalement urbain sont un impératif pour permettre à la fois de nourrir les humains et que les terres et végétaux poursuivent leurs fonctions naturelles.

29 septembre 2016

Auteur·e

Guérin André-Jean

André Jean Guérin est Ingénieur général honoraire des ponts, des eaux et des forêts, membre du CA et du bureau de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, ancien membre du Conseil économique social et environnemental, fondateur et administrateur de blueEnergy-France et de l’Institut des Futurs souhaitables.
Site Internet : http://baj.ouvaton.org


L’article original est paru sur le blog d’André-Jean Guérin « Sentiers entre deux » en janvier 2016

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La question, « aurons-nous à manger demain ? » s’articule alors avec les questions de climat, sans oublier de maintenir des activités et assurer des revenus. Pouvons-nous orienter la gestion des sols, des bio-ressources et des bio-produits, bref de la biosphère, dans la perspective de réduire les émissions de GES en Europe et en France et de mieux nourrir leurs habitants ?

 4/1000 : une utopie constructive

L’humus est la couche supérieure du sol créée et entretenue par la décomposition de la matière organique. Celle-ci provient principalement de fragments végétaux (feuilles, aiguilles, tiges, racines, bois, écorce, graines, pollens) en décomposition, mais également d’exsudats racinaires et d’exsudats végétaux et animaux, d’excréments et excrétats de vers de terre et d’autres organismes animaux et microbiens du sol, des cadavres animaux et de nombreux micro-organismes, champignons microscopiques et bactéries. Ainsi, dans une profondeur plus ou moins importante, les sols emmagasinent de la matière organique provenant principalement de la capture de CO2 par les plantes.
« Une augmentation relative de 4 pour mille par an des stocks de matière organique des sols suffirait à compenser l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre de la planète. Inversement, une diminution relative de 4 pour mille doublerait nos émissions. » Partant de cette remarque qu’il emprunte à des chercheurs de l’INRA, Stéphane Le Foll, le ministre de l’agriculture, a proposé en janvier 2015 de lancer un grand programme qui pourrait s’appeler « les 4 pour mille ».
Un tel programme de recherche est de nature à contribuer au plan mondial à l’atténuation des changements climatiques, à montrer dans quel sens doivent aller les pratiques agricoles et forestières d’avenir et renforce les appels dans ce sens de la FAO.

Selon le schéma [1] diffusé par le GIEC, le stock de carbone dans les sols au niveau planétaire aujourd’hui est estimé entre 1 500 et 2 400 PgC (Petagramme de carbone = 1015 grammes de carbone). En prenant en compte la part considérable de ce carbone stocké dans les 40 premiers centimètres des sols, et les échanges de carbone entre les divers compartiments, l’INRA a ainsi calculé qu’un accroissement de 4‰ de ces stocks suffirait pour absorber les émissions anthropiques de CO2 nettes des puits actuels océanique et de la végétation terrestre.

Cependant, le stock de carbone des sols estimé dans le schéma du GIEC n’inclut pas le carbone, notamment sous forme de méthane, séquestré dans les sols gelés en permanence dans les terres du Nord (Russie, Europe, Amérique). Le réchauffement climatique pourrait au contraire libérer ce carbone sous forme de méthane, puissant gaz à effet de serre. Pour ce qui est de notre pays, le même ratio, 4/1000 de séquestration annuelle supplémentaire de carbone des sols ne représenterait au mieux que 10 % des émissions de GES de la France. Mais, réduire de 10 % les émissions de GES françaises en augmentant le stock de carbone stocké dans les sols du pays ne serait pas négligeable à l’heure où l’ambition déclarée est de diviser par 4 ces émissions à l’horizon 2050.
Un rapport du CGAAER (Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux)] sur « Les contributions possibles du secteur de l’agriculture et de la forêt à la lutte contre le changement climatique » s’intéresse à l’ensemble des moyens et potentiels d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre (GES) à travers le secteur des terres. Les actions qui y contribuent ont aussi des effets positifs sur plusieurs autres externalités environnementales, sociales et économiques. Pour l’essentiel, cet article s’appuie sur des documents et chiffres référencés dans ce rapport. A ce titre, certaines ont été évoquées à l’occasion de l’audition publique, ouverte à la presse, sur la « La stratégie pour la biomasse en France : un pas vers la bioéconomie ? », organisée par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), jeudi 25 juin 2015.

