Villes et développement durable

1er juin 2006

Résumé

Dans quelques années, les citadins seront, tous pays confondus, plus nombreux que les ruraux, alors qu’ils représentaient à peine un dixième de la population en 1900.
Qu’ils soient industrialisés ou en voie de développement, tous les pays connaissent un mouvement sans précédent de concentration des populations et des activités dans les zones urbaines. Bien que la tendance au regroupement des populations soit très ancienne, à l’heure actuelle, ce mouvement surprend à la fois par son ampleur et son
rythme. Les villes atteignent des dimensions jamais égalées et le rythme de concentration s’accélère.
En cent ans, la population urbaine a été multipliée par 20, tandis que la population mondiale n’a fait que quadrupler. Trois milliards de personnes vivent aujourd’hui dans les villes, et chaque année, 20 millions de personnes s’y installent.
On comprend dès lors l’enjeu énorme que représentent les territoires urbains pour le développement durable.


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3.3- Politiques urbaines

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Auteur·e

Piéchaud Jean-Pierre

Jean-Pierre Piéchaud est urbaniste. Il a successivement travaillé dans l’aménagement et la planification urbaine, le logement, l’environnement urbain, la politique de la ville et du
développement social urbain, avant de se consacrer à la dimension territoriale du développement durable.
Il est membre fondateur de 4D ainsi que de l’Encyclopédie du développement durable.


 Le contexte mondial

Il n’existait, au milieu du XXe siècle, que deux métropoles de plus de 10 millions d’habitants. Il y en a une vingtaine aujourd’hui. On compte également une vingtaine d’agglomérations de 5 à 10 millions d’habitants et plus de 250 dont la population est comprise entre 1 à 5 millions. Des concentrations gigantesques sont en train de se constituer en Amérique latine, en Afrique et en Extrême-Orient. Dans quelques années, 13 des 21 mégalopoles mondiales seront asiatiques et la Chine envisage la création de 250 villes nouvelles de 2 millions d’habitants chacune. Dans les pays développés, 75% de la population vit en ville et bientôt ce sera 80%. Au total, environ la moitié de la population urbaine mondiale vit dans des villes de plus d’un million d’habitants. On désigne ce phénomène de croissance et de multiplication des grandes agglomérations urbaines par le terme de métropolisation.

L’agglomération du Caire, avec plus de 16 millions d’habitants constitue l’une des plus grandes métropoles du monde.

En France, les résultats du recensement de 1999 ont confirmé ce mouvement démographique au profit notamment des grandes métropoles régionales, mais aussi de l’ensemble des aires urbaines où vivent désormais quatre Français sur cinq.


Taux d’urbanisation
(part de la population urbaine par
rapport à la population totale)
Région
1975
2000
2030 (prévisions)
Afrique
25
37
53
Asie
25
37
54
Amérique latine
et Caraïbes
61
75
85
Europe
67
73
80
Amérique du Nord
74
77
84
Océanie *
72
74
77

* Océanie = Australie, Nouvelle Zélande, Mélanésie, Micronésie et Polynésie.
Source :World Urbanization Prospect :The 2001 révision (Publication des Nations unies)


Le développement durable,
fil conducteur des politiques urbaines ?

Ces quelques données suffisent pour montrer que les villes et agglomérations ont et auront de plus en plus, un rôle primordial à jouer dans les décennies à venir. Dans ces conditions, et compte tenu du fait que certains aspects de leur évolution actuelle risquent de compromettre gravement les équilibres économiques, écologiques et sociaux, le développement durable apparaît comme le « fil d’Ariane » d’une nouvelle conduite équilibrée de leur gestion.

