Politiques de la jeunesse : quelle prise en charge des jeunes en difficulté d’insertion professionnelle ?
Résumé
L’accès à un emploi de qualité pour les nouvelles générations est une pièce maîtresse du développement durable, « un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Un emploi de qualité est le sésame pour l’accès au logement, pour la fondation d’une famille, pour la transmission des savoirs et le développement des compétences, …, pour l’inclusion des nouvelles générations dans la société en définitive. Première contribution de l’Encyclopédie sur ce thème, l’article ci-dessous apporte une série d’informations essentielles, le constat qui en découle est alarmant. Nous souhaitons poursuivre l’exploration de ce thème et continuer à approfondir les solutions au sous-emploi destructeur de la société. Quelles mesures énergiques permettront de faire disparaître cette plaie qui s’installe depuis plusieurs décades ? Dans la perspective d’une croissance lente à court-moyen terme peut-on continuer à servir l’impératif de productivité ? Les perspectives de la croissance verte sont-elles à la hauteur du défi ?
Auteur·e
diplômée en sociologie, est chargée d’études et de recherche au sein du département Evaluation des Politiques Sociales du CRÉDOC (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie).
- LES JEUNES ELOIGNES DE L’EMPLOI DE QUALITE
- LA PRISE EN CHARGE DES JEUNES ELOIGNES DE L’EMPLOI DE QUALITE
- LES DISPOSITIFS ET ACTEURS DE LA PRISE EN CHARGE DES JEUNES ELOIGNES DE L’EMPLOI DE QUALITE
- LE DEVENIR DES JEUNES ELOIGNES DE L’EMPLOI DE QUALITE
- LES EXPERIMENTATIONS SOCIALES : VERS UNE NOUVELLE FORME DE CONSTRUCTION DES POLITIQUES EN (…)
La situation des jeunes Français face à l’emploi est préoccupante. Le taux d’emploi des 15/24 ans est inférieur à 30% et les jeunes sont particulièrement concernés par les formes d’emploi précaire : stages, CDD, intérim, temps partiel subi, etc. On peut certes considérer comme normal de passer par une période d’instabilité professionnelle avant de parvenir à une situation stable, mais on constate qu’un grand nombre de jeunes s’installent durablement dans l’inactivité, dans l’emploi précaire ou dans l’alternance des deux. En ce sens, les difficultés d’insertion professionnelle des jeunes constituent un exemple concret de la défaillance des politiques publiques pour assurer un développement socialement durable.
Quels sont les orientations politiques, les acteurs et les dispositifs destinés à favoriser l’insertion professionnelle des jeunes en difficulté ? Contribuent-t-ils à une cohérence des politiques en faveur de la jeunesse ? En quoi les expérimentations sociales constituent-elles une nouvelle approche des politiques de la jeunesse ? Ces questions ont fait l’objet de deux recherches menées par le CRÉDOC en 2008 et 2009 , travaux sur lesquels s’appuie le présent article.
Différents niveaux d’éloignement de l’emploi de qualité
La notion d’emploi de qualité est nécessairement subjective : il s’agit avant tout d’un emploi en adéquation avec les aspirations personnelles de celui ou celle qui l’exerce. Cependant, la plupart des travaux sur les attentes des actifs mettent en évidence trois besoins récurrents :
• La stabilité du contrat de travail : pouvoir s’appuyer sur une vie professionnelle stable, permettant d’anticiper son emploi du temps et ses ressources à venir.
• Le confort des conditions de travail : non seulement travailler en toute sécurité, mais aussi jouir d’un nombre d’heures de travail suffisant, ainsi que d’horaires conformes au rythme de sa vie privée.
• La consistance des perspectives : pouvoir choisir les secteurs d’activité et les postes qui autorisent à espérer une évolution au fil de la carrière, au moins en termes de rémunération, sinon en termes de missions et de responsabilités confiées.
