L’Indicateur de Santé Sociale (ISS) des régions françaises

23 mai 2015

Résumé

On présente dans cet article l’Indicateur de santé sociale. On le met en perspective de plusieurs manières : d’abord par rapport à d’autres modalités de construction ; ensuite on présente la genèse de cet indicateur. Enfin, on présente certains des usages présents et à venir de l’ ISS.

23 mai 2015

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Auteur·e·s

Marlier Grégory

Docteur en sciences économiques, Grégory Marlier est chargé de mission statistiques depuis 2007 au Conseil Régional Nord – Pas de Calais au sein du service Observation et Prospective Régionale.
Il suit notamment le programme « Indicateurs 21 » qui vise à doter la Région Nord – Pas de Calais de nouveaux indicateurs de développement durable.
Chargé de mission au Conseil Régional Nord-Pas-de-Calais, Direction D2DPE (Direction du Développement Durable, de la Prospective et de l’Evaluation)


Jany-Catrice Florence

Professeur d’économie à l’université Lille1, et chercheur au CLERSE-CNRS.


Dès la fin des années 1920, Simon KUZNETS, père de la comptabilité nationale contemporaine, avait lui-même alerté sur les mésusages du PIB s’il venait à être utilisé comme un proxy de bien-être (VANOLI, 2002). Ce débat a été réactivé depuis le début des années 1990 (MÉDA, 2008 ; GADREY et JANY-CATRICE, 2006). Se sont alors multipliés de nombreux nouveaux indicateurs visant à mieux appréhender le bien-être économique (OSBERG et SHARPE, 2002), le développement humain (PNUD, 1990) ou encore la santé sociale (MIRINGOFF et MIRINGOFF, 1999).

La commission Stiglitz (STIGLITZ et al., 2009) a validé les critiques énoncées depuis plusieurs décennies vis à vis de l’usage du PIB et de la croissance comme indicateurs de bien-être et de progrès. Celles-ci mettaient en avant, en particulier, l’absence de prise en considération des données environnementales ainsi que la difficulté à représenter la société uniquement par des moyennes dans un contexte de forte montée des inégalités.
De nombreuses initiatives visant à combler le besoin de nouveaux indicateurs ont vu le jour. Des tableaux de bord qui rassemblent des batteries de variables sont un premier stade qui objective le caractère multidimensionnel de l’objet à mesurer. Les indicateurs composites ou synthétiques, qui rassemblent les différentes variables en les pondérant, ambitionnent de compléter ou de se substituer au produit intérieur brut. Le PIB est d’ailleurs un indicateur synthétique par excellence, non seulement en tant que dispositif collectif de jugement sur la richesse ou le bien-être du territoire, mais aussi en tant qu’«  instrument de gouvernement  » (LASCOUMES et LE GALÈS, 2004 )-. La construction des indicateurs synthétiques implique un processus de légitimation des variables retenues et de leur pondération.

 Différentes voies de légitimation des indicateurs synthétiques


Une analyse continue des travaux et des initiatives depuis le début des années 1990 nous permet de distinguer trois modalités -non exclusives les unes des autres- d’élaboration d’indicateurs et de légitimation.

La plupart s’appuient sur des indicateurs qui ont été préparés par des experts. Equipés de leur référentiel théorique et de leur système de valeurs, ceux-ci viennent appuyer « scientifiquement » les choix opérés. Ainsi, le rapport de la commission STIGLITZ-SEN-FITOUSSI (2009) fut le fruit d’un travail interne aux économistes d’Ecoles de pensées différentes : théorie des capabilités, économie du bien-être, théories du bonheur. Un même constat s’applique à l’IDH (PNUD, 1990), à l’IBEE (OSBERG et SHARPE, 2002), et à la plupart des initiatives visibles.
Cette manière d’élaborer les indicateurs est de plus en plus concurrencée par une autre forme de légitimation. Partant de l’hypothèse que les concepts qu’il est ambitionné de mesurer sont trop subjectifs par essence pour faire l’objet d’un consensus (bien-être, qualité de vie etc.), des auteurs considèrent que la seule légitimité ne peut provenir que d’une expression individuelle (de satisfaction, de bien-être). Adossé à une conception relative aux préférences individuelles exprimées, ces approches se fondent sur des questionnaires administrés aux individus, et utilisent diverses méthodes, allant de simples questions relatives au niveau de « bonheur » , à l’élaboration d’indices de satisfaction de vie (EASTERLIN, 1974 ; KAHNEMAN et KRUEGER, 2006 ;AMIEL et al., 2013). Elles interrogent un échantillon d’individus représentatif statistiquement - ce qui en fonde la légitimité - sur leur niveau de satisfaction de vie, à partir de questions du type « En général, que diriez-vous de votre vie, sur une échelle de 0 à 10, de la pire à la meilleure possible ? ». La publication des résultats agrégés rappelle rarement le fondement utilitariste de la démarche, basée sur le primat de l’individu, et ignorant souvent les biens communs dont il faut prendre soin collectivement.