La ville, lieu d’activité
mais lieu des bouleversements économiques

Devenues le lieu principal de la production, les villes attirent les activités et la population en quête de travail. Leur logique de fonctionnement s’en trouve bouleversée puisqu’elles n’ont plus pour seuls partenaires les acteurs locaux mais des acteurs économiques originaires d’autres villes. L’internationalisation et la concentration de l’économie favorisent la polarisation des activités dans des villes qui deviennent des lieux privilégiés d’articulation avec l’économie mondiale et entrent en concurrence avec d’autres grandes agglomérations.
De ce fait, les villes, en particulier les plus grandes, apportent une certaine sécurité en raison de leur économie diversifiée, de leur large éventail d’activités et d’un marché de l’emploi aux gammes de qualification étendues. Elles constituent par ailleurs des lieux d’urbanité, de civilité qui en font des foyers de civilisation ; des lieux privilégiés d’échanges, de rencontres, de contacts, de culture, d’identité, de confrontation ; de brassage d’idées, de personnes, de biens et d’informations qui génèrent des liens sociaux. En contrepartie, elles subissent de plein fouet les bouleversements économiques que traverse notre époque.

La ville, lieu de dysfonctionnements sociaux

Malgré leur rôle positif dans le domaine économique et social, la pauvreté, les inégalités et même l’exclusion se développent dans les villes. Le tissu urbain se fragmente. Certains quartiers périphériques des agglomérations urbaines cumulent les handicaps et ont tendance à se paupériser et à se marginaliser. Les centres-villes connaissent eux-mêmes des difficultés, et les exclus ne trouvent plus à s’y loger. Dans ces conditions, la ville ne parvient plus à assurer la cohésion sociale qui faisait sa richesse et sa force. Elle ne joue plus son rôle fondamental de lieu de rencontres et d’échanges. Ce phénomène de fragmentation s’observe à différents niveaux et caractérise la société dans son ensemble ; la ville constitue cependant la vitrine de cette “balkanisation”.
Ville et risques environnementaux

Par ailleurs, la croissance urbaine et les bouleversements économiques et politiques qui l’accompagnent provoquent un certain nombre de tensions au sein de l’espace urbain. La concentration et les formes urbaines ont un impact non négligeable sur l’environnement. La qualité de vie en ville et les écosystèmes locaux ou régionaux sont les premiers à en souffrir, l’environnement étant mis à mal par le renforcement de l’urbanisation. Mais ces atteintes se manifestent également au niveau planétaire.
Les villes connaissent des problèmes aigus de consommation d’espace et d’utilisation des ressources rares (eau, énergie, milieu naturel, etc.). Elles produisent un grand nombre de nuisances, le plus souvent dans les quartiers qui connaissent des dysfonctionnements sociaux (pollution de l’air, déchets, bruit, etc.). Dans bien des cas, des activités “non durables” passées ont eu des impacts négatifs (cavités souterraines, mines ou carrières, pollution des sols et des nappes phréatiques…) qu’il s’agit de résorber. Il est donc indispensable de procéder à un état des lieux, mesurer les évolutions de l’environnement, informer les citoyens et prendre des mesures de protection.

Agenda 21 local : une action politique cohérente

De fait, à partir de ces constats, des collectivités territoriales de plus en plus nombreuses dans le monde, engagent une démarche de développement durable, un agenda 21 local, se référant à l’une des principales recommandations du sommet de la terre de Rio en 1992 (Chapitre 28 de l’Agenda de Rio).
Mais, rappelons-le, il existe d’énormes différences entre les problèmes que connaissent les régions urbaines des pays en développement - en particulier les mégalopoles - et ceux des villes et agglomérations des pays développés. Différences dans la gravité de ces problèmes - l’eau et l’assainissement, les transports, le logement (les bidonvilles) dans les pays du Sud… - ; différences en termes de moyens mobilisables, de démarches ; différences qui impliquent par ailleurs des d’échanges de savoir-faire - et dans les deux sens - entre les unes et les autres.

L’intérêt de politiques locales s’appuyant sur le concept de développement durable apparaît donc aujourd’hui clairement. Les villes connaissent d’importantes mutations en termes de gouvernance : au fil des années, elles sont devenues des acteurs politiques de plus en plus présents aux côtés des États. Cette évolution a été renforcée par les politiques de décentralisation menées dans un certain nombre de pays qui ont donné aux autorités locales de nouvelles compétences.

