Les Dialogues du Développement Durable
Renouveau des espaces de concertation et des processus démocratiques au sein des conférences internationales ?
Résumé
Aucun sommet ne saurait être réduit à une déclaration. Celui de Rio+20 est surtout intéressant pour le nombre de processus qu’il lance. Les processus sont dynamiques et dépendent autant des acteurs, et des calendriers que de la portée qu’on veut leur donner. Les dynamiques qui ont émergé à Rio s’inscrivent dans une vision reliant étroitement environnement et développement. Les trajectoires pour un « avenir que nous voulons » prennent néanmoins des voies très différentes. Il n’y a pas de vision partagée des voies de développement futures. Les Etats sont dans la peur d’innover et les citoyens sont invités pour leur capacité à imaginer, mais la déconnection demeure et les Conférences ne parviennent pas à susciter l’intérêt des médias et des citoyens. Les visions du futur sont restées dans le processus de Rio, un impensé politique. Les Nations Unies avaient inscrit à l’ordre du jour de la conférence une réforme sur leur mode de gouvernance : les Dialogues du Développement Durable qui se sont tenus à Rio du 16 au 19 juin 2013 illustrent de nouveaux champs de concertation, mais aussi des limites. C’est sur cette innovation participative que nous souhaitons revenir, car elle mériterait d’être renouvelée, pour les signes de changement et de démocratisation qu’elle matérialise. « Plus de conférence internationale sans dialogue avec la société civile organisé de ce type » concluait le ministre brésilien des Relations extérieures Antonio Patriota.
Auteur·e
Diplômée de l’Ecole Supérieure de Commerce de Rouen en 1999, puis formée en urbanisme et environnement au Conservatoire National des Arts et Métiers (2003) et aux relations extérieures de l’Union Européenne (2006) à l’Université Libre de Bruxelles. A été représentante de la Polynésie française auprès de l’Union Européenne de 2005 à 2010.
Elle est déléguée générale de l’association 4D depuis 2010 et anime depuis 2015, le projet OurLife21 initié par 4D pour stimuler les Objectifs de développement durable (ODD) et l’Accord de Paris dans le quotidien des gens.
Elle est vice-Présidente de ‘Climate Chance’, réseau des acteurs non étatiques engagés pour le climat.
Depuis la Conférence de Rio de 1992, le monde a profondément changé.
S’impose la nécessité d’une gestion commune de la planète au regard de la justice sociale, du changement climatique, de la biodiversité et, plus généralement, de l’accès aux ressources et leur préservation. Il ne s’agit pas seulement de faire référence au réchauffement, à l’insécurité alimentaire ou à la perte de biodiversité comme facteurs de retard dans les politiques de développement, en contournant l’analyse des raisons réelles. Ces enjeux sont au contraire les résultats de politiques non soutenables qui ont aggravé les risques que les populations devront supporter tant que la durabilité ne sera pas transcrite dans ces composantes économiques, sociales et environnementales.
Le renouveau de la place du processus démocratique s’impose dans cette nouvelle gestion du monde.
Le besoin de transparence, de redevabilité, dans un contexte de grande méfiance vis-à-vis des institutions, conduit à vouloir proposer de nouveaux mécanismes de gouvernance - y compris dans les enceintes multilatérales. Il nécessite de nouvelles politiques et pratiques de démocratie participative, effectives à travers la création d’espaces de dialogue public et de débat sur les visions d’avenir, les choix scientifiques et techniques, les outils de mise en œuvre, etc. C’est un moyen de rehausser le niveau des échanges et de pousser les institutions à répondre aux parties prenantes, à intégrer des processus ascendants, à mesurer, communiquer, évaluer... D’autant plus que l’expertise et la connaissance des résultats de l’action se trouvent de plus en plus en dehors des institutions. La reconnaissance des acteurs de la société civile au sein de l’ONU, dans divers dispositifs de consultation participe à ce renouveau.
Dans le contexte actuel du multilatéralisme, où les Etats restent en retrait ou braqués sur des positions historiques, il apparait nécessaire d’accroitre les actions et initiatives des acteurs non étatiques. Rio+20 a été l’occasion d’une innovation intéressante : les Dialogues pour le Développement Durable. Lancés en amont de Rio+20, ils se sont tenus pendant 4 jours à Rio, du 16 au 19 juin 2012, et furent l’occasion de débats ouverts, tournés vers l’action.
