Mobilités, planification et gouvernance urbaine, dans la perspective du développement durable

12 novembre 2008

Résumé

La possibilité de se déplacer plus facilement a bouleversé la géographie humaine préexistant à toutes les échelles géographiques. Mondialisation, métropolisation et éclatement urbain sont les trois conséquences de ce bouleversement qui présente des avantages comme des inconvénients dans les trois champs économique, social et environnemental. L’idée centrale défendue ici est qu’il convient de doser les possibilités de déplacements suivant la nature des déplacements effectués et leur contribution à la production d’unités territoriales distinctes. Ce préalable permet d’imaginer à la fois des compromis différents à chacune des échelles et des politiques d’accompagnement différentes pour corriger certains des méfaits d’un excès dans la facilité de se déplacer. Le chrono-aménagement (donner autant d’importance au temps qu’à l’espace) renouvelle le contenu de la planification urbaine et postule une capacité de contrôler les investissements publics respectifs dans plusieurs politiques urbaines différentes autrefois considérées comme indépendantes les unes des autres. Les institutions sont à repenser pour permettre cela sans limiter leur définition au croisement des compétences avec des périmètres. Le recours à une modulation des fiscalités de la mobilité comme des localisations peut venir corriger ce que ce croisement entre compétence et périmètre aura toujours nécessairement d’insatisfaisant.


Télécharger l’article en format pdf :


Mise en garde : Cette version imprimable fait référence à l’ancien plan de classement de l’encyclopédie.


La nouvelle classification de cet article est :

3.4- Politiques de transport

Auteur·e

Wiel Marc

ingénieur de formation et urbaniste de profession. Il fut directeur de l’Agence d’Urbanisme de Brest et s’intéressa, comme chercheur, aux relations réciproques entre les politiques de déplacement et d’urbanisme. Il publia plusieurs ouvrages sur cette question dont, en 1999,la Transition Urbaine, ou le passage de la ville pédestre à la ville motorisée, et en 2007 Pour planifier les villes autrement.


La possibilité de se déplacer plus facilement fait partie des conquêtes humaines les moins contestées. La prise en compte des conséquences de cette conquête nous amène néanmoins, en ces temps de prise de conscience des risques d’épuisement des ressources renouvelables, à nous réinterroger sur le meilleur usage de cette faculté de mobilité accrue. Il est certain qu’elle a ouvert de nombreuses perspectives de bouleversement de nos modes de vie, vers plus d’autonomie en particulier, mais nous ne saurions l’assimiler pour autant à une donnée incontournable d’une demande sociale qui s’imposerait indépendamment de ses conséquences, parce qu’elle serait “moderne”. Cette nouvelle interrogation concerne, entre autre, l’organisation du système urbain. La ville est par définition un dispositif permettant de réaliser un grand nombre d’interactions sociales, plus ou moins fréquentes, en minimisant les déplacements nécessaires pour cela [1]. L’agencement des diverses occupations du sol résulte du souci, par tous les acteurs urbains, de l’optimisation permanente de l’usage de leur temps. Cette optimisation est à l’origine de la compétition de tous avec tous pour l’occupation du sol, tout en contribuant à la complémentarité des rôles sociaux occupés par chaque citadin. La mobilité est par conséquent au principe du fait social lui même. S’interroger sur les inconvénients que les conditions de la mobilité pourraient provoquer, concerne de ce fait le fonctionnement de la société, à la fois globalement et dans tous ses aspects particuliers.

 Aller plus vite, aller plus loin

A l’échelle individuelle,si nous analysons l’évolution des pratiques de déplacement dans le temps,nous constatons qu’aller plus vite pour une dépense supplémentaire modérée (compte tenu de l’évolution de nos ressources financières) permet constamment d’aller plus loin pour faire les mêmes choses (ou parfois légèrement différentes),et beaucoup plus exceptionnellement pour avoir des activités nouvelles.Nous sommes donc tous, individuellement, demandeurs d’amélioration des conditions de la mobilité. A l’échelle collective, en revanche, nous observons que l’effondrement (par rapport aux décennies antérieures) du coût global de la mobilité (en temps, en argent, ou en fatigue) transforme progressivement les façons d’implanter toutes les activités humaines et hisse à un niveau plus élevé la concurrence entre les territoires. Toute la géographie humaine s’en trouve bouleversée. Toutes les interdépendances spatiales à toutes les échelles géographiques se renforcent,au travers de trois grands processus : l’éclatement urbain, la métropolisation, et la mondialisation. A l’échelle collective (contrairement à l’échelle individuelle), les appréciations concernant l’incidence des processus à l’oeuvre sous l’effet de la mobilité facilitée sont plus nuancées,mettant en évidence des inconvénients nouveaux (au-delà des nuisances les équilibres territoriaux antérieurs sont tous remis en cause) à côté des avantages obtenus (surtout plus de disponibilités d’espace pour l’habitat des ménages et plus de productivité pour les entreprises). Je résumerai très succinctement les caractéristiques des trois dynamiques spatiales citées (mondialisation, métropolisation, éclatement urbain) et donnerai très sommairement mon appréciation de leurs aspects positifs ou négatifs, avant de suggérer les modes de régulation qui ont ma préférence en les situant dans la panoplie des autres régulations possibles. Je voudrai montrer de la sorte qu’à chaque échelle géographique,nous sommes amenés à chercher un compromis différent entre les divers impératifs du développement durable. Puis nous tenterons de montrer également que les entrées habituelles du développement durable (le social, l’économique et l’environnemental) peuvent nous aider à renouveler l’approche de la question de la gouvernance urbaine, c’est à dire de l’architecture du système institutionnel ayant le plus de chance de positiver l’évolution urbaine actuelle.