Le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD terre solidaire) invite toutefois à la vigilance à l’égard des dérives que ces programmes sont susceptibles d’entraîner : … « Les initiatives telles que la Climate Smart Agriculture ou encore le 4 pour 1000 s’inscrivent, en effet, dans l’esprit de produire toujours plus et de séquestrer plus de carbone. Les conséquences sont l’accaparement de terres, les OGM et autres pratiques relevant du business qui nuisent à l’environnement et aux droits fondamentaux des populations. Les terres deviennent alors de simples « puits et réservoirs de carbone », des calculettes à carbone ! La porte est ouverte à une financiarisation accrue de la nature et permet de dédouaner les plus grands pollueurs qui au lieu de réduire leurs émissions du carbone, iront séquestrer du carbone, en particulier dans les pays du Sud ».

 Émissions de GES du secteur des terres en France

La France compte 30 Mha de terres agricoles, qui stockent environ 50 tonnes de carbone (tC) par hectare/ha, soit l’équivalent de 200 tCO2/ha ; soit une séquestration dans les sols agricoles français d’environ 6 milliards de tonnes de CO2. A noter que ces stocks se renouvellent environ sur 20 ans.

La forêt couvre 15 Mha qui stockent environ 80 tC/ha, soit environ 300 tCO2/ha, soit une séquestration dans les sols forestiers d’environ 5 GtCO2. Les sols français, agricoles et forestiers, séquestrent environ 10 GtCO2.4/1000 de ces 10 GtCO2 = 40 MtCO2. Une augmentation de 4/1000 du stock annuel de carbone dans l’ensemble des sols agricoles et forestiers de France représenterait au mieux, 10 % des émissions françaises annuelles de CO2. Mais, ne serait en pratique accessible qu’une partie de ce pourcentage du fait que certains espaces naturels et forestiers ont déjà des destinations de protection (zones protégées, forêts de montagne et de protection, …)
L’inventaire national des émissions de GES retient pour l’agriculture et la forêt :