Les thèmes des Dialogues pour le Développement Durable de Rio 2012
C’est à l’initiative du gouvernement brésilien, soutenu par l’équipe de la Coordination exécutive de la Conférence (Brice Lalonde, et al.), et avec l’appui du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), que les 4 jours précédents la phase finale de haut niveau de la Conférence, ont été consacrés à un débat avec la société civile. Les Dialogues pour le Développement Durable avaient pour objectif d’échanger sur des thématiques clés du développement durable :
- ) le développement durable pour lutter contre la pauvreté,
- ) le développement durable comme réponse aux crises économiques et financières,
- ) le taux de chômage, le travail décent et les migrations,
- ) l’économie de développement durable, y compris des modes durables de production et de consommation,
- ) les forêts,
- ) la sécurité alimentaire et la nutrition,
- ) l’énergie durable pour tous,
- ) l’eau,
- ) les villes durables et l’innovation,
- ) les océans.
Méthodologie et légitimité d’une parole de la société civile
Une consultation mondiale sur internet
Le processus fut le suivant : un site internet mis en ligne au printemps a permis à la société civile de déposer ses recommandations sur chacune des thématiques sélectionnées. Chacune des thématiques était modérée par trois universitaires issus de 30 Universités choisies pour leur réputation mondiale, du Nord, du Sud et du Brésil (10 chacune). Dans un second temps les internautes étaient invités à voter pour les propositions consolidées et reformulées, qu’ils jugeaient prioritaires. Près de 63 000 personnes des différentes régions du monde ont ainsi apporté leurs contributions ou voté sur la plateforme. Dix recommandations pour chaque thème furent ensuite extraites. Cette phase s’est déroulée sur trois mois avant la Conférence de Rio.
Mise en débat lors de la Conférence à Rio des 16 au 19 juin
Les cent recommandations ont été mises au cœur des 10 tables rondes thématiques lors des Dialogues pour le Développement Durable, avec un panel d’intervenants (secteurs économique, académique, ONG…). A l’issue des débats trois recommandations par thème - 30 au total - furent finalement retenues pour être portées aux chefs d’Etat lors de la Conférence officielle. Cette étape du processus a permis de mettre en avant des priorités citoyennes.
L’enjeu des calendriers et l’échec d’une contribution citoyenne pour la Déclaration finale
Toutefois, il ne s’agissait que de « faire des recommandations ». En outre, le texte de la Déclaration ayant été officiellement finalisé le 19 juin, et donc avant même que les conclusions des Dialogues pour le Développement Durable ne soient tirées, les contenus proposés n’ont en rien infléchi les dernières discussions ni la Déclaration. Chaque table ronde avait nommé un rapporteur qui a pu présenter en séance plénière les résultats. Ces recommandations sont reprises dans le compte rendu officiel de la Conférence sous le chapitre « Table ronde de haut niveau, forum de partenariats »… Une façon de garder trace de ces consultations. Les Dialogues disposent ainsi d’un potentiel institutionnel plus important que de nombreux « side events », qui se greffent traditionnellement sur les conférences, ou que l’organisation du Forum parallèle de la société civile.
Un potentiel d’innovation de démocratisation
Bousculant les inquiétudes organisatrices et les habitudes des négociateurs, le Brésil a lancé une innovation institutionnelle. Les Dialogues ont été conçus comme un pont entre deux processus, celui des diplomates et celui de la société civile. Ils constituent une tentative concrète de créer à l’intérieur du processus officiel un espace légitime de dialogue ouvert. La qualité de ces dialogues était réelle, la participation plurielle et nombreuse.
Demeurent des freins tout aussi tangibles pour apprécier l’ouverture que constituent ces dialogues. Plusieurs facteurs – annonces tardives, « règles du jeu » incomprises au démarrage des consultations, accès limités aux tables rondes, distance entre les évènements à Rio – ont limité la portée du processus participatif. Le portage brésilien étant essentiellement celui de la présidence du gouvernement avait aussi dissuadé ONG et syndicats etc… à relayer au sein de leurs réseaux. La co-construction est aussi amont.
Trois étapes des Dialogues, trois temps forts de mobilisation
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Du débat d’experts à la reconnaissance de l’expertise citoyenne ?
Les Dialogues ont finalement produit 30 recommandations qui ont été transmises aux chefs d’Etat et de gouvernement lors du Sommet. Il a été souhaité que ces recommandations aient une vie propre dans le cadre du partenariat de l’ONU et de la société civile, éventuellement grâce au Forum politique de haut niveau du développement durable, qui succède à la Commission du développement durable.