 Les villes françaises

En France et c’est ici l’objet de la seconde partie du présent article, on constate également le même mouvement. L’idée que le développement durable peut être le moyen d’organiser la cohérence de l’action politique des villes commence à y faire son chemin. La démarche d’Agenda 21 local en effet, qui peut s’appuyer en partie sur des expériences de planification urbaines conduites au cours des dernières décennies, permet d’agir en même temps sur différents registres :

La planification de l’espace

La dispersion urbaine - de l’habitat, des activités comme des services - coûte cher sur les plans économique, des transports, de la consommation d’espace, de l’environnement et tout simplement de la vie quotidienne. D’où d’assez nombreuses réflexions pour lutter contre l’étalement urbain autour de thèmes tels que : “la ville reconquise sur elle-même”, “le renouvellement urbain”, “la ville des courtes distances”, “la ville compacte”. Elles devraient conduire à moyen terme à de nouvelles démarches de planification.

En France, plusieurs lois récentes contribuent à définir une nouvelle planification locale prenant en compte le développement durable :

  • la loi d’Orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire (LOADDT) du 25 juin 1999, prévoyant les projets et contrats d’agglomération et de pays ;
  • la loi sur le Renforcement et la simplification de la coopération intercommunale du 12 juillet 1999 qui a conduit à la création de nombreuses structures de regroupements ;
  • la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU) du
    13 décembre 2000, avec de nouvelles procédures : le Projet d’aménagement et de développement durable (Padd), le Schéma de cohérence territoriale (Scot) et le Plan local d’urbanisme (PLU) ;
  • la loi sur la Démocratie de proximité du 12 juillet 2002.

Chacune de ces mesures législatives peut être considérée comme un outil utile à des démarches de développement durable. La pratique devra cependant s’attacher à organiser une coordination qui n’a souvent pas été prévue par le législateur.

Les transports
Nos villes ne se sont pas adaptées - elles n’étaient pas conçues pour cela - à la circulation automobile, source de pollutions, d’atteinte à la santé publique, de nuisances, de gaspillage énergétique, d’émanation de gaz à effet de serre…

Pour remédier à ces problèmes, un consensus social se dessine progressivement autour de l’idée qu’il faut limiter la place de la voiture individuelle dans les déplacements, en même temps qu’il faut développer une offre nouvelle de transports en commun, faciliter les modes de déplacements non motorisés (vélo, marche à pied) et engager des mesures à plus long terme sur des formes urbaines mieux adaptées.

La santé

Le thème de la santé devient de plus en plus présent dans les préoccupations des habitants. Une demande sociale s’exprime clairement dans les différents domaines qui ont trait à la santé publique.

Cette demande se situe à différents niveaux :

  • l’environnement : la qualité de l’air (extérieure et intérieure au logement), la qualité de l’eau, les pollutions liées à la circulation automobile et à certaines activités industrielles,
  • le bâtiment ou le logement (le désamiantage par exemple),
  • les modes de production : la sécurité alimentaire,
  • l’organisation du système médical local : la prophylaxie (par exemple à propos de la grippe aviaire), le dépistage des maladies, la lutte contre le Sida, la tuberculose, l’organisation de la médecine de ville, la proximité des services hospitaliers (les services d’urgences et les maternités notamment) et la qualité de leur accueil...

Face à cette demande, de nombreuses villes considèrent aujourd’hui les problèmes de santé comme une “entrée” importante de leur stratégie politique.

La construction

Il s’agit de développer la Haute qualité environnementale (HQE) dans ses différentes dimensions : choix des matériaux de construction, isolation des bâtiments, souci de la qualité de l’air à l’intérieur de l’habitation, économies d’eau, utilisation de l’énergie solaire, recyclage des matériaux de démolition, etc.

Aujourd’hui, la démarche HQE concerne surtout la construction neuve ; elle devrait être étendue à la réhabilitation du parc immobilier existant en vue d’une gestion du patrimoine bâti conduite dans l’esprit du développement durable, ce qui exige l’affirmation claire d’une nouvelle orientation politique extrêmement importante à mettre en œuvre le plus rapidement possible dans ce domaine.

