Résumé
« La question des déplacés environnementaux est délicate, tant la définition de ces groupes est malaisée et leur problématique, complexe. La communauté internationale travaille à la construction d’un système juridique de protection pertinent et effectif. »
Cet article a fait l’objet d’une parution initiale dans le n°170 de juin 2015 de la revue trimestrielle de la Ligue des droits de l’Homme, Hommes et Libertés .
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Auteur·e
Docteure en droit public et chercheuse associée au CEJEP (Centre d’études juridiques et politiques).
Elle a également été enseignante à la Faculté de droit de La Rochelle. Ses recherches portent sur le droit relatif aux risques naturels en zones littorales, et sur les déplacements de populations.
Les petits Etats insulaires, dont la hausse du niveau de la mer menace l’existence et la survie de leur peuple et de leur culture, et qui ont été les premiers à tirer la sonnette d’alarme dans les médias ; les sinistrés de la Nouvelle-Orléans qui, même plusieurs années après le passage de Katrina, n’ont pas réintégré la ville, ou se sont résignés à partir ; les victimes de Xynthia, dont la réinstallation a été interdite par les autorités ; le Soudan, où la désertification a contraint des peuples à migrer, provoquant de graves conflits ; le séisme frappant le Japon, déclenchant un tsunami, et provoquant la catastrophe nucléaire de Fukushima ; le Bangladesh, dont les moussons pourtant récurrentes sont de plus en plus intenses et menacent la pérennité de l’installation des populations dans le delta. Cette liste, loin d’être exhaustive, montre la diversité des situations menant au déplacement environnemental, et la complexité de cette problématique.
C’est en 1985 que le terme de « réfugiés environnementaux » a été employé pour la première fois, dans un rapport du Pnue [1] rédigé par Essam El-Hinnawi. Il définit cette catégorie de migrants comme « ceux qui sont forcés de quitter leur lieu de vie temporairement ou de façon permanente à cause d’une rupture environnementale (d’origine naturelle ou humaine) qui a mis en péril leur existence ou sérieusement affecté leurs conditions de vie ».
En 2007, le Giec [2] fait état, dans son rapport, d’un lien entre déplacements de populations et changements climatiques. Plusieurs rapports [3], émanant d’organisations internationales ou d’ONG, ont aussi alerté sur ce lien et ses nombreuses conséquences. La même année, le Conseil de sécurité des Nations unies affirmera, dans une résolution [4], que l’impact des changements climatiques, notamment en termes de mouvements de populations, constitue une menace pour la paix et la sécurité internationale (tensions liées au stress hydrique, alimentaire…).
Pourtant, le déplacement de populations n’est pas nouveau, l’Homme a toujours migré au gré des aléas climatiques et environnementaux. La différence provient de plusieurs facteurs, notamment l’accélération des changements climatiques, l’explosion démographique, l’urbanisation massive, l’accroissement des inégalités économiques, la mondialisation. En outre, la vie dans des sociétés modernes, aisées, implique que le risque est de moins en moins toléré. Bien que le problème ait été identifié, il n’est pas aisé à cerner. Il faut insister sur le caractère profondément pluridisciplinaire de cette problématique et sur la nécessité de l’envisager sous tous les angles, chaque facette étant connectée aux autres. Il y a une imbrication avec les facteurs socio-économiques et politiques. C’est pourquoi le degré de vulnérabilité géographique, politique, économique et sociale des Etats doit être pris en compte, pour apporter une réponse appropriée.
Le périmètre de la définition
L’impossibilité d’isoler un seul et unique facteur ne signifie pas forcément que l’on ne peut pas rechercher celui qui est prépondérant, ou qui est cause initiale de la migration. On peut alors considérer qu’une migration est environnementale lorsqu’un phénomène environnemental a été l’origine d’un processus de dégradation aboutissant à la migration, ou que cette dégradation a été l’élément qui s’est ajouté à une situation déjà précaire. Les classifications sont multiples, s’appuyant tantôt sur le type de phénomène naturel, tantôt sur le schéma migratoire. On peut distinguer entre phénomènes lents (désertification, hausse du niveau de la mer) et rapides (séisme, coulée de boue, ouragan). La migration peut être temporaire ou définitive, soudaine ou anticipée, forcée ou volontaire. Le caractère temporaire implique de travailler sur le droit au retour, afin de ne pas pérenniser la situation et provoquer une trop importante déstabilisation.