Les premières propositions votées par internet ont été affinées et un peu plus structurées par les échanges et votes lors des tables rondes. Tout au long du processus de Rio+20, des phases de consultations (l’étape la plus notable fut sans doute celle du 1er novembre 2011, pour le « zero draft », qui deviendra la Déclaration avec 500 contributions de la société civile) jusqu’au processus des Dialogues, la société civile a montré qu’elle était consciente des changements à opérer au 21e siècle et prête à y faire face. Il y a eu des consensus politiques sur la pauvreté à combattre, les inégalités à réduire, la protection de l’environnement à garantir… Il y a surtout eu des propositions, que les votes incluant d’autres acteurs ont conforté : la suppression des subventions néfastes aux combustibles fossiles, la mise en place de régimes fiscaux verts, le renforcement des capacités des individus et l’implication plus forte de la société et des peuples, la mise en place d’objectifs de développement durable mesurables et chiffrables, l’accès à l’eau, la préservation des sols…
La société civile et le monde économique se sont manifestés à Rio dans différents espaces organisés par les mouvements sociaux, le monde académique, les collectivités, les entreprises… Mais à travers ces Dialogues, c’est le fruit d’une consultation de masse et multi-horizons (qu’il s’agisse de la nature des acteurs ou des pays…) qui renforce un signal adressé aux Etats. La société civile est prête à s’engager, mais les Etats membres, dans les capacités des Nations unies, restent sourds aux attentes exprimées, aux urgences des enjeux… à tout objectifs « transformationnels ».
Cette expérience peut servir de leviers de transformation et donner du poids aux propositions d’une société civile mondialement interconnectée dans les Conférences internationales qui jalonnent la gouvernance internationale. Nous faisons en effet l’hypothèse que ces Dialogues ont amorcé une modernisation par le nombre de personnes associées, par la structuration de propositions, par la place donnée aux débats contradictoires et sont une voie d’innovation pour palier à cette insuffisance fondamentale de démocratisation des enjeux de développement durable. Ils demeurent un outil, donc ne se suffisent pas eux même. Mais témoignent d’une avancée possible au sein de l’ONU.
Limites et danger
Toutefois, les propositions n’ont pas été retenues dans la Déclaration finale, ou ont été reprises dans les principes mais appauvries quant à leur visée opérationnelle (ni date, ni données…). La transformation va au-delà de l’outil et l’expérience de Rio en 2012 montre les handicaps à dépasser. Il faut en effet revenir sur les temporalités, la difficile appropriation de la démarche par les acteurs ciblés et la composition des panels asymétrique :
- Le processus a été mis en place 2 mois seulement avant le début de la conférence officielle, de manière complexe et peu visible. Il a en effet fallu que les organisateurs tentent un tour de force technique et politique, en mobilisant les équipes du ministère des affaires étrangères brésilien et du PNUD pour que ces Dialogues prennent finalement vie. Ce rythme et cet aval politique trop tardif ont été préjudiciables, compte tenu de l’échelle de la consultation, aux temps de compréhension, de diffusion et de mise en cohérence des travaux propositionnels engagés par ailleurs ;
- La communication s’est faite par des canaux de diffusion hétérogènes selon les régions et les 9 groupes majeurs [1] . Une communication ciblée vers la société civile doit aller au-delà des groupes majeurs et tenir compte des déséquilibres, en termes de capacité et représentativité entre les différentes parties prenantes. Un dispositif participatif de grande ampleur repose sur l’accessibilité et la lisibilité du débat ;
- Il s’agissait d’un processus perçu comme venant du haut, sans élaboration du dispositif avec la société civile, ce qu’aurait pu éviter la mise en place d’un comité de pilotage représentatif des parties prenantes. Une proposition avait été faite en ce sens à l’initiative de la coordination exécutive et de la société civile brésilienne, mais n’a pas abouti. Des contacts permanents ont cependant été maintenus afin de tenir compte des suggestions et d’assurer l’acceptabilité du processus. Ces aléas à la co-construction n’ont pas favorisé l’adhésion multi partenaires et ont ravivé des critiques envers des déséquilibres de participation ;
- Internet n’est pas encore appréhendé dans tous ces nouveaux usages par els institutions, ni en cohérence avec les autres outils et espaces de mobilisation traditionnels. Rio+20 était une conférence « zéro papier ». L’utilisation des réseaux sociaux restent néanmoins adaptée à l’émergence de nombreux mouvements, à l’attention portée à la jeunesse, à l’interactivité et à l’étendue des relations d’une autre gouvernance mondiale. Les sites collaboratifs et réseaux sociaux ont été largement utilisés pour des consultations ou des campagnes de sensibilisations.