Confrontés à la nécessité de dégager des grandes tendances pour définir les différents niveaux d’éloignement de l’emploi de qualité affectant les jeunes sortis d’études, nous avons arbitrairement pris comme repère le CDI à temps plein (en incluant le statut de fonctionnaire). C’est en effet lui qui offre la meilleure garantie de répondre aux trois besoins exposés ci-dessus.
Bien qu’imparfaite dans la mesure où certains jeunes optent volontairement pour le temps partiel ou les contrats courts, cette figure permet de dégager un modèle relativement satisfaisant établi selon trois niveaux d’éloignement de l’emploi de qualité :
• Eloignement relatif de l’emploi : CDI à temps partiel, CDD à temps plein, intérim à temps plein.
• Eloignement fort de l’emploi : CDD et intérim à temps partiel, contrats aidés, chômage.
• Position hors marché du travail : inactivité sans recherche d’emploi déclarée.
Des centaines de milliers de jeunes concernés
Pour comprendre qui sont les jeunes en quête d’une deuxième chance et quel a été leur parcours scolaire, une exploitation de l’enquête Formation Qualification Professionnelle de l’INSEE a été réalisée, sur la tranche des 18/29 ans sortis d’études. Ces données datent de 2003 mais de nombreuses études montrent qu’elles restent d’actualité.
En termes de volumes, il en ressort les éléments suivants :
Source : CREDOC / Enquête FQP INSEE-2003. Champ : jeunes de 18 à 29 ans sortis d’études
Autrement dit, plus d’un million et demi de jeunes de 18/29 ans sortis d’études (55% d’entre eux) sont en CDD ou intérim à temps partiel, en contrat aidé, au chômage ou en dehors du marché du travail. Même en admettant qu’une partie de ces jeunes a pleinement choisi son poste et son contrat de travail ou a décidé de ne pas travailler, l’éloignement de l’emploi de qualité touche aujourd’hui au minimum des centaines de milliers de jeunes.
Les facteurs d’éloignement de l’emploi de qualité
Les jeunes ne sont pas égaux face au risque d’éloignement de l’emploi de qualité. Parmi les principaux facteurs accentuant le risque d’être touché par cet éloignement, on retrouve les éléments suivants :
• Le sexe : les femmes sont nettement moins nombreuses à disposer d’un emploi stable que les hommes. En effet, seules 34% des femmes de 18 à 29 ans sorties d’études disposent d’un emploi en CDI à temps plein contre 54% de leurs homologues masculins. La différence s’explique principalement par une plus grande fréquence du temps partiel chez les femmes et par la persistance d’un grand nombre de « femmes au foyer », y compris au sein des jeunes générations. 52% des jeunes femmes sorties d’études se situent dans un éloignement relatif ou un éloignement fort du marché du travail (contre 44% des hommes du même âge). Enfin, 44% des femmes de 18-29 ans sorties d’études se trouvent hors du marché du travail contre 2% des hommes.
• L’âge : la part des jeunes en emploi stable augmente avec l’âge. Autrement dit plus l’on vieillit, moins l’on risque d’être en situation d’éloignement relatif ou d’éloignement fort.
• Le manque de qualification ou le suivi d’une formation générale : le niveau de diplôme obtenu est très lié à l’âge de fin d’études. Plus les jeunes sont sortis tardivement du système scolaire plus ils parviennent à obtenir un emploi stable. Les jeunes de niveau infra v sont quant à eux en très grande difficulté d’insertion (seuls 28% d’entre eux ont accédé à un emploi en CDI à temps plein et 19% se trouvent hors du marché du travail). En revanche, la moitié des jeunes sortis d’études après 21 ans ont accédé à un emploi stable, et moins de 20% sont dans un éloignement fort. En outre, très rares sont ceux qui sortent totalement du marché du travail. Pour les jeunes sortis d’études avant 18 ans, la situation est très hétérogène. Près du tiers a accédé à un emploi en CDI à temps plein, mais un tiers en est très fortement éloigné. La part de ces jeunes hors marché du travail est particulièrement importante (20%). Par ailleurs les jeunes issus de formations professionnelles semblent favorisés. Ainsi, ceux ayant uniquement un Bac général ont plus de difficultés à accéder à l’emploi stable que les jeunes ayant un Bac professionnel, technique, un CAP ou un BEP. En effet, 31% des jeunes qui disposent d’un Bac général ont un emploi de qualité contre 50% de ceux qui ont un Bac professionnel et 47% de ceux qui ont un CAP ou un BEP).