Fonder des politiques publiques sur ce type d’enquêtes est problématique avec des risques non négligeables que l’usage exclusif de ce type de mesure puisse faire l’impasse des libertés individuelles et des responsabilités sociales (SEN, 2004), pourtant constitutifs d’un bien-être collectif. Les résultats de la dernière enquête de l’Insee sont assez symptomatiques (AMIEL et al., 2013). On y lit en particulier que « la perception de la qualité de l’environnement ou celle de tensions dans la société n’ont pas d’influence significative sur le bien-être ressenti » (p. 3).

La troisième piste émane de chercheurs provenant de diverses sciences sociales : sociologie, science politique, philosophie, économie institutionnaliste (VIVERET, 2003 ; GADREY et JANY-CATRICE, 2006). Le concept d’un bien-être collectif est alors non réductible à une somme de bien-être individuels, et qu’un patrimoine commun (patrimoine naturel et patrimoine social) dont il s’agit de faire un inventaire et dont il faudrait suivre les évolutions, échoit à chaque génération (MÉDA, 2008). L’intérêt de cette voie est double. Elle considère les individus comme des citoyens, inscrits dans la cité et on ne sépare les points de vue personnels de leur contexte externe. La forme privilégiée de la prise de décisions collectives est celle de forums hybrides (CALLON et al., 2003) c’est-à-dire des espaces ouverts de débats et de discussions, où les experts côtoient la société civile, et où les processus délibératifs sont soignés (HABERMAS, 1992). Ces acteurs prennent, ensemble, des décisions raisonnées au terme de discussions sur ce que sont les « richesses du territoire » et le « bien-être pour tous ».

Le tableau 1 récapitule ces différentes légitimités.

Tableau 1 – Les formes de légitimation des nouveaux indicateurs et les mondes correspondants
Monde de l’ expertise Monde de l’ individu Monde de la démocratie délibérative
Support principal
de la légitimation
Un « cadre théorique
 » (selon les
experts mobilisés)
Le cadre théorique
utilitariste
Démocratie
délibérative
Acteurs de cette
légitimation /valeurs
Experts et technocrates / Hiérarchie entre « sachants » Individus / Individualisme
méthodologique
Citoyens / Démocratie et éthique communicationnelle
Processus retenu dans le choix des dimensions,
variables, pondérations...
Travail et délibération en « chambre »,
entre experts
Sondage et agrégation
des préférences
individuelles, préférences qui préexistent
et qui sont exprimées par les
individus
Forums hybrides, coélaboration des priorités à
construire dans
l’élaboration des
biens communs
Fondement du processus Objectivation de l’expertise Subjectivité individuelle
sublimée
Réalité politique prioriséeet élaborée

Source : les auteurs

L’Indicateur de Santé Sociale a été élaboré en empruntant cette troisième voie, par concertation avec une pluralité de parties prenantes.

 L’élaboration de l’Indicateur de Santé Sociale (ISS)


Un « baromètre des inégalités et de la pauvreté » (BIP40) mis au point en 2006 par un réseau associatif de chercheurs militants et de syndicalistes au niveau de la France métropolitaine (Réseau d’Alertes sur les Inégalités, RAI) est à l’origine de l’ISS des régions françaises. Cet indicateur intègre six dimensions (logement, santé, éducation, justice, travail et emploi, revenus) à travers 60 variables. Ses promoteurs ont voulu démontrer que les inégalités et la pauvreté ne se limitaient pas à des inégalités monétaires, mesurées le plus souvent par le taux de pauvreté monétaire. Ce baromètre indique que sur les trois dernières décennies les grands problèmes sociaux contemporains français se sont nettement aggravés, avec un petit répit au milieu des années 1990 (CONCIALDI, 2009).