  • En France, les émissions annuelles directes de GES du compartiment « agriculture » représentent 18 % des émissions totales du pays, soit 89,7 MtCO2eq/an (million de tonnes d’équivalent gaz carbonique par an) principalement sous forme de CH4 (lié surtout à l’élevage), et de N2O (lié notamment à la fertilisation azotée).
  • Si l’on retranche à ce bilan l’effet bénéfique du stockage de carbone dans les forêts et les prairies, et si l’on compte, à l’inverse, le relargage de carbone dû aux mises en cultures (retournement de prairies…) ou à l’artificialisation des terres agricoles, il se trouve que le secteur des terres élargi ne représente plus alors qu’une émission « nette » de GES réduite de moitié, à 46,4 MtCO2eq/an, soit 10 % du total national des émissions de GES.
  • Néanmoins, ces pourcentages ne font référence qu’aux émissions de GES directes – liées à l’activité agricole au sens restreint. Or les cultures intensives recourent à l’incorporation de grandes quantités d’intrants dont la fabrication a occasionné d’importantes émissions de GES ; c’est le cas particulièrement des engrais minéraux azotés. Ainsi l’étude Solagro [2] indique que « la part des émissions totales de GES dans les grandes cultures dues à la fertilisation minérale azotée est de 80% ». Pour ces grandes cultures il conviendrait donc pratiquement de doubler les quantités de GES directes pour évaluer leurs émissions totales. Le même phénomène s’observe dans les élevages intensifs recourant massivement à des aliments préparés industriellement qui proviennent de ces grandes cultures en France ou en Amérique latine.
    Ces chiffres d’ensemble peuvent être complétés :
  • L’agriculture, outre les émissions directes et indirectes citées précédemment, émet des GES parce qu’elle déstocke beaucoup de carbone dans le retournement des prairies (25,6 MtCO2eq/an), et ceci plus qu’elle n’en absorbe et n’en stocke en tant que puits (11,8 MtCO2eq/an). On mesure donc l’importance majeure du maintien des prairies et de l’élevage à l’herbe.
  • L’agriculture procure des bioproduits (dont les biocarburants et les bioressources de la chimie du végétal) permettant d’éviter par substitution l’émission de 6 à 8 MtCO2eq/an.
  • La forêt stocke du carbone dans les arbres et dans les produits du bois à l’aval (74 MtCO2eq/an).
  • La forêt contribue à substituer des matériaux, des molécules ou des énergies aux produits fossiles (55 MtCO2eq/an). Le rôle majeur du stockage et de la substitution d’usages tout au long de la filière bois est donc remarquable, au-delà même de l’importance du stock transitoire initial de carbone en forêt. Et ce rôle climatique de la filière forêt-bois est d’autant plus important que la cascade d’usages successifs de ses produits sera la plus longue possible, recyclage compris, avec si possible une valorisation énergétique durable en fin de vie.
    Retenons également qu’il est indispensable de disposer d’un pilotage global des contributions climatiques de l’ensemble “agriculture, forêt et sols” et d’un système de rapportage spécifique pour pouvoir définir des programmes d’action cohérents.

 Potentiels d’atténuation et leviers d’action

Quelques équivalences en matière de production d’énergie par la biomasse sont utiles pour appréhender les ordres de grandeur dont il est question.

  • 1 tep (tonne équivalent pétrole) correspond à l’émission d’environ 4 tonnes de CO2 ou 1 tonne de carbone.
  • 1 tonne de matière végétale « fraîche » ou 1 m3 de biomasse cellulosique (bois ou paille) représente la séquestration de 1 tonne de CO2 et 3 MWh pci (pouvoir calorifique inférieur) de potentiel énergétique primaire.
  • 1 tep demande 4 m3 ou 4 tonnes « fraîches » de biomasse cellulosique (bois ou paille), ou 6 tonnes de bio-déchets organiques « humides ».
  • 1 ha de cultures ou plantations cellulosiques « efficaces » produit, chaque année, 12 tonnes de matière sèche (soit environ 20m3/ha/an, ou 20 tonnes de matière « fraîches »/ha/an qui séquestrent 20 tonnes de CO2 évitables) et représentent une énergie primaire de 5 tep/ha/an soit 58 Mwh/ha/an.

La plupart des actions qui suivent procurent des co-bénéfices environnementaux (biodiversité, bon fonctionnement du sol, filtration de l’eau...), économiques et sociaux en termes d’emplois verts au moins aussi intéressants que les réductions d’émission de GES :

  • Les changements de pratiques et de systèmes de culture : réduction des émissions de méthane issues des élevages ; stockage additionnel de carbone notamment par le semis direct et les différentes formes d’agro-foresterie ; l’usage raisonné des engrais et pesticides [3] , le recours préférentiel à l’azote organique et le développement des légumineuses ; l’ensemble pouvant représenter à l’horizon 2030 un ordre de grandeur de 12 à 15 MtCO2eq/an.
  • L’augmentation du rôle de la forêt : la filière bois pourrait représenter un gain potentiel d’émissions d’environ 25 à 30 MtCO2eq/an en substitution à l’horizon 2030 et de 3 à 5 MtCO2eq/an en stockage.
  • La réduction du déstockage lié à la perte de prairies et à l’artificialisation des sols : une diminution rapide, et au moins de 50 % à terme, du rythme annuel de retournement des prairies et d’artificialisation des terres permettrait un gain de l’ordre de 8 à 10 MtCO2eq/an en 2030. La réduction de l’étalement urbain permettrait en outre des gains additionnels d’émissions importants dans d’autres secteurs (transport…).