 Trois dynamiques spatiales induites par la mobilité facilitée

Mondialisation

La mondialisation dans ses formes actuelles crée (ou amplifie) des situations de concurrence souvent insupportables et plusieurs crises environnementales majeures (climat, eau, …). Une nouvelle gouvernance internationale se cherche, dont nous ne savons évidemment pas si elle parviendra à faire l’économie de conflits géopolitiques majeurs. Pour les villes comme pour les nations, le déplacement des populations est en alternative avec le déplacement des capitaux. Mais la plupart des pays, et le nôtre n’y échappent pas, ne veulent, ni de délocalisations trop importantes, ni d’immigration non contrôlée. L’histoire longue nous enseigne que les frontières politiques ont, jusqu’à présent, toujours fini par devenir plus ou moins perméables aux nécessités de la survie des populations quand elles manquent de ressources. Chacun convient de la nécessité d’une régulation mondiale mais reconnaît également la difficulté à l’élaborer. Il me parait logique de penser qu’à cette échelle géographique il n’y aura peu de réduction volontaire de la mobilité des produits, sinon par une taxation supplémentaire proportionnelle aux dommages suscités dans le domaine de l’environnement. Les éventuels dommages sociaux ou économiques associés appelleront d’autres mécanismes de régulation que ceux classiquement affectés aux coûts de la mobilité [2].

La régulation des migrations humaines devra,elle,probablement passer par un “éco développement”, qui devra aussi être un “co-développement” des nations. Cette perspective nous éloigne de tout ce qui pourrait ériger en doctrine commune aussi bien la concurrence débridée que le protectionnisme systématique, sachant qu’entre les deux, tout ce que les nations décideront sera en permanence à réajuster en fonction des conséquences observées.

Métropolisation

La métropolisation ne devrait pas, selon moi, être assimilée à la quasi exclusivité de la croissance démographique des grandes conurbations urbaines comme on l’entend habituellement. Pourtant, dans le passé, cette tendance ne fut effectivement que rarement démentie en dehors de catastrophes économiques, politiques ou environnementales majeures, ce qui nous invite maintenant à en faire une loi de la nature. Mais nous observons que la dégradation de la qualité résidentielle des grandes conurbations parallèlement à l’accroissement de leur taille ralentit notoirement cette tendance dans les pays développés. Il n’est plus aussi évident qu’autrefois que l’amélioration des déplacements profite à la croissance des plus grandes villes. La métropolisation n’est pas non plus une autre façon de désigner la périurbanisation en cours, l’émiettement de la ville dans des couronnes périurbaines toujours plus larges. C’est plus prosaïquement, me semble-t-il, une interdépendance accrue des territoires régionaux au travers l’émergence de “systèmes métropolitains” en lente formation sur de vastes territoires (pour la France entre 10 et 20 systèmes métropolitains dont les frontières sont appréciables par les variations de l’intensité des échanges téléphoniques). Derrière le terme de métropolisation il y a donc d’abord une logique d’ordre “économique”.Divers éléments caractéristiques du système productif d’un bassin d’emploi sont en plus étroites relations avec des éléments d’autres bassins d’emploi. Cela provoque des dispersions ou des concentrations des emplois du système de production ou de services, différentes de celles du passé. Cette dynamique spatiale est économiquement cruciale, mais peut également présenter divers inconvénients sociaux ou environnementaux. Les leviers du système de régulation de cette dynamique appartiennent à la panoplie des actions en matière d’aménagement du territoire, au travers les grands investissements publics (super ou infra) structurels. Assez naturellement les manifestations dans le domaine des flux de déplacement de cette “métropolisation” accélérée de nos territoires (c’est-à-dire principalement le développement des échanges de marchandises et les migrations temporaires de plus en plus lointaines et de plus en plus courantes pour raison de loisir ou de tourisme), sont ressenties comme fort gênantes, sans que l’importance de cette mobilité dans le développement économique des territoires soit toujours bien évaluée. C’est que les mobilités qu’elle génère suscitent de nombreuses pollutions riveraines, ou encombrent les infrastructures qui sont simultanément utilisées pour l’exercice des activités urbaines ou suburbaines. En fait la facilité de se déplacer par les mutations urbaines qu’elle a provoqué a gommé la frontière traditionnelle entre mobilité urbaine et interurbaine. Trouver une règle du jeu qui optimise les intérêts collectifs sans léser les intérêts individuels en jeu apparaît de ce fait de plus en plus problématique mais ne peut se définir indépendamment de l’attitude adoptée concernant la troisième dynamique territoriale induite par la mobilité facilitée, celle qui concerne l’éclatement urbain.