Dans l’intention d’élaborer une déclinaison de ce baromètre à partir de données disponibles à l’échelle régionale, la région Nord-Pas-de-Calais a initié une démarche participative itérative.

Le Conseil régional et les chercheurs qui l’ont accompagné ont mis en place des groupes de travail hétérogènes, regroupant des experts, des collecteurs de données sociales aux niveaux territoriaux, des fonctionnaires territoriaux (techniciens de la Région et des Départements) et des associations qui avaient ainsi l’opportunité d’exprimer des réalités complexes qu’ils observaient sur des terrains parfois très microsociaux.

  • le point de départ du projet a été celui de l’appropriation de deux indicateurs légitimes et porteurs de valeurs : l’IDH du Pnud au niveau international, le BiP40 au niveau national. Les dimensions du baromètre des inégalités et de la pauvreté ont servi de base aux premiers débats, et ont permis les premières prises de position, tandis que la méthode agrégative de l’IDH était retenue pour la construction de l’indicateur composite.
  • la deuxième étape a été la prise en compte de la réflexivité collective, dans une ambiance d’éthique communicationnelle où ont cohabité une diversité d’expertises : c’est la délibération du forum hybride sur « la richesse sociale » du territoire et sur ses biens sociaux communs. Les groupes ont travaillé pendant un an (septembre 2007-juin 2008) sur chaque dimension du baromètre, ont interprété les résultats, ont débattu des pondérations, et ont fait des propositions.
  • la troisième étape a consisté en une prise de conscience collective progressive vers quelques objectifs prioritaires communs et limités. Cette démarche a conduit à la production d’un indicateur maniable (parce que limité à une batterie limitée de 14 variables), diffusable (parce que constituant une forme de benchmarking social des régions françaises entre elles) et visant à compléter le PIB et non à s’y substituer. Dans un esprit de responsabilité, les parties prenantes du processus ont intégré la contrainte, parfois forte, de manque de données sociales au niveau régional.

 Le contenu de l’Indicateur de Santé Sociale (ISS)

Revenons sur chaque dimension composant l’ISS en présentant tout à la fois les motivations qui ont présidé à leur choix, et les résultats comparés pour les régions françaises en 2008.

La dimension du revenu :

Tableau 2 - Dimension du revenu
Sous dimension Variable Ajustement variable Elément méthodologique Pondération
Consommation Taux de surendettement 1
Inégalité et pauvreté % ménages assujettis à ISF Pondéré par montant moyen ISF Tx ISF ajusté=%ménages assujettis * montant ISF moyen 1
Pauvreté Taux de pauvreté monétaire des moins de 17 ans 1
Niveau de vie Rapport D9/D1
Du revenu disponible ménage par unité de consommation
1

Pour le niveau de vie, l’idée de justice sociale véhiculée par l’ISS a conduit à retenir les inégalités de revenus, sous la forme du rapport entre le 9ème décile et le premier. En 2008 ce rapport est le plus fort en Ile de France (3,4), il est le plus faible en pays de Loire et Bretagne (respectivement 2,8 et 2,9).
En matière de consommation, le taux de surendettement est un proxy des contraintes budgétaires. Le Nord-Pas-de-Calais est la région où le nombre de dossiers de surendettement déposés pour 100 000 habitants est le plus important (555), suivie par la Haute-Normandie, et la région picarde (517).
A contrario, le % de ménages imposés sur la fortune est une mesure des très grandes richesses sur un territoire. Mais un % élevé ne correspond pas nécessairement au plus fort montant versé par les contribuables de la région. De ce fait, a été retenu le taux d’ISF articulé au montant moyen versé par ménage. Ce nouvel indice reflète la concentration territoriale du capital français. La moitié du montant global de 4,2 milliards l’ISF versé en 2008 provient de ménages d’Ile de France, le % de redevables de l’ISF varie de 0,89 % en Franche Comté, à 4,32 % en Ile de France.
En matière de pauvreté, les groupes de travail ont privilégié la variable de pauvreté des enfants de moins de 17 ans. En France, le taux de pauvreté des enfants atteint 17,4 % (en 2008), avec une s’aggravation rapide de 1 % de plus en quatre années seulement. On note aussi de très fortes variations autour de cette moyenne nationale : de 12,5 % en Bretagne, à 25,1 % dans le Nord-Pas de Calais.

