La biopiraterie

1er mai 2006

Résumé

Les dénonciations de Biopiraterie portent sur l’appropriation par les pays du Nord des ressources biologiques des pays du Sud.
Avec l’essor des industries biotechnologiques et la généralisation des dépôts de brevets sur des innovations industrielles portant sur des éléments du monde vivant, le débat sur le partage des avantages tirés de l’exploitation des resosurces génétiques a pris une grande ampleur jusqu’à devenir un point central des négociations de la Convention sur la diversité biologique.


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5.2- Milieux naturels et biodiversité

Auteur·e

Aubertin Catherine

Catherine Aubertin est directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Économiste,elle dirige le groupe “ Politiques de l’environnement ” de l’UR 168 et coordonne plusieurs groupes de recherche sur les questions du développement durable et de la biodiversité. Elle a coordonné l’ouvrage Représenter la nature ? ONG et biodiversité (Ed.de l’IRD, 2005) et publié, avec F-D.Vivien, Le développement durable, enjeux politiques économiques et sociaux (La Documentation française, Ed de l’IRD, 2006). Elle est membre du comité de rédaction de la revue Natures, Sciences, Sociétés.


La biopiraterie est définie, par les pays et les ONG qui la dénoncent, comme une situation où l’accès et l’acquisition de ressources biologiques et du savoir traditionnel associé s’effectuent sans recueil préalable du consentement informé de la part de ceux qui se reconnaissent comme détenteurs de ces ressources et de ces savoirs. L’accès et l’usage des ressources sont donc jugés illégaux, quel que soit l’état de la législation nationale du pays d’origine des ressources,et s’apparentent à un vol.


La maca, dite viagra vert, au centre des conflits.


Les dénonciations de biopiraterie sont l’expression d’une exaspération des pays du Sud. Ceux-ci dénoncent le manque de reconnaissance et de rétribution que les États et les communautés autochtones ou locales tirent de leurs ressources biologiques et de leurs savoirs,alors que des chercheurs et des industriels des pays du Nord déposent des brevets à partir de ces ressources et savoirs. Ces dénonciations fournissent une excellente illustration des conflits que le développement durable devrait régler entre les intérêts économiques du Nord et du Sud et entre les différentes visions du monde sur les moyens de mettre en valeur et de diffuser les connaissances qui lient les hommes aux ressources biologiques.

 Un scénario simple

Le scénario de la biopiraterie est simple : des chercheurs d’une université, généralement américaine, prélèvent du matériel biologique dans un pays du Sud. Ils isolent et séquencent un gène aux propriétés particulières, connues depuis “des générations” par les populations autochtones. Puis, pour faire reconnaître et protéger leur travail et leur innovation, ils demandent un droit de propriété intellectuelle, généralement un brevet. Enfin, une firme multinationale pharmaceutique ou agrochimique en situation de monopole achète ce brevet dont elle est censée tirer des revenus illimités grâce à la production de médicaments ou de semences génétiquement modifiées. Les ONG indigénistes et environnementales n’ont de cesse de dénoncer ces agissements, réels ou supposés. Des revendications identitaires et foncières, la morale, le droit des peuples sur leurs ressources et leurs savoirs sont alors avancés,mais ce sont surtout des demandes de dédommagement, d’intéressement aux bénéfices, pour les États et les populations, qui sont opposées à cette nouvelle forme de piraterie.

 Des cas exemplaires

Les dénonciations pour biopiraterie s’exercent avec prédilection sur les brevets. Que ceux-ci concernent ou non le génome de la plante, qu’ils aient des applications industrielles ou non, qu’ils aient apporté des avantages économiques à la personne ayant déposé le brevet ou non,qu’il y ait eu préjudice pour les populations locales ou non. Le conflit se décline alors en termes d’appropriation illégitime.


L’Ayahausca :peut-on breveter une plante sacrée de l’itinéraire chamanique ?


