Résumé
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Des 25 débats publics organisés par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) depuis le vote de la loi du 27 février 2002, l’auteur fait un certain nombre de constats :
- en règle générale, les participants à ces débats sont plutôt des opposants au projet ;
- les objections s’expriment parfois en termes plus proches de l’idée de décroissance que d’une référence au développement durable ;
- on constate cependant que le débat, en s’élargissant, aboutit souvent à une critique sociétale du projet ;
- peut alors s’amorcer la recherche de compromis entre développement économique, développement social et protection de l’environnement, dans l’esprit du développement durable. C’est là, grâce à un apport d’intelligence et d’imagination, parfois externe (témoignages et expertises demandées par l’autorité organisatrice du débat), l’énorme avancée de la loi de 2002.
Face à ces constats, des propositions nouvelles peuvent être faites quant à la gouvernance du projet, en prolongement de la phase de débat public. L’article illustre la proposition de modification de la loi de 2002 présentée en ce sens par la CNDP au Grenelle de l’environnement.
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La nouvelle classification de cet article est :
• 2.3- Citoyenneté et gouvernance, du local au global
Auteur·e
Ingénieur général des Ponts et Chaussées, Georges Mercadal a été Directeur du CERAU - Centre d’études et de recherches sur l’aménagement urbain - (1967-1971), Directeur à la SCIC - Société centrale immobilière de la Caisse des Dépôts -, Directeur de la construction au Ministère de l’urbanisme et du logement (1978-1984), Directeur de la SAGEP - Société anonyme de gestion de eaux de Paris -, Délégué général de l’Union des HLM (1993-1999), Vice-président du Conseil Général des ponts et chaussées (1999-2002). Il a été, jusqu’en septembre 2007, Vice-président de la Commission nationale du débat public.
La participation du public aux décisions a été instituée par la loi de 2002 pour être un facteur d’impulsion du développement durable et l’expérience de 25 débats publics organisés par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) confirme ce pronostic. Néanmoins, ce résultat n’est pas acquis d’avance. Cela tient largement à la nature du débat public qui est d’abord la construction d’une critique du projet par la société. Pour passer de cette critique au développement durable, il faut, soit que des conditions favorables soient réunies, soit que la conduite du débat soit appropriée. Mais dans l’un et l’autre cas le débat ne peut donner que des esquisses de solution. Pour qu’elles aient des chances raisonnables d’aller au bout, un maintien de la pression du public est nécessaire, ce qui pose la question de la gouvernance de l’après débat.
La nature du débat : l’exercice d’une critique par un public concerné
Les maîtres d’ouvrage ont souvent déploré que le débat public fasse la part belle aux opposants au projet mis en débat. Mais comme toute tentative de composer une assistance représentative de l’ensemble de la société relèverait de la manipulation, il faut donc constater que les personnes répondant volontairement à l’annonce des réunions, et plus encore celles qui s’expriment, sont très majoritairement des opposants au projet qui formulent des objections aussi bien sur l’opportunité que sur les caractéristiques du projet. Le débat n’est pas un sondage d’opinion.
Mais par le jeu des questions et des réponses, et des témoignages d’experts, une construction s’opère qui va bien au-delà de la juxtaposition des objections. On peut parler de critique sociétale du projet dans la mesure où le public qui s’exprime est un public concerné, qui a souvent une réflexion antérieure sur le projet, et qui s’engage à partir de ses attachements à son environnement pour bâtir un raisonnement. Si le débat ne peut se prévaloir d’une représentativité statistique de la population, il fournit une, et même la, critique socialement construite du projet.
Cette critique est d’ailleurs structurée d’une manière assez semblable d’un débat à l’autre, même si les poids mis aux différents composants varient. On trouve ainsi dans tous les débats la suspicion à l’égard des institutions proposant les projets, les peurs provoquées par les risques d’impact sur la santé ainsi que les blessures causées aux attachements, notamment territoriaux, qui en résument bien d’autres. On trouve ensuite des représentations particulières liées au projet mis en débat. C’est ainsi qu’on peut constater une véritable cote d’amour portée au train à l’heure actuelle, par opposition à un désamour des autoroutes et à une aversion des lignes électriques. Mais c’est aussi à ce titre que l’on peut distinguer entre la représentation de la science et des certitudes qu’elle est censée apporter sur le comportement de la nature, et celle de la société, qui ne promet aucune certitude, mais dont on peut compter sur la vigilance et la réactivité. Enfin, si l’on réussit à persuader le public qu’il est compris sur ces réalités psychosociologiques, alors on peut assister à des échanges apaisés sur les aspects habituellement appelés « rationnels » du projet.