• Le niveau de stabilité du parcours professionnel : il existe une relation positive entre l’accès à un emploi de qualité et le temps passé en emploi depuis la fin des études. Cette relation montre bien la dichotomie entre des jeunes qui cumulent des emplois précaires, en alternance avec des périodes de chômage, et ceux qui accèdent rapidement à des emplois de longue durée. Autrement dit, entamer un parcours chaotique n’offre que peu de chance d’aboutir à un emploi stable.
• Le lieu d’habitation : les jeunes habitant en Zone Urbaine Sensible ont beaucoup plus de difficultés à accéder à l’emploi stable que les autres. En effet, seuls 30% sont en CDI à temps plein, 20% sont dans une situation d’éloignement relatif, 36% dans une situation de fort éloignement et 13% en dehors du marché de l’emploi.
• Le pays d’origine des parents : le fait qu’un de leurs parents soit né dans un pays non européen augmente la probabilité pour les jeunes d’être touchés par l’éloignement de l’emploi de qualité. 41% des jeunes dans cette situation ont un emploi en CDI à temps plein contre 46% des jeunes dont les deux parents sont nés en France. Plus encore, lorsque les deux parents sont nés en dehors d’un pays européen, la part des jeunes en emploi stable est très faible (33%).
Les grandes orientations politiques
L’insertion professionnelle des jeunes en difficulté fait l’objet d’une attention particulière de la part de la sphère politique, à tous les échelons de subsidiarité : Union européenne, Etat français, Régions, Départements, Communes.
La politique nationale à l’égard des jeunes en difficulté est le produit d’une multitude d’approches parallèles. Les principales sont l’emploi et la formation professionnelle, la politique de la ville, la lutte contre la pauvreté, les affaires sociales, la réinsertion judiciaire, la lutte contre les discriminations.
Par ailleurs, deux grands axes dans la politique nationale française à l’égard des jeunes en difficulté d’insertion professionnelle peuvent être mis en évidence : des contrats aidés pour faciliter leur embauche et des programmes d’accompagnement pour les suivre vers et dans l’emploi. Or, sur ces deux axes, on remarque de constantes allées et venues au sein de la politique nationale, un dispositif chassant l’autre au gré des gouvernements.
Ainsi, une telle dispersion des politiques publiques a abouti à un émiettement saisissant des actions et dispositifs en place. Cet émiettement remet en cause l’efficacité globale de la prise en charge des jeunes éloignés de l’emploi de qualité, faute d’un véritable souci de cohérence.
Les obstacles à la prise en charge des jeunes éloignés de l’emploi de qualité
Pour accéder à l’emploi de qualité, les jeunes doivent souvent faire face à de nombreux obstacles :
• La structuration du marché du travail : l’action publique en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes en situation de précarité est fondée sur l’idée selon laquelle il suffirait de favoriser la rencontre entre la demande d’emploi (les jeunes en difficulté) et les offres disponibles sur le marché du travail, notamment dans les métiers dits « en tension ». On qualifie cette approche d’« adéquationnisme ». Toutefois, les jeunes constatent que les postes proposés au sein des métiers en tension sont généralement synonymes de salaires relativement faibles, de forte flexibilité dans les contrats et l’organisation du travail, de conditions de travail difficiles et de faibles possibilités d’évolution professionnelle.
• Les représentations personnelles : les représentations de soi et du monde professionnel se forment dans le contexte familial, social et scolaire des jeunes et peuvent contribuer à transformer leurs attitudes à l’égard du monde du travail. Ainsi, les expériences vécues par les jeunes qui rencontrent des difficultés à s’insérer conduisent à figer négativement leurs représentations de soi, des métiers, des professionnels et du travail, rendant difficile leur inscription dans une dynamique favorable à l’insertion dans le monde du travail.