 Réduire le gaspillage alimentaire

En marge des politiques concernant directement l’agriculture et la forêt, mais de façon non marginale sur divers aspects du bien-être social, il est rappelé que le gaspillage alimentaire tant au stade de la production qu’à celui de la consommation, touche environ 30% de notre production agroalimentaire. Il constitue un levier complémentaire de maîtrise des GES par l’économie des émissions sur toute la chaîne alimentaire. On évalue les économies possibles d’ici 2030 de 8 à 10 MtCO2eq/an pour une réduction de 20 % du gaspillage.

Les pertes et gaspillages alimentaires ne relèvent pas au premier chef des pratiques agricoles et forestières. Cependant, la réduction des productions alimentaires permettrait une utilisation différente des sols et une plus grande disponibilité pour des matières premières bio-sourcées dont les bio-carburants. De surcroît, les politiques pour réduire les pertes et gaspillages alimentaires nécessitent de sensibiliser l’ensemble des acteurs, chacun étant consommateur. Et comme les modes alimentaires ont des effets sanitaires importants, il parait nécessaire d’évoluer vers une meilleure nutrition et une moindre consommation de produits d’origine animale.

Références documentaires :

  • Wikipédia consacre un article au Gaspillage alimentaire
  • Sentiers aborde déjà ce sujet dans plusieurs articles : « Gaspillage et pertes alimentaires » et « Réduire les pertes et gaspillages »
    • Au plan de l’UE, une étude fait référence, réalisée pour la CE en 2010 par Bio Intelligence Service, PREPARATORY STUDY ON FOOD WASTE ACROSS EU 27. Un ensemble de mesures de politiques publiques y sont proposées pour réduire de telles pertes et gaspillages. Dans une résolution adoptée le 19 janvier 2012, le Parlement européen demandait des mesures urgentes en vue de réduire de moitié les gaspillages alimentaires d’ici 2025 et d’améliorer l’accès aux aliments pour les personnes démunies [22].
    • Les chiffres du gaspillage en Europe sont éloquents : dans l’UE27 : 89 millions de tonnes par an (soit 179 kg par habitant) et les prévisions pour 2020 : 126 millions de tonnes (soit une hausse de 40 %). Leur origine : les ménages : 42 % (ici, le gaspillage peut être évité à 60%), l’industrie agroalimentaire : 39 %, les détaillants : 5 %, le secteur de la restauration : 14 % .
  • Le rapport de Guillaume Garot « Lutte contre le gaspillage alimentaire : propositions pour une politique publique », remis le 14 avril 2015 propose un ensemble de mesures. « De 20 à 30 kg de nourriture jetés par chacun de nous en France chaque année, 140 kg par habitant pour l’ensemble de la chaîne alimentaire, soit entre 12 et 20 milliards d’euros gaspillés au total… : la réalité du gaspillage alimentaire est impressionnante. » Ces mots introduisent le rapport Garot. L’Assemblée nationale a adopté le 21 mai plusieurs amendements relatifs à la lutte contre le gaspillage alimentaire, et notamment que les grandes surfaces et les surfaces commerciales de plus de 400 mètres carrés auront désormais l’interdiction de jeter et de détruire des denrées alimentaires, et l’obligation de signer une convention de don avec une association de solidarité agréée. D’autres dispositions établissent une hiérarchie dans la lutte contre le gaspillage, en partant du principe que l’alimentation n’est pas une marchandise comme les autres : d’abord prévenir les pertes et les gaspillages, puis donner plutôt que jeter, en dernier lieu valoriser vers l’alimentation animale, le compost agricole ou la valorisation énergétique.
