Une ville soutenable, cohérente et fluide...
Le meilleur programme économique pour la métropole francilienne ?
Résumé
L’article pose la question de la pertinence du projet gouvernemental du « Grand Paris ». Ce projet qui concentre les financements sur le développement de « clusters » spécialisés, ne procède-t-il pas de l’idée d’un « élitisme territorial » ? Critiquant les présupposés théoriques de la « nouvelle économie géographique », ils préconisent de renforcer la continuité de la métropole et son rééquilibrage, à contre courant des politiques de spécialisation menées au cours des trente dernières années. L’effet de masse lié à cette continuité, allié à de forts investissements dans la « soutenabilité » et la formation semble plus propres à faire éclore les initiatives, transformant la grande métropole francilienne en un pôle compact capable d’enclencher une dynamique d’économie durable.
Auteur·e·s
Co-Président d’Entreprendre Vert. Entreprendre Vert est une association loi 1901 rassemblant entrepreneurs et professionnels engagés dans le développement durable. En 2010 elle fête ses cinq ans d’existence.
Membre d’Entreprendre Vert, est étudiant à l’ INET (Institut National d’Etudes Territoriales).
- De la vision économique des « Pôles de compétitivité » à la vision géographique d’une métropole (…)
- La qualité de vie : entrave au développement de Paris ou atout productif ?
- Le développement de la métropole parisienne pourrait ne pas être soutenable
- Pour une solution institutionnelle au problème francilien
- Préparer l’avenir : une économie de la connaissance soutenable
- Regarder vers l’avenir, mais pas uniquement vers l’Ouest : revue de projets
« Un grand Paris ’compact, durable, équilibré et connecté’ serait ’une vraie métropole’ »
Richard Rogers (London School of Economics).
Est-il opportun de prévoir l’avenir de l’économie de la métropole ? Précaution méthodologique : comme le signale Nassim Nicholas Taleb dans Le cygne noir, s’il est possible de faire des prévisions climatiques ou démographiques, il est illusoire de prédire l’avenir économique. Mais si l’avenir ne se prévoit pas, il se prépare. Tout l’enjeu est d’adapter Paris et sa région pour parer à toute éventualité, en partant de deux phénomènes majeurs et connus : les mutations démographiques et le changement climatique.
Nous constatons que cette approche n’est pas partagée du côté du gouvernement. « Nous devons repenser la ville, voir grand et large ». C’est par ces mots que le Président de la République a présenté sa vision du « Grand Paris 2030 » le 19 février 2009. Et de présenter une vision de l’agglomération parisienne quasi napoléonienne, puisque l’image marquante que l’on retiendra est ce rêve formulé par l’empereur en 1802, « Paris, Rouen, Le Havre, une seule et même ville dont la Seine est la grande rue ». Ce rêve correspondait aussi à la grande vision prospective de la DATAR, au travers d’un rapport France 2020 qui voulait organiser la vie économique française -et, déjà, redessiner ses régions- en suivant les grands bassins hydrographiques.
Il se pourrait toutefois que la réalité économique et institutionnelle modifie la vision d’un « Grand Paris ». Car on ne peut penser la « métropole post-Kyoto » sans remettre en cause les vieux schémas selon lesquels « big is beautiful » -schémas qui ont poussé en parallèle le gouvernement à adopter en juin 2008 une « loi de modernisation économique » qui favorise l’installation à tout crin de grandes surfaces- [1].
Au moment où nous écrivons cet article, le Schéma Directeur de la Région Ile-de-France fait l’objet de tractations entre la Région et l’Etat. Alors qu’il prévoit la création de 750 000 emplois sur 20 ans et de 60 000 logements par an sur la même période -soit 1,2 millions de logements-, le secrétaire d’Etat chargé du développement de la région capitale, M. Christian Blanc, avait présenté au printemps un objectif de 800 000 à 1 million d’emplois sur 15 ans, avec 70 000 à 75 000 logements par an sur la même période [2] . Le SDRIF finalement présenté par le gouvernement pour un décret en Conseil d’Etat intégrera une référence au plan de M. Blanc, dont le financement du volet transport -130 km de voies ferrées nouvelles pour un coût de 35 milliards d’euros- reste encore à déterminer. Un projet de loi sur le Grand Paris prévoit notamment la possibilité d’une préemption rapide -entendre « avec très peu de concertation »- par une future « Société du Grand Paris » de tous les terrains situés autour de chaque gare -rayon de 1500m-.