Éclatement urbain

L’éclatement urbain (et non l’étalement urbain qui impliquerait la continuité du bâti) n’est pas que la périurbanisation émiettée de l’habitat auquel souvent on la résume. Il s’agit d’un processus plus général et beaucoup plus complexe de redéploiement et de spécialisation du système urbain dans toutes ses composantes et dans tous ses microterritoires. D’une part ce sera, à la grande échelle la dilatation géographique du bassin d’emploi en même temps que ce sera à la petite échelle l’amplification d’une ségrégation sociale généralisée (dont la périurbanisation est une des manifestations, à coté de la “gentrification ” [3] de certains quartiers populaires et de la précarisation sociale des grands ensembles). D’autre part, nous verrons apparaître une nouvelle configuration des centralités concrétisant les logiques nouvelles d’implantation des emplois métropolitains (les plus branchés avec les territoires extérieurs au bassin d’emploi) ou au contraire des emplois liés aux services autrefois qualifiés de proximité (mais qui le sont de moins en moins, la proximité temporelle s’étant substituée à la proximité physique).Ce double registre des mutations urbaines dues à la mobilité facilitée bouleverse si profondément le paysage de nos villes qu’il est souvent vécu comme une véritable décadence. La ville d’hier devient la référence de ce qu’il faudrait s’efforcer de savoir faire à nouveau. C’est vrai que la ville d’hier peut encore contenir des recettes encore valables aujourd’hui, mais cette réaction ne prend pas la mesure du fait que cette nouvelle organisation urbaine promue par un peu tout le monde à la recherche de l’optimisation de l’usage de son temps, est pour beaucoup le résultat des choix en matière de conditions nouvelles de la mobilité. Nous nous trouvons ainsi devant une contradiction dont la résolution donne à l’urbanisme une finalité supplémentaire à celle de la seule organisation de la forme urbaine. On ne peut plus se contenter d’appeler “projet urbain” une collection de petits projets signés par des auteurs qui croient toujours que l’urbanisme n’est que de l’architecture en plus grand. Agencement urbain et mobilité doivent toujours, mais dans un nouveau contexte, trouver le chemin de leur collaboration pour permettre la satisfaction, dans les meilleures conditions, des interactions sociales désirées. Mais cette collaboration ne sera pas la même suivant les échelles géographiques selon lesquelles s’organisent et se distribuent les peuplements humains. Il nous faudra par conséquent changer complètement de méthode de planification des villes et apprendre à articuler différemment l’organisation des mobilités et celle de l’agencement urbain, sans donner le primat ni à l’un ni à l’autre,et c’est bien sûr cela qui est nouveau. La performance (sociale, économique, environnementale) du système urbain n’est affaire ni de mobilité plus facile, ni d’agencement urbain plus agréable, mais un peu des deux pour autant que leur collaboration contribue effectivement à faciliter la manifestation d’interactions sociales riches et diverses. Mais nous n’avons pas encore construit le cadre transversal permettant une évaluation de cette performance.

 Vers une autre conception de la relation entre transport et urbanisme : le “chrono-aménagement”.

Le chrono aménagement (donner autant d’importance au temps qu’à l’espace dans les règles de la gestion urbaine) doit permettre de dépasser l’incommunicabilité des disciplines qui traitent soit de la mobilité soit de l’agencement urbain et pour cela il convient de commencer par considérer que la mobilité n’est pas une mais multiple, et que les conditions de manifestation de ses diverses composantes constituent précisément la matrice d’élaboration des niveaux territoriaux. Le discours sur la mobilité ne doit pas se fourvoyer dans une approche simplificatrice qui, parce qu’il dénature la réalité,finira inévitablement par utiliser le droit à la mobilité comme un argument de promotion des inégalités sociales ou territoriales. Elle n’est pas toujours libératrice mais pas non plus toujours aliénante. Pour parvenir à éclairer cette question,il convient de catégoriser les mobilités ou les interactions sociales à partir des transformations observées de l’espace, de ce qui fait que les localisations des ménages ou des entreprises se concentrent, se déconcentrent ou s’éparpillent. Et ceci nous amène à distinguer trois grandes catégories de mobilité :la mobilité de proximité, la mobilité métropolitaine et la mobilité d’agglomération.