La dimension du travail et de l’emploi

Tableau 3 - dimension du travail et de l’emploi
Sous dimension Variable Ajustement variable Elément méthodologique Pondération
Chômage Taux de chômage Ecart tx entre hommes et femmes Tx ajusté=tx chômage X
(tx femmes/
tx hommes)
1
Conditions de travail % fréquence accidents du travail 1
Précarité % interim+CDD % temps partiel Tx ajusté=somme variable+ajustement 1
Relations professionnelles % conflits du travail avec arrêt

En 2008, l’indicateur de chômage « ajusté », en moyenne de 8,5 % en France, varie de 6,6 % en Limousin à 12,3 % dans le Languedoc-Roussillon. La fréquence des accidents du travail avec arrêt est très variable selon les régions. En 2006, on enregistre un taux de 21,2 pour 1 000 salariés pour la région Ile de France, mais il atteint 36,9 en Picardie.
La précarité dans l’emploi (% interim+CDD) est la plus faible en Corse et en Ile de France (un peu moins de 12 % selon les données du Recensement de la population de l’ Insee en 2008), et la plus forte en Languedoc-Roussillon, Nord-Pas-de-Calais, Haute-Normandie et Poitou Charentes où elle dépasse les 14 %. Nous avons complété cette variable par le taux de temps partiel, en tant que mesure de la précarité de l’emploi des femmes.
Les relations professionnelles enfin sont évaluées à l’aune des taux de conflits dans le travail. La variable retenue se fonde sur les travaux d’A. HIRSCHMAN (1970) : des conflits dans le travail sont le double signe que les salariés ont la possibilité de préserver une partie de leur sécurité économique, et qu’ils ont la possibilité de construire des collectifs de travail.

Les dimensions de l’éducation, de la santé, du logement, et des liens sociaux

Tableau 4 - dimensions éduction, santé et logement
Dimension Variable Ajustement variable Elément méthodologique Pondération
Education % actifs sans diplôme Tx accès au baccalauréat Tx ajusté=somme variable+ajustement 1
Santé Espérance de vie à la naissance 1
Logement Tx recours DALO 1
Justice Crimes contre personnes et biens/
100 000 hb
1
Lien social % adhésion à association 1
Lien inter-individuel % personnes voyant au moins 1 fois/semaine famille ou amis 1

La dimension « éducation » est apparue centrale dans les débats, l’idéal exprimé eut été de pouvoir avoir accès aux sorties sans qualification du système scolaire ; malheureusement cette donnée sensible est très peu rendue disponible par les académies et rectorats. Nous avons, par défaut, opté pour une combinaison de deux taux : le taux de non diplômés d’une part (variable de stock) et le taux d’accès au baccalauréat (variable de flux). Près de 15 points séparent la Bretagne de la Picardie en termes d’accès au baccalauréat. Près de 10 points séparent encore ces deux mêmes régions en termes de non diplômés : plus du tiers de la population de Picardie n’a aucun diplôme (36,5 %), contre moins de 28 % de la population bretonne.
En matière de santé, c’est l’espérance de vie qui a été retenue, en 2008, près de 4 années séparent la plus forte espérance de vie (81,9 ans en Ile de France et Rhône Alpes) de la plus faible (78,2 ans dans le Nord-Pas de Calais). Parmi les régions ayant la plus faible espérance de vie, on trouve surtout toutes les régions du Nord (Est et Ouest).
En ce qui concerne le logement, le taux d’expulsions locatives a été privilégié car il est le reflet de la très grande pauvreté : plus ce taux est faible, plus grande est la santé sociale. En 2004, dernière année sur laquelle les données sont disponibles, c’est dans la région Ile de France que ces phénomènes d’expulsion locative sont les plus élevés (12,9 pour 10 000 habitants), ainsi que, plus étonnamment, le Centre et la Picardie (respectivement, 4,34 et 4,22). Parmi les régions dans lesquelles ce taux est le plus faible on trouve le Limousin, le Nord-Pas de Calais, et la Bretagne (respectivement 0,58 ; 0,64 et 0,96 pour 10 000 habitants). Pour la construction de l’ISS (2008), c’est le taux de recours DALO qui a été retenu pour refléter les questions de pauvreté en matière de logement. Sans surprise, c’est en Ile de France que ces recours sont les plus élevés, ils représentent même un tiers des recours déposés en France métropolitaine.
La santé sociale du territoire nécessite une forme de sérénité pour les habitants. La dimension sécurité physique a donc été retenue avec la variable nombre « de crimes et délits ». Sans surprise, les régions très urbaines sont les plus touchées à l’instar de Provence-Alpes-Côte d’Azur et de l’Ile de France. Le Limousin, l’Auvergne enregistrent les meilleures performances, avec des crimes et délits très faibles : de l’ordre de 3 500 pour 100 000 habitants contre 8 200 en Provence Alpes Côte d’Azur.
Pour tenir compte du lien social dans chaque région, une des formes de la « richesse » sociale des territoires, nous avons retenu comme proxy le taux d’adhésion à au moins une association. Les résultats indiquent qu’entre 2002 et 2004, ce sont les régions comme l’Auvergne, le Rhône Alpes, les Pays de la Loire et l’Alsace qui ont les taux d’adhésion les plus élevés (environ la moitié de leur population). En revanche, la Corse occupe, sur cette variable, la dernière position (23 %), précédée par la Picardie (31 %), Ce lien social est complété d’un lien interpersonnel exprimé ici par la part des personnes qui voient au moins une fois par semaine leurs amis et leurs voisins.