Le gouvernement s’appuie sur des pôles de dynamisme : plateau de Saclay -la “Silicon Valley à la française”, qui doit le devenir du moins depuis des décennies-, la Plaine Saint Denis pour les industries de la création et des arts numériques, le Bourget pour l’aviation et le tourisme d’affaires... L’un des problèmes d’une telle vision est qu’il procède par élitisme territorial alors que les problèmes (infra-) structurels de l’agglomération parisienne restent non élucidés.
L’économie traditionnelle -« néoclassique »- se préoccupe peu de localisation des activités, d’attractivité des territoires ou de décentralisation. Plus précisément, « Paris et le désert français », pour reprendre le titre du célèbre ouvrage de Gravier, n’effrayait pas les économistes. En effet, la concentration spatiale des centres de recherche, de décision, et d’activité génère des externalités positives, un surcroît de productivité et donc un gain de croissance pour toute la Nation, qu’il est ensuite possible de redistribuer vers le reste de la population. Ce sont donc principalement des considérations géographiques d’équilibre entre les territoires, et non économiques, qui ont présidé à la politique française d’aménagement du territoire, de développement des « métropoles d’équilibre » en contrepoids de Paris. Elle a rencontré un certain succès attesté par le dynamisme d’agglomérations telles que Lyon, Bordeaux, Rennes, Toulouse ou Montpellier et le déclin très relatif de l’agglomération parisienne. L’effet TGV et la décentralisation favorisent Marseille ou Nantes. Il reste que si Paris intra muros perd des habitants, l’Ile-de-France, produit 29% de la richesse nationale avec 22,5% de la population active et 19% de la population française (Insee).
Ces vingt dernières années, la « nouvelle économie géographique », autour d’auteurs tels que Paul Krugman ou Michael Porter, a renouvelé l’approche économique des territoires. Ces derniers sont désormais considérés comme en compétition pour attirer les meilleures entreprises, les plus innovantes, y compris par le dumping fiscal, social et environnemental. Au-delà de cet aspect « distributif », les territoires peuvent créer de la valeur en favorisant des regroupements stratégiques de compétences en matière de recherche, de R-D, et de production dans un secteur donné, en tenant compte des avantages comparatifs initiaux du territoire. Toutes les stratégies d’attractivité ne consistent pas à être moins-disant sur le plan fiscal ou social par exemple. Elles peuvent au contraire faire le pari de valoriser la beauté d’un paysage, la qualité de vie, le climat d’un territoire, par des infrastructures adaptées, la mise à disposition du foncier, un haut niveau d’éducation et de service public. C’est ce que Christian Blanc appelait dans un rapport daté de 2004, « l’écosystème de la croissance ». Avant lui, d’autres économistes tels Alain Lipietz, avaient théorisé la richesse économique et sociale des régions.
Les limites de la spécialisation productive sont réelles : selon une étude du CEPREMAP (2008), le taux de spécialisation doit être multiplié par 2 pour espérer obtenir en moyenne un surcroît de croissance de 5%. Il y a donc un arbitrage à effectuer entre le risque important en cas d’obsolescence de la technologie choisie ou de déclin du secteur dans lequel s’effectue la spécialisation et le gain espéré en cas de succès du « cluster ». La solution peut consister à mettre les différents pôles spécialisés en réseau, et à organiser une solidarité financière entre eux, pour permettre la prise de risque et la créativité. Toutefois, il ne pourrait être envisageable de soumettre un territoire entier à l’aléa économique, au risque de lui faire perdre son identité et de transformer ses habitants en assistés. Il semble que le bon vieil adage, « ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier » s’applique aussi bien à l’échelle du territoire que dans le choix d’un portefeuille d’actionnaire. Pourtant, les exemples des districts italiens, du pays-basque espagnol ou de la Silicon Valley donnent à penser que la spécialisation dans un secteur donné, à haute valeur ajoutée, peut être payante pour des régions à fort capital humain, même si aucun de ces territoires n’a pu se préserver entièrement de la concurrence croissante des pays émergents -en particulier de Bangaloore en Inde pour les TIC-.