C’est le cas de la maca, plante stimulante péruvienne. Le brevet portait sur une méthode de préparation d’extraits qui n’a jamais été exploitée et l’entreprise détentrice du brevet était à l’initiative de plantations au Pérou. C’est le cas aussi de la quinoa, plante alimentaire andine, dont le brevet, sanctionnant une recherche purement universitaire menée en collaboration avec un organisme bolivien, portait sur la stérilité mâle de certaines variétés. Dans le cas de l’ayahuasca, plante hallucinogène du bassin amazonien,le conflit a été très violent du fait du caractère sacré de la plante utilisée dans les itinéraires chamaniques et de la position de l’Office américain des brevets qui, à deux reprises,a permis de breveter la plante entière pour des recherches médicales sur le cancer. Le cas récent du cupuaçu, fruit cultivé dans toute l’Amazonie,ne concerne pas l’utilisation indue de ressources ou de connaissances,mais dénonce le dépôt au Japon du nom de marque commerciale cupuaçu. Comment protéger une plante, sauvage ou cultivée, revendiquée comme faisant partie du patrimoine immatériel d’une population ou d’un pays ?


La quinoa est devenue un produit phare du commerce équitable.


 Une Convention pour encadrer la biopiraterie ?

Pour comprendre comment la bioprospection est devenue une source de conflits géopolitiques, il faut rappeler dans quel contexte la Convention sur la diversité biologique (CDB), signée au Sommet de la Terre de Rio en 1992,a lié la conservation et l’usage durable de la biodiversité au “partage juste et équitable des avantages tirés des ressources génétiques” (art.1) et a associé explicitement la valorisation des ressources génétiques aux savoirs et savoir-faire des populations autochtones et traditionnelles (art.8j et 15).

La fin des années 1980 est marquée à la fois par le développement des biotechnologies et par la montée en puissance des mouvements indigénistes. Avec les progrès du génie moléculaire et le développement d’une économie du vivant promouvant et protégeant les innovations utilisant des ressources biologiques par des droits de propriété intellectuelle, la garantie de l’accès aux ressources génétiques - aux informations génétiques - est devenue une priorité pour les pays industrialisés. La bioprospection est la méthode la plus ancienne pour accéder à de nouvelles molécules. Elle recouvre l’exploitation, l’extraction et le criblage ou le tri de la diversité biologique et des connaissances indigènes pour découvrir des ressources génétiques ou biochimiques ayant une valeur commerciale. Cette pratique scientifique et industrielle, dans ce contexte d’exacerbation des intérêts économiques et commerciaux, est alors censée connaître un nouvel essor.


L’assassinat de Chico Mendes a accéléré la reconnaissance des droits fonciers et identitaires des « Peuples de la forêt ».


Parallèlement se forment, essentiellement en Amérique latine,de forts mouvements identitaires issus des luttes des communautés rurales menacées par la modernisation capitaliste. Parmi les plus médiatisés, on peut citer les seringueiros de l’état de l’Acre du Brésil s’opposant à l’avancée du front de déforestation qui, derrière Chico Mendes, trouveront la satisfaction de leurs revendications foncières grâce aux mouvements écologistes internationaux. Proclamés “Peuple de la forêt”, Amérindiens et seringueiros sont alors présentés par les ONG comme des écologistes spontanés. Des scientifiques, au sein par exemple de la Société internationale d’ethnobiologie, requalifient les savoirs naturalistes locaux comme outils de conservation de la biodiversité. En Amazonie, les régions à forte diversité biologique ne coïncident-elles pas avec les territoires indigènes ? Par ailleurs, la notion d’autochtonie est fortement soutenue par les organisations des Nations unies et la Banque mondiale. De nombreuses fédérations de peuples indigènes sont renforcées ou créées comme la COICA,la Confédération des organisations indigènes du bassin amazonien, à laquelle se rattache la FOAG, la fédération des organisations amérindiennes de Guyane.

