Résumé
Démarche crédibilisée et popularisée dans les années 90, l’analyse de cycle de vie (ACV) est une méthode d’évaluation des impacts environnementaux des produits (et process), faisant l’objet d’une standardisation internationale (ISO), et basée sur une approche fonctionnelle, cycle de vie et multi-critères.
L’ACV est considérée comme un outil d’aide à la décision, dont les résultats permettent de comparer deux solutions ou produits. Ils peuvent être utilisés pour des besoins d’éco-conception, d’affichage environnemental, ou encore d’orientation des politiques publiques : choix de filières de valorisation de déchets, critères d’écolabellisation des produits, comparaison des agrocarburants avec les carburants fossiles, etc.
Auteur·e·s
Ingénieur ADEME, Olivier Réthoré est en charge des problématiques d’évaluation environnementale des produits (ACV, Bilan Produit ®, Base de données Produit et outils d’évaluation pour l’affichage)
A la parution de cet article, Samuel Le Féon terminait un stage de fin d’études d’ingénieur en environnement réalisé à l’ADEME.
En 2011, l’auteur a commencé une thèse de doctorat intitulée « Evaluation environnementale de la mobilité urbaine : notions de cycle de vie et besoins de déplacement ».
Cette thèse est encadrée par l’Ecole des Mines de Saint-Etienne.
Née dans les années 1970, l’analyse de cycle de vie (ACV) est une méthode de quantification des impacts environnementaux des produits (au sens large : biens ou services) sur l’ensemble des étapes de leur cycle de vie, c’est-à-dire de l’extraction des matières premières (énergétiques ou non) nécessaires à leur fabrication jusqu’à leur élimination en fin de vie, en passant par toutes les étapes intermédiaires (approche « du berceau à la tombe » ou « cradle to grave »). Elle fait suite aux premiers bilans énergétiques apparus dans les années 60. La première base de donnée publique d’ACV apparaît dans les années 80, en Suisse (BUWAL).
Jusqu’alors l’évaluation des impacts environnementaux se faisait de manière sectorielle (réglementations sur les émissions des véhicules, sur l’élimination des déchets, sur les process de dépollution, etc), partielle, et portait davantage sur des flux (énergie, déchets…) que sur des impacts (acidification, effet de serre, eutrophisation…). Par exemple, la norme européenne d’émissions EURO sur les véhicules réglemente un certain nombre de flux d’émissions de polluants dans l’air (oxydes d’azote, monoxyde de carbone, hydrocarbures, particules, etc ...).
C’est finalement dans les années 90 que l’ACV gagne en légitimité avec le début du processus de normalisation internationale (série des normes ISO 14040). Sont alors développés de nombreux logiciels d’ACV, et de nouvelles bases de données dites génériques font leur apparition.
La pratique de l’ACV, sa diffusion et, surtout, sa normalisation au niveau international ont contribué à la faire passer d’un outil initialement qualifié d’expérimental voire de partial à un outil de plus en plus performant et reconnu.
Une approche fonctionnelle
L’ACV évalue les impacts environnementaux induits par la fonction rendue par un produit (bien ou service au sens large). Elle permet ainsi par exemple de comparer la qualité écologique de deux produits analogues mais avec des durées de vie différentes (un rasoir classique et un rasoir jetable), de deux produits différents rendant la même fonction (une voiture et un moyen de transport en commun), ou encore d’une fonction assurée par un bien matériel « classique » et par un service « dématérialisé » (envoyer une lettre par courrier postal et par courrier électronique).
Il est important de bien définir la fonction réalisée par un produit afin de pouvoir par la suite comparer les impacts environnementaux de deux produits remplissant la même fonction. Pour cela, la fonction rendue par le produit ou service évalué est décrite sous la forme d’ « unité fonctionnelle » : il s’agit de la fonction de référence à laquelle sera ramené l’ensemble des impacts quantifiés pour ce produit.
Par exemple, dans le cas où l’on souhaite évaluer les impacts environnementaux d’une peinture murale ou d’un papier mural, on pourra choisir une unité fonctionnelle du type « assurer la couverture d’un mètre carré de mur pendant 10 ans ». On pourra alors comparer les impacts environnementaux de 2 types de peinture vendus dans des contenances différentes, avec des pouvoirs couvrant différents et des durées de vie différentes.
