Résumé
À chaque époque correspond un socle culturel fondé lui-même sur un ensemble de valeurs : à la Renaissance, la redécouverte de la pensée antique ; au XVIIIème siècle, les « Lumières », mouvement philosophique qui s’est répandu à travers l’Europe et au delà ; au XIXème, le « progrès » lié à la première révolution industrielle ; aujourd’hui, n’est-ce pas la prise de conscience des limites de notre planète ?
L’article s’attache en effet à montrer que l’idée de développement durable peut être le socle culturel du XXI° siècle.
Il ne devrait pas s’agir cependant d’une culture unique mais au contraire de cultures diversifiées, profondément nouvelles dont la mise en œuvre peut être néanmoins exaltante.
Auteur·e
Jean-Pierre Piéchaud est urbaniste. Il a successivement travaillé dans l’aménagement et la planification urbaine, le logement, l’environnement urbain, la politique de la ville et du
développement social urbain, avant de se consacrer à la dimension territoriale du développement durable.
Il est membre fondateur de 4D ainsi que de l’Encyclopédie du développement durable.
La culture est « l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions, les croyances [1] ».
Selon les régions et les époques, ce cadre global qu’est la culture repose lui-même sur un socle principal autour duquel s’organisent ses différentes facettes.
Le développement durable peut-il être considéré comme le socle d’une nouvelle culture ou plus exactement de nouvelles cultures, pour les décennies à venir, la trame d’une nouvelle étape pour l’organisation des activités humaines, une nouvelle règle du jeu qui mettrait – enfin – le développement économique au service du développement social, une nouvelle éthique luttant contre les inégalités, économisant au maximum les ressources naturelles de la biosphère que nous savons limitées ?
En somme une trame reposant sur des valeurs communes qui irriguerait les sciences, les arts, la littérature, les modes de production et de consommation, les modes de vie, l’organisation spatiale, sociale, politique de nos villes, de nos régions, des États eux-mêmes, des relations internationales, dans un processus démocratique.
De fait, si nous prenons quelques exemples historiques proches de nous, un socle culturel, un projet global semble en effet avoir existé à différentes époques et avoir irrigué la société dans son ensemble.
La Renaissance
C’est le cas de la Renaissance, aux XV° et au XVI° siècles.
À la fin du XIII° siècle et au début du XIV° siècle, avec la succession de crises qu’a connue l’Europe (crise agricole due à des conditions climatiques difficiles, famines, peste noire, crises sociales et révoltes, guerre de cent ans) les structures médiévales montraient leurs limites.
Dans la seconde moitié du XIVe siècle, apparaît en Italie un puissant renouveau économique avec le développement du commerce et de la banque, des manufactures (cardage, poterie, soie…), de nouvelles pratiques agricoles et de nouvelles cultures (le riz, le mûrier…). Ce courant, lui-même alimenté par une vie urbaine intense, est en même temps porté au XV° et au XVI° siècle par une recherche culturelle renouant avec l’antiquité et s’appuyant sur un ensemble de valeurs mettant l’homme en leur centre : l’humanisme, le libre arbitre, la raison, la connaissance.
La redécouverte de Platon et de ses disciples, avec le rêve de marier sagesse antique et christianisme, par l’Accademia di Careggi créée à Florence par Cosme de Medicis et animée par Marcile Ficin et Pic de la Mirandole, a été l’un des points de départ de cet énorme mouvement culturel, artistique, social, La Renaissance.
Ce retour au patrimoine culturel grec et romain a embrasé toute l’Europe et a eu des effets extrêmement importants dans une multitude de domaines : la philosophie (Erasme aux Pays bas, Thomas More en Angleterre, Michel de Montaigne en France, Martin Luther en Allemagne…) ; la peinture en Italie [2] , mais aussi aux Pays bas, en Angleterre, en France ; l’architecture (en Italie, dans toute l’Europe et en France (La Bastie d’Urfé, Fontainebleau, Chambord, …) ; les sciences (l’astronomie nait de l’astrologie, la chimie de l’alchimie, le chirurgien du barbier (avec Ambroise Paré) ; les techniques (Gutenberg bouleverse la diffusion des connaissances) ; l’appréhension du monde avec la découverte de l’Amérique...