• Le manque d’accès à l’information sur l’offre disponible : une partie non négligeable des offres ne sont pas publiées (notamment par Pôle emploi) ou circulent via des canaux discrets, sinon confidentiels. Par ailleurs, les jeunes éloignés de l’emploi ne fréquentent pas tous une structure d’aide à l’insertion leur permettant d’accéder à des offres cachées. Enfin, sans aide, il est loin d’être évident pour un jeune en rupture d’interpréter correctement le langage d’un recruteur et d’en conclure s’il est pertinent ou non d’envoyer sa candidature.
• Des difficultés pratiques : les enquêtes auprès des publics éloignés de l’emploi, et notamment des jeunes, en relèvent quatre grands types : les difficultés liées à la mobilité, au logement, à la santé et à la garde des enfants.
• Le manque d’accès à une qualification consistante : une partie importante des jeunes éloignés de l’emploi de qualité souffre d’une formation initiale insuffisante ou inadaptée. Or, malgré les nombreux dispositifs de formation / qualification qui existent en France à destination des publics éloignés de l’emploi, ces derniers sont nombreux à souligner qu’il ne leur a généralement été proposé que des modules très courts et non professionnalisant.
• La barrière du recrutement : les jeunes en rupture maîtrisent mal les règles de la rédaction d’un curriculum vitae, d’une lettre de motivation et celles des postures à adopter lors des entretiens. Au-delà de l’étape de sélection, il s’agit également de confirmer une embauche au cours des premières semaines du contrat. Cela exige notamment une aptitude à adopter les usages et codes en vigueur dans le monde du travail.
Ces difficultés, toutes les personnes à la recherche d’un emploi de qualité peuvent les vivre. La spécificité des jeunes éloignés de l’emploi, c’est d’abord qu’ils les cumulent, et ensuite qu’ils sont trop fragilisés pour parvenir à franchir seuls ces obstacles. Il apparaît alors nécessaire d’adopter une approche multidimensionnelle et personnalisée de l’insertion des jeunes.
Le millefeuille des acteurs de la deuxième chance
Une multitude d’acteurs intervient dans l’accompagnement vers l’insertion durable des jeunes éloignés de l’emploi de qualité. Beaucoup prennent en charge les jeunes parmi d’autres publics, certains se consacrent exclusivement à la jeunesse. Leurs actions ont tantôt trait au travail sur les représentations personnelles, tantôt à leur accès à l’information sur l’offre, à la résolution des difficultés pratiques et personnelles, à l’accès à une formation qualifiante, ou au franchissement de la barrière du recrutement. Leurs statuts, envergures, missions et débouchés sont extrêmement divers, ce qui conduit à un paysage particulièrement difficile à lire. Nous avons choisi d’organiser le recensement de l’ensemble de ces acteurs en 5 catégories :
• Les organismes participant au Service Public de l’Emploi : services déconcentrés de l’Etat ; Pôle emploi ; Missions Locales ; Maisons de l’Emploi, Plans Locaux pour l’Insertion et l’Emploi, associations diverses…
• Les structures de l’Insertion par l’Activité Economique : entreprises d’insertion, ateliers et chantiers d’insertion, associations intermédiaires, entreprises de travail temporaires d’insertion…
• Les acteurs privés de l’insertion professionnelle : groupements d’employeurs ; entreprises de travail temporaire…
• Les structures territoriales : conseils régionaux, conseils généraux, Caisses d’Allocations Familiales, chambres de commerce…
• Les opérateurs de formation : AFPA ; Ecoles de la 2ème Chance ; Centres Défense 2ème Chance, OPCA, GRETA…
Les grandes modalités de prise en charge des jeunes éloignés de l’emploi de qualité
Afin de proposer une vision structurée du foisonnement des acteurs et actions présentés ci-dessus, nous avons établi le schéma récapitulatif suivant, dégageant 5 grandes modalités de prise en charge des jeunes éloignés de l’emploi de qualité dans une dynamique de deuxième chance.