Une approche cycle de vie
L’ACV utilise un modèle mathématique permettant d’exprimer les flux physiques (flux de matières, d’énergie, de rejets dans les milieux), entrants et sortants du système considéré en termes d’impacts potentiels sur l’environnement.
Toutes les étapes du cycle de vie du produit sont prises en compte pour l’inventaire des flux : extraction des matières premières énergétiques et non-énergétiques nécessaires à la fabrication du produit, fabrication, distribution, utilisation, collecte et élimination en fin de vie [1] et toutes les étapes de transport.
Une approche multi-critères
Les consommations de matières et d’énergie, les rejets et émissions dans l’air, l’eau et les sols, et la production de déchets sont quantifiés à chaque étape du cycle de vie et exprimés en termes d’indicateurs d’impacts potentiels sur l’environnement.
La complexité des phénomènes en jeu et de leurs interactions est source d’incertitude sur la valeur réelle des impacts sur l’environnement (e.g. non prise en compte des effets de synergie ou d’antagonisme entre polluants, des caractéristiques particulières du milieu local, des effets de cinétique, des concentrations, des expositions) : c’est à ce titre que l’on qualifie les impacts évalués de « potentiels ». Du fait de la forte dépendance des impacts locaux (eutrophisation [2] par exemple) aux caractéristiques du milieu récepteur, leur caractère « potentiel » est plus marqué que celui des impacts globaux (effet de serre par exemple), peu ou pas corrélés au milieu récepteur.
Différentes méthodes existent permettant de caractériser les flux inventoriés en indicateurs d’impact environnemental de différents niveaux :
- Les méthodes les plus reconnues et utilisées aujourd’hui permettent de caractériser les flux inventoriés en indicateurs d’impacts potentiels (ou indicateurs « midpoint »). Une dizaine d’indicateurs est alors considérée. On citera à titre d’exemple la méthode CML de l’Université de Leiden aux Pays-Bas, utilisée par l’outil Bilan Produit ® de l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) ;
- Certaines méthodes telle que la méthode Impact 2002+ permettent d’aller à un second niveau de caractérisation pour obtenir des indicateurs de dommages potentiels (ou indicateurs « endpoint »). Ces méthodes permettent de faciliter la compréhension et l’utilisation des résultats en raison de la moindre quantité d’indicateurs, en général au nombre de quatre (par exemple le risque sur la santé humaine, le risque pour les écosystèmes, etc…), mais sont moins reconnues du fait d’une moindre robustesse scientifique.
- On peut aller jusqu’à un troisième niveau de caractérisation pour obtenir un indicateur unique. Ces méthodes, telle que la méthode Eco-indicator, sont nécessairement moins robustes et de fait peu utilisées.
L’intérêt de l’ACV est d’évaluer plusieurs natures d’impacts environnementaux et toutes les étapes du cycle de vie. Lors d’une comparaison, elle peut faire ressortir qu’un produit à moins d’impacts qu’un autre à l’aune d’un critère (les émissions de gaz à effet de serre par exemple) mais en a davantage à l’aune d’un autre critère (l’acidification de l’air, par exemple). Elle peut aussi souligner qu’un gain à une étape de cycle de vie peut avoir des conséquences dégradant une autre étape ! Par exemple, améliorer l’isolation d’un réfrigérateur permettra de diminuer la consommation d’énergie en phase d’utilisation mais peut nécessiter d’utiliser plus de matériaux ou bien des matériaux plus toxiques (d’où un impact plus important de la phase de production en termes d’épuisement des ressources ou de toxicité).
L’évaluation environnementale est souvent utilisée de manière comparative : comparer deux options techniques pour un concepteur, comparer deux produits pour un acheteur, comparer deux orientations politiques pour un décideur… La force de l’ACV est de restituer la complexité de l’environnement et d’éviter des choix qui auraient pour conséquence de dégrader des milieux qui n’avaient pas été considérés, ou de déplacer les impacts d’une étape du cycle de vie à une autre. L’ACV rend compte de transferts de pollution potentiels dans la comparaison de deux scénarios alternatifs.