Pour Christian Blanc, le plateau de Saclay constitue un « cluster en puissance », un pôle technologique de pointe : 21 établissements d’enseignement supérieur, 47 000 étudiants, 17 000 employés de la recherche publique. Toutefois, cet archipel de campus ne peut être comparé à la Silicon Valley, dont le PIB est équivalent à celui du Chili. Il est en outre mal desservi en transports en commun alors que c’est l’une des principales forces de la ville-centre. Sans doute, pour se spécialiser de manière durable et une entité économique doit avoir une taille critique. Cette taille, la Région IDF, avec 700 000 entreprises -contre 6000 dans la Silicon Valley- l’a assurément. Mais ce n’est pas le cas de chacune des 1281 communes de la Région, ni même de l’ensemble peu articulé que présente le plateau de Saclay.
L’Ile de France est déjà, dans l’ensemble, une région de haute valeur ajoutée-la productivité a ainsi progressé de 1,4 en IDF contre 1,1 dans les autres régions de 1996 à 2006, à taux de croissance égal-. Le revenu par habitant rapporté à la moyenne nationale est de 124 en Ile de France, pour 95 ailleurs (INSEE). Les services aux entreprises occupent 25% des actifs franciliens, pour une moyenne de 13% ailleurs ; l’industrie, 11% contre 17% ailleurs, l’agriculture 0,3%, bien que l’Ile de France soit une grande région agricole.
Ainsi, plutôt que de raisonner uniquement par “pôles”, l’enjeu est peut-être de déployer une pensée économique à une échelle véritablement régionale. C’est là qu’intérêt économique et intérêt général peuvent trouver un terrain d’entente. Ainsi, à l’inverse du projet Saclay, qui détourne en l’état actuel des fonds publics pour le plateau au détriment des transports quotidiens des Franciliens, l’amélioration de l’infrastructure de transports augmenterait la performance globale de l’agglomération. Car si la nouvelle géographie économique a identifié les externalités positives engendrées par le voisinage des activités, la fluidité interne d’une agglomération, et à travers elle sa cohésion, restent largement inexplorées. Or le véritable caractère de métropole s’acquiert lorsque ses parties forment véritablement un tout.
On peut postuler que la qualité de vie est un élément essentiel d’attractivité pour les villes européennes modernes. Dans La République et ses Territoires, Laurent Davezies critique la « nouvelle économie géographique » (NEG) en ce qu’elle considère uniquement la production et non la consommation, la localisation des industries et non de l’habitat résidentiel, la production de valeur ajoutée privée et non la part la plus importante du PIB : la richesse socialisée -en France, les prélèvements obligatoires dépassent en valeur la moitié de la richesse créée chaque année, ce qui revient à dire que plus de la moitié de la production de richesses est mutualisée-. Cette « NEG » est ainsi passée à côté d’un des phénomènes économiques les plus importants de ces trente dernières années : le rééquilibrage massif de la distribution des richesses entre les grandes Régions françaises, qui repousse la question des inégalités territoriales à l’intérieur de périmètres beaucoup plus restreints. C’est aujourd’hui entre les départements d’une même région, les communes d’un même département voire entre les quartiers d’une même ville que les plus grandes inégalités prospèrent. Par ailleurs, même si des garde-fous existent -notamment sur le plan fiscal, au moins jusqu’à la dernière réforme de la taxe professionnelle- pour éviter de trop favoriser les ménages au détriment des entreprises, l’histoire économique récente est la preuve que des élus locaux peuvent faire leur une stratégie de « qualité de vie » plutôt que de « production à tout prix ».