Deux remarques au sujet de ce schéma : aucune de ces modalités n’est exclusive d’une autre. Il s’agit plutôt ici de « dominantes », faisant fonction de points de repère. De plus, nous présentons ces modalités de façon circulaire, car il est fréquent qu’un jeune navigue longtemps de l’une à l’autre sans parvenir au point de sortie (vers l’emploi de qualité… ou vers l’inactivité).
Connaissance, point de vue et recours des jeunes aux dispositifs d’aide
Une enquête auprès de 1000 jeunes salariés âgés de 16 à 25 ans menée en mars 2009 par le Crédoc permet de dégager les tendances suivantes en termes de connaissance et d’appropriation des dispositifs d’aide à l’insertion par les jeunes :
• Nombreux sont les jeunes salariés qui estiment mal connaître les actions auxquelles ils auraient pu avoir droit pour faciliter leur insertion professionnelle : 27% de ceux ayant connu des périodes de recherche d’emploi considèrent qu’ils connaissaient très mal les aides dont ils auraient pu bénéficier et 32% considèrent qu’ils les connaissaient plutôt mal.
• Près du tiers des jeunes salariés ayant connu des périodes de recherche d’emploi a déclaré avoir bénéficié d’au moins une action d’aide à l’insertion. Elles sont alors très diverses : reprise d’étude ou suivi d’une formation professionnelle (9%), construction d’un parcours personnalisé vers l’emploi par une mission locale (8%), aide financière (7%), Contrat d’Insertion dans la Vie Sociale (CIVIS) (5%), actions de parrainage (5%). Par ailleurs, on constate que même lorsqu’ils connaissent les actions ou quand ils les utilisent, les jeunes les identifient difficilement. Ils sont peu acteurs de cette utilisation qui leur a été prescrite, sans qu’ils connaissent réellement les différentes possibilités.
• En lien avec cette faible appropriation, les jeunes salariés sont nombreux à considérer que les aides n’ont que peu d’impact pour expliquer leur insertion professionnelle. Interrogés sur les facteurs pouvant expliquer leur entrée dans l’entreprise, les jeunes mentionnent d’abord leur réseau (45%), puis leur niveau d’étude (36%) et, enfin, leur expérience professionnelle (29%). Seuls 9% des jeunes salariés ayant bénéficié d’une aide à l’insertion, la citent comme expliquant leur insertion professionnelle. Toutefois les deux tiers considèrent ces actions comme utiles, bien que d’un apport faible au regard des autres déterminants.
Les acteurs de l’insertion et les dispositifs qu’ils déploient constituent donc un véritable « millefeuille de la deuxième chance ». Si cette profusion présente l’avantage d’une variété des actions disponibles, son excès pose le problème de l’incohérence et de l’illisibilité du champ de la prise en charge des jeunes éloignés de l’emploi de qualité.
L’étude des orientations politiques, des acteurs et des dispositifs destinés à faciliter l’insertion professionnelle des jeunes permet de dégager trois tendances majeures quant au devenir des jeunes en difficulté :
• Le devenir des jeunes pris en charge avec succès : s’il faut se féliciter que de nombreux jeunes en difficulté connaissent des « sorties positives » des dispositifs qu’ils ont intégrés, on constate que, sur fond d’adéquationnisme, la plupart est orienté vers les métiers en tension (agriculture (maraîchers, jardiniers, viticulteurs), bâtiment et travaux publics, mécanique et travail des métaux, commerce (caissiers, employés libre-service), hôtellerie-restauration et alimentation). Des métiers qu’ils n’ont pas toujours choisis et qui ne correspondent pas forcément à leurs attentes ou à leur bagage académique. Des métiers qui, même en CDI, offrent généralement des conditions de travail peu confortables, avec des perspectives incertaines.