Mobilité de proximité

Dés que le peuplement devient suffisamment important, certaines localisations de certains commerces ou services se démultiplient au sein de l’aire d’emploi. Correspondra à ces commerces ou services la mobilité de proximité. Elle ne sera pas obligatoirement de courte distance,car si la mobilité pour ces activités est trop facilitée ou si la population autour d’eux est trop faible, ces commerces ou services vont se concentrer en quelques lieux seulement. Les conditions faites à la mobilité de proximité dicteront l’équilibre des centralités secondaires au sein du bassin d’emploi.

Mobilité métropolitaine ou d’échanges entre territoires

Mais les divers bassins d’emplois d’une même région ne peuvent pas tous prétendre concentrer toutes les activités de production, de distribution, ou toutes les occasions de pratiquer des loisirs ou diverses activités de sociabilité (nos parents ou amis ne vivent pas tous dans la même agglomération). Sortiront donc des bassins d’emploi des flux qui autrefois étaient qualifiés d’interurbains et qui sont plus souvent maintenant qualifiés de métropolitains pour souligner les synergies spécifiques au phénomène de métropolisation des territoires évoqué ci dessus. Si nous facilitons trop cette mobilité, nous provoquerons une spécialisation territoriale encore plus forte,ce qui sera avantageux pour certains territoires et désavantageux pour d’autres et pourra de ce fait appeler des correctifs de la puissance publique. Les plus grandes métropoles seront plus concernées par cette mobilité qui, pour partie au moins, correspondra à des flux internes au territoire de l’agglomération. A l’inverse les plus petits bassins d’emploi,dont l’attraction est faible sur leur environnement immédiat, verront toute la mobilité métropolitaine les concernant sortir de leur bassin d’emploi.

Mobilité d’agglomération

Entre ces deux mobilités,il y a la mobilité d’agglomération. Cette mobilité renvoie à des interactions sociales pour lesquelles, la personne qui se déplace, n’a pas, immédiatement au moins, le choix de la destination, sinon que la localisation de cette destination reste en général interne au bassin d’emploi dés que celui-ci prend une certaine importance. Si les conditions faites à cette mobilité sont trop faciles, nous aurons, comme pour la de proximité, une modification de l’équilibre des centralités (moins de centres, moins spécialisés, et plus gros) et le périmètre du bassin d’emploi s’élargira. Densification des emplois et retour à un habitat moins dense seront devenus compatibles. Ce desserrement de l’habitat ne se contentera pas de se produire en continuité de l’agglomération existante, mais il s’éparpillera du fait que les communes périurbaines situées aux franges ne souhaiteront pas capter toute la croissance [4] qu’elles pourraient. Elles proportionneront leur développement à leur taille. Ce frein à l’ouverture à l’urbanisation mis par ces communes contribuera au renchérissement du marché foncier et immobilier. Il est à l’origine d’une mise en tension générale du marché du logement, avec ses diverses conséquences sociales (ségrégation sociale accrue qui contribue en retour à l’allongement des trajets parallèlement à l’augmentation du taux d’effort des ménages pour habiter) et économique (dissuasion des entreprises à faible coût de main d’oeuvre).La ville devenue d’autant plus spéculative qu’elle est importante réclamera un interventionnisme public supérieur pour neutraliser ces inconvénients sociaux, économiques ou environnementaux tout en en gardant les avantages qui justifient son existence.

3 niveaux de déplacements – 3 niveaux d’aménagement –
3 types de réponses

La notion de cohérence entre politique des déplacements et d’aménagement se fragmente donc en trois niveaux qui correspondront à des enjeux sociaux et économiques différents, qui appelleront pour être régulés des moyens également différents. En fait,avec le chrono aménagement,ce sont les interfaces entre toutes les politiques urbaines spécialisées qui deviennent l’objet d’une régulation collective, et il est vrai que les découpages institutionnels existants n’ont pas été conçus pour cela.