- L’articulation entre les évènements « in situ » et la consultation virtuelle peut constituer un levier important pour identifier les thématiques pour lesquelles les acteurs de terrain et citoyens se sentent concernés. Il demeure en effet un effort à faire pour mobiliser l’opinion publique et les media, celui de de traduire les enjeux des conférences internationales en termes d’impacts, bénéfices ou contraintes, et alimenter des récits et visions partagés par les citoyens… D’autre part, la traduction de visions en termes quantitatifs et normatifs, peut donner à voir la faisabilité et la cohérence des impacts des décisions ; on voit d’ailleurs depuis 2012 une appétence des gouvernements, experts ou sociétés civiles pour les récits et scénario.
- La composition et les modes de participation doivent être clairs : en l’occurrence, d’abord restreints, les dialogues furent ensuite ouverts à tous et à toutes organisations sans limitation, ce qui a engendré une certaine confusion sur les possibilités de participation. En fait les organisateurs devaient négocier à tout moment avec l’administration de la Conférence déléguée par le Brésil aux services de l’ONU et dont la principale préoccupation était celle de la sécurité de la conférence officielle. En parallèle, la coordination exécutive faisait son possible pour maintenir vivant, jusqu’à la dernière minute, le schéma prévu de transmission des recommandations dans le réceptacle officiel de la Conférence. La fin des négociations la veille des dialogues en a décidé autrement.
Groupes majeurs, sociétés civiles et opinion publique : quelle ambition démocratique ?
La relation des Nations Unies avec la société civile et les autres parties prenantes est organisée depuis 1992 à travers neuf groupes majeurs : ONG, syndicats, peuples indigènes, femmes, scientifiques, agriculteurs, villes et collectivités locales, entreprises, et jeunesse. Cette structure, si elle a permis un renforcement de capacités pour les représentants des groupes majeurs, ne peut plus se prévaloir de représenter la diversité des sociétés civiles en marche pour le développement durable. L’appellation « société civile » recouvre un ensemble hétéroclite d’organisations, de mouvements et de mobilisations, ainsi que d’enjeux et de thématiques dont il faut tenir compte. Elle ne reflète pas les asymétries de pouvoirs entre groupes majeurs, asymétries qui existent aussi au sein d’un même groupe. Ce fonctionnement fait parfois obstacle à un dialogue organisé qui s’adresse plus largement aux citoyens, aux personnes ou organisations « à la base ». Il faut distinguer les composantes de cette société civile du fait de leurs différentes natures, de leur rôle et de possibles oppositions d’intérêt.
Le dispositif des Dialogues de Rio a l’avantage de cibler un plus grand nombre et répond déjà à cette distance physique entre les institutions et les acteurs dans leur quotidien. L’outil technologique et le traitement des données organisent une mise en réseau et permettent une lecture des réponses qui s’apparentent finalement davantage à une enquête d’opinion publique à l’échelle mondiale. L’outil est en effet paramétré pour donner une expression simplifié à des enjeux complexes. L’enquête associée aux débats donne un état des lieux et des propositions qu’expriment des citoyens sensibilisés.
