La réhabilitation et la transformation du Carreau du Temple (Paris 3e arr.)
Un exemple de démocratie participative
Résumé
Le Carreau du Temple, l’une des dernières grandes halles de type Baltard construites à Paris au XIXème siècle est en cours de réhabilitation pour devenir l’équipement majeur du 3e arrondissement.
Afin d’en définir les caractéristiques, les fonctions et les aménagements nécessaires, répondant à l’initiative d’un groupe d’habitants, la Mairie du 3e arrondissement a mis en œuvre une démarche de démocratie participative tout à fait exemplaire, dans l’esprit du développement durable.
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La nouvelle classification de cet article est :
• 2.3- Citoyenneté et gouvernance, du local au global
Auteur·e·s
Jean-Pierre Piéchaud est urbaniste. Il a successivement travaillé dans l’aménagement et la planification urbaine, le logement, l’environnement urbain, la politique de la ville et du
développement social urbain, avant de se consacrer à la dimension territoriale du développement durable.
Il est membre fondateur de 4D ainsi que de l’Encyclopédie du développement durable.
Raoul Pastrana est architecte – urbaniste. Il a été professeur à l’École d’architecture Paris – La Villette. Très impliqué, à la fin des années 1970, dans l’expérience innovante de l’Atelier Populaire d’Urbanisme du Quartier de l’Alma Gare à Roubaix, il a participé à de nombreuses expériences de revitalisation de quartiers anciens et de bâtiments historiques en France et à l’étranger, notamment dans le cadre de missions Unesco en Amérique du Sud et à Cuba. Il est président de l’Atelier Local d’Urbanisme du 3e arrondissement de Paris (ALU3)
- Un peu d’histoire
- Une démarche par étapes
- Une première période d’information et de réflexion
- Le concours d’idées
- Le succès d’un vote local
- Quand les procédures et les mécanismes administratifs reprennent leurs droits, les délais (…)
- Les dernières phases de mise en œuvre du projet doivent faire appel à l’idée de développement (…)
- L’Environnement
- Le développement social et culturel
- La vie économique
- Comment poursuivre l’expérience ?
Au moyen-âge, l’enclos du Temple créé par l’Ordre des Templiers, bénéficiait d’une franchise et accueillait des activités artisanales et de petits commerces. Un marché s’y est tenu depuis le XVIIe siècle. Cette tradition commerciale s’est poursuivie depuis, prenant successivement différentes formes. Au début du XIXème siècle, après la démolition de la tour du Temple, l’architecte Molinos éleva les quatre pavillons en bois de la « halle du linge et de la ferraille ». En même temps, un « marché aux puces » fonctionnait dans la Rotonde, édifice en pierre existant depuis 1790. En 1863, la Rotonde et les quatre pavillons furent démolis pour permettre la construction d’une très grande halle métallique conçue par l’architecte Mérindol [1], Le Marché du Temple, composé de six pavillons en fonte et en verre, qui allaient de la rue du Temple à la rue de Picardie. C’est cette grande halle du Marché du Temple qui avait accueilli la première Foire de Paris en mars 1904.
Cependant le marché était déjà tombé en désuétude depuis les années 1890, au point qu’en 1905, il fut amputé de deux tiers de sa structure, dans sa partie Ouest, pour permettre la création des nouveaux îlots et la construction d’un ensemble d’immeubles entre la rue Eugène Spuller actuelle et la rue du Temple. L’actuel Carreau est constitué des deux derniers pavillons qui ont survécu à la démolition.
Précisons enfin que dans les années 1930, une partie de sa travée Est a été démolie pour permettre la construction d’un immeuble de logements sociaux du type HBM.
Dans le Carreau du Temple ainsi réduit à trois travées, mais toujours imposant, s’est tenu après la deuxième guerre mondiale et pendant plusieurs décennies, un marché aux vêtements extrêmement actif dont il subsiste encore aujourd’hui quelques commerçants.
La démolition du Carreau du Temple, pourtant un témoin remarquable du patrimoine architectural de Paris, avait même été envisagée dans les années 1963-1970, afin de le remplacer par un bâtiment de 9 étages sur sous-sols logeant plusieurs équipements et parkings. La décision fut prise par le Conseil de Paris en décembre 1973 et les permis de démolir et de construire furent délivrés en 1975. Mais le projet fut heureusement abandonné grâce à une mobilisation des habitants de l’arrondissement en 1976 et 1977 et dès septembre 1981, le Carreau du Temple était inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques.