  • Suite à la censure par le Conseil constitutionnel des mesures (article 103 - titre IV) pour lutter contre le gaspillage alimentaire, une proposition de loi a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblé nationale le 10 décembre 2015. Reprenant l’objectif de la résolution du Parlement européen, elle fixe de diviser par deux les gaspillages et pertes alimentaires à l’horizon 2025.
  • Au plan mondial, la FAO a fait le point : Empreinte Ecologique du Gaspillage Alimentaire, avec les divers documents téléchargeables et notamment : Food wastage footprint - Full-cost accounting. Le gaspillage alimentaire mondial y est estimé à 1,3 Gt de nourriture (près du 1/3 de la production mondiale). Le coût économique est compris entre 750 et 845 milliards de dollars/an. Les émissions de GES liées à ces gaspillages correspondent à 3.8 Gt CO2eq/an, soit 8 % des émissions mondiales. Ces émissions proviennent de la production alimentaire, des décharges, de la déforestation, et de la gestion des sols, liés à aux productions gaspillées. La monétisation des impacts environnementaux de ces gaspillages est estimée à 429 G$US/an. L’ensemble des coûts socio-économiques est estimé à 1 614 G$US/an ce qui met les coûts cachés (externalités) à deux fois les coûts économique et l’ensemble des coûts à 2 460 G$US/an, soit plus de 3 % du PIB mondial.
  • Le document « Mitigation of food wastage - societal costs and benefits  » est également riche d’enseignements. Il comporte notamment une méthode d’évaluation des coûts et gains économiques ainsi que des avantages tirés de la réduction des externalités socio-environnementales négatives. Sept actions précises sont observées et analysées au Kenya (Réfrigérateurs industriels pour le lait), au Royaume Uni (Prévention des déchets alimentaires des ménages), Philippines (Super-Sacs pour le riz), Suisse (Amélioration des machines à trier les carottes), Allemagne (Banques alimentaires), Italie (Surplus des restaurants collectifs pour les banques alimentaires), Australie (Déchets alimentaires pour la nourriture des porcs).
    Une division par deux des pertes et gaspillages alimentaires en Europe permettrait une réduction de 3 à 5 % des émissions de GES européennes, soit, pour la France, une réduction de 15 à 25 MtCO2eq/an et, pour l’Europe, une réduction de 130 à 210 MtCO2eq/an. A ce titre l’objectif minimum devrait être celui retenu par le Parlement européen de diviser par deux ce gaspillage à l’horizon 2025. Les pistes d’action pourraient être :
  • Pour la France, la mise en œuvre effective et complète des mesures proposées par le rapport Garot, et notamment transcrites dans la proposition de loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire.
  • Pour l’UE, la mise en place de mesures similaires, et notamment à celles prônées par l’étude de 2010 de Bio Intelligence Service, alors que la Commission européenne s’en tient pour l’heure à des actions de sensibilisation.
  • De façon plus ambitieuse, il conviendrait d’examiner l’efficacité relative et les articulations des politiques fiscales et sociales. La situation dans les pays (notamment du Nord de l’Europe) où la TVA a un taux unique mérite attention. Associé à un dispositif efficace de banques alimentaires (examen de ce qui est en place aux USA et en Allemagne), il se pourrait que le bilan socio-économique en soit amélioré. Il faudrait évidemment connaître l’élasticité des achats alimentaires par rapport au prix. Une telle piste serait d’autant plus justifiée par rapport aux enjeux de santé et à ceux des émissions de GES liés aux élevages industriels notamment de ruminants.