 La valeur de l’ISS comparée à celle du PIB/hb


Nous avons souhaité enrichir cette vision pluridimensionnelle, en agrégeant les variables dans un indicateur composite. Les variables étant d’unités disparates, on a procédé à une normalisation comparative de chaque variable puis à une agrégation (cf. encart méthodologie). L’indicateur composite multidimensionnel ainsi obtenu est compris entre 0 et 100, et son interprétation est simple : plus celui-ci est élevé, plus la santé du territoire est bonne socialement, en comparaison (implicite) des performances des autres régions.

MÉTHODOLOGIE

Pour chaque variable on a procédé à une normalisation comparative du type de celle retenue pour la construction de l’indicateur de développement humain du Programme des Nations Unies pour le Développement. Cette méthode consiste à attribuer à chacune des variables la valeur « 0 » à la région qui possède la situation la plus dégradée et la valeur « 100 » à celle qui dispose de la meilleure situation. Les autres régions sont placées entre ces deux valeurs, selon une interpolation linéaire simple.

Indice = (Valeur mesurée Valeur Minimale) / (Valeur Maximale Valeur Minimale).

En affectant une pondération égale à 1 pour chacun des 14 indicateurs, on obtient un indicateur synthétique multidimensionnel qui résume les 8 dimensions. Les dimensions « revenu » et « travail emploi » ont donc un poids plus important, comparé aux autres dimensions de l’ISS puisqu’elles sont composées de 4 sous-dimensions mesurées chacune par une variable. Cette surpondération est le produit de deux facteurs. D’une part, ces dimensions occupaient déjà, dans le Baromètre des inégalités et de la pauvreté qui a inspiré ce projet, une place plus importante, les auteurs du baromètre accordant en quelques sortes une « valeur » élevée au revenu et au travail dans la production des inégalités. D’autre part, les débats initiés dans la région Nord-Pas de Calais ont confirmé l’importance qu’ont ces deux dimensions dans les représentations de la « santé sociale ».


C’est cet indicateur composite, l’ISS, que l’on présente ci-dessous dans le tableau 5, comparé aux performances économiques de la région, estimées ici par le revenu disponible brut par habitant. On observe très peu de liens entre la santé sociale et le revenu/tête parmi les régions : les régions économiquement riches se situent plutôt dans le centre et dans l’est et le Sud-est, tandis que les régions en bonne « santé sociale » se situent plutôt dans le grand ouest français. L’absence de corrélation entre l’indicateur de santé sociale et le niveau de vie, dans des régions dont le revenu disponible brut est supérieur à 18 000 euros par habitant, n’est pas un résultat inédit. Cela rejoint de nombreuses recherches qui ont montré que, au-delà d’un certain seuil de niveau de PIB (ou de revenu) par habitant, les corrélations avec des variables de bien-être (telles que l’espérance de vie) s’estompaient, voire disparaissaient (FAIR, 2011).