Les mœurs, les modes de vie et de penser en sont profondément transformés et, avec la Réforme, les fondements de la religion elle-même sont remises en question.
Marcile Ficin écrivait vers la fin de sa vie : « ce siècle, comme un age d’or, a restauré la lumière des arts libéraux qui avaient presque disparu : grammaire, poésie, peinture, sculpture, architecture, musique ».
Les Lumières
C’est également le cas des Lumières, le mouvement philosophique qui, précédé ou accompagné de nombreuses revendications et révoltes populaires, a dominé l’Europe tout au long du XVIII° siècle pour aboutir à la Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique, à la Déclaration des Droits de l’Homme, à la Révolution Française et aux autres mouvements révolutionnaires qui ont secoué l’Europe pendant plusieurs décennies.
Un exemple de révolte populaire au XVIIIe siècle : En 1764, une révolte éclate dans le petit village des Pions, dans la Montagne bourbonnaise. Elle est déclenchée par la collecte des impôts dans une communauté très pauvre. Une bataille a lieu entre villageois et gendarmes se terminant par une terrible répression : plusieurs pendaisons à Moulins, dont le village garde encore aujourd’hui le souvenir, deux siècles et demi plus tard. |
Annoncée dès le XVIIe siècle par différents mouvements
de pensée en Europe, (Francis Bacon et Locke en Angleterre, Galilée en Italie, Leibniz en Allemagne, Spinoza en Hollande, Descartes en France et en Hollande…), la philosophie des Lumières a été le cadre tout au long du XVIIIe siècle d’une succession extrêmement importante de publications qui a dominé le monde des idées : Montesquieu (L’esprit des lois), Voltaire (Candide, Dictionnaire philosophique), Rousseau (Le contrat social, l’Émile), la Grande Encyclopédie, Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, de Diderot et d’Alembert (17 volumes de textes, 11 volumes de planches, 71 818 articles) avec l’objectif de rassembler les idées nouvelles et d’afficher les valeurs qui les sous-tendent : la rationalité, les droits, la liberté de penser, la démocratie, la tolérance...
Voltaire écrivait en 1764 : « Tout ce que je vois, jette les semences d’une révolution qui arrivera immanquablement, et dont je n’aurai pas le plaisir d’être témoin… La Lumière s’est tellement répandue de proche en proche qu’on éclatera à la première occasion, et alors ce sera un beau tapage [3] ».
D’après Kant, « Les Lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable », c’est le rationalisme, la remise en question des idées et des valeurs jusque là imposées, la critique de l’ordre social, l’exaltation des sciences, c’est « rendre la philosophie populaire » (Diderot).
On peut prendre enfin l’exemple du XIXe siècle, dominé par l’idée du « progrès », valeur dominante, qui a accompagné la grande révolution industrielle avec tous ses aspects économiques, scientifiques, techniques, culturels mais aussi ses énormes conséquences sociales et politiques.
En moins d’un siècle, on a assisté au passage d’une société rurale à une société industrielle et à dominante urbaine. Les conséquences de cette énorme mutation ont été innombrables et ont concerné tous les rouages de la vie économique, sociale, culturelle, artistique, politique : les sciences (Claude Bernard, L’introduction à l’étude de la médecine expérimentale, Darwin, De l’origine des espèces, Pasteur…) et les techniques, la révolution de l’énergie avec le charbon et la vapeur et plus tard l’électricité, les transports (avec le développement des chemins de fer), l’organisation de la production industrielle (la naissance de l’entreprise), l’urbanisation, la philosophie (Hegel, Marx et Engels, Tocqueville, Saint Simon, Proudhon , Fourier…), la littérature (Dickens, Chateaubriand, Zola, Hugo, Balzac…), l’art, la vie sociale, le développement de la classe ouvrière et la prise de conscience de son exploitation, les mœurs, la famille, la religion, la politique avec les différents mouvements révolutionnaires qui ont accompagnés l’histoire du XIXe siècle et la première partie du XXe siècle (les révolutions de 1830 et de 1848, La Commune de Paris, la Révolution d’octobre…).