Quant à la qualification de migration forcée, elle est primordiale puisqu’actuellement, c’est ce type de déplacement qui déclenche les protections existantes, notamment au regard de la convention de Genève de 1951 sur la protection des réfugiés. Enfin, la migration peut avoir lieu en interne ou à l’international, ce qui n’aura pas les mêmes implications, en termes de régime juridique applicable.
Déterminer le périmètre de la définition est lié au choix sémantique opéré. Ainsi, le terme de réfugié a rapidement été écarté par les scientifiques car renvoyant à la définition de réfugié politique établie par la convention de Genève de 1951. On préfèrera le terme de déplacé, plus neutre, permettant d’englober les situations internes.
Quant à l’adjectif climatique, s’il renvoie aux bouleversements identifiés ces dernières années, et constitue un moyen de peser dans les négociations portant sur la lutte contre les changements climatiques, il est plus restrictif. L’adjectif « environnementaux » offre un champ plus vaste, la plupart des phénomènes naturels n’étant pas exclusivement liés au climat.
Aussi, alors que les implications en termes de droits de l’Homme sont nombreuses, il s’agit de s’interroger sur la pertinence des outils juridiques actuels et sur les possibilités de les renforcer afin que l’on atteigne un meilleur respect des droits des personnes, en associant à ces définitions des droits et obligations spécifiques. L’objectif est à la fois de réduire l’ampleur du déplacement et de l’accompagner du mieux possible lorsqu’il est inévitable.
Un droit international peu adapté.
Lorsque l’on considère les migrations forcées, le texte de référence est la convention de Genève sur la protection des réfugiés, adoptée en 1951. Or, les analyses s’accordent pour considérer que les possibilités d’inclure dans la Convention les déplacés environnementaux sont juridiquement faibles, et deviennent nulles dans un contexte migratoire tendu.
En effet, la Convention accorde une protection à la personne qui, « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Cela suppose une impuissance, parfois même fautive des autorités, et le franchissement de frontières, ce qui ne correspond qu’à une partie des situations. Mais l’obstacle le plus important est la notion, forte, de persécution. Elle ne pourra se rencontrer que dans des cas biens spécifiques de discrimination, dans l’aide apportée face à un désastre naturel. La piste a aussi été avancée vis-à-vis de peuples autochtones dont la culture est impactée par le mode de vie et l’absence de considération d’autres pays. Mais, globalement, la tendance étant plutôt à une interprétation très restrictive de la Convention, on imagine difficilement une ouverture par les pays à certains déplacés environnementaux.
Concernant les situations internes, le CICR [5] a élaboré en 1998 les « Principes directeurs pour la protection des déplacés internes ». Ils ont permis, notamment en Afrique, de faire progresser les droits de plusieurs pays, confrontés à des déplacements essentiellement consécutifs à des conflits armés, afin d’assurer aux individus le respect des droits les plus élémentaires sur leur lieu d’accueil. Or, outre cette situation, la définition dans les Principes directeurs inclut les déplacements consécutifs à des catastrophes naturelles, piste non négligeable.
Il n’existe donc pas à ce jour de texte dédié aux déplacés environnementaux, ce qui n’empêche pas de s’interroger sur les autres moyens de les prendre en charge, et sur le contenu d’un éventuel futur texte.
Quelles responsabilités en jeu ?
Dans leur déplacement, les personnes subissent un préjudice, qui peut être aggravé par les conditions dans lesquelles il se déroule. Obtenir réparation signifierait pouvoir revenir dans un environnement moins risqué, ou obtenir compensation financière ou matérielle (accueil). Cela suppose néanmoins que des règles juridiques prévoient des obligations, ce qui n’est pas toujours le cas.
On peut ainsi envisager la responsabilité pour les dégradations, les manquements dans la protection et le secours aux personnes, et l’atteinte à certains droits lors du déplacement (conditions d’accueil, conditions d’expropriation, etc.).
Le droit international de la responsabilité ne repose pas véritablement sur une convention, mais sur la coutume, codifiée par la Commission du droit international. Elle est fondée essentiellement sur le principe selon lequel un Etat est responsable à partir du moment où une obligation a été violée. Pour notre sujet, on pourrait envisager d’engager la responsabilité pour non-respect des obligations relatives à la lutte contre les changements climatiques et pour la protection de l’environnement, bien que ceux-ci manquent encore de dispositions précises et effectives. Or, le recours à un juge international est conditionné par l’accord des Etats concernés. Si l’on ajoute à cela les difficultés à établir le lien de causalité, face à une pluralité d’acteurs potentiellement impliqués, et l’accès encore insuffisant des individus au prétoire, cette responsabilité demeure actuellement difficile à mettre en œuvre. S’agissant de la protection face aux risques et des conditions de déplacement et d’accueil, les Etats dans leur droit interne sont soumis à de plus en plus d’obligations à ce sujet. Les attentes fluctuent en fonction de leur capacité, mais cela constitue un moyen pertinent pour améliorer la protection des personnes.