Les économies d’énergie

De nombreuses collectivités territoriales européennes élaborent des programmes globaux d’économie d’énergie qui aboutissent à une réelle diminution des consommations sur leur territoire. Leurs actions concernent différents domaines : les transports, le logement, les bâtiments et l’éclairage publics, les caractéristiques des véhicules des services, etc. Malgré plusieurs exemples intéressants, il apparaît que les villes françaises sont encore trop peu nombreuses à avoir mis en œuvre de tels programmes.

© B. Piéchaud

Les matières premières

Le développement durable est économe en ressources naturelles, en énergie et en matériaux de construction notamment. Mais cette préoccupation s’étend à l’ensemble des modes de production et de consommation qui nous concernent tous, que nous soyons producteurs ou consommateurs. Comment contribuer, chacun à notre niveau, à la diminution de la consommation des ressources ? Il s’agit d’une lutte de tous les instants, qui passe par des débats publics, des actions de sensibilisation, d’éducation, de formation à mener au plan local, en vue d’aboutir à des consensus, domaine par domaine.

Le recyclage des déchets

Au-delà de la propreté, le traitement des déchets a d’autres objectifs : économies de matières premières, créations d’emplois (dans le recyclage), lutte contre les risques sanitaires et les pollutions… Dans ce domaine, même si beaucoup reste encore à faire, les villes françaises ont mis en place des moyens importants au cours des deux dernières décennies, en général bien accueillis par les habitants. Ils ont permis une amélioration certaine de l’efficacité des systèmes de traitement des déchets.

La lutte contre l’effet de serre

Elle concerne toute la planète et elle est au cœur de l’un des principes du développement durable : le principe de solidarité. Les programmes relatifs aux économies d’énergies et aux transports ont des effets positifs au niveau local comme au niveau planétaire.

La coopération décentralisée

Elle s’inscrit aussi dans le cadre du principe de solidarité, elle est indissociable de l’aide au développement. Celle-ci peut passer par des actions dites “de coopération décentralisée”, faîtes d’échanges d’expériences entre collectivités territoriales ou entre acteurs locaux du Nord et du Sud (ou de l’Est). Le développement durable implique que se mette en place une solidarité entre régions riches et régions pauvres du monde, la coopération décentralisée peut en être l’un des leviers.

La participation des habitants

Le développement durable implique une très large adhésion sociale, dans tous les domaines et à toutes les étapes de préparation et de mise en œuvre des politiques locales, depuis la définition d’une stratégie à long terme jusqu’à la mise en œuvre des programmes d’action et leur évaluation. Cette adhésion sociale ne peut exister qu’à la suite de débats publics organisés dans le cadre de la vie politique locale, au cours desquels les acteurs concernés auront pu participer aux processus de décision. Il n’y aura pas de développement durable sans approfondissement de la démocratie participative.

La démarche décrite ci-dessus à travers différentes “entrées” thématiques est celle de l’Agenda 21 local. La stratégie française de développement durable a arrêté l’objectif de 500 Agendas 21 locaux lancés dans les cinq années à venir. Cet objectif de nature quantitative a le mérite d’impulser un mouvement en faveur du développement durable dans les politiques territoriales. On peut penser qu’une proportion importante de ces Agendas sera le fait de territoires urbains, villes ou agglomérations. Il sera donc utile d’en suivre la mise en œuvre [1] en comparant ce qui se fait en France et ce qui se fait dans les autres pays européens et au plan international.

Les politiques urbaines ont à jouer un rôle majeur dans le développement durable.

Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[14D , avec d’autres partenaires (l’Association des Maires de France (AMF), plusieurs collectivités territoriales, le Comité 21… met en place un “Observatoire des Agendas 21 locaux et des pratiques territoriales”.

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 Bibliographie

Pour en savoir plus

  • Action 21 “Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement de Rio” Chap.28, Le rôle des collectivités locales à l’appui d’Action 21.
  • Repères pour l’Agenda 21 local, Territoires et développement durable/ 4D, 2001.
  • Territoires et développement durable, Tome 2 / Comité
    21, 2004.
  • Le développement durable, une autre politique pour
    les territoires ? Définition pratique, mise en œuvre
    ,
    Réseau des Agences régionales de l’énergie et de l’environnement (RARE), 2000.

Lire également dans l’Encyclopédie

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