Tableau 5 - ISS et Revenu/tête 2008
Revenu/tête rang ISS rang
Ile de France 24139 1 48,2 17
Rhône-Alpes 20312 2 61,8 7
Bourgogne 20142 3 57,7 13
Auvergne 20118 4 65,9 4
Limousin 19988 5 71,3 1
Centre 19986 6 59,1 11
Alsace 19740 7 65,6 5
Aquitaine 19711 8 60,9 8
Provence, Alpes, côte d’azur 19506 9 43,9 19
Midi Pyrénées 19296 10 62,1 6
Poitou Charentes 19246 11 59,5 10
Champagne-Ardenne 19146 12 51,1 16
Basse Normandie 19142 13 58,0 12
Franche Comté 19130 14 60,5 9
Haute Normandie 19117 15 46,6 18
Pays de la Loire 19078 16 66,3 3
Bretagne 19067 17 67,6 2
Lorraine 19009 18 53,7 15
Picardie 18760 19 38,4 21
Languedoc Roussillon 18216 20 42,5 20
Corse 17903 21 54,8 14
France métropolitaine 20182 53,8


L’Ile-de-France bien qu’en excellente posture économique (son RDB / tête est 19 % plus élevé que Rhône Alpes, région en 2ème position), perd 16 places quand on la positionne sur l’échelle de cette santé sociale, et se retrouve située dans le dernier quart du classement. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur est sur une trajectoire comparable : 9 ème en termes de RDB / tête, elle glisse à la 19ème position en termes de santé sociale. A l’autre extrême, la Bretagne et les Pays de la Loire, et dans une moindre mesure, Franche-Comté et Midi-Pyrénées sont nettement plus performantes en termes d’ISS qu’en termes de RDB/tête : elles gagnent respectivement 15, 13, 5 et 4 places. Le Limousin est dans une situation exceptionnelle puisque selon l’ISS, il est largement en tête de la santé sociale des régions françaises.
Le Languedoc Roussillon et le Nord-Pas-de-Calais sont en queue de classement des régions françaises à l’aune de l’ensemble de ces indicateurs : le faible revenu disponible de leurs habitants n’est pas compensé par une meilleure santé sociale : on les retrouve toutes les deux en bas du classement de l’ISS également.

 L’utilisation de l’ISS


L’ISS est utilisé par des collectivités territoriales dans leur approche du développement et de la santé sociale de leur territoire. Il est par exemple l’un des indicateurs de suivi de l’Agenda 21 régional et du Schéma Régional d’Aménagement et de Développement du Territoire de la Région Nord-Pas de Calais. Il est prévu qu’il soit l’un des indicateurs de contexte retenu par cette Région dans le dispositif d’évaluation des Contrats de Projets Etat-Région et des programmes opérationnels de l’Union Européenne. En outre, l’Association des Régions de France, association à laquelle participent toutes les régions françaises – au sens institutionnel et public- et qui vise à être une force de proposition pour l’ensemble des Régions auprès du Gouvernement, du Parlement, et de tous les réseaux nationaux qui peuvent être amenés à discuter avec les Régions, s’est également appropriée cet indicateur de santé sociale, par l’intermédiaire de sa commission « Développement Durable ». L’ISS fait ainsi partie des trois indicateurs composites complémentaires au PIB (avec l’empreinte écologique et l’Indicateur de développement humain) retenus par l’ARF. Celle-ci avait notamment proposé ces indicateurs à l’Union Européenne en complément du PIB pour répartir les Fonds Européens destinés à la cohésion sociale et territoriale après 2013.
La grille de lecture de l’ISS permet aussi aux Régions de porter un autre regard sur les richesses et de définir une vision partagée du développement durable des territoires. L’ISS peut être un des indicateurs de contexte repris dans le rapport annuel de développement durable des Régions, document devenu obligatoire depuis les lois Grenelle II. Ces indicateurs complémentaires que sont l’ISS, l’empreinte écologique et l’IDH sont des outils de sensibilisation et d’information permettant d’alimenter un débat public sur les choix de développement d’une région (transport, habitat, formation etc.). Ainsi, en 2009, une conférence citoyenne a été organisée en Nord-Pas-de-Calais sur ces questions débouchant sur de nombreuses propositions portées par les citoyens autour, notamment, des usages opérationnels de ces indicateurs alternatifs au PIB.
Si l’on songe à l’attribution d’aides régionales, l’ISS pourrait servir de critère sous réserve d’une légère transformation en ISS(e). En effet, un faible ISS couplé à de fortes capacités économiques (c’est le cas de l’Ile-de-France) n’a pas le même sens qu’un faible ISS couplé à de faibles ressources économiques (ce qui est le cas du Nord-Pas de Calais, ou de la Picardie). Dans le premier cas, on peut imaginer que le territoire peine à utiliser avec efficacité sociale les ressources économiques dont il dispose. Dans le second, ce résultat suggère plutôt que le territoire n’a pas les ressources pour déployer une politique de développement de ses richesses multidimensionnelles. On a donc construit, en s’inspirant en fait de la structure de l’IDH (PNUD, 1990), un indicateur nommé ISS[e] à partir des données suivantes.