L’enjeu de conditions suffisantes mais non excessives de la
mobilité de proximité
sera la possibilité de construire des “espaces communs”(des lieux mais aussi des équipements publics) diversifiés socialement et fonctionnellement, accessibles à tous, et non subordonnés à l’emprise exclusive des investisseurs de la grande distribution. Les moyens utilisés pour cela dans le domaine de la mobilité seront la lenteur des flux automobiles, et la facilité des recours aux modes doux. Dans celui de l’aménagement, ce sera une densité et une taille des unités de voisinage suffisantes pour garantir l’urbanité des lieux, c’est-à-dire la coexistence des différences de toutes nature. La “mixité sociale” mérite mieux que d’être considérée comme une façon de contraindre les institutions locales à se partager les ménages les plus démunis. A ce niveau territorial, elle devra surtout être mise au service d’une volonté d’intégration des diverses composantes de la société, alors qu’au niveau d’agglomération sa signification sera surtout d’éviter l’inégalité en matière de mobilité résidentielle et ses conséquences sur les temps de trajets et les coûts immobiliers.

L’enjeu de conditions suffisantes mais non excessives de la
mobilité d’agglomération
sera de donner une accessibilité à suffisamment d’emplois et de logements diversifiés en permettant au taux d’effort des ménages pour leur habitat (y compris le coût de la mobilité pour aller au travail) de rester raisonnable pour un produit satisfaisant (taille, cadre de vie, équipements). Cela réclamera côté gestion de la mobilité une vitesse un peu supérieure à celle de la mobilité de proximité et des transports collectifs urbains puissants. Mais ces transports collectifs seront un gouffre financier si, simultanément, la politique d’aménagement ne compte que sur la densification des espaces qui dépendent en fait de choix des conditions de mobilité. La ville économe en ressources énergétiques n’est pas la ville dense mais la ville suffisamment lente, et c’est ce qui la rend un peu plus dense. Mais cela n’exige pas la continuité du bâti en tout lieu, ni que soit refusé le principe d’une maison individuelle à qui le souhaite. Il n’y a plus à choisir entre la ville compacte ou la ville diffuse mais à rendre la ville diffuse moins diffuse pour être vivable et adaptée à la nouvelle donne énergétique. Pour cela, côté aménagement, il conviendra surtout de garder partout dans des proportions suffisamment similaires le parc de logements et les emplois des entreprises, ce qui réclamera une intervention correctrice constante de la puissance publique et des ressources affectées à cela grâce par exemple grâce à une fiscalité des localisations indexée sur la discordance entre structure localisée des logements et des emplois. En fait, pour les plus grandes agglomérations au moins, nous devons sortir du dogme qui voudrait que l’unification du bassin d’emploi maximal par la seule mobilité quotidienne soit toujours bénéfique économiquement. Ce n’est vrai que si cette unification ne produit pas (du fait du jeu des acteurs, investisseurs ou institutions) une dégradation de la mobilité résidentielle (pouvoir déménager). Or ce qui contribue à l’unification du marché de l’emploi contribue également à hisser le degré de concurrence dans le champ de l’habitat, ce qui, compte tenu du jeu institutionnel, des mécanismes de production de la rente foncière, de la césure entre parc locatif privé et public etc., tend au blocage de la mobilité résidentielle. Cette unification du bassin d’emploi devra être obtenue par une mobilité quotidienne (pouvoir se déplacer) suffisante, complétée par une mobilité résidentielle (pouvoir déménager) également suffisante. La qualité résidentielle devient accessible à tous et il est rassurant de constater que c’est aussi la meilleure façon de réduire les nuisances environnementales tant que les véhicules disponibles ne seront pas assez propres, que le carburant sera cher et polluant, ou exigera une production d’énergie à partir de ressources non renouvelables estimées excessives, c’est-à-dire probablement encore un certain temps.

L’enjeu de conditions suffisantes et non excessives de la mobilité métropolitaine sera de favoriser les synergies économiques entre les territoires. Cette mobilité devra payer (voire surpayer s’il y a péréquation délibérée) son coût environnemental. Suivant les tailles d’agglomération et l’importance des flux concernés elle nécessitera ou non des infrastructures spécifiques. A défaut il conviendra de lui garantir d’une façon ou d’une autre une vitesse minimale (c’est-à-dire une priorité sur la mobilité d’agglomération en cas d’infrastructure insuffisante [5]). En matière d’aménagement il conviendra surtout d’organiser judicieusement la répartition spatiale des entreprises ou équipements les plus consommateurs de cette mobilité.