Illustration d’un cas de transfert de pollution d’une étape vers une autre :
Lorsque l’on compare les impacts environnementaux de deux produits (calculés par le biais d’ACV sur la base d’une unité fonctionnelle commune), il est fréquent d’observer un transfert de pollution sur lequel il est nécessaire d’arbitrer. La difficulté est alors de comparer deux impacts quantifiés avec des unités différentes : comment comparer un impact sur l’effet de serre en grammes équivalent carbone à un impact sur l’eutrophisation en grammes équivalent phosphates ? Aucune méthode consensuelle n’existant pour réduire à une note unique la dizaine d’indicateurs d’impacts généralement calculés, deux méthodes ont été développées permettant de ramener des indicateurs hétérogènes à des indicateurs soit sans unité (la « normation ») soit avec une unité monétaire commune (la « monétarisation »).
La normation, dont le sens littéral est « rapporter à une échelle normée », consiste à diviser chaque impact correspondant au produit étudié par l’impact total d’un habitant d’une zone géographique donnée (généralement la France ou l’Union Européenne) sur une unité de lieu donnée (généralement un jour ou un an), de sorte que la dizaine d’indicateurs ayant chacun sa propre unité est ramenée à une dizaine de chiffres sans unité, et donc comparables.
La monétarisation consiste quant à elle à l’évaluation économique des dommages environnementaux (ou « externalités »), mais est moins utilisée que la normation car considérée comme trop peu fiable à ce jour.
La méthodologie ACV fait l’objet d’une standardisation à l’échelle internationale par la norme ISO 14040 : « Management environnemental - Analyse du cycle de vie - Principes et cadre » complétée par la norme ISO 14044 : « Management environnemental - Analyse du cycle de vie - Exigences et lignes directrices ».
La norme ISO articule l’ACV en quatre étapes :
- Définition des objectifs et du champ de l’étude
Dès le début de l’étude, les objectifs et les utilisations des résultats de l’ACV envisagée doivent être clairement explicités. Le résultat dépend de l’objectif. Ainsi, les résultats diffèreront entre d’une part une ACV d’une canette d’aluminium réalisée pour un fabricant particulier dans un objectif d’éco-conception, sur la base de données spécifiques (ou données « primaires ») à la canette du fabricant (bilan-matières spécifique, consommations d’énergie des process de mise en forme spécifiques, distances et moyens de transport spécifiques, etc.), et d’autre part une ACV de la canette d’aluminium française réalisée pour les pouvoirs publics français avec un objectif d’évaluation des impacts environnementaux globaux de la filière, sur la base de données moyennes (ou « secondaires ») représentatives de la production française. - Inventaire de cycle de vie (ICV)
Inventaire des flux de matières et d’énergies entrant et sortant associés aux étapes du cycle de vie rapporté à l’unité fonctionnelle retenue (et choisie à cette étape). L’inventaire est une comptabilité analytique des flux. - Evaluation des impacts
Evaluation des impacts potentiels à partir des flux matières et énergies recensés, et en fonction des indicateurs et de la méthode de caractérisation sélectionnée. - Interprétation des résultats obtenus en fonction des objectifs retenus
L’étape 4 est itérative avec les 3 précédentes de manière à toujours valider que les résultats obtenus permettent de répondre aux objectifs de l’étude (par exemple, il arrive que la non disponibilité de certaines données puisse conduire, en cours d’étude, à restreindre le champ de l’étude). C’est également ici que l’on tentera d’évaluer la robustesse des résultats (en réalisant par exemple des analyses de sensibilité), notamment pour s’assurer que les incertitudes et variabilités qui y sont liées sont bien d’un ordre inférieur à celui des différences constatées entre les performances environnementales des différents systèmes étudiés.
Les 4 étapes de l’ACV selon les normes ISO 14040 et 14044 :
A l’issue d’une étude ACV, un rapport d’étude est élaboré présentant de manière détaillée et transparente les objectifs et le champ de l’étude, les limites et hypothèses, la représentativité technique, temporelle et géographique des données employées, les résultats de l’étude et leur analyse critique. Une synthèse en est généralement tirée pour faciliter sa compréhension. Lorsqu’une communication à l’externe des résultats est envisagée, le rapport et la synthèse font l’objet d’une revue critique, c’est-à-dire d’une analyse par un expert indépendant, aboutissant à la certification ISO de l’étude. Lorsque l’étude ACV consiste en une comparaison de produits, la revue critique doit être réalisée par un panel d’experts (le comité de revue critique), compétent à la fois en matière d’ACV et sur le secteur d’activité concerné. La revue critique doit alors être tenue à disposition en même temps que la synthèse de l’ACV.