• Le devenir des jeunes pris en charge sans succès : chaque année, des dizaines de milliers de jeunes pris en charge par des acteurs de l’insertion ne connaissent pas de sortie positive, ce qui aboutit à les maintenir à l’écart du marché du travail « ordinaire ». Ces jeunes naviguent en circuit fermé, entre chômage, intérim, CDD, contrats aidés et formations, quand ils ne sortent pas définitivement du marché du travail.
• Le devenir des jeunes non pris en charge : il reste beaucoup à faire pour aller chercher les « populations invisibles », souvent les plus fragiles, qui ne se présentent pas spontanément aux portes des organismes. En outre, la majorité des subventions accordées aux dispositifs est conditionnée à des indicateurs de réussite axés sur des sorties positives rapides. Pour préserver leurs financements, un grand nombre d’acteurs ont tendance à s’adresser aux jeunes les plus « employables ». Cette sélectivité met au ban des dispositifs une partie des jeunes éloignés de l’emploi de qualité, parmi, là encore, les plus fragiles.
La nomination de Martin Hirsch comme Haut Commissaire à la jeunesse en janvier 2009 s’est accompagnée d’une forte volonté politique d’introduire l’expérimentation dans le champ des politiques sociales. Cette volonté s’est concrétisée par la création d’un fond d’expérimentation pour la jeunesse : « Le fonds jeunes a pour ambition de créer et de financer des politiques innovantes de la jeunesse. […] Il permettra d’impulser et de soutenir des initiatives, sur différents territoires et selon des modalités variables et évaluées. Cette approche vise à préparer dès la phase expérimentale les conditions d’une généralisation ultérieure » . Son action se traduit par une série d’appels à projets d’expérimentation en faveur des jeunes.
Ces appels à projets présentent différents axes de travail définis comme prioritaires pour alimenter et faire évoluer les politiques en faveur de la jeunesse : réduire les sorties prématurées du système de formation initiale, améliorer la transition entre formation et emploi, soutenir les initiatives des jeunes, favoriser l’égalité des chances et lutter contre les discriminations, améliorer l’accès au logement et au soin des jeunes,… Ces programmes abordent différentes thématiques et différents publics : la santé, le logement, la mobilité, l’apprentissage, l’orientation, les jeunes porteurs de handicap, les jeunes sous main de justice, les jeunes diplômés…
L’expérimentation dans le domaine des politiques sociales consiste à tester une innovation sociale à petite échelle et pendant une durée limitée, afin d’en mesurer les avantages et les inconvénients, de l’améliorer avant de la généraliser ou d’y renoncer si elle ne s’avère pas pertinente. De plus, l’expérimentation doit être couplée d’une phase d’évaluation rigoureuse, de manière à mesurer précisément les effets du dispositif testé. L’évaluation doit s’attacher à mesurer les effets attendus, qui correspondent aux objectifs fixés au dispositif expérimenté, mais aussi à repérer des effets non attendus, qu’ils soient positifs ou négatifs. Ceci implique d’associer des méthodes quantitatives et qualitatives de recueil de données, ces deux types d’observation étant complémentaires. Théoriquement, la méthode quantitative la plus rigoureuse pour mesurer l’efficacité d’une expérimentation est de constituer aléatoirement deux groupes de personnes et de donner accès au dispositif que l’on veut évaluer à un seul des deux groupes. Il s’agit alors de comparer les parcours des personnes des deux groupes. L’affectation aléatoire permet de minimiser les écarts entre les caractéristiques des deux groupes : les différences d’évolution entre les deux populations ne pourront donc s’expliquer que par le dispositif expérimenté. Les premières expériences d’évaluation de dispositifs expérimentaux par cette méthode soulèvent néanmoins des difficultés à la fois éthiques (elle engendre une rupture, même provisoire, avec le principe d’égalité de traitement), politiques (en termes d’affichage de cette rupture) et pratiques (en termes de mise en œuvre par les acteurs de terrain).