Dès lors, on s’étonne que le même Davezies s’en prenne dans l’ouvrage précité aux élus nationaux et de la Région Ile-de-France, qu’il accuse d’avoir entravé le développement de Paris. Ont-ils « tué » Paris en limitant la circulation automobile, en ne permettant pas la construction de tours au-delà de 37 m -jusqu’à la dernière révision du Plan d’Occupation des Sols...-, et en créant ’Nuit blanche’, ’vélib’ et ’Paris plage’ ? Non, car ils ont ainsi préservé et augmenté la qualité de vie à Paris. Roland Castro a raison de dire, dans l’interview qu’il a donnée pour l’exposition de la Cité de l’architecture que « Si Paris a marché, c’est parce que c’était beau » car « nul n’habite un schéma directeur ». En revanche, ce qui semble « tuer » Paris, c’est la fuite des classes populaires organisée pendant trente ans par Jacques Chirac et Jean Tibéri et insuffisamment empêchée ensuite par Bertrand Delanöé, c’est la coupure qui s’est installée peu à peu entre Paris et la petite couronne, alors même que le réseau de Paris et les villes nouvelles ne donnait pas lieu à une nouvelle entité urbaine cohérente. L’urbaniste Richard Rogers use de la métaphore organiciste pour exprimer ce fait « je ne conçois aucune ville où le cœur soit à ce point détaché de ses membres ». On retrouve ici l’enjeu de la fluidité interne.
Contrairement au développement d’autres mégalopoles mondiales -Los Angeles, Lagos-, le développement de Paris a été organisé. Par Philippe Auguste aux XIIe et XIIIe siècles, par Thiers et par Haussmann au XIXe siècle, par Henri Prost dans les années 1930 puis par Paul Delouvrier dans les années 1960. Ce dernier, issu du ministère des finances, a suscité la spéculation foncière par l’achat de « zones d’aménagement différé » sur le terrain des futures villes nouvelles. Il a fondé la Défense, l’aéroport de Roissy, le RER, des autoroutes, les pôles d’Orsay et de Saclay au sud de Paris. Autant d’idées aujourd’hui présentées comme nouvelles. Mais il y a loin de la pensée à la réalisation. Georges Pompidou se plaignait que « l’emprise de l’homme sur la nature est devenue telle qu’elle comporte le risque de destruction de la nature elle-même », ce qui ne l’empêchait pas de souhaiter des autoroutes pénétrant en plein cœur de Paris.
Les schémas directeurs de 1956, 1960, 1965, 1976 et 1994 ont imposé un zonage séparant les zones industrielles des zones commerciales et résidentielles. Bien loin d’avoir opéré la jonction entre qualité productive et qualité résidentielle, Paris semble avoir organisé « la grande séparation. » Plutôt que d’être une trame pour l’intensification de l’habitat, la carte des transports en commun court toujours après l’étalement urbain. L’augmentation des prix du logement à Paris, mais aussi la recherche de logements individuels ont conduit les populations toujours plus loin du centre historique. Dans certains coins même peu reculés, l’habitat est trop peu dense pour permettre une offre de transports en commun performante. Ainsi, la recherche de la qualité de vie et les arbitrages individuels entre coût du logement et coût du transport conduisent à une congestion insupportable le long d’axes en étoile tout autour de Paris. A tel point que des solutions non coopératives, tel qu’un péage urbain pour préserver le centre des voitures venant de la périphérie, sur le modèle de Londres, ont été envisagées.
Or en matière de cohérence, plusieurs alertes doivent être tirées. On remarque d’abord une tendance à l’accroissement des inégalités sociales au sein de la métropole, qui éclatent parfois en émeutes. On peut citer la Seine Saint Denis, certaines parties du Val d’Oise ou encore le Nord des Hauts de Seine. La métropole présente le visage d’une étonnante disparité. Montfermeil est proche de Paris à vol d’oiseau, très loin en transports.
L’application du “facteur 4” pour aller vers un ensemble sobre en énergie ne va pas de soi, pas plus que la protection d’une biodiversité insoupçonnée -« vu de ma fenêtre, y’a que des bâtiments. Si j’te disais que j’vois de la verdure tu saurais que je mens », chante Grand Corps Malade-, même si 14% du territoire régional est constitué de parcs naturels régionaux [3] .
Contre l’étalement urbain désordonné et non organisé, il convient de penser la ville, de la créer, d’en intensifier les interstices sans perdre les éléments indispensables à la qualité de vie : des coulées vertes plutôt que de simples espaces, des terres agricoles préservées à proximité plutôt que des terrains vagues. Il nous paraît surtout indispensable d’assurer la plus grande marge de manœuvre aux acteurs alliés de la soutenabilité : collectivités, entreprises, citoyens, associations, pour garantir aux efforts publics un maximum de relais.