Une des principales difficultés dans la réalisation d’une ACV est de parvenir à collecter des données fiables et représentatives de la réalité du processus analysé. Lorsque ce n’est pas possible, parce que la donnée n’est pas accessible ou bien par exemple lorsqu’elle relève de la modélisation du comportement du consommateur et que celui-ci est mal connu, une analyse de sensibilité est effectuée : on fait varier la donnée concernée dans le but d’évaluer la sensibilité des résultats à cette donnée. Si cette sensibilité est faible, une approximation forte n’est pas problématique. En revanche si cette sensibilité est forte, il peut être nécessaire de fournir un effort supplémentaire pour obtenir une donnée plus précise ou considérée comme plus proche de la réalité, d’où la démarche incrémentale inhérente à l’approche ACV et recommandée par l’ISO.
L’ACV peut être utilisée à des fins de communication ou comme outil d’aide à la décision aux politiques industrielles (« éco-conception » de produits) ou publiques (hiérarchisation de filières de valorisation de déchets, critères d’écolabellisation de produits, comparaison des agrocarburants avec les carburants fossiles, etc.).
La rubrique « Exemples à suivre » du site internet de l’ADEME fournit des exemples d’utilisation de l’ACV pour plusieurs de ces types d’application, tels que l’éco-conception d’un sac à dos par l’entreprise Lafuma [3] ou encore la définition d’un plan de gestion de déchets par le Syndicat Mixte de la Vallée de l’Oise.
D’autres normes ISO régissent l’utilisation de résultats d’ACV : la norme ISO 14025 porte sur la communication des résultats d’ACV par le biais des éco-profils ; la norme ISO 14062 porte sur l’intégration des aspects environnementaux dans la conception et le développement de produit (éco-conception) ; enfin, on peut également citer la norme ISO 14067 sur l’empreinte carbone des produits, en cours de développement (avec une approche cycle de vie mais mono-critère toutefois).
Premier éco-profil français, réalisé en 2001 avec le soutien de l’ADEME, pour une peinture routière :
Les résultats d’ACV reflètent la complexité des systèmes étudiés : elle permet d’en identifier les points forts et les points faibles, mais difficilement d’en proposer une hiérarchisation absolue en termes de qualité écologique. C’est en ce sens que l’ACV doit être considéré comme un outil d’aide à la décision.
La méthodologie ACV est encore jeune et présente encore aujourd’hui de nombreuses limites et difficultés d’utilisation, de plusieurs ordres : manque de données d’inventaire disponibles dans les bases de données (cas du secteur agricole par exemple), ou des données liées à la fin de vie des produits, manques de méthodes de caractérisation robustes et consensuelles (cas des enjeux de toxicité et d’écotoxicité, de consommation d’eau, de perte de biodiversité), difficultés à modéliser un aspect particulier du cycle de vie ou un phénomène physique particulier (cas de la modélisation du changement d’affectation des sols, des bénéfices du recyclage, de la séquestration du carbone), difficultés à évaluer l’incertitude sur les calculs ou encore liées à la hiérarchisation des impacts et à l’absence de consensus sur les méthodes de normation ou de et de données pour les méthodes de monétarisation, etc. Ces problématiques font l’objet de travaux nombreux et conséquents, rendant chaque jour l’approche plus fiable et son usage plus large. |
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Mise en décharge, incinération avec ou sans valorisation énergétique, recyclage, réutilisation totale ou partielle, compostage, méthanisation, etc...
[2] L’eutrophisation est une forme singulière mais naturelle de pollution de certains écosystèmes aquatiques qui se produit lorsque le milieu reçoit trop de matières nutritives assimilables par les algues et que celles-ci prolifèrent. (Définition du CNRS).
[3] http://www2.ademe.fr/servlet/getDoc...
L’analyse du cycle de vie d’un sac à dos « classique » a montré que 75% des impacts environnementaux étaient dus à la phase de fabrication et notamment au choix de matériaux synthétiques. Une réflexion a alors été menée conduisant à l’utilisation d’un nouveau matériau.
- info document (PDF – 740.2 kio)