L’expérience de dialogues locaux « One future, one planet » à l’Ile Maurice. Les grands engagements internationaux resteraient lettre morte s’ils n’étaient incarnés au niveau local. L’approche territoriale, jusqu’à la plus grande proximité avec les citoyens participe au succès de la mise en œuvre. La concertation en amont des engagements mondiaux devient alors gage de résultat. Tout l’enjeu est cette communicabilité entre les citoyens et institutions, les niveaux nationaux et internationaux. L’expérience de dialogues conduits à l’Ile Maurice est intéressante. Ils font partie d’une dynamique plus large nommée « Global dialogue », lancée en amont de Rio+20, dans 7 pays, faisant la promotion d’une méthode originale pour mobiliser sur ces enjeux mondiaux. Tout d’abord, interpeler sur le terrain le grand public, des étudiants et scolaires, des entreprises ou fondations. Puis permettre d’être attractif et compréhensible grâce à une « mise en vision ». L’objectif est de faire émerger des visions du territoire futur emportant l’adhésion, qui répondent aux enjeux de demain et parlent à chacun. Ces récits d’avenir peuvent raconter des actions concrètes, interroger des modes de vie ou de faire. Les dialogues ont ainsi permis à tout un chacun de se projeter, de se mettre en situation « pour un futur souhaité » par des questions simples qui ont évacué les approches techniques et complexes des discussions Onusienne. A partir des visions élaborées, même lorsqu’elles sont dessinée grossièrement, il devenait plus évident de préciser les chemins pour y arriver et donc les choix ou priorités à entreprendre. Les dialogues de Maurice ont ainsi questionné les technologies, fait émerger des visions systémiques, mis en avant le poids des connaissances, de la culture, du vivre ensemble. La finalité de ces dialogues était de co-construire une contribution dans le process de Rio+20. Les 15 dialogues ont rassemblé 430 personnes entre février et mai 2012. Ils ont servi de catalyseurs pour une réflexion multi-acteurs sur la durabilité de la société, les choix à pousser auprès des politiques. Ils sont l’expression d’une citoyenneté qui se sent concernée. Les participants ont à la fin de chaque dialogue pris des engagements individuels pour contribuer au futur souhaité. Cette initiative était en quelque sorte concurrente à des dialogues organisés par les gouvernements locaux, plus axés eux, sur une société civile d’expertise. Cette démarche dépasse les calendriers de la conférence. Les questions, les apports sont des enjeux de société. Des groupes ont ainsi perduré et sensibilisent encore des citadins, villageois, jeunes et moins jeunes pour un changement vers des sociétés durables. |
La démocratisation indispensable des institutions internationales
Depuis déjà deux décennies les institutions internationales associent la société civile dans le traitement des questions de développement durable ; société civile qui revendique sa capacité à contribuer à l’élaboration des décisions au niveau international mais aussi à les relayer à tous les niveaux pour leur mise en œuvre effective au sein des territoires, des entreprises ou même sur le plan des comportements personnels. C’est une clé pour progresser vers un niveau plus élevé de culture, de solidarité et de civilisation.
La participation de la société civile et les futurs modes à développer ont un premier enjeu pédagogique mais aussi d’équité. La division internationale de la richesse et de l’influence se retrouve aussi dans cette société civile. Les acteurs du Nord y sont mieux structurés, mieux dotés, plus puissants, à l’inverse de ceux du continent africain par exemple. Aussi, au sein d’un même groupe majeur, les effets de compétition, de hiérarchisation, voire de rivalité existent.
Les espaces collectifs connexes permettent aux gens de prendre part au renforcement communautaire, se fondant sur l’ouverture et l’égalité afin de représenter un espace diversifié qui favorise l’entente mutuelle. C’est semble-t’-il le potentiel des concertations, de plus en plus nombreuses à travers internet ou encore le dispositif que nous sommes en train de décrire. En clôture des Dialogues, le Ministre de la présidence brésilienne a souhaité qu’aucune future conférence onusienne ne soit organisée sans associer la société civile grâce aux moyens d’Internet, selon le modèle expérimental proposé par le Brésil.
La mixité des supports entre internet et participation du public
Ces nouveaux moyens amplifient les voix et les opinions des personnes, expertes, associatives ou ordinaires et donnent une expression à une dynamique créatrice en plein essor, que représentent les mouvements et les initiatives à l’échelle locales. Ce dont il est question à l’échelle de la planète, c’est de la nécessité de démocratisation de la société civile et de la libéralisation des expressions. Quelque chose de nouveau émerge de la société civile. Au-delà de l’ancienne forme, plus centralisée et orientée vers la législation, une nouvelle dynamique apparaît, plus diffuse et fragmentée, mais aussi plus fluide grâce aux nouveaux réseaux de communication.
MyWorld 2015
L’entreprise SEED qui avait conçu le dispositif de données des Dialogues de Rio mène aujourd’hui une enquête d’opinion publique sur les Objectifs de Développement Durable à l’échelle mondiale appelée MyWorld.
L’enquête est menée dans tous les pays du monde en s’appuyant sur des relais de la société civile (nous ne reviendrons pas sur les typologies déjà présentées, mais ces canaux sont à prendre en compte dans le traitement des résultats de l’enquête). Le nombre de répondants est important (1,3 millions en janvier 2014), ils proviennent de 194 pays et donnent cet effet de masse vis-à-vis des Etats. C’est une photographie intéressante des exigences citoyennes à considérer comme une amorce de concertation pour des décisions co-élaborées. Les répondants en général font le lien entre démocratie participative et qualité de la décision : une bonne décision est, une décision qui respecte l’intérêt général et qui s’adresse aussi à ceux qui n’ont pas l’habitude de prendre la parole.