Le débat public entre limitation de la croissance et développement durable
Construisant avant tout une critique du projet, l’assistance du débat public à une tendance naturelle à pencher vers des solutions de limitation et, à l’extrême, vers la décroissance. D’abord parce que la logique de cette critique est de monter en généralité et de remonter vers l’amont, c’est-à-dire d’une critique des caractéristiques du projet vers une critique de son opportunité, d’abord basée sur les impacts locaux du projet particulier mais s’élargissant très rapidement à la mise en cause du genre d’équipement lui-même. Ensuite parce que en la socialisant, le débat public donne à cette critique une cohérence et un poids qu’elle n’avait pas nécessairement auparavant. Un élu opposant à la ligne à très haute tension entre la France et l’Espagne déclare en fin de débat : « nous étions opposés à cette ligne mais c’était pure intuition. Maintenant nous savons pourquoi ».
Tous les projets ne sont néanmoins pas également exposés à une telle évolution. Les projets ferroviaires jouissent d’une cote d’amour de la part du public des réunions. L’opportunité en est rarement contestée et la critique porte sur les caractéristiques. De tels débats ont des chances d’aller vers la formulation d’une alternative, comme ce fut le cas pour le service express entre Charles-de-Gaulle et Paris. A l’inverse, les autoroutes ou plus encore les lignes électriques à très haute tension semblent déclencher une opposition générique. Non seulement l’opportunité en est violemment contestée, mais souvent, comme pour la ligne à Très Haute Tension France-Espagne, l’assistance refuse au nom de cette contestation de débattre des caractéristiques, et cette approche recueille la sympathie du public local car préservant ses attachements. Une telle attitude tourne le dos à la recherche du développement durable, et peut aller jusqu’à la mise en avant de la décroissance comme seule solution, comme dans le cas des transports dans la vallée du Rhône.
Pourtant, quelque difficile que soit la construction du développement durable, synthèse entre deux objectifs contradictoires que sont d’une part le développement promis par le projet et la protection de l’environnement, le débat peut en amorcer la recherche. Il est d’abord des cas où le projet contient en lui-même, certes moyennant un coût supplémentaire, les mesures capables de dépasser cette contradiction. Ce peut être un contournement autoroutier qu’il « suffit » de couvrir dans la traversée des zones exposées au bruit et aux pollutions. Mais le cas général est plus compliqué. Il exige, pour rendre durable le développement envisagé, des mesures qui peuvent être très éloignées du lieu d’implantation de l’équipement, et de nature très différente, impliquant par la même des autorités très diverses difficiles à coordonner. Ce fut le cas d’un équipement ne présentant en lui-même que peu de problèmes, le doublement du terminal conteneur du port de Fos Marseille. À cette occasion furent en effet soulevés : la question de la pollution de l’air, qui ne peut être pertinemment surveillée que sur un bassin beaucoup plus vaste ; l’accroissement du trafic de poids lourds dans le voisinage immédiat du port et l’étude d’une navette ferroviaire pour franchir cette zone ; les actions nécessaires pour donner à la population locale, qui endure un taux de chômage élevé de jeunes, des chances d’occuper les emplois créés.
Les étapes antérieures du principe de participation et de son application
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Cette faculté du débat de dépasser la contradiction développement/protection tient à sa capacité à changer la problématique grâce à un apport d’intelligence et d’imagination externe. C’est l’énorme avancée décisive de la loi de 2002 que de permettre à une autorité organisatrice indépendante de convoquer dans le débat toutes les expertises qu’elle juge nécessaires. C’est par de telles ouvertures au vent du large que de nouvelles pistes peuvent surgir. Quelques unes reviennent fréquemment : l’aménagement de l’espace envisagé à toutes les échelles successives, à la condition de ne pas oublier ses dimensions symboliques qui déterminent les attachements profonds des populations concernées ; le mixage de réhabilitation d’infrastructures existantes et de tronçons nouveaux ; l’exploitation plus intensive de l’existant ; la mise en place d’une métrologie indépendante. Le débat public confirme ainsi le lien étroit entre développement durable et aménagement durable.