Depuis quelques années, et sans doute plus fortement aujourd’hui en cette période de crises graves, la prise de conscience de la nécessité de profondes remises en cause dans la marche de nos sociétés fait son chemin autour d’un nouveau système de valeurs en construction.
- En premier lieu la prise conscience de nos responsabilités face aux limites de notre écosystème Terre : l’épuisement des ressources naturelles - tout particulièrement des énergies fossiles -, la très grande fragilité de la diversité biologique, l’effet de serre et les changements climatiques qui lui sont liés ;
- La prise de conscience de nos responsabilités face aux générations futures ;
- L’importance de la lutte contre les inégalités qui se creusent d’année en année, entre les pays dits « développés » et les pays du Sud, entre riches et pauvres ;
- La nécessaire solidarité entre les régions du monde mais aussi à l’intérieur d’un même pays, d’une même ville… ;
- La nécessité de remettre l’économique et le système financier qui s’affole, à leur place, au service de la société ;
- Le respect des droits humains, des biens communs, de l’équité ;
- La liberté d’expression et la démocratie à tous les niveaux…
Les crises écologique, sociale, économique financières actuelles se superposent et se renforcent l’une l’autre. Mais la prise de conscience de cette superposition des crises s’accompagne en même temps d’une idée en germe, celle d’un autre avenir possible, peut-être exaltant, probablement très différent de ce que nous vivons aujourd’hui, prenant en compte des exigences nouvelles s’appuyant sur ces valeurs et tentant de répondre aux questions posées en ce début du XXIème siècle.
Ce courant commence à irriguer de très nombreux rouages de la vie économique, sociale, culturelle : nos modes de vie, les modes de production et de consommation, le fonctionnement des entreprises, le commerce et les échanges, l’expression culturelle, la mode, la littérature, les science humaines, la recherche, les arts, la philosophie, l’urbanisme et l’architecture, les politiques locales, nationales, européennes, internationales…
Ne s’agit-il pas des prémisses d’un nouveau et important mouvement culturel ?
Les exemples qu’on peut apporter pour nourrir cette hypothèse sont de plus en plus nombreux et dans des domaines très divers. On se contentera ici d’en citer quelques uns.
Les idées
De très nombreux essais sont consacrés au constat des limites des capacités de notre planète : l’empreinte écologique des activités humaines, les ressources naturelles, la fin du pétrole, l’effet de serre et les changements climatiques… mais en même temps aux bouleversements sociétaux que nous vivons, à la pauvreté et aux inégalités qui ne cessent de s’aggraver, aux rapports Nord/Sud, aux crises économique, financière, écologique, sociale, urbaine, agricole et rurale, démographique, religieuse, politique. Notons à titre d’exemple qu’une grande partie des travaux d’Edgar Morin fait référence à ces « poly-crises » qui nous frappent.
Les modes de production
Le pari de l’économie verte repose sur le développement d’activités autour de la réduction des consommations d’énergie et de matières premières, grâce à une transformation en profondeur des systèmes de production et de nouvelles solutions technologiques : l’efficacité énergétique dans le bâtiment et l’habitat, les énergies renouvelables, la voitures électrique ou hybride, la biomasse, le développement du rail, la capture et le stockage du CO2, etc.
On peut faire la liste d’assez nombreux projets dans ces domaines que le Grenelle de l’environnement avait retenu comme prioritaires. Même s’il ne faut pas faire de l’économie verte - dont il faudra par ailleurs mieux préciser les contours - la panacée du développement durable, il n’en demeure pas moins qu’elle représente un axe important de recherche pour l’avenir, en même temps que l’économie sociale et solidaire.