Après le changement de Municipalité à Paris en 2001, la Mairie du 3e arrondissement décide de réhabiliter le Carreau du Temple pour en faire un grand équipement de proximité manquant dans l’arrondissement.
À partir de là, un processus exemplaire d’élaboration démocratique du projet démarre.
C’est en janvier 2002 que la Mairie du 3e annonce officiellement l’opération Carreau du Temple. À la suite d’une concertation préalable, conduite au sein du 3e arrondissement, à laquelle a été très largement associé l’Atelier Local d’Urbanisme du 3e (ALU3), le Maire et les élus du Conseil d’arrondissement invitent les habitants et les acteurs de la vie locale à s’exprimer en toute liberté sur leurs souhaits quant au rôle du futur équipement, sa conception et ses fonctions. Ainsi la concertation est lancée.
Des informations données par le journal de la Mairie ont précédé l’organisation de réunions très ouvertes qui ont abouti à la constitution de plusieurs groupes de travail autour du sport, de la culture, de la vie locale, de la vie économique. Ces groupes de travail, qui ont fonctionné de manière indépendante pendant plusieurs mois, ont élaboré des conclusions qui feront l’objet de deux réunions publiques et d’une première exposition à la Mairie du 3e en mai et juin 2002 . Ce travail a constitué la base d’un document intitulé “Éléments pour un Cahier des charges”, communiqué à la Ville en Juillet 2002. Il devait servir de base pour le programme d’un Concours d’idées, première étape d’un ensemble d’actions programmées avec précision sur la base d’une méthode et d’un échéancier proposés par l’ALU3.
L’Atelier Local d’Urbanisme du 3e arrondissement (l’ALU3) L’ALU3 existe depuis février 2001. Il est l’aboutissement d’une présence militante qui remonte à plusieurs décennies. L’Atelier Local d’Urbanisme du 3e – association de la loi de 1901 – dont tous les membres, bénévoles, simples citoyens et pour certains d’entre eux architectes, urbanistes, techniciens, sont des habitants de l’arrondissement, s’emploie à démocratiser les pratiques de l’urbanisme par une démarche associant les habitants à la réflexion et à l’action, avec comme objectifs :
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Ouvert à tous, le concours d’idées, largement annoncé, s’est déroulé au printemps 2003. À la demande de la Mairie d’arrondissement, l’ALU3 en a assuré l’appui technique. À cet effet, des permanences ont été tenues dans une boutique à proximité du marché des Enfants Rouges, rue de Bretagne au centre de l’arrondissement, pendant un mois et demi.
De très nombreux habitants et acteurs de la vie locale – plus de 500 – s’y sont rendus, sollicitant des renseignements ou un appui pratique. Le rôle de l’ALU3 et d’une équipe de jeunes architectes engagés sous sa responsabilité, était d’aider les personnes venant à la permanence à formaliser leur projet, sur le plan rédactionnel ou graphique, sans chercher à les influencer. Il faut noter que plusieurs propositions des habitants faisaient référence aux principes du développement durable. C’est ainsi que 133 dossiers de propositions ont été remis à la Mairie du 3e, dont une majorité a fait l’objet d’une présentation sous forme de panneaux, pour une seconde exposition installée dans le hall de la Mairie.
Un travail de synthèse a ensuite été engagé dans le cadre de plusieurs réunions publiques. Il a abouti à classer les propositions du concours d’idées en trois grandes options possibles :
- un équipement voué principalement au sport
- un équipement à vocation culturelle
- un espace pour tous mêlant sport, culture, activités économiques et vie locale.
Sur la base de ces trois options, un vote local a été organisé en janvier 2004. Le dépliant distribué par la Mairie, invitant à voter, prévoyait l’ouverture de l’équipement en 2007 – 2008.
Pendant toute une semaine, les habitants de l’arrondissement (y compris les étrangers et les jeunes de plus de 15 ans inscrits dans les écoles) et les personnes y travaillant, avaient la possibilité de voter, soit grâce à un bus « bureau de vote » qui se déplaçait dans les quartiers, soit en venant à la Mairie en fin de semaine où un bureau de vote fixe était installé.