|----------------------------- ISS[e] = α ISS + (1-α) ln (RDB) --------------------|

α est le coefficient de pondération utilisé pour la combinaison des deux dimensions : sociale et économique. Le RDB, le revenu disponible brut par habitant, est ici préféré au PIB par tête car il tient compte des flux intrants et extrants des ressources produites au niveau régional, mais qui n’y restent pas nécessairement. Dans l’équation ci-dessus, le log de ce revenu est calculé selon la normalisation empirique. Nous avons appliqué cette formule aux données de 2008 et avons décidé de retenir une pondération plus favorable à l’ISS en appliquant un α=80 %. Les résultats figurent dans le tableau 6. Il resterait néanmoins à s’assurer de la légitimité de cette combinaison, ce qui n’est pas le cas ici. Notre propos visait simplement à montrer que l’exercice est envisageable.

Tableau 6 - comparaison de l’ISS et de l’ISS(e) en 2008
--------------------------------------------------- Rang ISS Rang ISS(e)
Alsace 5 3
Aquitaine 8 8
Auvergne 4 2
Basse Normandie 12 14
Bourgogne 13 11
Bretagne 2 4
Champagne-Ardenne 11 10
Corse 14 17
Franche Comté 9 12
Haute Normandie 18 18
Ile de France 17 7
Languedoc Roussillon 20 20
Limousin 1 1
Lorraine 15 15
Midi-Pyrénées 6 9
Nord Pas de Calais 22 22
Pays de la Loire 3 6
Picardie 21 21
Poitou Charentes 10 13
PACA 19 19
Rhöne Alpes 7 5

 Conclusion

Le plaidoyer pour une réappropriation par le débat public des indicateurs part du constat, déjà largement identifié par les sociologues de la quantification (CHIAPELLO, DESROSIÈRES, 2006) mais aussi les politistes (LASCOUMES, LE GALÈS, 2004), que les indicateurs ne sont jamais neutres car ils sont le résultat de choix, de tâtonnements, de controverses qui ont précédé et accompagné leur mise à l’épreuve. C’est également le cas des indicateurs territoriaux : ils devraient résulter d’accords sociopolitiques et retracer la capacité d’un territoire à maintenir sa prospérité au sens où l’a définie A. SEN, qui comprend l’accès aux biens et services, leur usage, et les capabilités.

Notre travail, d’ordre expérimental, a montré que lorsqu’on élabore un indicateur objectivé, à partir de l’avis raisonné d’un panel d’experts et de citoyens, on n’a plus nécessairement de lien entre les indicateurs hégémoniques – ici le PIB / tête, et ces nouvelles constructions. Ce résultat peut apparaitre contre-intuitif, si on le compare à ceux de PITTAU et al. (2010) ou ceux de BEUGELSDIJK et VAN SCHAIK (2005) pour les régions européennes.

Mais, en accordant un soin particulier au processus démocratique de construction de ces indicateurs de richesse, de bien-être ou de progrès, il s’agit bien de réhabiliter une notion endogène, fruit d’une vision et d’une expression commune et négociées, plutôt qu’une vision exogène des outils de richesse et de progrès sur lesquels précisément l’humain n’a plus prise.

Aujourd’hui, une convention lie l’Insee et l’ARF pour une mise à jour régulière des statistiques de l’ISS. Malheureusement, les données sociales étant souvent fournies dans des délais dépassant parfois les 24 mois, il ne sera jamais possible d’obtenir l’ISS en temps réel. Une version actualisée de l’ISS pour l’année 2012 sera disponible en Juin 2015.

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 Bibliographie

  • KUZNETS S : (1934), National Income, 1929-32, Washington : Government Printing
  • VANOLI A : (2002), Une histoire de la comptabilité nationale, ed. La Découverte.
  • MÉDA D : (2008), Au-delà du PIB. Pour de nouveaux indicateurs de richesse ? Champ Flammarion, Paris.
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