L’aménagement, l’urbanisme et l’architecture
Plus de trois milliards de personnes vivent aujourd’hui en ville. Les citadins sont en passe, dans le Monde, de devenir plus nombreux que les ruraux. On comprend dès lors la place des zones urbaines dans le développement durable ; de très nombreuses réflexions sont engagées sur les thèmes de l’urbanisme, de l’aménagement et de l’architecture.
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Beaucoup de pays ont une Stratégie de développement durable et l’Union Européenne a arrêté la sienne en 2002 [4] .
La Commission du développement durable des Nations Unies, crée en 1993, assure le suivi des engagements de Rio et de Johannesburg et évalue les progrès accomplis par les agendas 21 des niveaux national, régional, international.
Même si le constat que l’on peut faire – et ce sera l’un des objectifs de la seconde conférence des Nations unies à RIO en 2012 (Rio + 20) - que les effets de ces politiques sont encore inégaux voire faibles, il n’en demeure pas moins qu’un mouvement s’est amorcé au cours des dernières décennies.
Pour prendre l’exemple de la France, le Grenelle de l’environnement d’octobre 2008 a arrêté le principe d’orientations à long terme pour l’environnement et le développement durable qui devraient engager de nouvelles pratiques. Si cela était le cas – mais on constate aujourd’hui la remise en cause de plusieurs des objectifs fixés en 2008 - on assisterait dans les années à venir à d’importantes mutations sur les plans économique, social et écologique.
En ce qui concerne les Collectivités territoriales, les Plans climat sont aujourd’hui obligatoires pour les agglomérations importantes et il faut rappeler que l’Observatoire national des agendas 21 locaux et des pratiques territoriales de développement durable, développé et tenu à jour par 4D, compte plus de 250 sites, villes, agglomérations, départements, Régions, qui mettent en œuvre un projet politique de développement durable.
Dans les autres pays européens, et souvent en plus grand nombre qu’en France, beaucoup de collectivités territoriales ont également en chantier de tels projets (agendas 21, Plans climat, quartiers écologiques…).
L’édition
De très nombreux essais prenant en compte le développement durable emplissent les étagères des librairies dans des domaines philosophique, économique, écologique, sociologique, géographique extrêmement variés : la mondialisation et l’altermondialisation, les relations ou les tensions Nord/Sud, l’effet de serre, les changements climatiques, les ressources naturelles et énergétiques, les énergies renouvelables, le nucléaire, la fin du pétrole, le commerce mondial, le commerce équitable, l’économie solidaire, les biens communs, les services essentiels…
Les publications pour les enfants et les jeunes sont particulièrement abondantes autour des thèmes écologiques.
L’école
On constate de très nombreuses initiatives, touchant principalement l’environnement, dans le domaine scolaire, en particulier à l’école primaire. Une réelle prise de conscience des enseignants existe et se traduit par des activités conduisant à la sensibilisation des enfants.
Le cinéma
Des films de grande audience ont été réalisés au cours des dernières années dans le but d’alerter l’opinion publique sur les dangers auxquels nous exposent les excès de notre empreinte écologique.
Films récents de grande audience sur les dangers auxquels nous exposent les excès des activités humaines
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Les arts plastiques
- De nombreuses expositions d’art contemporain se réclament du développement durable. On peut citer plusieurs manifestations organisées ces dernières années à Paris, au Centre Pompidou, au Palais de Tokyo et dans plusieurs autres villes.
À titre d’exemple, le sculpteur Ambroise Monod travaille depuis de nombreuses années dans le cadre de la structure de recherche qu’il a créée, Récup’Art, sur l’art et le recyclage des matériaux. Il s’emploie à redonner forme et sens « à des objets ou des débris qui n’en ont plus ».
En Afrique, on peut également citer de très nombreuses expériences de création artistique s’appuyant sur les idées du développement durable et notamment aussi du recyclage. Par exemple le projet Yamba-D Yambaplast à Koudougou au Burkina Faso. Le sculpteur Jean Marie Perdrix et le bronzier Ousmane Derme ont produit des totems, des sculptures, des djembés (tambours) mais également des chevrons pour la construction, à partir d’un matériau obtenu par le recyclage des déchets et sacs plastics collectés sur le sol africain.