L’émergence de propositions
Bien qu’aucun engagement ne soit pris pour le moment, des initiatives émergent afin de clarifier ces obligations et proposer un statut pour ces personnes.
Parmi les projets élaborés ces dernières années, l’on citera le « Projet de convention relative au statut international des déplacés environnementaux » [6] , élaboré par un groupement de chercheurs français. Il apporte une définition des déplacés environnementaux, et énonce des principes et des droits traitant des situations d’urgence et de l’installation à plus long terme. Il comporte aussi des dispositions sur la responsabilité et sur l’interdiction de toute forme de discrimination, et réaffirme les droits des personnes : du droit à un habitat au droit à l’information, en passant par le droit de conserver sa personnalité juridique, ou d’avoir une vie familiale. La convention serait accompagnée de la création d’une agence mondiale pour les déplacés environnementaux, composée d’une haute autorité et d’un fonds mondial.
Un autre projet apparaît prometteur : « L’initiative Nansen » [7], issue de la conférence Nansen sur le changement climatique et les déplacements de population au XXIe siècle, organisée en 2011 par le gouvernement norvégien. Composée d’un comité de pilotage de sept à huit pays respectant un équilibre Nord/Sud, et du groupe des amis de l’initiative Nansen réunissant les pays intéressés souhaitant s’investir, l’initiative Nansen est lancée en 2012, avec l’objectif de mener des consultations entre les différents Etats concernés, pour se fixer des objectifs autour de trois axes : la coopération internationale et la solidarité ; les normes concernant l’admission, le séjour, le statut des personnes concernées ; les réponses opérationnelles, y compris les mécanismes financiers et les responsabilités des acteurs du droit international humanitaire et du développement.
Bien que prometteurs, ces textes n’ont une chance de devenir effectifs que si les Etats font preuve d’une volonté politique suffisante pour les transformer en normes contraignantes. Il semble qu’actuellement, la réflexion sur les mesures d’adaptation et de prévention constitue une meilleure chance de voir progresser les droits des populations concernées ●
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Programme des Nations unies pour l’environnement.
[2] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
[3] Début 2009, dans son rapport sur les liens entre les changements climatiques et les droits de l’Homme, le Haut- Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme a encouragé la communauté internationale à trouver des solutions politiques pour les déplacements de populations liés aux changements climatiques.
L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a également travaillé sur la question, à travers plusieurs rapports (notamment « Migration, environnement et changement climatique »).
Le Parlement européen a adopté, le 11 juin 2008, la « Déclaration sur les migrations climatiques » et le Conseil de l’Europe, en 2006, une « Motion pour une recommandation sur la question des réfugiés de l’environnement » de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe .
[4] Conseil de sécurité, 5663e séance 17 avril 2007.
[5] Comité international de la Croix-Rouge.
[6] Michel Prieur, Jean-Pierre Marguenaud, Gérard Monediaire, Julien Betaille, Bernard Drobenko, Jean-Jacques Gouguet, Jean-Marc Lavieille, Séverine Nadaud et Damien Roets, « Projet de convention relative au statut international des déplacés environnementaux », Revue européenne de droit de l’environnement (Rede), n° 4/2008, p. 381 et s. Dernière version du projet disponible sur www.cidce.org.
[7] Pour plus de détails : www.nanseninitiative.org
* Mancebo François : {[L’instrumentalisation des crises environnementales, question émergente du développement durable. La Nouvelle-Orléans après Katrina : un cas d’école.->193]}, N° (139) - 27 avril 2011. * Gemenne François : {[Une analyse empirique des déterminants des processus migratoires entre Tuvalu et la Nouvelle-Zélande->178]}, N° (130), - 27 octobre 2010, * Lokku Sonia , Peugeot Patrick : {[ Migrations: Pour un Pacte mondial de solidarité->127]}, N° (95) , - 20 juin 2009. * Bétaille Julien : {[ Les déplacements environnementaux : un défi pour le droit international->121]}, N° (90), - 4 mai 2009. * Combe Hélène : {[ Les migrations du climat : un défi pour les villes, un devoir d’engagement collectif->116]}, N° (87) , - 3 avril 2009.
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