La défense de la biodiversité se confond alors avec la défense des modes de vie des populations “autochtones et traditionnelles”. Ces luttes, qualifiées en Amérique latine de “socioenvironnementales”, Dénoncent la biopiraterie, c’est-à-dire le pillage des ressources et des savoirs des “communautés”du Sud par les pays industrialisés. Les ONG internationales qui soutiennent ces mouvements,parmi les plus célèbres GRAIN et ETC ex-RAFI, ont tendance à adopter des positions extrêmes et mêlent le refus de toute marchandisation du vivant et des savoirs avec des campagnes qui insistent sur la richesse considérable des ressources génétiques et des savoirs détenus par les populations afin de dénoncer avec plus d’emphase la réalité des pillages de “l’or vert”. On peut alors lire la CDB comme un cadre permettant à la fois d’assurer aux industries des biotechnologies l’accès aux ressources génétiques tout en associant les populations locales à leur exploitation commerciale. En effet, la CDB fait la promotion des marchés et des contrats de bioprospection, dont les industriels comme les populations locales tireraient des bénéfices considérables. La valorisation économique de la biodiversité,grâce à des accords décentralisés entre partenaires publics et privés,est présentée,en accord avec la théorie économique dominante, comme un moyen privilégié de financer la conservation de la biodiversité. Cependant, pour que les pays du Sud touchent des redevances sur les découvertes issues de la prospection de leurs richesses naturelles, il leur faut reconnaître des droits de propriété intellectuelle (dont les brevets) sur le vivant d’une part et, d’autre part, il leur faut mettre en place un système juridique qui garantisse leurs droits sur l’accès et l’utilisation de ces richesses. À la spoliation par la biopiraterie, la CDB oppose un partage des avantages tirés de la biodiversité,grâce à la mise en place de droits de propriété intellectuelle.



 Un régime d’accès et de partage des avantages

Depuis le Sommet pour le développement durable de Johannesburg (2002), une des principales revendications des pays du Sud dans les négociations sur la biodiversité est l’établissement d’un “régime international d’accès et de partage des avantages”. Le régime s’imposerait à l’ensemble des parties à la CDB et encadrerait tous les échanges de ressources biologiques. Cette position n’est pas anodine car il s’agit d’une remise en question du cadre institué par la CDB,qui prônait un règlement bilatéral, sous la responsabilité directe des États concernés, du commerce des ressources génétiques. On peut penser que ce retour proposé au multilatéralisme traduit la difficulté des pays du Sud à définir des législations d’accès à la fois réalistes au regard des règles du commerce international et conformes à leurs intérêts.

En effet, la transcription de l’article 15 de la CDB concernant l’accès aux ressources génétiques dans les législations nationales se fait difficilement. Elle est généralement révélatrice des conflits entre, d’une part, les ministères chargés de l’agriculture, de la recherche et des finances qui tiennent à favoriser les investissements étrangers et se soucient peu des savoirs traditionnels jugés comme faisant partie du domaine public, et, d’autre part, les ministère chargés de l’environnement qui défendent la conservation de la biodiversité et les droits des peuples traditionnels. L’exemple le plus révélateur est le Brésil où le projet de loi est bloqué depuis 1995.Dans les pays qui ont mis en place une législation sur l’accès aux ressources et aux savoirs, les complications, les suspicions et les incertitudes entourant le montage des contrats ont un rôle dissuasif vis-à-vis des industriels candidats à la bioprospection. Le débat est désormais porté sur d’autres scènes que celle de la CDB. A l’OMPI, l’office mondial de la propriété intellectuelle et à l’OMC, l’organisation mondiale du commerce, les pays mégadivers s’organisent pour exiger que les demandes de brevet s’assortissent d’un certificat d’origine des ressources biologiques prouvant l’obtention du consentement préalable en connaissance de cause des populations concernées et la signature d’un contrat de partage de bénéfices.