Cette redéfinition rapide de la notion de cohérence entre transport et urbanisme grâce à l’apport du chrono aménagement désigne indirectement plusieurs des lacunes de notre connaissance du fonctionnement urbain (par exemple la connaissance des relations entre conditions de mobilité, ségrégation sociale et prix de l’immobilier). Mais elle met aussi en exergue plusieurs constats. Le premier est que les cultures techniques spécifiques aux différentes disciplines utiles à la compréhension de la ville ont une certaine difficulté à alimenter le compromis nécessaire entre les préoccupations sociales économiques et environnementales. Pour beaucoup la ville durable se confond avec la ville dense. Nous avons cherché à montrer que, si la densité n’est pas hors jeu, elle n’est qu’une des caractéristiques des conditions de l’agencement urbain comme la vitesse n’est qu’une des caractéristiques des conditions de la mobilité. Les compromis entre les préoccupations sociales et économiques ne sont pas les mêmes suivant les niveaux territoriaux mais la bonne nouvelle est que les mesures qui respectent le mieux l’environnement sont aussi celles qui fournissent le meilleur compromis entre le social et l’économique. Nous aurons plus besoin de lucidité que d’héroïsme et c’est tant mieux pour la démocratie. Le deuxième constat est que si le droit du sol n’est pas épaulé à la fois par une fiscalité des localisations et par une fiscalité modulée suivant les niveaux territoriaux des coûts de la mobilité, il est illusoire de penser qu’il pourra maîtriser à lui seul les effets nocifs, dans les domaines sociaux, économiques et environnementaux, de l’hypercompétition du sol qu’implique la mobilité facilitée. Enfin le troisième constat est que la bonne volonté des collectivités locales, aspirée dans le tourbillon de cette hyperconcurrence, ne suffira pas à inventer localement les règles de la “bonne gouvernance”

 Le développement durable inspirateur des réformes institutionnelles de demain

Aider les intercommunalités à exercer leurs prérogatives

La France n’a pas conduit la réforme que presque tous les pays européens (la Belgique a fait la moitié de la démarche) ont mis en oeuvre pour élargir l’assiette spatiale de la commune à ce qui s’appelle chez nous l’intercommunalité. Compte tenu de notre culture du politique (donner priorité à l’arbitrage sur le consensus) et du fait que l’opposition centre périphérie s’est confondue avec la question sociale qui dominait alors toute la vie sociale et politique de l’époque,l’attachement à la commune a prévalu. Ce n’est pas obligatoirement une mauvaise chose (puisque là où les communes sont trop grandes, on tente de réinventer une déconcentration de l’institution communale qui y ressemble) mais elle est néanmoins lourde de conséquences. Au-delà de son opacité politique, l’intercommunalité (construite par transfert de certaines compétences communales à un regroupement de communes) a beaucoup de mal en effet à relever le défi de la maîtrise (le positiver plus que le contrarier) du développement urbain actuel. Les communautés urbaines ont été inventées pour gérer l’extension urbaine, mais le développement ne se résume plus à l’extension urbaine et cette dernière se réalise le plus souvent hors des intercommunalités centrales. Parfois inscrite dans des territoires trop étriqués (un tiers environ), ces intercommunalités centrales ne sont pas toujours capables de proportionner l’extension urbaine et le renouvellement urbain suivant les objectifs qui sont les leurs eu égard à leurs moyens en particulier financiers. Mais plus fondamentalement,elle est plus performante pour la production des équipements collectifs, dont la finalité commune n’échappe à personne, que pour la conduite des politiques urbaines dés que ces dernières touchent à l’identité sociale du peuplement des communes qui la compose ou à leur équilibre financier. Dans ces domaines les réussites sont exceptionnelles et souvent à mettre au compte de leaders politiques exceptionnels. Même si la démocratie suppose le droit à l’erreur, il serait préférable de chercher à en limiter le champ sans pour autant revenir à avant la décentralisation. Il faut aider les intercommunalités à pouvoir, de fait,exercer leurs prérogatives et de façon plus démocratique.

L’approche des réformes institutionnelles a beaucoup trop été et depuis trop longtemps inspirée, dans notre pays, par une vision juridique et financière des problèmes. Chaque institution doit concevoir son projet et c’est ce qui rend pertinent la définition de ses limites, a-t-on même dit à une époque concernant l’intercommunalité. Avec le recul on peut traduire ce propos en disant :“Messieurs,alliez vous entre vous,car c’est la guerre”.Ce pragmatisme n’en est pas un car il est en fait facteur d’impuissance et révèle surtout l’absence de vision d’un devenir urbain que le développement durable est pourtant en mesure d’offrir. Il faut en quelque sorte sortir du simplisme consistant à réduire la question institutionnelle au croisement des périmètres et des compétences. Les périmètres sont faits pour être traversés et les compétences seront toujours floues, ce qui fait que toutes les institutions auront des rôles qui se chevauchent, ce qui est évidemment plus dispendieux pour moins d’efficacité. La mobilité facilitée a plus ou moins rendue caduque l’architecture existante de nos institutions,mais son amélioration sera illusoire si nous en restons aux deux seules variables que sont les périmètres et les compétences.

Hiérarchiser les territoires ?