La gouvernance du projet, suite nécessaire pour ordonner le débat au développement durable
Des difficultés qui viennent d’être évoquées, par exemple dans le cas du terminal conteneur de Marseille Fos, on comprend qu’il n’est pas possible dans le temps et les lieux du débat lui-même de finaliser toutes les mesures qu’il serait nécessaire de prendre de manière bien coordonnée, pour rendre ce développement durable. Du travail dans la durée est nécessaire. Mais en outre certaines des mesures évoquées sont de simples idées. Sans un maintien de la pression de ceux qui les ont émises, ou qui y ont souscrit, sur le maître d’ouvrage et plus généralement sur les autorités compétentes, grandes sont les chances que ces idées restent sans lendemain. D’autant plus que les approfondir demande des moyens qui parfois dépassent les possibilités du maître d’ouvrage, voire ne sont pas de son ressort. On voit bien comment s’impose le concept de « gouvernance de l’après débat », dans la mesure où la gouvernance est l’art de coordonner divers niveaux de gouvernement des choses et d’y associer ceux qui sont concernés par elles.
De cette gouvernance indispensable pour le compléter dans la construction de solutions durables, le débat fournit les éléments essentiels. D’abord, une représentation légitime de ceux qui sont concernés à travers ceux qui ont pris la parole et se sont impliqués dans le débat public, associations, citoyens, élus. Ensuite un inventaire de toutes les autorités qui ont à contribuer à l’approfondissement voire à la mise en place des mesures évoquées dans le débat. Enfin l’agenda des études, concertations et décisions auxquelles il faudrait procéder. Le débat sur Marseille Fos de façon empirique, les débats sur les déchets nucléaires et sur les transports dans la vallée du Rhône de manière plus systématique, ont traité ces questions.
La gouvernance apparaît ainsi complètement pour ce qu’elle est, à la fois une manière de faire participer les parties concernées et d’assurer la coordination des autorités responsables. Cela peut amener, comme proposé dans le débat de Marseille Fos, à la création d’une instance de pilotage de l’ensemble des concertations nécessaires pour couvrir tout le champ ouvert par le débat autour du strict projet lui-même. Car le débat public, en déroulant la logique du développement durable, crée autour du projet un périmètre d’intérêt qui peut ne coïncider avec aucune limite fonctionnelle ou territoriale établie.
La commission nationale du débat public parvenue au terme de cette analyse a proposé au Grenelle de l’environnement de compléter la loi de 2002. Celle-ci stipule que le débat porte « sur l’opportunité et les caractéristiques du projet ». Il est proposé d’ajouter : « sur l’opportunité, les caractéristiques du projet et la gouvernance de l’après débat ». En effet la loi de 95 faisait seulement porter le débat sur les caractéristiques du projet. Ce fut une avancée de la loi de 2002 d’y ajouter l’opportunité. Les 25 débats organisés sous l’empire de ces dispositions ont montré combien cet ajout a été puissant. Il a notamment ouvert la remontée vers l’amont et la montée en généralité que nous avons évoquées.
En ajoutant la gouvernance de « l’après débat » soit la constitution d’une instance de pilotage du projet en aval, on donne une perspective d’approfondissement de ses propositions par la mise en place de moyens permettant réflexions et études autour d’idées ou de propositions émises au cours du débat. Cela doit inciter le public à dépasser la critique et à participer à la recherche collective de solutions durables.
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Droit du public à l’information, la participation, l’accès à la justice, loi qui constitue avec son décret d’application (22/10/2002) le cadre actuel du débat public « de 2ème génération – cf article n°28 (mars 2007).
Bibliographie
Pour en savoir plus
- Rencontre nationale de la CNDP du mercredi 23 juin 2004 à la Maison de la Chimie sur le thème : Les associations et le débat public.
- Loi du 2 février 1995 relative à la protection de l’environnement et son décret d’application du 10 mai 1996.
- Loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité.
- Serge Depaquit, Développement durable et démocratie, opportunité d’une nouvelle alliance, n° 6.
- Jean Luc Mathieu, Les débats publics de la Commission nationale du débat public (CNDP) sont-ils favorables au développement durable ? n° 28.
- Jean Luc Mathieu, Le « Port 2000 » du Havre, développement durable et démocratie de proximité, n° 29.
- Site de la Commission Nationale du Débat Public : www.debatpublic.fr