En mai 2008 à Paris, La galerie Karsten Greve a organisé une exposition collective intitulée « Echo Wanted » en vue de montrer comment des artistes s’emparent de certaines questions (la dégradation de l’environnement notamment) illustrant une prise de conscience relative à de nouveaux rapports entre la nature et la société.
On peut citer également les installations du plasticien chinois, Mu Yuming, à propos des problèmes de pollutions.
La création de mode
Il faut évoquer des exemples de créateurs de mode s’appuyant sur les principes du commerce équitables, de l’écologie et du développement durable.
Le salon Ethical Fashion organisé au Carrousel du Louvre à Paris depuis plusieurs années est un rendez-vous de la mode « solidaire » et dédiée au développement durable. Les équipes sélectionnées s’engagent à respecter une charte mettant en avant les conditions de travail, le respect de l’environnement et l’intérêt de savoir-faire traditionnels.
De très nombreuses marques ou boutiques fondent leurs arguments de vente sur l’éthique et le respect de l’environnement (par exemple l’utilisation de cotons issus du commerce équitable).
La liste des domaines où est perceptible cette prise de conscience d’un autre avenir est longue.
Malgré de nombreuses difficultés, on peut se demander si ces initiatives, ces expériences, ne sont pas l’amorce d’un mouvement d’une plus grande ampleur ? Une culture pour le XXIe siècle, s’appuyant sur l’idée du développement durable et autour d’un système de valeurs se déclinant de façons différentes selon les contextes sociaux et économiques ?
Surtout pas une culture unique, par exemple la nôtre plus ou moins refondée qui s’imposerait à la planète entière. Chaque région du monde, chaque territoire, chaque ville, chaque pays, doit définir son propre « agenda », ses propres objectifs, à partir de son histoire, de son patrimoine, de sa situation sociale et économique.
Il faut préserver la diversité culturelle. Chaque culture est un patrimoine qu’il faut maintenir et développer. Or la diversité culturelle est menacée par la mondialisation qui tend à uniformiser modes de vie, modes de penser, modes de production et de consommation sur toute la planète. « Autant la biodiversité semble vitale pour la terre, autant la diversité culturelle est une richesse de l’humanité qu’il est urgent de maintenir... Comme les éléments naturels, la culture est un ’bien commun de l’humanité’ qui ne saurait être l’objet d’une marchandisation généralisée » [5] .
Dans ce domaine, il faut rappeler le très important travail poursuivi à l’échelle internationale dans le cadre de l’UNESCO. Il a abouti à un texte fondamental, La Déclaration universelle sur la diversité culturelle, adoptée à Paris le 2 novembre 2001.
Principaux thèmes de La Déclaration universelle sur la diversité culturelle de l’UNESCO
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Un nouveau fondement culturel inspiré par l’idée du développement durable qui préserve la diversité et qui la renforce, qui prenne en compte les limites de notre planète, les risques liés à l’effet de serre, au réchauffement et aux dérèglements climatiques, qui soit en conséquence économe en ressources et en énergie, qui, en même temps, tourne la page du nucléaire, c’est sans doute le défi que le XXI° siècle doit se donner.
Malgré l’échec factuel de la Conférence de Copenhague sur le climat en décembre 2009, il faut constater que pour la première fois dans l’histoire, un très grand nombre de Chefs d’États et de gouvernements s’est donné rendez-vous pour tenter de répondre à un problème qui concerne l’humanité entière et qui se situe en dehors de la guerre.
Ce n’est pas le retour à l’homme des cavernes que nous devons envisager.
Nous avons besoin d’une nouvelle forme de gouvernance, d’autres modes de production et de consommation, d’autres modes de vie très différents de ceux des décennies que nous venons de traverser, des modes de vie économes en ressources et en énergie, en grande partie à inventer dans de très nombreux domaines tels que l’habitat, l’organisation du travail, l’alimentation et les consommations, les transports, les déplacements, les voyages, les loisirs, la communication, l’éducation…
Mais pour atteindre ces objectifs, le chemin est long et des risques importants existent qui vont à l’encontre du développement durable.