 Mieux se nourrir

Mal-nutrition Mal-bouffe. Le surpoids et l’obésité menacent au plan mondial. Ils ont été documentés dans une vaste étude publiée en 2014 par The Lancet. L’OMS a publié une alerte en 2015 concernant la région européenne. Le défi de l’obésité dans la Région européenne de l’OMS et les stratégies de lutte indique notamment : « l’obésité pose un défi de santé publique sans précédent en Europe, un défi qui a été non seulement sous-estimé et incorrectement évalué, mais aussi que les autorités n’ont pas pleinement reconnu en tant que problème stratégique aux conséquences économiques non négligeables. [...] Une alimentation inadéquate, la sédentarité, l’obésité qui en résulte et les maladies qui y sont associées engendrent autant de problèmes de santé et de cas de décès prématurés que le tabagisme. La surcharge pondérale affecte 30 à 80 % de la population adulte de la Région européenne de l’OMS et jusqu’à un tiers des enfants. [...] Les taux d’obésité sont en hausse dans pratiquement toutes les régions d’Europe. [...] L’augmentation de l’obésité infantile est sans doute encore plus alarmante  ».
Le surpoids et l’obésité en Europe sont évidemment, au premier chef, une question de santé publique. L’amélioration de la nutrition peut souvent se conjuguer avec une alimentation moins émettrice de GES. Il en va ainsi lorsqu’une partie des déséquilibres nutritionnels provient d’une consommation excessive de viandes rouges et de graisses animales. L’impact des modes alimentaires sur l’environnement et la disponibilité alimentaire mondiale est en effet loin d’être négligeable.

 L’agro-écologie est-elle l’avenir de l’élevage ?

(Source : Séminaire organisé le 20 octobre 2015 par le GIS Elevages Demain)

Une note d’avril 2013, d’« Agreste Conjoncture » titre : (Pour la France,) « L’alimentation animale, principale destination des productions végétales ». Les matières premières utilisées pour la nourriture des aliments de ferme dépassent, sur la période 2007-2009, cent millions de tonnes par an. Les fourrages grossiers en constituent la plus grande partie. Ils sont la nourriture de base des herbivores. Pour ceux-ci, les aliments concentrés ne sont qu’un apport supplémentaire alors qu’ils constituent l’ensemble de l’alimentation des porcs et des volailles. Parmi les aliments concentrés, les céréales arrivent en tête, suivies par les tourteaux. Plus de la moitié de l’alimentation concentrée est incorporée dans les aliments composés industriels, le reste étant acheté ou produit à la ferme. En termes de surface, l’alimentation animale mobilise en France 14 millions d’hectares de cultures fourragères et 4 millions de céréales, oléagineux, protéagineux, représentant respectivement 50 % et 14 % des surfaces agricoles françaises.

Il faut dire qu’en 2013, la FAO appelait à lutter contre les changements climatiques via l’élevage. Son rapport « Tackling climate change through livestock » fournit une évaluation mondiale des émissions de gaz à effet de serre et des opportunités de réduction.

Dans son scénario soutenable pour l’agriculture et l’utilisation des terres en France à l’horizon 2050, l’ONG Solagro appelle à trouver un nouvel équilibre entre protéines animales et végétales dans la diète humaine. Elle souligne : « Les protéines animales représentent 62 % de nos apports en protéines.
Cette situation est lourde de conséquences sur l’utilisation des sols et l’émission de gaz à effet de serre. En effet, 80 % des surfaces agricoles en France sont utilisées pour l’alimentation animale dont 35 % seulement provient des prairies permanentes. Les prairies sont valorisées par les ruminants, forts émetteurs de gaz à effet de serre. Le reste (hors sous-produits comme les tourteaux ou le son) de la production est en concurrence directe avec l’alimentation humaine ou d’autres productions. Il faut de 2 à 10 kg d’aliments pour produire 1kg de viande. »

Ces considérations, tant sanitaires qu’économiques et vis-à-vis des enjeux climatiques, incitent à réduire la part des produits animaux dans la diète quotidienne et à aller vers un élevage écologique. C’est pourquoi The Shift Project estime qu’il conviendrait de réduire le troupeau bovin européen de moitié. Le seul gain climatique pourrait être d’environ 100 MtCO2eq/an à l’échelle européenne soit autour de 2 % des émissions de l’Union.