En faisant la preuve de l’efficacité d’un dispositif et en analysant les conditions de sa réussite, l’expérimentation doit permettre de dissiper les craintes et de lever les réticences aussi bien parmi les décideurs que parmi le grand public. Elle est à la fois une arme pour convaincre et un outil pour faciliter la mise en œuvre à grande échelle. En ce sens, l’expérimentation sociale est une nouvelle manière d’appréhender la mise en œuvre de l’action publique.
« Réussir sa sortie » : Un exemple d’expérimentation sociale pour l’insertion des jeunes placés sous main de justice {} Les 10 missions Locales de l’Essonne se sont associées pour répondre au premier appel à projet du fonds d’Expérimentations pour la Jeunesse. Le dispositif expérimental qui a débuté en novembre 2009 a pour objectif de favoriser l’accès à l’emploi ou la formation des jeunes Essonniens détenus à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Le dispositif, auquel collaborent le SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation) et 3 associations spécialisées dans l’accompagnement des jeunes en difficulté, vise à éviter la scission « Dedans/dehors » par la prise en charge globale d’un groupe de 12 jeunes pendant 5 mois à temps plein (6 semaines en détention et 16,5 semaines à l’extérieur) afin de les mener à un emploi durable tout en travaillant sur le projet professionnel et les compétences individuelles de chacun. Le projet expérimental se veut une réponse aux problèmes du suivi des jeunes sous main de justice. Le temps de suivi possible en détention ne permettait pas aux intervenants d’aider chaque jeune à prétendre à un projet clair afin d’obtenir un aménagement de peine et/ou de préparer au mieux sa sortie. Il ne permettait pas non plus d’anticiper tous les problèmes qui se posent à sa sortie, de l’amener à lever les freins inhérents à son insertion, de corriger des difficultés de compréhension, de savoir-être et d’expression afin d’y travailler et de se remettre à niveau. Enfin, la coopération entre acteurs faisait défaut pour ce public sous obligations judiciaires et cumulant un grand nombre de difficultés. La plus value réside en un parcours d’actions « dedans/dehors » coordonnées entre professionnels partageant leurs compétences et permettant au jeune : • D’amorcer en détention la définition d’un projet professionnel par le biais d’un bilan psychosocial tout en anticipant les problèmes matériels liés à la sortie (logement, transport, papiers). • De travailler le projet professionnel par des actions collectives et individuelles dont des mises en situations concrètes à l’extérieur (chantier, stage, ateliers…). • De continuer à être accompagné jusqu’à l’accès à une solution d’insertion durable via la remise à niveau et la mise à l’emploi (accompagnement vers et dans l’entreprise pendant 6 mois). Cette prise en charge se renouvellera 5 fois sur une durée totale de 15 mois. Ce qui constituera un effectif total de 72 bénéficiaires. « Service médiation logement » : un exemple d’expérimentation sociale pour l’accompagnement des jeunes qui rencontrent des difficultés d’accès ou de maintien dans un logement autonome. Les trois missions locales du Lot-et-Garonne se sont associées pour proposer un service médiation logement expérimental dans le cadre du premier appel à projet du haut commissaire à la jeunesse. Ce dispositif, déjà mis en place depuis 2008 à Agen a débuté dans le reste du territoire départemental en novembre 2009. Il vise à faciliter l’accès et le maintien des jeunes dans un logement autonome. L’objectif qui sous-tend le service de médiation est de promouvoir l’insertion sociale et économique par le logement. Le projet expérimental vise à dépasser les difficultés rencontrées jusque là par les missions locales en termes d’accompagnement des jeunes en parcours d’insertion sociale et professionnelle sur la question du logement. En effet, les conseillers des missions locales avaient jusqu’à présent à leur disposition uniquement les outils de droit commun suivants : les aides financières pour l’accès ou le maintien dans le logement (Aide Personnalisée au Logement, Fond Solidarité Logement, Fonds d’Aide aux Jeunes, Locapass) et les partenaires locaux tels que les bailleurs sociaux, les foyers, les centres d’hébergement, les CCAS. La valeur ajoutée de l’expérimentation réside dans la mise à disposition des jeunes l’offre de services suivante par les missions locales du département : • Une évaluation de la situation du jeune (sur un plan personnel, professionnel et financier) qui doit permettre au référent logement de proposer l’accès au logement autonome ou de le réorienter vers d’autres hébergements si sa situation ne le permet pas. • Des informations sur les droits et devoirs des locataires et des propriétaires. • Un accompagnement dans la recherche de logement. • L’instruction et le suivi des dossiers d’aide au logement. • La mise en relation des bailleurs privés avec des locataires. • Une médiation entre les bailleurs, les propriétaires et les jeunes en cas de problème. Le service vise également à consolider les partenariats en matière de logement sur le territoire, et à offrir un espace ressource sur les différents dispositifs d’aide au logement existants, mobilisable par les jeunes et par les partenaires intervenant sur la question. |
Les expérimentations sociales en faveur de la jeunesse : quel impact sur le millefeuille des acteurs et dispositifs locaux ?