Le capharnaüm actuel rend les instances supposées régulatrices des inconvénients du marché concurrentes entre elles et donc dérégulatrices. Pour restaurer la prééminence du politique sans pourtant nier l’apport du marché, il faut revenir sur la production des niveaux territoriaux par la mobilité et se dire que les découpages institutionnels font partie des moyens de garantir la cohérence interne souhaitée à chaque niveau. Cela infirmera idée que ces niveaux ne sont pas hiérarchisées entre eux ce que la notion de compétence cherchait à éviter de devoir reconnaître.

Le niveau de proximité

Il y a en premier lieu, avons-nous dit, le niveau de la proximité. C’est bien le niveau de la commune ou du quartier dans les très grandes communes. Mais dans les milieux ruraux ou dans certaines très grandes métropoles (où les communes qui se rassemblent ne représentent qu’une infime partie de la métropole), ce niveau sera, compte tenu de petitesse de certaines communes, celui de l’intercommunalité. Des intercommunalités, suivant leur contexte, pourront donc avoir des rôles différents, soit faire du “communalisme”à plusieurs (ce qui est très bien mais n’a rien à voir avec certains des objectifs assignés à l’intercommunalité) soit contenir les effets négatifs du communalisme. Faire exister le niveau de la proximité et lui garantir une certaine pérennité conformément à ce que nous avons précédemment dit, implique de ne plus croire que le croisement compétence/périmètre soit suffisant.

Le niveau du bassin d’emploi

Le niveau bassin d’emploi (que nous avons qualifié d’agglomération ce qui peut être source de mécompréhension car précisément le bassin d’emploi se dissocie de plus en plus de la notion d’agglomération [6]) correspond dans les agglomérations de province le plus souvent aux intercommunalités centrales, mais en région parisienne il est plus proche des départements actuels. Pour stabiliser ce niveau territorial dans une perspective de développement durable, rien ne sert d’avoir des intercommunalités centrales de la taille des aires urbaines. Ce serait un choix faussement rationnel. Il suffirait en province d’un périmètre qui permette l’extension urbaine en même temps que la desserte des transports collectifs, et de pouvoir doser les moyens mis dans l’ouverture à l’urbanisation pour qu’extension urbaine et renouvellement urbain se complètent sans se nuire. Ensuite les intercommunalités d’une même aire urbaine pourront faire un “pays” qui ne fonctionnera qu’au consensus et non à l’arbitrage. En région parisienne en revanche nous sommes devant une situation originale car l’aire urbaine de l’agglomération parisienne ne peut être unifiée en un seul bassin d’emploi sans des moyens de transports exceptionnels dont l’intérêt économique est faible par rapport à des risques sociaux ou environnementaux élevés. La clef des équilibres territoriaux dans la perspective du développement durable sera le rapport entre possibilité de déménager et de se déplacer. Il vaudrait mieux inventer pour cela une quinzaine de “districts” (dont le statut serait intermédiaire entre les intercommunalités et les départements actuels) qui fonctionneraient sous la tutelle d’une région légèrement agrandie dans sa partie située au Nord. Le premier objectif de ces districts serait la cohérence entre population et emploi et la fiscalité des localisations sera conçue pour en sanctionner les écarts..

Le niveau métropolitain

Le niveau métropolitain concernera le plus souvent la région. Toutefois, quelquefois les aires métropolitaines sont plus vastes et dans ce cas, des conférences entre régions peuvent avoir l’intérêt équivalent à celui des pays vis-à-vis des intercommunalités. Cela ferait évoluer les départements vers un rôle de représentation locale des régions et de fédération des pays,donc vers une institution fonctionnant plus au consensus qu’à l’arbitrage, sauf en région parisienne où leur rôle serait plus proche des intercommunalités de province.

 Une fiscalité des localisations et de la mobilité, et une nouvelle manière de planifier l'espace

Ces spéculations nous montrent l’ampleur des chantiers à venir. L’important est d’avoir une perspective car de toute façon le fait nouveau avec la mobilité facilitée c’est qu’il n’y a plus de périmètre institutionnel complètement pertinent. L’existence du couple compétence/périmètre permet actuellement de ne pas finaliser l’usage des fiscalités diverses qui alimentent les institutions. Puisque nous avons une situation institutionnelle invraisemblable et insoluble à court terme (le seul pouvoir de certains étant de rendre impossible le changement même s’il s’impose) il reste à inventer une fiscalité (des localisations et de la mobilité) calée sur ce que précisément les institutions locales ne sont pas armées et organisées pour mettre en oeuvre. Nous pouvons faire pour faciliter l’insuffisante ouverture à l’urbanisation ce que nous avons fait dans le passé pour le logement social avec le 1% patronal et pour les transports collectifs avec le versement transport. Par exemple une politique foncière est à l’évidence techniquement possible (toutes les procédures sont là mais sont inemployées) mais politiquement difficile et dans de nombreux cas impossible. Une taxe calée sur le degré d’incohérence territoriale entre habitat et emploi (qui se référerait à des temps de trajets et non à des appartenances à des institutions) peut dégager les ressources nécessaires à cette politique. Cela signifie également une planification urbaine désignant les opérations éligibles à certains moyens financiers.