C’est ainsi que 4080 personnes ont participé au vote, ce qui représente une part importante de la population de l’arrondissement qui compte moins de 35 000 habitants et donc un réel succès, notamment pour l’ALU3 qui avait pris en charge une partie de la conduite de cette concertation pendant deux ans (sur la période 2002 – 2004) et qui y a trouvée la confirmation de la validité de la démarche qu’il avait proposée.
Le vote local a abouti au choix de l’option « un espace pour tous ». On peut remarquer que ce choix est le plus conforme à l’idée de développement durable présente dans un certain nombre de propositions du concours d’idées.
Et c’est en application de ce vote populaire que le Conseil d’arrondissement du 3e arrondissement et le Conseil de Paris ont pris la décision d’engager la préparation des dossiers techniques et administratifs et la procédure du concours d’architecture, nécessaires à la réalisation de l’opération.
Lors de la première réunion du Comité du Pilotage de l’opération, les services de la Ville annoncent la livraison de l’équipement pour novembre 2008.
Les élus de l’arrondissement et l’ALU3, considérant ce délai trop long essayent, par une démarche commune auprès des services techniques de la Ville, visant une définition plus fine des tâches, d’obtenir ainsi une réduction de ce délai. Au contraire la Direction du Patrimoine et de l’Architecture (DPA) de la Ville de Paris répond par lettre au Maire du 3e et à son Adjoint à l’urbanisme, que “le principe de réalité le conduit à préciser qu’une livraison avant la fin 2009 serait tout à fait illusoire”.
Plus tard, le bureau d’étude chargé de l’élaboration du programme du concours d’architecture prévoit un nouveau décalage dans le temps de ce concours et finalement un document des services de la Mairie de Paris (2004), précise que le concours d’architecture ne pourrait avoir lieu qu’en septembre 2007.
En fin de compte, selon l’échéancier définitif fixé par ce document, les travaux ne pourront débuter qu’en 2010 et le nouveau Carreau ne sera mis en service qu’à l’automne 2013.
Il aura fallu onze ans !
Éléments de programme du Carreau du Temple issus du concours d’idées Le programme choisi par les habitants lors du vote local fait du Carreau, un espace multifonctionnel, « pluriel » : il contribue à répondre à tous les grands besoins de l’arrondissement dans un même lieu. Le programme propose quatre pôles d’importance comparable :
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Malgré tous les efforts de la Mairie du 3ème arrondissement – et de l’ALU3 – et la tenue de plusieurs réunions avec les services, il n’a pas été possible d’aboutir à un raccourcissement des délais de réalisation du nouvel équipement du 3e arrondissement. C’est donc dans le contexte et les délais arrêtés par la D.P.A. pour le déroulement de l’opération que doit s’organiser aujourd’hui sa réalisation, sous la responsabilité du cabinet d’architecture de Jean-François Milou, lauréat du concours.
Tout au long de cette période, la préoccupation de démocratie participative doit bien entendu être présente, dans le même esprit de concertation et de débat qui avait présidé à la phase de définition du Cahier des charges et du Concours d’idées, pour vérifier, approfondir, préciser, donner toute leur cohérence aux différentes idées émises pour le nouveau Carreau.
Cette cohérence peut s’appuyer sur l’idée de développement durable d’ailleurs fréquemment évoquée, rappelons-le, pendant le Concours d’idées et sous-jacente dans l’option retenue « un espace pour tous », un lieu combinant les pratiques culturelles, économiques et sportives de la vie locale et permettant le mélange des publics.
Le développement durable en effet, se veut la rencontre des préoccupations liées à l’environnement, au développement social et culturel et à l’action économique. Ceci se traduit concrètement pour le nouveau Carreau par un ensemble de mesures en relation avec :
Matières premières. Veiller à ce que le bâtiment réhabilité soit économe en matières premières et en énergie. Jean François Milou, l’architecte lauréat, a pris le parti de rendre la structure métallique du XIXe siècle aussi dépouillée que possible en évitant au maximum de la charger de nouveaux éléments, lui restituant air et lumière.
Réversibilité. L’idée du développement durable s’appuie notamment sur le principe de « réversibilité » : dans les décisions que nous prenons aujourd’hui, les aménagements que nous décidons, laisser toujours à ceux qui nous succéderont, la possibilité de réorientations ultérieures, de souplesse dans l’utilisation de ces aménagements, de changements dans leur destination ou leur fonctionnement, voire de retours en arrière. C’est bien l’esprit des principes arrêtés par le cabinet d’architecture.