 Un jeu d’acteurs

Depuis la signature de la Convention,le marché des ressources génétiques n’a guère vu le jour.La demande est incertaine. Les collections déjà constituées, les banques de données bioinformatiques, les progrès de la biologie moléculaire couplés à ceux de la chimie combinatoire dispensent en grande partie les industriels d’aller chercher de nouvelles molécules dans les profondeurs des forêts tropicales. Les contrats surmédiatisés, comme ceux signés entre Merck et Inbio, ou ceux de l’ICBG, n’ont donné lieu à aucun nouveau médicament. Du côté de l’offre, la situation ne s’est pas révélée meilleure. Les populations ne gèrent pas de ressources génétiques à proprement parler, mais mettent en jeu des relations sociales, des savoirs, des savoir-faire en interaction avec des ressources biologiques. Peut-on prouver l’unicité d’une plante ou d’un savoir ? Peut-on isoler un savoir de l’ensemble des éléments qui permettent la reproduction de la société ? Comment définir une “population autochtone et traditionnelle”autrement que dans une démarche politique ? De grands efforts d’innovation sont nécessaires pour imaginer des législations adaptées à des situations où le savoir est le plus généralement collectif, accumulé sur des générations, etc.

Dans le climat de grande expectative ouvert par la Convention, la faiblesse de la demande et le manque de définition de l’offre d’“or vert”,ne pouvait qu’engendrer de graves déceptions et l’exaspération des pays dits “mégadivers”,des États du Sud, des mouvements indigénistes, des ONG, des scientifiques militants… On peut déceler ici la source principale des procès en bi-opiraterie.

Le groupe des Mégadivers s’est formé en février 2002 autour de la “Déclaration de Cancun”. Il est aujourd’hui constitué de 17 pays :Afrique du Sud,Bolivie,Brésil,Chine, Colombie, Costa Rica, République Démocratique du Congo, Équateur, Inde, Indonésie, Kenya, Madagascar, Malaisie,Mexique, Pérou, Philippines et Venezuela.

Ces pays estiment qu’ils détiennent 70% de la biodiversité mondiale et entendent, par leur constitution en groupe de pression, orienter les négociations internationales dans un sens qui leur soit favorable. Ils sont ainsi à l’initiative du groupe de travail de la CDB pour un régime international sur l’accès et le partage des avantages des avantages tirés de la biodiversité. La formation de ce groupe témoigne de l’importance que revêtent les échanges de ressources génétiques pour ces pays et de l’avantage comparatif qu’ils entendent en tirer. Loin de s’opposer à l’expansion du commerce des ressources génétiques,ils cherchent à mettre en place le cadre juridique leur permettant d’en capter les bénéfices.

Dans le cadre de la CDB,la biopiraterie est présentée comme le Résultat d’un déficit de législation des pays fournisseurs et d’un mauvais fonctionnement du marché des ressources génétiques. Pour les pays du Sud, la biopiraterie est une forme de poursuite du pillage du Tiers-monde qui nie la contribution des populations du Sud à la préservation et à l’enrichissement de la biodiversité. Pour les uns,la biopiraterie n’a pas de base juridique ; pour les autres, il s’agit de stigmatiser l’indécence des valeurs commerciales des pays industrialisés face aux valeurs morales des sociétés traditionnelles.

Dans ce jeu d’acteurs, tout le monde est à sa place,et il est toujours aussi difficile d’objectiver la biopiraterie. Assimiler systématiquement la bioprospection à la biopiraterie est une impasse dontil convient d’analyser l’ampleur etles enjeux. S’ils éclairent justement l’inadéquation des droits de propriété intellectuelle issus du monde industriel à réglementer les échanges de ressources génétiques, les procès en biopiraterie ont tendance à ignorer le travail des communautés scientifiques du Sud et à ruiner les efforts de la coopération internationale. Aujourd’hui, certains chercheurs remarquent non sans humour que ces procès profitent plus aux cabinets d’avocats internationaux qu’aux communautés indigènes.

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 Bibliographie

Pour en savoir plus

  • Aubertin C., Moretti Ch., Procès de la biopiraterie, procès de la
    recherche ?
    Diplomatie, n° 21, janvier-février 2005, p.57-62.
  • Nash, R. J. 2001. Who benefits from biopiracy ? Phytochemistry 56 (3) :401-403.
 Lire dans l’encyclopédie

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* Catherine Aubertin, Les compromis de la Convention sur la diversité biologique (N°3).

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