 Des expérimentations aujourd'hui pour éclairer les réformes institutionnelles de demain

L’urgence des problèmes environnementaux (même si ses effets ne sont pas immédiats) et la profondeur des vraies causes de la crise du logement sur laquelle nous ne nous sommes pas étendus ici (et dont les solutions seront très lentes à avoir des effets) supposent des mesures rapides. Ce sont ces mesures qui par la coopération inter institutionnelle qu’elles autoriseront rendront vraisemblables les réformes institutionnelles de demain, car le droit suit presque toujours les faits, du moins dans un domaine aussi complexe où les révolutions sont si lentes à se manifester que le plus important est d’abord de les rendre possibles en inventant les pratiques dérogatoires nécessaires (qui suffisent à vaincre les résistances le plus souvent uniquement de principe mais suffisantes en démocratie pour paralyser la décision).

Marc Wiel

Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[1A côté des déplacements réalisés pour eux mêmes qui sont très minoritaires (mais croissants) et qui n’obéissent pas aux logiques évoquées dans la suite du texte.

[2Qui se limitent à la tarification des carburants, de la circulation ou du stationnement, du ralentissement plus ou moins sélectif ou à l’imposition d’un mode de transport.

[3Ce terme anglais décrit les processus de revalorisation de l’image d’anciens quartiers populaires pour certaines couches sociales plus sensibles à des attraits culturels et moins rétives que d’autres à la cohabitation des classes sociales. Mais ce processus en prenant de l’ampleur peut devenir une éviction des classes populaires par des opérations immobilières qui exploitent le différentiel entre valeur à l’achat et à la revente. Pas obligatoirement négatif s’il est encadré publiquement ce processus fait partie des conséquences à l’échelle urbaine de la mobilité facilitée. Il affecte très différemment les villes selon l’histoire de leur construction et les représentations sociales sédimentées au fil du temps.

[4Croissance induite à la fois par l’évolution démographique (vieillissement en particulier) et par l’attractivité en matière d’emploi de l’agglomération.

[5Dans la culture technique actuelle qui est partagée par pratiquement tout le monde, il ne viendra jamais à l’idée de qui que ce soit de penser en cas de voirie insuffisante par rapport à la demande, qu’un autre urbanisme pourrait diminuer la demande, ou que la voirie manquante pourrait être lente plutôt que rapide. On voudra une voirie supplémentaire plus rapide (qui relancera la demande) ou des transports collectifs rapides (qui relanceront la demande et au surplus seront plus coûteux pour la collectivité).

[6Et cette dissociation est différente suivant la taille de l’agglomération. Le bassin d’emploi d’une ville moyenne excède largement, territorialement, l’agglomération alors que dans les grandes métropoles il y a autant de bassins d’emploi d’un lieu donné que de lieux. Ces bassins étant chevauchant, ils ne peuvent plus se distinguer territorialement. En cherchant à les unifier sans prendre les précautions nécessaires, on transforme l’avantage recherché en inconvénient. C’est la raison pour laquelle, avoir les mêmes architectures institutionnelles indépendamment de la taille des agglomérations est une grave

 Outils

Recommander cet article

Version imprimable de cet article Imprimer l'article

 Bibliographie

  • François ASCHER : La société évolue, la politique aussi, Odile Jacob, 2007.
  • Jean-Charles CASTEL (& alii) : La force de dilution de l’espace urbain : une opportunité de remise en cause de l’urbanisme, Intervention au colloque de Grenoble : un SCOT pourquoi faire ? 2006.
  • La ville à trois vitesses, revue ESPRIT, mars 2004.
  • Villes et économie (par divers auteurs à l’initiative de l’Institut des Villes). La Documentation Française, 2004.
  • M.H. MASSOT et J.P. ORFEUIL : La mobilité qui fait la ville. Intervention aux troisièmes rencontres internationales de recherche en urbanisme de Grenoble, Février 2006.
  • Eric MAURIN : Le ghetto français, Editions du Seuil, 2004.
  • Jean-Pierre ORFEUIL : L’évolution du financement public des transports urbains, revue Infrastructure et mobilité n° 49, Septembre 2005.
  • Pierre VELTZ : Mondialisation, villes et territoires, PUF, 2005.
  • Marc WIEL : La transition urbaine, Editions Mardaga, 1999.
  • Marc WIEL : Pour planifier les villes autrement. Editions L’harmattan, 2007.
 Lire dans l’encyclopédie
* Jean Pierre Piéchaud, {[ Ville et développement durable->39]} (N°11).
 Documents joints
Envoyer un commentaire