Interrompre l’artificialisation des sols et préserver les prairies
Le rapport du CGAAER (p. 21 à 23) examine les émissions correspondant à l’artificialisation des sols et les potentiels d’atténuation que recèle la préservation des prairies.
La conservation des terres agricoles, forestières et naturelles vise d’abord d’autres objectifs : sécurité alimentaire, espaces naturels, biodiversité, paysages. Aujourd’hui s’ajoute l’atténuation des émissions de GES par les sols.
Au niveau français, il serait possible de viser un objectif de réduction de 1/3 des émissions directes actuelles du poste « changement d’utilisation des terres » (soit actuellement un total de 27,8 MtCO2/an), abattement correspondant à une réduction rapide et au moins de 50 % à terme, du rythme des surfaces qui sont artificialisées ou des prairies qui sont retournées. Notons que l’objectif de réduction de moitié du rythme d’artificialisation des terres est retenu par l’exercice de France Stratégie : « Quelle France dans 10 ans ? » On pourrait donc proposer un potentiel d’atténuation de l’ordre de 8 à 10 MtCO2/an à l’horizon 2030 pour la France. On peut en outre supposer qu’une réduction de l’artificialisation des sols sera corrélée à d’autres effets positifs : réduction de l’étalement urbain (impacts sur les transports, la consommation d’énergie…), sécurité alimentaire confortée, moindres importations de produits agricoles avec leurs effets d’émission de GES dans les pays producteurs lointains.

 Développer l’agro-écologie

L’INRA, dans une étude de 2013 sur « Quelle contribution de l’agriculture française à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ? » identifie une dizaine d’actions. Le rapport du CGAAER en reprend les principaux éléments dans la section : Une agriculture productive, sobre, résiliente et diversifiée (p. 23 — 30). Les actions d’atténuation concernent :

  • L’élevage
    • Rechercher plus d’autonomie dans l’alimentation des troupeaux,
    • Réduire les émissions de méthane par unité de produit d’origine animale (viande et lait),
    • Promouvoir des modes de gestion des effluents plus économes en émissions de CH4 et de N2O,
    • Améliorer l’autonomie énergétique des exploitations, en imaginant la réalisation possible, à terme, d’une « ferme d’élevage à énergie positive » ;

Les réductions d’émissions de GES de l’élevage sont évidemment différente selon les pays, cependant, il semble que les potentiels soient important globalement puisque, selon la FAO « Les émissions de gaz à effet de serre produites par l’élevage pourraient être réduites de 30 pour cent. »

  • La gestion de la fertilisation dans les systèmes de culture :
    • Optimiser les apports d’azote sous forme minérale,
    • Mieux utiliser l’azote organique pour réduire le recours aux engrais minéraux de synthèse,
    • Renforcer l’utilisation de légumineuses dans les rotations en grande culture et dans les prairies,
    • L’utilisation de techniques innovantes,
    • L’amélioration génétique,
  • La sobriété énergétique pour réduire les émissions de CO2 ;
  • L’amélioration de la séquestration de carbone dans le sol et les systèmes de culture :
    • Développer des techniques de travail simplifié du sol,
    • Développer des haies en périphérie de parcelles ainsi que les différentes formes d’ agro-foresterie,
    • Développer des cultures intermédiaires,
    • Optimiser la gestion des prairies,

Si on tient compte de ces différents facteurs, il parait raisonnable de retenir un potentiel réaliste d’atténuation par l’amélioration des pratiques agricoles de 10 à 15 MtCO2/an d’ici 2030.
On manque encore d’éléments chiffrés détaillés pour chaque pays, mais la FAO met en place un système statistique qui commence à apporter des précisions et permet de constater une augmentation des émissions de gaz à effet de serre dans l’agriculture.

 Avec le vivant, dès à présent et après-demain

Deux approches complètent l’ensemble de ces considérations :

  • Guillaume Benoit plaide pour un futur brillant pour l’agriculture.
  • Solagro, déjà mentionné, a développé un scénario pour 2050. La biosphère qui assure la satisfaction des besoins essentiels des êtres humains pâtit aujourd’hui de notre nombre et de nos activités. L’intelligence du vivant et l’attention que nous lui prêterons sont des instruments indispensables pour relever les défis qui font face à l’humanité.