Cet article traitant de la dimension économique du grand Paris, nous ne nous étendrons pas sur les aspects institutionnels, mais il convient de préciser qu’ils sont un corollaire indispensable à toute vision ambitieuse de la Région. Prétendre comme le fait le gouvernement résoudre le problème sans traiter à bras-le-corps la question institutionnelle, c’est ignorer les réalités économiques. Au prétexte de désaccord entre élus locaux, le tram vers Clichy-sous-bois Montfermeil ne se fait pas, et la ville reste enclavée. C’est précisément pour éviter ce type de problème qu’une solution institutionnelle, forcément de nature à mécontenter certains acteurs, est indispensable.
Le centre Paris-première couronne est d’une remarquable densité : 20 000 habitants au km2 pour Paris et sa première couronne, contre 12 000 à Barcelone, 10 000 à Londres, 6000 à Amsterdam. Il fait l’objet d’une continuité urbaine que le périphérique ne parvient à masquer.
Pour privilégier une plus grande clarté démocratique, une unité d’action publique dans l’agglomération et pour favoriser le partage de la richesse fiscale, nous préférons la solution de l’intercommunalité parisienne établie en coopération avec une Région renforcée.
Pour l’heure, c’est l’absence de solution institutionnelle qui se dessine : l’Ile-de-France est la Région où l’intercommunalité s’est le moins développé dans un premier temps, et aujourd’hui se forment autour de Paris, mais sans elle, des intercommunalités permettant de résoudre des problèmes très locaux mais pas ceux de l’agglomération : c’est le schéma de la « marguerite ». La proposition du rapport du sénateur Dallier, d’une fusion des quatre départements en petite couronne, semble rester sans suite. Restent donc la rivalité entre la Région et la Ville de Paris, entre la Ville de Paris et ses proches voisines, et entre l’Etat et les collectivités territoriales d’île-de-France. Ce n’est certainement pas le projet de loi d’une « Société du Grand Paris » qui mettra fin à ces rivalités.
Des solutions institutionnelles inspirées de celle du Conseil du Grand Londres, où le maire élu au suffrage direct dispose d’une réelle autonomie et d’une vraie légitimité sur le territoire d’une métropole de 7,5 millions d’habitants, sont à étudier de plus près, comme le fait le rapport Dallier [4] .
L’Ile de France c’est aujourd’hui 700 000 entreprises pour 5 millions d’emplois, et de nombreux projets en cours. A titre d’exemple, d’ici 2020, 10 000 emplois seraient créés par le Canal Seine-Nord, notamment dans les plate-formes logistiques -entrepôts et bureaux-.
Nous ne tenons pas à défendre dans cet article une proposition révolutionnaire pour préparer l’avenir de l’économie francilienne. Au contraire, nous pensons qu’il faut poursuivre l’œuvre d’unification de la métropole par les transports en premier lieu, afin d’offrir à l’intiative économique, aux actifs et à tous les citoyens un espace ouvert à la construction de projets. A cet égard, nous nous recommandons une réflexion sur la tarification du ticket de transport public -la tarification sociale nécessitant du moins une réévaluation régulière pour ne pas laisser de publics de côté-.
Une vision équilibrée est également d’importance : si le plateau de Saclay fait l’objet d’une grande attention médiatique et politique, les pouvoirs publics continuent d’endosser une “dette” politique envers les nouveaux ensembles urbains des années 1960 -Marne-la-Vallée, Cergy-Pontoise...-. Comment concevoir l’interaction entre métropole-centre et villes nouvelles ? Nous constatons aussi une certaine focalisation sur l’Ouest parisien, ce qui plaide à nouveau pour un regard d’ensemble sur les 360 degrés d’une région capitale.
Deux objectifs doivent être poursuivies en priorité : soutenabilité et économie de la connaissance.