My World présente aussi un avantage dans le traitement des données. Il montre des divergences et des proximités entre les réponses des internautes des différents pays du Monde. Des analyses qui pourraient questionner les gouvernements dans les négociations ODD et Climat. Le traitement des données montre des clusters de pays (si on prend en compte la manière dont leurs opinions publiques mettent en avant des priorités parmi les ODD), et aussi des séparations entre blocs. L’opinion publique s’invite dans les démarches de négociations.
2015 s’annonce déjà comme une date essentielle pour le développement durable, la plus importante depuis 1992, avec les échéances des Objectifs du Millénaire pour le Développement, du Protocole de Kyoto et la mise en place d’Objectifs de Développement Durable, avec un caractère universel (quantifiables et applicables à tous les pays). Mais c’est dans un contexte de crises que la France se propose d’accueillir les négociations pour le climat en novembre, juste après la conférence sur le post 2015 à New York.
Il apparait essentiel de relier ces grands rendez-vous que représenteront la fin des OMD, le lancement possible des ODD et l’engagement que prendront les Etats sur le climat. Derrière chaque objectif, accord et proposition de mise en œuvre, il y a une cohérence à construire sur les principes de gouvernance, l’universalité des engagements ou encore l’équité. Cette vision planétaire peut sembler très loin quand les crises se vivent sur le terrain, à court terme. Plus encore quand les marges de manœuvres sont amputées et que les réponses attendues par les acteurs sont avant tout pragmatiques. Ces vingt dernières années, sans que le chemin ne soit linéaire, le développement durable s’est construit en rapprochant le global et le local, en nourrissant l’adhésion de chacun à une destinée commune : homme et nature, nord et sud ou encore entre générations. Le risque aujourd’hui des crises qui s’immiscent dans les conférences, n’est pas seulement d’ordre financier, ni le seul repli des Etats, mais il peut voir les distances s’étirer encore et encore dans le dialogue que construisent les parties prenantes pour le développement durable. Nous pouvons être arrivés à un point où le local ne sera plus en capacité de dialoguer avec les acteurs qui travaillent sur ces enjeux mondiaux. A l’inverse, les acteurs impliqués dans les négociations, doivent être déconnectés plus encore de leur base.
Des Dialogues en France en 2015 auraient alors un double objectif
Nourrir l’interface essentielle à la gouvernance mondiale sur la durabilité et le climat d’ici à 2015 et dépasser les agendas de 2015 en s’adressant et impliquant aussi des acteurs de terrain, sur les préoccupations sociales et les mises en œuvre alternatives. Faire ainsi dialoguer le succès des engagements (plan climat, transitions locales, nouvelles économies) avec ceux dont les marges de manœuvres financières, économiques ou politiques demeurent complexes. Entrer dans des débats par le « faire » ou les modes de vie est une façon de les rendre compréhensibles. L’implication des sociétés civiles, la plus large possible est un moyen de rassurer sur les possibilités de changement, de rentrer par d’autres appréciations qualitatives pour des mises en perspectives ouvertes.
Vaia Tuuhia
Cet article a pu être réalisé avec le concours d’Henry de Cazotte (Directeur à l’AFD – conseiller auprès de Brice Lalonde, coordinateur exécutif pour la conférence Rio+20) et Cynthia Mela (chargée de mission AFD)
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Pour faciliter l’accès aux négociations et assurer la représentativité de la société civile, l’ONU a, dans le cadre de l’Agenda 21 de Rio 92, intégré neuf « groupes majeurs » : Organisations Non Gouvernementales, Collectivités locales, Femmes, Enfants et Jeunes, Agriculteurs, Business et Industries, Peuples indigènes, Recherche et Sciences, Syndicats
dans l’encyclopédie
* Serge Depaquit, Développement durable et démocratie ou les opportunités d’une nouvelle alliance., n° 06, juillet 2006
* Georges Mercadal, Vers plus de cohérence entre débat public et développement durable, n° 62, mars 2008
* Jacques Testart, Des conventions de citoyens pour la démocratie, n° 89, avril 2009
* Experience de l’Ile Maurice : http://mu.onefutureoneplanet.org/
* My World2015 :www.myworld2015.org/
- info document (PDF – 595 kio)