Trois de ces risques sont principalement à souligner :
- Le premier correspond aux dérives « sémantiques » que l’on peut constater autour du concept de développement durable lui-même et de son caractère transversal : un développement au service des sociétés humaines et respectueux des équilibres écologiques. Tantôt on oublie sa composante essentielle – le volet social – pour ne retenir que l’idée d’un projet économique combinée avec un atout écologique. Tantôt – et cela est de plus en plus fréquent - le mot n’est utilisé que comme un slogan pour justifier des activités – industrielles et commerciales notamment – qui lui sont étrangères.
- Le deuxième concerne la poursuite de la prééminence donnée à l’économie comme cela a été le fait de nos sociétés occidentales au cours des deux derniers siècles : « l’économisme ». Il consiste à donner la primauté - et ceci à tous les niveaux du local au global – à la recherche du profit, à l’accumulation de ressources, à la croissance du PIB… par rapport aux objectifs du développement durable, à savoir : la lutte contre les inégalités et la pauvreté, pour la santé, l’éducation, l’épanouissement culturel, la recherche de l’harmonie sociale et écologique.
Il faut inverser ce courant, mettre enfin l’économie au service de ces finalités sociétales.
- Le troisième a trait à la tentation d’une dérive autoritaire qui impliquerait, pour parvenir à la nécessaire limitation de notre empreinte écologique, de mettre, en quelque sorte, la démocratie en berne. L’urgence exigerait de décider, sans débat, de mesures contraignantes dans de nombreux domaines, pour modifier nos modes de vie, pour limiter nos consommations énergétiques et de matières premières non renouvelables…et en même temps de mettre sous contrôle nos libertés.
Le développement durable ne peut s’imaginer dans ces conditions : il serait alors dévoyé.
C’est vers une société qui tourne le dos aux risques de son autodestruction qu’il faut aller. Une société du non-gaspillage ; qui ferme la parenthèse dangereuse du nucléaire ; qui soit fondée sur une économie remise enfin à sa place au service de l’humanité ; sur une production industrielle et une agriculture respectueuses de l’environnement ; sur de nouveaux et puissants moyens d’information et de communication facilitant les échanges et l’expression culturelle ; bref une société qui, ayant pris conscience des limites de la planète, repousse celles de la connaissance et du développement social, donnant en même temps à chacun d’entre nous les moyens de son épanouissement.
C’est donc à un immense chantier auquel nous sommes tous invités à participer et qui ne peut se concevoir que dans un approfondissement de la démocratie à tous les niveaux. Un projet exaltant pour les décennies à venir.
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles, 26 juillet – 6 août 1982.
[2] Décrite par Vasari, peintre lui-même du XVIe siècle, considéré comme le premier historien d’art de la Renaissance.
[3] Correspondance générale, 2 avril 1764.
[4] Cf. l’ article de l’Encyclopédie de J.L. Mathieu et Michel Mousel - L’Europe sur la voie du développement durable ?, N° (88) , avril 2009
[5] Avis 2002-07 de la Commission Française du Développement durable , présidée par Jacques Testart.
Bibliographie
- Prévost Jean, Apprendre seul, Flammarion, 1940
- La déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle adoptée à Paris le 2 novembre 2001
- L’avis n°7 Sur la culture et le développement durable de la Commission française du développement durable, avril 2002
- Radanne Pierre, Énergies de ton siècle ! Des crises à la mutation, Editions Lignes de Repères, 2005
- Morin Edgar, La voie, Pour l’avenir de l’humanité, Fayard, 2011
- Morin Edgar, L’an 1 de l’ère écologique – La terre dépend de l’homme qui dépend de la terre, Tallandier, 2007
- Morin Edgar, Au-delà du développement durable, pour une politique de l’humanité, Atlantique, 2010
- Comeliau Christian, Resituer l’économie dans la société, Avril 2010
- info document (PDF – 680.3 kio)