La soutenabilité d’abord. L’écologie industrielle insiste sur la complémentarité plutôt que sur la concurrence. Elle permet la réduction des coûts par l’évitement et le recyclage des déchets. Des industriels du bâtiment souhaitent se rapprocher des équipementiers automobiles de la région du Mantois -toujours à l’ouest- car ces fournisseurs de hautes technologies pourront se positionner sur des filières telles que les énergies renouvelables ou la domotique -qui permet de réduire la consommation d’énergie- nécessaires aux écoconstructions. La progression vers une économie “circulaire” est à cet égard un chantier important qui nécessitera des dispositifs de soutien institutionnels inédits. La Ville-centre pourra à l’avenir passer une forme de marché avec ses fournissseurs agricoles, dans une relation renouvelée dont les AMAP -Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne- sont une préfiguration.
L’économie de la connaissance ensuite, passe par deux champs qui doivent devenir de vrais sujets de débat public régionaux : la formation professionnelle et l’université. Nous pensons que seul un outil performant de formation continue permettra à l’économie de s’adapter aux chocs et aux mutations, et d’anticiper sur l’avenir. Aujourd’hui nous vivons une pénurie de professionnels du bâtiment qualifiés en construction écologique, faute d’avoir anticipé les besoins, faute d’outils de formation performants. L’objectif que nous préconisons est par conséquent l’augmentation et des formations techniques et des formations universitaires, qui sont pour nous complémentaires et devraient être mieux articulées. La réforme du paysage des centres de formation d’apprentis comme de la carte universitaire et le rapprochement de tous les acteurs de la formation tant continue qu’initiale nous paraît indispensable. La construction de pôles tirant avantage de la présence de centres de recherche, et la politique de la recherche en général dans la région, ne peut être éloignée de ces objectifs. Ainsi, s’il faut reconnaître les atouts du plateau de Saclay, il est important de redimensionner le pôle qu’il pourrait constituer pour le rendre plus réaliste et plus efficace -plus en phase avec le reste de la région.
Deux éléments complémentaires peuvent s’ajouter à cette réflexion. Le premier est la notion de coopération européenne et internationale. Le degré d’attractivité de la région sur le plan économique étant largement lié à son insertion dans les réseaux mondiaux et européens, il est essentiel de percevoir ce développement dans un tableau plus vaste : les villes d’Europe, les centres de décision mondiaux primaires et secondaires sur les cinq continents. D’autre part, pour susciter l’innovation, l’anticipation économique, des dispositifs spécifiques et nouveaux peuvent être imaginés. Ouvrir l’initiative économique à tous revient à poser la question d’un capital-risque public régional pour soutenir les entreprises innovantes notamment les entreprises vertes, « d’ateliers » spécifiques, de dispositifs d’accompagnement.
Nous avons développé la notion de fluidité économique du grand Paris : elle ne saurait se réduire à la dimension des transports, même si ceux-ci en sont la condition sine qua non. Nous regrettons que les analyses économiques et politiques actuelles se focalisent autour de la notion de « pôles de compétitivité » quand il faudrait envisager la région comme un tout, dont il est possible d’augmenter la productivité par un effort global sur la formation, l’emploi par le développement des transports en commun entre lieux d’habitation et de travail (et non uniquement entre « pôles »), et la soutenabilité par un effort d’investissement massif dans l’économie verte.
Parmi les projets des dix équipes ayant travaillé sur le Grand Paris et présenté leurs résultats à la Cité du patrimoine et de l’architecture, certains proposaient de nouvelles approches qu’il ne faut pas laisser retomber dans les limbes. Le projet de Christian de Portzampac, assez libéral dans son esprit (il s’agit selon lui de permettre la création de valeur privée), développe la notion de rhizome, version savante et post-moderne du réseau. Plutôt que de développer les pôles, il s’agir de les relier, de les désenclaver. Ainsi un commutateur multi-modal au Sud, près du plateau de Saclay, permettrait de le relier à Massy. Ce dernier point est déjà un vecteur de « désencombrement », puisqu’on peut aller en train de Strasbourg à Bordeaux sans passer par Paris, en empruntant le nœud de Massy. La même chose est envisagée au Nord, autour de Roissy. Mais au-delà des trois gares TGV de Massy, Versailles et Marne-la-Vallée, il y en aurait aussi à Cergy-Pontoise, à Pleynel, à la Défense. C’est la « ruée vers l’Ouest ». Nous ne pouvons totalement souscrire à une telle vision manquant si manifestement de sens de l’équilibre et de la péréquation. Une version encore plus radicale de ce « tropisme de l’ouest » transpire dans le projet d’Antoine Grumbach que le Président de la République a repris à son compte dans son discours napoléonien cité au début de cet article -Paris-Rouen-Le Havre ? 13 millions d’habitants sur 200 kilomètres : c’est moins dense que Los Angeles. Grumbach part de l’hypothèse d’une croissance démographique de 30% en 20 ans, ce qui porterait la population du bassin hydrographique à 17 millions d’habitants. Dans l’idéal, cela permettrait de substituer une ville linéaire multipolaire, inscrite dans la nature, à une croissance radioconcentrique. On voit rapidement ce qu’un tel projet à d’utopique lorsqu’il propose un métro aérien de Paris au Havre et une autoroute « boulevarisée » entre les deux mêmes villes.