Le secteur des terres : solution au problème du dérèglement climatique ?

La forêt et les sols (autrement dit le « secteur des terres »), résume Guillaume Benoit, sont une partie essentielle de la solution à la crise climatique grâce notamment aux progrès possibles en matière de stockage de carbone et de substitution. Alors que de nombreux sols sont dégradés et que l’agriculture et la sécurité alimentaire sont menacées par le dérèglement climatique, au risque déjà bien perceptible de migrations et d’instabilités de grande ampleur, des solutions existent. Ces solutions laissent voir (notamment en Afrique) les voies possibles d’un développement durable. Leur généralisation présuppose cependant de reprendre conscience de l’importance stratégique des ressources rurales, de la nécessité de faire de la sécurité alimentaire un objectif central , de mieux gérer et de mieux valoriser l’eau, les sols et la forêt, de chiffrer les progrès possibles du secteur des terres et de financer et réussir le développement. Or, la négociation climatique, pour réussir, devra justement intégrer tous ces enjeux [4]. C’est précisément en Afrique qu’il puise les illustrations les plus marquantes de ce qu’il est possible d’obtenir.

A partir d’une analyse large et globale, Guillaume Benoit suggère de réconcilier la sécurité alimentaire et la lutte contre le changement climatique et il précise les conditions d’un progrès à grande échelle. Il plaide notamment, sur la base de chiffrages du GIEC et de propositions du WRI (World ressource institute) pour le développement des subventions pour services environnementaux, l’inverse en quelque sorte de la mise en place de taxes ou redevances pour externalités environnementales négatives, telles que les émissions de GES. Il serait temps d’y arriver ! Pour l’Europe, les discussions préliminaires à la PAC 2020 vont bientôt débuter.

Afterres2050 : Changer notre modèle agricole et alimentaire !

Afterres2050 est le scénario développé par Solagro. Il vise à ouvrir le débat de l’évolution de notre système agricole sur des bases robustes. Il donne une image d’un futur où il est possible de nourrir correctement, en quantité et qualité, la population française et quelques pays voisins en 2050, tout en :

  • divisant par 2 (voire 3 selon les variantes), les émissions de gaz à effet de serre, améliorant très significativement la qualité de l’environnement grâce à une division par 3 de la pression en pesticides et une division par 3 des consommations d’engrais chimiques,
  • stabilisant la consommation d’eau, avec toutefois une réduction très marquée des besoins d’eau pour l’irrigation des cultures d’été. Elles ont été progressivement remplacées par des cultures à la fois moins gourmandes en eau et plus en cohérence avec un régime alimentaire moins riche en viande et en lait. Certes les surfaces irriguées augmentent, mais il s’agit de surfaces dédiées aux cultures de printemps...Au final, la consommation globale d’eau sur l’année reste à un niveau comparable à celui d’aujourd’hui.

Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[1Le GIEC, en 2014, dans le troisième volume du rapport d’évaluation, consacré aux politiques et mesures de mitigation, réserve une section, p. 86-89, au secteur « AFOLU » de l’agriculture, de la forêt et de l’utilisation des terres.

[2Solagro.fr

[3On peut souligner que, malgré un usage toujours croissant de ceux-ci les rendements des grandes cultures n’augmentent plus en France depuis le milieu des années 1990 pour l’orge, le blé et le maïs. Ceux du colza plafonnent depuis le milieu des années 1980 et ceux du tournesol depuis la fin des années 1970

[4Article publié dans la revue des Annales des Mines - Responsabilité & Environnement - N° 80 - Octobre 2015 - Changer avec le climat

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* Gaspillage Alimentaire : Voir dans l’article le paragraphe - Références documentaires

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