Économies d’énergie. Des mesures d’isolation sont prévues pour limiter les dépenses en chauffage et une étude est en cours en vue de l’utilisation de matériaux capteurs d’énergie solaire à partir des verrières des toits du bâtiment. L’ensemble de la démarche est encadrée par la procédure « Haute Qualité Environnementale » (HQE).
Insertion de l’équipement dans le quartier. Dans le courant de l’année 2005, le Conseil de quartier Temple (l’un des trois Conseils de quartier de l’arrondissement) et l’ALU3 ont formulé un ensemble de propositions d’aménagement des espaces publics autour du Carreau dans le but de mieux insérer dans son quartier le futur équipement et ses activités. Même si ces réflexions n’ont pas été prises en compte dans le dossier du programme du concours d’architecture, elles peuvent contribuer, ainsi que d’autres qui viendraient les compléter, à organiser la qualité de la vie locale dans le quartier du Carreau.
Le programme du concours d’architecture a fixé les grandes lignes des aménagements et des activités à concevoir autour de ce thème. Il convient dans la phase de réalisation du projet de les préciser, sans doute en faisant appel à certaines suggestions du concours d’idées.
Il importe de concevoir un équipement « en résonance » avec la vie sociale, contribuant à son développement, s’appuyant sur les structures et les outils existants, la Maison des associations notamment, ainsi que sur le très riche réseau associatif de l’arrondissement autour des jeunes, de la vie locale, des personnes âgées, des populations d’origine étrangère, etc. Il ne s’agit pas de doubler ou concurrencer les activités de la Maison des associations, mais leur apporter appui et rayonnement : par exemple faire connaître les différentes cultures présentes dans les quartiers (chinoises, juives, maghrébines…), rappeler les traditions d’un arrondissement lié à l’histoire de ce morceau du vieux centre de Paris et à sa tradition très ancienne d’accueil…
Faire que la « vitrine » que sera le nouveau Carreau, contribue à une synthèse de la vie économique du 3e arrondissement : son histoire très riche en activités, ses traditions et son évolution. Être aussi dans l’arrondissement un relais, un lieu d’information, d’orientation ainsi qu’une caisse de résonance pour des activités nouvelles qui se développent, comme la mode, le design, les métiers du numérique et de l’Internet, l’art contemporain…
Aujourd’hui, pour conserver à cette expérience toute sa richesse, on peut suggérer plusieurs orientations complémentaires les unes par rapport aux autres :
- il faut organiser la concertation avec l’équipe de Maîtrise d’œuvre de manière à lui faciliter tous les contacts qu’elle jugera nécessaires à côté de ses relations de travail avec les services de la Mairie de Paris et de la Mairie d’arrondissement ;
- Il faut que cette concertation comporte un volet « participation », dans le même esprit que pendant les premières phases de conception de l’équipement. Participation des acteurs et de habitants intéressés, participation des réseaux associatifs. Cette démarche de participation devrait pouvoir s’appuyer sur les Conseils de quartier qui seraient les lieux de débat et de suivi des différentes étapes de la réalisation du nouveau Carreau du Temple ;
- Il faut enfin imaginer à l’avance le fonctionnement de l’équipement, tester, expérimenter ses futures activités. Pour cela la proposition a été faîte de créer, aussi tôt que possible, une mission de préfiguration intervenant en amont, bien avant la fin des travaux, pour anticiper son fonctionnement et ainsi enrichir la démarche de conception architecturale de l’équipement.
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Jules, Charles, Joseph de MÉRINDOL
Né a Milan en octobre 1815, de parents français, décédé le 27 février 1888 (ou 1891).
Elève de l’école des Beaux-Arts de Paris, diplômé architecte en 1836, collabore avec Viollet-le-Duc.
Il restaura les églises de Neuvy-Saint-Sépulcre, de Levroux, de Gargilesse, les abbayes de Fontgombault et de Déols, les églises de Saint-Genou, de Châtillon, de Maubert ; d’Aix (Cher), de Pleingueil (Cher) et l’église basse de Chauvigny.
Il fut architecte diocésain de Poitiers à partir de 1848, et architecte des monuments historiques, depuis 1845.
En 1872, il présenta au salon son projet pour le marché du Temple.
Il construisit diverses églises dans le Cher et l’Indre, à Paris, le marché du Temple, le marché Saint-Honoré, la halle aux bœufs de la Villette (La Grande Halle), le théâtre de l’Athénée.