Dans le même temps et pour redescendre un peu sur terre, la ville de Sarcelles attend toujours le RER ou même le bus rapide qui la relierait à Paris -on parle de l’horizon 2020 !-. A propos de bus, l’équipe « LIN » propose un réseau de bus rapide -40 km/h contre 15 en moyenne actuellement- pour la partie la moins dense de l’agglomération. En effet, un tram ou un métro, très coûteux, ne peuvent se justifier qu’à partir d’un nombre suffisant de voyageurs potentiels, et ils se développent parfois au détriment du réseau de transport en commun dit « secondaire ». A l’inverse, les bus à haut niveau de service ont un effet d’entraînement sur tout le réseau. Seul inconvénient ? Ils supposent le maintien d’un haut niveau de service... routier, qui favorise en retour le maintien voire le développement de l’usage de l’automobile individuel, malgré les embouteillages. Une solution intermédiaire consiste à promouvoir des bus à haut niveau de service... en site propre. Autrement dit des « tramways sur pneus ». Mais les rares villes ayant opté pour une variante de cette solution -Caen, Limoges, Nancy- en mesurent les limites : c’est beaucoup moins structurant, en termes de rénovation urbaine et d’attractivité, qu’un tram ou un métro.
Cette rapide « revue de projets » permet de montrer qu’il n’y a pas de solution miracle en matière de fluidité, mais des choix politiques à opérer. Les préférences des auteurs de cet article vont plutôt à une amélioration du quotidien des entreprises et des particuliers par une densification du réseau de transport en commun entre Paris et sa petite couronne, plutôt qu’à un pharaonique « Grand 8 » qui relierait pour 35 milliards d’euros d’hypothétiques « Pôles de compétitivité » et de vrais aéroports entre eux (voir carte ci-dessous). En la matière, le courage politique aurait consisté à renoncer au « Big is beautiful » et à proposer un Grand Paris plus petit.
Frédéric Benhaim et Jonathan Morice
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Voir le communiqué d’Entreprendre Vert du 9 mai 2008. http://www.entreprendrevert.org/CP9...
[3] Sur 1,2 millions d’hectares, 239 000 sont de l’espace urbain construit, 687 000 hectares de l’espace naturel et 280 000 hectares sont forestiers.
Bibliographie
Pour en savoir plus
- Davezies Laurent, La république et ses territoires : la circulation invisible des richesses, Paris, La République des Idées, Le Seuil, 2008
- Veltz Pierre, Villes et territoires, 2°édition, PUF, 2005
Lire également dans l’Encyclopédie
* Frédéric Weill et Emmanuel Poussard, Ile de France 2050 : la dimension territoriale du défi post carbone, N° (116), avril 2010
* Vincent Renard, Le développement durable du grand Paris : un long point de suspension, N° (108) janvier 2010
* Mireille Ferri, De la métropolisation subie à la fabrication de l’éco-métropole, N° (119), juillet 2010
* Frédéric Weill et Emmanuel Poussard, {[ Ile de France 2050 : la dimension territoriale du défi post carbone-> 152]}, N° (116), avril 2010 * Vincent Renard, {[ Le développement durable du grand Paris: un long point de suspension->143]}, N° (108) , janvier 2010 * Mireille Ferri, {[ De la métropolisation subie à la fabrication de l’éco-métropole-> 163]}, N° (119), juillet 2010
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