Bien qu’il soit encore tôt pour évaluer la mise en œuvre des projets d’expérimentation sociale en faveur des jeunes, et à plus forte raison, leur impact sur ce qui est désigné comme « le millefeuille » des dispositifs destinés aux jeunes, quelques éléments de réflexion peuvent être formulés.
Tout d’abord, bien que cela ne soit pas propre aux expérimentations sociales, la mise en place de celles-ci peut provoquer un émiettement supplémentaire des politiques sur certains territoires. Elles consistent d’abord en la mise en place d’actions nouvelles, pouvant constituer une nouvelle couche de dispositifs venant se juxtaposer à l’existant. C’est en particulier le cas sur les territoires où les projets ont été définis sans réel partenariat. Enfin, un risque supplémentaire est lié aux modalités de généralisation des dispositifs. Leur caractère intégrateur dépend des partenariats locaux et de la complémentarité des projets d’expérimentation, avec les actions existant localement. Or ces relations partenariales et ces actions peuvent être différentes selon les territoires. Ainsi, plus que lors de la mise en œuvre de politiques locales selon d’autres modalités, le recours aux expérimentations sociales doit poser la question de la volonté des acteurs locaux d’agir pour plus de cohérence des politiques locales à l’égard d’un public.
A l’inverse, la mise en place d’actions innovantes a signifié pour de nombreux porteurs de projets, d’étendre leurs actions vers d’autres publics que les leurs, ou de mobiliser conjointement des dispositifs jusque là fragmentés car portés par des structures différentes. Cette définition des projets expérimentaux conduit bien à une mise en cohérence de politiques portées par différents acteurs. Par ailleurs, l’exigence d’évaluation a souvent impliqué une définition rigoureuse des outils de droit commun, et donc de l’ensemble des actions préexistantes sur le territoire. Les projets se sont alors montés en cohérence avec ces actions.
Bibliographie
Pour en savoir plus
* ANGOTTI M., ALDEGHI I., BREZAULT M., OLM C., COHEN-SCALI V., Deuxième chance ? La prise en charge des jeunes éloignés de l’emploi de qualité, Cahier de recherche du CREDOC, n°257, décembre 2008.
* BREZAULT M., OLM C., ANGOTTI M., SIMON M.O., Politiques locales de la jeunesse et expérimentations sociales, Cahier de recherche du CREDOC, n°266, décembre 2009.
* CERC, Un devoir national, l’insertion des jeunes sans diplôme, Rapport n°9, La Documentation Française, 2008.
* CESE, 25 ans de politiques d’insertion des jeunes : quel bilan ?, Avis et rapport, octobre 2008.
* CREPON B., L’apport des expérimentations dans l’évaluation de l’impact des dispositifs publics, CNAF, Informations sociales, 2008/6, n°150.
* FONDEUR Y., MINNIC., L’accès des jeunes à l’emploi, INSEE, Données sociales, 2006.
* LEFRESNE F., Les Jeunes et l’emploi : parcours et dispositifs, in Patricia Loncle (dir.), Les jeunes, questions de société, questions de politique, La Documentation Française, 2007.
- info document (PDF – 678.6 kio)